samedi 24 janvier 2015

Jean 4 (et tout ça pour un verre d'eau !) sans oublier Charlie

Je poursuis mes méditations sur Charlie. Et je vais les poursuivre encore un certain temps.


Je vais poursuivre encore un certain temps mes méditations sur Charlie parce que je sens que, tantôt, mais j'espère que ça ne viendra pas trop rapidement, la politesse, la prévenance, et la sympathie que l'on se témoigne depuis quelques temps, vont s'évaporer. Je les sens déjà évanescentes dans tel moment de la vie de mon Eglise. J'en entends et j'en lis qui, de nouveau, après un bien trop court silence, s'emparent de leurs Bibles et de leurs versets assassins et repartent, sabre au clair, baïonnette au canon, et que sais-je encore, mener la croisade, oui, la croisade contre l'abomination. C'est que le moment de l'effarement et de la sidération ne peut pas durer, surtout lorsqu'on pense que ce sont les autres qui ont fait ça... Quels autres ? Des autres que je ne suis évidemment pas, moi ! Je ne suis pas comme ces gens, moi. Je ne caricature pas ; et je ne tire pas. D'ailleurs, je suis contre les deux, disent-ils.

"Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère", aurait écrit Baudelaire. Un auteur à la moralité douteuse, assurément. Tout autant que François Villon... "Mais priez Dieu, que tous nous veuille absoudre !"

C'était la semaine de l'unité. Voici une méditation pour la semaine de l'unité. Il nous était proposé de lire le 4ème chapitre de l'évangile de Jean. En voici les premiers versets.

Jean 4
Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu'il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean, 2 - à vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples - 3 il quitta la Judée et regagna la Galilée. 4 Or il lui fallait traverser la Samarie.

5 C'est ainsi qu'il parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph, 6 là même où se trouve le puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits. C'était environ la sixième heure.

7 Arrive une femme de Samarie pour puiser de l'eau. Jésus lui dit: «Donne-moi à boire.»
8 Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.
9 Mais cette femme, cette Samaritaine, lui dit: «Comment? Toi, un Juif, tu me demandes à boire à moi, une femme samaritaine!» Les Juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains.

Prédication
            En lisant ce texte, nous sommes invités à réfléchir à deux questions : Sur quel chemin d’unité devons-nous marcher pour que le monde boive à la source de la vie qu’est Jésus-Christ ? Quel chemin d’unité respecte vraiment notre diversité ?

            Alors nous devons commencer par nous souvenir que, dans l’évangile de Jean, Jésus prie son Père que tous soient un, pour que le monde croie. Mais c’est une prière et, qui plus est, une prière que Jésus lui-même prie, que le Père lui-même prie puisque Jésus et le Père, dans l’évangile de Jean, sont un. Si le Père lui-même prie qu’ils soient un, c’est que ça ne va pas de soi…
            Entre ceux qui se réclament du même Jésus-Christ, ça n’est jamais allé de soi. L’évangile de Jean en témoigne parfois douloureusement. Et pourquoi ? La réponse est dans le texte que nous lisons. Les disciples de Jean baptisent, et ceux de Jésus baptisent aussi. Pas de commentaires à faire… ça n’a guère changé depuis. On appose un signe sur le front d’un fidèle, on se choisit un nom, une couleur, un style et on ramène tout de l’identité chrétienne à ces misérables choix, quand ça n’est pas aux hasards de la naissance. Qui est né Samaritain est un chien, dirait un Juif, et réciproquement. Qui a choisi le Baptiste plutôt que Jésus est une erreur, diraient ceux qui ont choisi Jésus. Et ceux qui portent le turban, que sont-ils ?
            Ça se passe plutôt bien entre nous, ici, maintenant… et nous avons un peu compris qu’un véritable chemin d’unité doit respecter la diversité, tout comme l’unité du Père et du Fils dans l’évangile de Jean respecte la diversité du Père et du Fils. Mais il faut dire que nos chemins sont peu différents les uns des autres ; et qu’ils ont en commun de reconnaître pleinement la validité de la prédication du salut que nous formulons, les uns, les autres, chacun selon sa propre tradition et dans son propre style. Nous avons aussi en commun que nous ne confondons pas Dieu et les images de Dieu et que nous ne considérons pas comme sacralité à défendre les énoncés de la foi, les grands textes et les images et objets dont nous décorons nos lieux de culte… Et qu’il y a suffisamment de politesse entre nous pour ne pas nous attaquer gratuitement les uns aux autres.
            Alors nous pouvons, sur ces bases assez simples, assez dépouillées, et très exigeantes déjà, boire ensemble à la même source de la vie qu’est Jésus-Christ.

            Mais qu’en est-il du monde ? C’est bien la question qui nous est posée… le monde. Le monde qui ignore tout ou presque tout de nos rites et de nos symboles, le monde, pas forcément bienveillant, qui est plutôt porté à se méfier – et il n’a pas tort – de ceux qui professent ouvertement une religion, même chrétienne. Pour que le monde boive à la source de la vie qu’est Jésus-Christ, il faut lui proposer d’y boire, et vu l’état du monde, il faut que cette proposition soit la plus simple possible, infiniment simple.
            Ce que je chéris par-dessus tout, dans le récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, c’est l’extrême simplicité, l’extrême dépouillement même, de l’approche entre Jésus et cette femme. « Donne-moi à boire. » Il faudrait tout oublier sauf ça. Il faudrait oublier que les Samaritains et les Juifs se détestent, que les hommes dominent les femmes, que c’est à Jérusalem et nulle part ailleurs, que le salut vient de ceux-ci plutôt que d’autres. Il faudrait tout oublier et ne se souvenir que de ceci : Jésus qui est un homme, un Juif, un Dieu et saint, demande à boire à une anonyme Samaritaine, femme, non Juive, humaine et impure.
            Lorsqu’il s’agit de parler d’unité, ce ne sont pas les humains qui ont besoin de Dieu, mais Dieu qui a besoin des humains. Et si l’on ne commence pas par considérer l’unité de l’humanité, l’unité du genre humain, alors Dieu est piétiné, trahi, défait.

            Sur quel chemin d’unité devons-nous marcher pour que le monde boive à la source de la vie qu’est Jésus-Christ ? Et quel chemin d’unité respecte vraiment notre diversité ?
            Le chemin sur lequel on considérera que nos cérémonies ne valent pas plus par elles-mêmes, et même moins, qu’un verre d’eau que quelqu’un demande et qu’un autre lui accorde. Le chemin sur lequel on considérera que le moindre des verres d’eau que quelqu’un demande et qu’un autre lui accorde vaut d’avantage que les traditions religieuses… les nôtres, évidemment, car on ne peut se prononcer ainsi que sur soi-même. On ne peut se dépouiller que de soi-même.

            Tel est le chemin… Bien entendu, nos grands énoncés demeurent, et nos cérémonies demeurent, mais juste comme manière, comme style, et comme don. Et un don, c’est fait pour être offert – nous avons cela à offrir. Et ceux à qui l’on offre ce don en font, puisque c’est un don, exactement ce qu’ils veulent en faire. C’est le chemin de la foi, un chemin d’offrande et de dépouillement.

Puissions-nous le suivre comme l’ont suivi notre Maître le premier, et ceux qui, pour de vrai, l’ont suivi.