samedi 30 mars 2024

Le silence et la muraille de la résurrection

Marc 16

1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer.

2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.

3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau?»

4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée; or, elle était très grande.

5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur.

6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité, il n'est pas ici; voyez l'endroit où on l'avait déposé.

7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »

8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.

Prédication : 

            « Les femmes donc s’enfuirent et ne dirent jamais rien à personne, parce qu’elles avaient peur. » Et l’évangile de Marc s’arrête donc là. Et l’évangile de la résurrection selon Marc s’arrête là aussi. Il n’y a pas de résurrection…  Il n’y a pas d’apparition du ressuscité. Mais – question – pour que la résurrection soit attestée, faut-il des apparitions du ressuscité ? C’est une question qui a l’air de rien, mais elle traverse tout le paysage du nouveau testament, et pas que lui. Cette question s’infiltre aussi dans les textes relatifs à l’exil, dans des textes de la tradition prophétique... Faut-il des apparitions précisément documentées pour que l’action de la main de Dieu soit attestée dans l’histoire ?

            Oui ? Non ? En tout cas, si nous nous en tenons à la proposition de lecture d’évangile de ce jour – Marc 16,1-8 – le silence absolu des femmes sur cette affaire atteste que l’évangile de la résurrection passe par la lecture. L’évangéliste est d’abord un sujet écrivain, auquel fait suite un sujet lecteur. Et la foi vient alors de ce qu’on lit. Et ça peut très bien constituer une chaîne de transmission capable de traverser les siècles.

            Mais autre chose est possible, sous nos yeux, car après Marc 16,8 il vient Marc 16,9. Les savants nous disent que c’est un autre écrivain, qui fait d’autres choix. Parmi ces choix il fait celui de faire apparaître Jésus ressuscité. Peut-être cette, ou ces apparitions seront-elles reçues. Mais non. Même si de petites gens l’ayant vu croient en Jésus ressuscité ils se heurtent à l’incrédulité et à la dureté de cœur de gens d’importance. A la fin seulement Jésus ressuscité peut apparaître, donner des ordres d’évangélisation, puis retourner vers son père. Nous remarquons que ces derniers versets ressemblent à Matthieu. Mais notre question n’est pas cette ressemblance – un emprunt littéraire se voit toujours – notre question est celle de la pertinence pour l’évangile de la transmission par le silence, ou de la transmission par  l’apparition et la parole. Est-ce simple ?

 

            Lorsque j’étais jeune diplômé de la Faculté de Théologie, le contact approfondi avec certains auteurs m’avait conduit à  rechercher et à apprécier les textes complexes, paradoxaux, du genre justement de cette finale courte de l’évangile de Marc, « elles ne dirent rien à personne… » mais tout le monde en parle. La contradiction est là, elle devrait déboucher sur le vide, or, il n’en est rien. Bien que rien ne soit dit, l’évangile est proclamé. Il est proclamé en plénitude, et pourtant le vide initial demeure, il n’est jamais comblé et le défi qui est proposé au lecteur est précisément de parler sans obturer.

            L’évangile de Marc n’est pas le seul texte de référence qui propose ce genre de défi à son commentateur. Karl Barth, dans le recueil Parole de Dieu et parole humaine – rien que le titre est intéressant – propose plusieurs défis spirituels – dont un portant sur La parole de Dieu tâche de la théologie. Le défi n’est pas de résoudre ceci ou cela, mais d’écrire de sorte que nous puissions continuer à écrire, de parler de sorte que nous puissions continuer à parler. Le témoignage chrétien est une parole qui se cherche des auditeurs, puis de libres partenaires pour se continuer. Mais quant à savoir d’où elle vient réellement et où elle va, c’est juste impossible de le dire. Et c’est là sa faiblesse, aussi bien que c’est là sa grandeur.          

           

            Lorsque j’étais étudiant en théologie, un professeur eut l’idée de confronter ses étudiants à des œuvres picturales célèbres, qui représentaient des scènes bibliques. La conversion de Paul – il y en a deux versions si je me souviens bien – Abraham sacrifiant, et La crucifixion de Pierre, œuvres de Caravage, sauf oubli de ma part, ce qui faisait déjà pas mal. C’est donc de l’image, d’une puissance certaine, parce que c’est Caravage, et la toile est couverte, tout y est signifiant, et tout y est brutalement exprimé. La page d’évangile, ou la parole de Dieu, est rendue par l’artiste comme une sorte de coup. L’exercice proposé à l’étudiant était de mettre des phrases cohérentes sur des objets brutaux, sans toutefois mettre en avant ses propres émotions, faute de quoi l’écriture et la parole, ne pourraient pas continuer. Et nous parlons là justement de ces choses, apparitions massives du genre que nous avons évoquées s’agissant de la résurrection visible de Jésus.

            Vous vous demandez comment cela s’était passé ? Mal. La proposition faite par ce professeur n’avait pas été reçue par les étudiants, pas reçue du tout. Ça n’était pas de la mauvaise volonté. Mais il existe une forme particulière du langage pour parler de l’esthétique, de l’art et des œuvres d’art, que lui – professeur – connaissait, et que nous, étudiants 83 boulevard Arago – petite province – ne connaissions pas. Et  le langage donc s’était heurté contre un mur, un mur contre un autre mur, et pour produire quoi ?

 

            Et bien, visible contre visible, nous ne pouvons pas porter de jugements trop tranchés. Le groupe qui participait à ce cours est dispersé depuis longtemps – 28 ans. Et nous n’avons pas l’habitude non plus, dans notre tradition, de faire se rassembler des anciens élèves de nos facultés. Alors que reste-t-il de ce cours dont nous parlons ? Il reste – il me reste – des souvenirs robustes et féconds, une petite connaissance en peinture, et l’idée justement que la parole de Dieu qui peut prendre la voie aérienne, silencieuse, et discrète peut aussi prendre la voie « dure », et là elle prend son temps. Et la résurrection que nous célébrons aujourd’hui était bien peu au commencement, dans les années du temps jadis, mais est plus claire maintenant.

            Christ est ressuscité. Amen