samedi 30 mars 2024

Le silence et la muraille de la résurrection

Marc 16

1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer.

2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.

3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau?»

4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée; or, elle était très grande.

5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur.

6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité, il n'est pas ici; voyez l'endroit où on l'avait déposé.

7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »

8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.

Prédication : 

            « Les femmes donc s’enfuirent et ne dirent jamais rien à personne, parce qu’elles avaient peur. » Et l’évangile de Marc s’arrête donc là. Et l’évangile de la résurrection selon Marc s’arrête là aussi. Il n’y a pas de résurrection…  Il n’y a pas d’apparition du ressuscité. Mais – question – pour que la résurrection soit attestée, faut-il des apparitions du ressuscité ? C’est une question qui a l’air de rien, mais elle traverse tout le paysage du nouveau testament, et pas que lui. Cette question s’infiltre aussi dans les textes relatifs à l’exil, dans des textes de la tradition prophétique... Faut-il des apparitions précisément documentées pour que l’action de la main de Dieu soit attestée dans l’histoire ?

            Oui ? Non ? En tout cas, si nous nous en tenons à la proposition de lecture d’évangile de ce jour – Marc 16,1-8 – le silence absolu des femmes sur cette affaire atteste que l’évangile de la résurrection passe par la lecture. L’évangéliste est d’abord un sujet écrivain, auquel fait suite un sujet lecteur. Et la foi vient alors de ce qu’on lit. Et ça peut très bien constituer une chaîne de transmission capable de traverser les siècles.

            Mais autre chose est possible, sous nos yeux, car après Marc 16,8 il vient Marc 16,9. Les savants nous disent que c’est un autre écrivain, qui fait d’autres choix. Parmi ces choix il fait celui de faire apparaître Jésus ressuscité. Peut-être cette, ou ces apparitions seront-elles reçues. Mais non. Même si de petites gens l’ayant vu croient en Jésus ressuscité ils se heurtent à l’incrédulité et à la dureté de cœur de gens d’importance. A la fin seulement Jésus ressuscité peut apparaître, donner des ordres d’évangélisation, puis retourner vers son père. Nous remarquons que ces derniers versets ressemblent à Matthieu. Mais notre question n’est pas cette ressemblance – un emprunt littéraire se voit toujours – notre question est celle de la pertinence pour l’évangile de la transmission par le silence, ou de la transmission par  l’apparition et la parole. Est-ce simple ?

 

            Lorsque j’étais jeune diplômé de la Faculté de Théologie, le contact approfondi avec certains auteurs m’avait conduit à  rechercher et à apprécier les textes complexes, paradoxaux, du genre justement de cette finale courte de l’évangile de Marc, « elles ne dirent rien à personne… » mais tout le monde en parle. La contradiction est là, elle devrait déboucher sur le vide, or, il n’en est rien. Bien que rien ne soit dit, l’évangile est proclamé. Il est proclamé en plénitude, et pourtant le vide initial demeure, il n’est jamais comblé et le défi qui est proposé au lecteur est précisément de parler sans obturer.

            L’évangile de Marc n’est pas le seul texte de référence qui propose ce genre de défi à son commentateur. Karl Barth, dans le recueil Parole de Dieu et parole humaine – rien que le titre est intéressant – propose plusieurs défis spirituels – dont un portant sur La parole de Dieu tâche de la théologie. Le défi n’est pas de résoudre ceci ou cela, mais d’écrire de sorte que nous puissions continuer à écrire, de parler de sorte que nous puissions continuer à parler. Le témoignage chrétien est une parole qui se cherche des auditeurs, puis de libres partenaires pour se continuer. Mais quant à savoir d’où elle vient réellement et où elle va, c’est juste impossible de le dire. Et c’est là sa faiblesse, aussi bien que c’est là sa grandeur.          

           

            Lorsque j’étais étudiant en théologie, un professeur eut l’idée de confronter ses étudiants à des œuvres picturales célèbres, qui représentaient des scènes bibliques. La conversion de Paul – il y en a deux versions si je me souviens bien – Abraham sacrifiant, et La crucifixion de Pierre, œuvres de Caravage, sauf oubli de ma part, ce qui faisait déjà pas mal. C’est donc de l’image, d’une puissance certaine, parce que c’est Caravage, et la toile est couverte, tout y est signifiant, et tout y est brutalement exprimé. La page d’évangile, ou la parole de Dieu, est rendue par l’artiste comme une sorte de coup. L’exercice proposé à l’étudiant était de mettre des phrases cohérentes sur des objets brutaux, sans toutefois mettre en avant ses propres émotions, faute de quoi l’écriture et la parole, ne pourraient pas continuer. Et nous parlons là justement de ces choses, apparitions massives du genre que nous avons évoquées s’agissant de la résurrection visible de Jésus.

            Vous vous demandez comment cela s’était passé ? Mal. La proposition faite par ce professeur n’avait pas été reçue par les étudiants, pas reçue du tout. Ça n’était pas de la mauvaise volonté. Mais il existe une forme particulière du langage pour parler de l’esthétique, de l’art et des œuvres d’art, que lui – professeur – connaissait, et que nous, étudiants 83 boulevard Arago – petite province – ne connaissions pas. Et  le langage donc s’était heurté contre un mur, un mur contre un autre mur, et pour produire quoi ?

 

            Et bien, visible contre visible, nous ne pouvons pas porter de jugements trop tranchés. Le groupe qui participait à ce cours est dispersé depuis longtemps – 28 ans. Et nous n’avons pas l’habitude non plus, dans notre tradition, de faire se rassembler des anciens élèves de nos facultés. Alors que reste-t-il de ce cours dont nous parlons ? Il reste – il me reste – des souvenirs robustes et féconds, une petite connaissance en peinture, et l’idée justement que la parole de Dieu qui peut prendre la voie aérienne, silencieuse, et discrète peut aussi prendre la voie « dure », et là elle prend son temps. Et la résurrection que nous célébrons aujourd’hui était bien peu au commencement, dans les années du temps jadis, mais est plus claire maintenant.

            Christ est ressuscité. Amen     


samedi 23 mars 2024

Méditations sur le Messie (Marc 11,1-11 ; Zacharie 9,1-11)

 Marc 11

1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples

2 et leur dit: «Allez au village qui est devant vous: dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.

3 Et si quelqu'un vous dit: ‹Pourquoi faites-vous cela?› répondez: ‹Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.› »

4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent.

5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent: «Qu'avez-vous à détacher cet ânon?»

6 Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.

7 Ils amènent l'ânon à Jésus; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s'assit dessus.

8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d'autres des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne.

9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient: «Hosanna! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient!

10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père! Hosanna au plus haut des cieux!»

11 Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze.

Zacharie 9

1 Proclamation. La parole du SEIGNEUR est arrivée au pays de Hadrak, et à Damas elle a fait halte, car au SEIGNEUR appartient le joyau d'Aram tout comme l'ensemble des tribus d'Israël,

2 de même Hamath, sa voisine, ainsi que Tyr et Sidon, où l'on est très habile.

3 Tyr s'est construit une forteresse, elle a accumulé de l'argent, épais comme la poussière et de l'or, comme la boue des rues,

4 mais voici que le Seigneur s'en emparera, il abattra son rempart dans la mer, et elle-même, le feu la dévorera.

5 À ce spectacle, Ashqelôn sera épouvantée, Gaza se tordra de douleur et Eqrôn se verra privée de son appui. Le roi sera éliminé de Gaza et Ashqelôn ne sera plus habitée.

6 Des bâtards s'installeront à Ashdod, je rabattrai l'insolence du Philistin.

7 J'ôterai de sa bouche le sang et d'entre ses dents, les mets abominables; alors lui aussi, comme un reste, appartiendra à notre Dieu. Il aura sa place parmi les clans de Juda et Eqrôn sera pareil au Jébusite.

8 Je camperai auprès de ma maison, montant la garde contre ceux qui passent et repassent; plus aucun tyran ne l'accablera au passage car, à présent, j'y veille de mes propres yeux.

9 Tressaille d'allégresse, fille de Sion! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem! Voici que ton roi s'avance vers toi; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne - sur un ânon tout jeune.

10 Il supprimera d'Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l'arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre et du Fleuve jusqu'aux extrémités du pays.

11 Quant à toi, à cause de l'alliance conclue avec toi dans le sang, je renverrai tes captifs de la fosse où il n'y a point d'eau.

Prédication : 

            Dans l’évangile de Marc – comme dans les trois autres évangiles – Jésus fait, une semaine avant sa mort et sa résurrection, une entrée glorieuse à Jérusalem, monté sur un âne. Jésus lui-même est à l’initiative de ce défilé. Il en choisit la mise en scène. Elle obéit à un schéma qui figure dans l’ancien testament : livre de Zacharie, chapitre 9. En faisant ce choix, Marc entend nous dire comment il comprend le messie Jésus. Car il y a, dans la Bible, de nombreuses manières d’être messie.

            Dans l’ancien testament, un puissant souverain étranger, aussi étranger à Israël que le Perse Darius (Esaïe 45), peut être considéré comme messie. Un roi autochtone aussi mauvais que le roi Saül est aussi messie. L’inoubliable roi David sera appelé messie, son fils rebelle et tenté par le parricide, Absalom, messie tout autant...

En plus – voire en moins – un messie parfois peut ne concerner, qu’une ethnie, voire qu’une tribu, mais parfois tout Israël. Et parfois plus encore. Car cela peut dépasser des frontières, voire couvrir la terre entière, avec parfois une centralisation sur Jérusalem et le Temple, mais parfois avec une totale égalité entre toutes les nations.

Pour dire vrai, le messie connait dans l’ancien testament autant de variantes qu’il y a de formes du salut. Le nouveau testament n’est pas non plus univoque sur le messie Jésus. Considérez seulement le Messie triomphant en Apocalypse 19 (un glaive acéré sort de sa bouche, il se nomme Roi des rois, Seigneur des Seigneurs) et le Messie crucifié en Marc 15 (et au Psaume 22), qui hurle son sentiment d’abandon à la face des humains et sous un ciel désespérément vide.

 

            L’Évangile de Marc, 11, fait référence à Zacharie 9. Le messie, en Zacharie 9, comment est-il ? Il est provincial, au plus régional. Avant même qu’il soit question du messie, il est proclamé que tous ces territoires appartiennent à Dieu, et que sa parole y agit. Ainsi, le nord du pays (Phénicie), l’est (Aram), la bande côtière ouest (Philistie) vont-ils être objets d’un mystérieux ravage, opéré par la parole du SEIGNEUR – il faut entendre par Dieu lui-même – dont l’issue est extraordinairement étonnante puisqu’au terme de ce ravage, le Philistin – avec tous les autres – sera considéré comme un « reste », et « aura sa place parmi les clans de Juda » (v.7), c'est-à-dire que les nations voisines et ennemies perpétuelles des enfants d’Israël seront considérées par Dieu comme sa terre, son peuple. Elles sont donc cohéritières de la promesse.

 

Quelle promesse ? Une promesse de sanctuarisation d’un grand Israël : de la Méditerranée jusqu’au bassin de l’Euphrate, de la Syrie et du Liban jusqu’au Golfe d’Aden. Sur ce grand territoire sera instaurée une paix éternelle, et la diaspora juive y reviendra tout entière. Comme centre de ce grand territoire, Jérusalem. Et comme roi de ce territoire, le Messie.

            Marc emprunte ainsi à Zacharie une certaine idée territoriale et politique de l’ère du Messie : fraternité paisible entre des peuples voisins, une forme d’unité religieuse, une capitale. On peut penser qu’à l’époque de Zacharie, les territoires qu’il mentionne correspondent à tous les territoires connus. Marc, reprenant Zacharie, imaginant alors une messianité universelle, fraternelle et paisible.

 

Mais quel Messie pour cela ? Nous avons lu qu’il s’avance, « juste et victorieux, humble, monté sur un âne » (v.9). Qu’il soit monté sur un âne met d’accord tous les traducteurs. Mais les trois qualificatifs posent quelques problèmes. Nous partons de ce que nous avons lu, le Messie est  juste, victorieux et humble. Et nous approfondissant le sens de ces trois termes.

            Il est juste. Le premier homme de la Bible dont il est dit qu’il est juste, c’est Noé. Un juste, c’est quelqu’un qui ne tord pas le cours de la justice, qui juge sans discrimination, qui ne fausse pas les poids dans le commerce, et qui refuse de se laisser corrompre. Il est sans fraude et sans violence. Tel est le juste, tel est le Messie selon Marc. Les qualités du juste sont longuement mentionnées dans les Psaumes et dans les livres de sagesse. Et ces qualités en font quelqu’un de fragile, de vulnérable. Il est écrit dans la Bible que le juste est souvent la risée des hommes (Job 12,4). Le problème du juste souffrant est un problème qui a tourmenté les auteurs du proche Orient ancien longtemps avant que la Bible n’existe. Le Messie selon Zacharie est juste – une qualité qui va de pair avec une infinie fragilité. On y pense un peu, ou souvent, lorsqu’on lit le récit des Rameaux.

            Seconde qualité du Messie selon Zacharie (et Marc) : il est victorieux, d’après la plupart des traducteurs. Mais nous nous méfions des traducteurs. A bien y regarder, le mot victorieux est clair en grec (LXX), mais moins en hébreu. Le roi messie qui vient n’a pas remporté la victoire par ses propres forces ; littéralement, il a été sauvé. Le roi messie est victorieux, soit, mais parce qu’il a été sauvé. On ne dit pas par qui… et l’on irait bien trop vite en besogne en mettant là qu’il a été sauvé par Dieu. Le Messie a été sauvé. Seconde marque de fragilité à laquelle on ne pense jamais en lisant le récit des Rameaux.

            Troisième qualité du Messie, nous avons lu qu’il est humble. Ce serait mieux de dire méprisé. Le Messie est semblable à ce que le peuple d’Israël était en Egypte. C'est-à-dire fort peu de chose, vulnérable, livré à ses dominateurs, sans gloire, sans droits. On ne pense pas à ça en lisant le récit des Rameaux.

            La royauté du roi Messie selon le prophète Zacharie – et selon Marc la royauté du Fils de l’homme, est ce qu’on peut appeler une royauté faible, sa force est une force désarmée, elle s’avance pour se proposer, pour s’offrir, elle appelle, mais jamais elle ne s’impose d’elle-même... et comment le pourrait-elle ? C’est à cette royauté que Jésus est identifié le jour de son entrée dans Jérusalem, monté sur un âne. Comment cette royauté pourrait-elle l’emporter ? Pourvu que quelques-uns répondent à l’appel. Mais l’appel est si faible, si ténu…

 

            Ont-ils eu conscience de tout cela, les gens qui, pleins de joie, ont suivi la procession ? Le texte de Marc ne fait aucun commentaire. Il laisse là l’événement. Le moment de liesse a eu lieu. Marc prend acte de cette liesse, comme si elle était juste et légitime : pourquoi la foule des disciples et le peuple ne se réjouiraient-ils pas ? Et de quel droit des observateurs éclairés comme nous le sommes leur adresseraient-ils un reproche ?           Il y a de la joie le jour des Rameaux, « Au cœur humain la joie est bonne ». Et pour ce qu’il en est des grands engagements suivis des lâchetés que nous savons, il y a toute la semaine sainte.

 

            Mais tous ces gens qui ont escorté Jésus, qu’ont-ils fait, ensuite ? Nous ne le savons pas. Feu de paille pour certains, conversion durable pour d’autres, et toutes sortes de nuances sont possibles. Ils sont rentrés chacun chez soi, sans doute. Et la journée s’est finie là, et tout le monde est allé dormir.

Pour nous qui avons médité sur la signification de l’entrée de Jésus ans la ville, qui avons compris un peu quelle royauté va avec sa messianité, il nous reste quelques question : allons-nous suivre ce roi-là ? Allons-nous être habités par les sentiments qui étaient les siens ? Allons-nous faire montre d’humilité et de douceur ? Allons-nous nous reconnaître comme sauvés ? En somme, allons-nous incarner cette messianité  (il est juste, il est victorieux, il est humble) ?

Laissons ces questions en suspens. A chacun de répondre en son cœur. Puissions-nous répondre chacun et tous ensemble par un oui résolu. Amen






samedi 9 mars 2024

Quelques notes sur le ministère diaconal (Actes 6,1-8)


Actes 6

1 En ces jours-là, le nombre des disciples augmentait, et les Hellénistes se mirent à récriminer contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient oubliées dans le service quotidien.

 2 Les Douze convoquèrent alors l'assemblée plénière des disciples et dirent: «Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des tables.

 3 Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis d'Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cette fonction.

 4 Quant à nous, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole.»

 5 Cette proposition fut agréée par toute l'assemblée: on choisit Étienne, un homme plein de foi et d'Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d'Antioche;

 6 on les présenta aux apôtres, on pria et on leur imposa les mains.

 

 7 La parole de Dieu croissait et le nombre des disciples augmentait considérablement à Jérusalem; une multitude de prêtres obéissait à la foi.

 8 Plein de grâce et de puissance, Étienne opérait des prodiges et des signes remarquables parmi le peuple.

Prédication :  

            Et c’est ainsi que fut inventé le ministère des diacres, et donc le diaconat, parce que certaines personnes avaient estimé que les pauvres veuves chrétiennes d’origine grecque étaient moins bien traitées que les autres pauvres veuves, veuves d’origine hébraïques… comprenez que les grecques recevaient beaucoup moins de nourriture que les autres, voire pas du tout. Était-ce vrai ? C’est du moins ce qui fut mis en avant. Et c’est aussi ce qui est mis en avant pour fonder bibliquement  la diaconie et le diaconat… donner de son bien propre à l’intention de ceux qui autrement seraient dans le dénuement. Et c’est tout, pourvu que le partage soit équitable – pourvu qu’on s’entende sur la notion d’équité.

            Notion certainement délicate, puisqu’on fit appel d’abord au discernement des hommes, puis à l’approbation des Apôtres, puis enfin à l’Esprit Saint. Peut-être qu’avec tout cela le partage serait équitable… à moins que, avec tout cela, les diacres seraient incontestables, les diverses manœuvres spirituelles constituant une garantie. Alors, est-ce que ça marcherait ?

            La réponse c’est non, ça ne marcherait pas. Derrière les Actes des Apôtres c’est Luc qui écrit. Et contrairement à ce qu’on croit, Luc n’écrit jamais pour instituer ceci ou cela. Luc écrit pour inviter à réfléchir, et son invitation est souvent exigeante.

            L’institution des Diacres va-t-elle tenir ? Nous n’en savons rien, sauf que nous savons que l’un d’eux, Etienne, va s’exprimer en Apôtre, tâche que les Apôtres s’étaient réservée, et que, sans aucune ordination spécifique, il va accomplir en un sens mieux qu’eux, au point de devenir le premier martyr de l’histoire. Et l’on pourrait dire exactement la même chose de Philippe. Et ce que Luc suggère, c’est que l’Esprit Saint vient oindre ces ministres apostoliques indépendamment de la volonté des Apôtres.

            Et qu’en est-il à ce moment des Diacres ? Nous l’avons dit déjà ? Ils disparaissent du paysage de la première église. Réguler un partage intégral ne devait pas être facile. Le très nécessaire ministère du partage entra en collision avec le très nécessaire ministère de la parole… Ce qui imposait une réflexion très sérieuse, une grande quantité de pourquoi, à la manière de Luc.

 

            Passent les années, les millénaires, arrive Jean Calvin, qui propose qu’il y ait quatre ministères dans l’Eglise : des Docteurs, des Pasteurs, des Anciens, et des Diacres. Ce ministère selon Calvin est construit sur une double activité, assurer la subsistance de pauvres gens, et enseigner la foi à ces pauvres gens. C’est donc une sorte de ministère de la parole spécialisé – et pensez que la langue en ce temps-là est bien moins unifiée qu’aujourd’hui, et que la pauvreté est plus féroce qu’aujourd’hui aussi. Aussi pouvons-nous apprécier que ces deux ministères sont inséparables… et trouver là la racine d’un constat : les Réformés sont incapables de produire un texte de théologie qui ne finisse pas par des considérations éthiques.

 

            Passent encore quelques siècles. En 1938, une partie des Protestants se réunit dans l’Eglise réformée de France, et se donne une Discipline. Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer l’article 14 de cette discipline – Du ministère  diaconal. C’est vite lu, « modifié en 1999 ».

            Le temps passe, c’est l’avènement de l’Eglise Protestante Unie de France, 2012 / rév. 2019, article 19 – Ministère diaconal. « La rédaction de cet article pourra faire l’objet ultérieurement des travaux du synode national, selon la procédure mentionnée à l’article 36 (révision de la Constitution) »

 

            Aujourd’hui, pour autant que je sache, aucun synode national n’est programmé qui aurait pour tâche la rédaction de cet article. Nous parlons « ministères », mais pas diaconal – si je ne me trompe pas. Ce qui n’est pas le signe d’une coupable négligence, mais bien plutôt le signe du difficile nouage qui existe entre la spiritualité et la charité, entre la parole apostolique et le garde-manger. Et parfois mieux vaut une page blanche qu’une page mal remplie.

            Deux choses encore :

-       En ligne, https://epudf.org/diaconie/, quelques lignes tout à fait intéressantes et qui pourraient faire l’objet de réflexions partagées, genre atelier du samedi ;

-       Statuts types des associations cultuelles §5 – « Conformité avec la loi du 9 décembre 1905 » Pour mettre son régime traditionnel en accord avec la loi du 9 décembre 1905, l’Eglise protestante unie de France invite les membres d’une paroisse ou Eglise locale à adhérer et à participer à une association cultuelle, régie par le titre IV de cette loi, ainsi qu’à une ou plusieurs associations à vocation diaconale,

-       Votre action, en somme, précède vos institutions ; et c’est très bien ainsi.

samedi 2 mars 2024

Moïse, entre le don de la Loi et une suite pénible

Voici des versets bien connus, mais c'est au v.18 que notre affaire commence  

DRB  Exode 20  1 Et Dieu prononça toutes ces paroles, disant:

2 Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.

3 Tu n'auras point d'autres dieux devant ma face.

4 Tu ne te feras point d'image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, et de ce qui est sur la terre en bas, et de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre.

5 Tu ne t'inclineras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui visite l'iniquité des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération de ceux qui me haïssent, 6 et qui use de bonté envers des milliers de ceux qui m'aiment et qui gardent mes commandements.

7 Tu ne prendras point le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain; car l'Éternel ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris son nom en vain.

8 Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier. 9 six jours tu travailleras, et tu feras toute ton œuvre; 10 mais le septième jour est le sabbat consacré à l'Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucune œuvre, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ta bête, ni ton étranger qui est dans tes portes. 11 Car en six jours l'Éternel a fait les cieux, et la terre, la mer, et tout ce qui est en eux, et il s'est reposé le septième jour; c'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du sabbat, et l'a sanctifié.

12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l'Éternel, ton Dieu, te donne.

13 Tu ne tueras point.

14 Tu ne commettras point adultère.

15 Tu ne déroberas point.

16 Tu ne diras point de faux témoignage contre ton prochain.

17 Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien qui soit à ton prochain.

18 Et tout le peuple vit les tonnerres, et les flammes, et le son de la trompette, et la montagne fumante; et le peuple vit cela, et ils craignirent et se tinrent à distance, et dirent à Moïse:

19 Parle avec nous, toi, et nous écouterons ! Mais que Dieu ne parle point avec nous, sinon c’est la mort.

20 Cependant, Moïse dit au peuple:

Ne craignez pas; car

c'est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient,

et afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux,

 

pour que pécher n’existe plus en vous.

 

21 Mais le peuple se tint à distance; quant à Moïse, il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient.

            Prédication

        Commençons avec ces gens qui ont laissé dans la Bible une trace pénible. Pour toutes les transgressions possibles des commandements, ils n’ont envisagé qu’une seule peine, toujours la même peine, la mort. Ainsi avons-nous des pages entières qui commandent l’effacement de vies…

            Sinaï, le peuple craint, il a peur. Il s’adresse à Moïse pour lui dire : « Parle avec nous, toi, et nous écouterons. Mais que Dieu ne parle pas avec nous, sinon c’est la mort. »

            Et le lecteur de s’étonner. Juste après que Dieu ait parlé, juste après qu’il ait donné dix commandements essentiels, viatiques, voici que le peuple ne veut pas entendre directement la divine parole, sous peine de mourir, ou du moins le croit-il, et opte pour une parole humaine. Le peuple de Dieu a peur de Dieu. Et nous savons que, dans peu de temps, il va préférer se fabriquer un dieu d’or, une idole morte, qu’il va préférer s’asservir à une statue fabriquée et qu’il voit, plutôt qu’être libéré par Dieu qu’il ne voit pas. Mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, le peuple a peur de Dieu qui parle et préfèrerait entendre une parole dite par un être humain… Parle avec nous, toi, dit le peuple à Moïse, et nous écouterons ! (Comme si ça devait changer quelque chose)

 

            Nous nous intéressons à ce que Moïse répond. Moïse bien évidemment va tenter de conjurer cette crainte. Sera-t-il écouté, tout comme le peuple semble le lui promettre ?

            1.

            Péril réel, péril imaginaire ? Moïse, lui n’a pas peur. Il prend le risque de dialoguer avec Dieu, et il n’en meurt pas. Est-il le seul que Dieu épargne, parce qu’il est Moïse ? Lorsque, dans les chapitres qui précèdent notre lecture, on se prépare au don de la Loi, on balise le pied de la montagne, et on recommande que le peuple ne s’en approche pas, de peur que certains ne meurent. Certains, mais pas tous. Ce qui signifie qu’au sein du peuple, il y a des personnes, anonymes complets, qui pourraient bien s’approcher, entendre et ne pas mourir. Il y a des risques qu’il faut prendre, parfois… Le péril avec Dieu n’est peut-être pas si grand. On peut entendre la parole de Dieu et ne pas mourir. Cela ne signifie pas pour autant qu’entendre la parole de Dieu laisse indemne. Nous y venons.

           2.

            Moïse parle de nouveau : « C’est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient. »

            Ce n’est pas du tout par hasard que ce propos vient juste après que les dix commandements aient été donnés.

Les dix commandements sont parole de Dieu, ils éprouvent l’auditeur, et le lecteur. Qui tient debout devant les dix commandements ? Est-ce que quelqu’un peut dire qu’il n’a jamais transgressé aucun des commandements ? Les commandements interrogent l’être humain tout entier. Ils interrogent ses pensées et ses intentions ; ils interrogent les paroles prononcées, et celles aussi qui sont tues ; ils interrogent les actes, et même ceux qui n’ont pas été commis. En cela, les commandements nous mettent à l’épreuve. Et en cela ils sont, littéralement, parole de Dieu.

Personne ne tient debout devant les dix commandements. Faut-il craindre de ne pas tenir debout ? Moïse affirme que non, il affirme que Dieu vient, que Dieu parle, pour qu’on en passe par l’épreuve et par la tentation. La parole de Dieu nous démasque, elle sonde les reins et les cœurs, interroge radicalement les actes et les pensées, mais la vérité de ce qu’est un être humain n’est pas mortelle devant Dieu. On peut prendre le risque de ne pas fuir cette vérité-là.

            3.

            Il y a pourtant quelque chose de la crainte, et Moïse rajoute donc : « Dieu vient afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux. » Il y a plusieurs sortes de crainte. Ici, la crainte du peuple, c’est celle qui fait redouter la parole de Dieu. C’est la crainte du menteur, la crainte de celui qui se ment à lui-même et ne veut rien savoir de son mensonge. Elle est une crainte qui fige.

La crainte qui fait désirer la parole de Dieu, celle que Moïse recommande, est au contraire l’espérance confiante de la vérité. Elle est l’espérance que cette parole nous traverse, nous dépouille, nous renouvelle et nous fasse choisir la vie, une vie dont les contours demeurent à bâtir et les chemins à découvrir.

            4.

            Et Moïse ajoute une chose encore : Dieu vient et parle afin que pécher  n’existe plus en vous. Qu’est-ce que pécher, dans ce contexte ? Pécher, dans le contexte de l’Exode, c’est se tenir mordicus à ce qui fut, sans rien vouloir mettre en question, ni en jeu. Pécher, c’est préférer mourir en Egypte et en esclave, plutôt que vivre une liberté confiante, et toujours interrogée. Pécher, c’est enfin préférer la parole extérieure d’un homme à qui l’on peut toujours dire « Tais-toi ! » ou « Cause toujours… » à la parole intérieure de Dieu qui met à nu devant soi-même et devant lui. Pécher, c’est ainsi préférer le soi-disant silence de Dieu à sa parole.

 

Et que fait le peuple, une fois que Moïse lui a expliqué pourquoi la crainte est sans fondement et sans objet ? Le peuple l’écoute-il, tout comme il s’y est engagé ? Les gens du peuple s’approchent-ils ? Lisons : « 21 Mais le peuple se tint à distance (…) » 

Le peuple, collectivement, choisit la crainte, l’illusion, le mutisme… la servitude. Quant à Moïse, résolument, en témoin de la bonté et de la vérité de la parole de Dieu, ayant dit ce qu’il avait à dire, choisit de ne rien faire d’autre que ce qu’il a déjà fait : s’approcher de Dieu et s’en remettre à Lui : « (…) il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient. »

 

Dieu se tient dans l’obscurité profonde, et il n’est pas un Dieu obscur, c’est même tout le contraire.

Dieu se tient dans l’obscurité profonde, c’est une confession de foi :

 

Mon Dieu se tient dans l’obscurité profonde,

Il m’attend dans l’obscurité profonde,

Là où – et lorsque – ayant délibéré, choisi, et agi,

Après avoir fait tout ce qu’il est possible de faire,

Je ne peux plus qu’attendre.

C’est l’obscurité profonde, ce qui adviendra.

Je crois que Dieu se tient là, et m’attend.

C’est donc sans crainte que je m’approche.

Il est dans l’obscurité profonde et connait mes chemins,

Amen.