dimanche 22 mai 2016

L'Esprit Saint vient en dernier (Actes 2, Actes 10, Genèse 1)

Genèse 1
1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre
2 La terre était informe et chaos, et la ténèbre à la surface de l'abîme; l’esprit de Dieu planait à la surface des eaux.
3 Alors Dieu dit: «Que la lumière soit!» Et la lumière fut.
4 Dieu vit que la lumière était bonne. Dieu sépara la lumière de la ténèbre.
5 Dieu appela la lumière «jour» et la ténèbre il l'appela «nuit». Il y eut un soir, il y eut un matin: premier jour.
Actes 2,7-17
7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?
9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,
11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»
12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»
13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»
14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.
15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;
16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël:
17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes;
Saint Esprit, feu !
Actes 10
39 «Et nous autres sommes témoins de toute son oeuvre sur le territoire des Juifs comme à Jérusalem. Lui qu'ils ont supprimé en le pendant au bois,
40 Dieu l'a ressuscité le troisième jour, et il lui a donné de manifester sa présence,
41 non pas au peuple en général, mais bien à des témoins nommés d'avance par Dieu, à nous qui avons mangé avec lui et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts.
42 Enfin, il nous a prescrit de proclamer au peuple et de porter ce témoignage: c'est lui que Dieu a désigné comme juge des vivants et des morts;
43 c'est à lui que tous les prophètes rendent le témoignage que voici: le pardon des péchés est accordé par son Nom à quiconque met en lui sa foi.»
44 Pierre exposait encore ces événements quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui avaient écouté la Parole.
45 Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre: ainsi, jusque sur les nations païennes, le don de l'Esprit Saint était maintenant répandu!
46 Ils entendaient ces gens, en effet, parler en langues et célébrer la grandeur de Dieu.
Oui, mais le feu ça brûle...
Prédication : 
            Aujourd’hui, nos frères catholiques fêtent le dimanche de la Trinité. Dimanche dernier, pour eux comme pour nous, était le dimanche de Pentecôte, dimanche de l’année liturgique pendant lequel nous fêtons la venue de l’Esprit Saint sur les disciples… Ainsi les moments de l’année liturgique se suivent-ils dans un ordre bien précis – qui est cohérent avec plusieurs récits bibliques. En effet, c’est seulement après le ministère public du Christ, après sa mort et sa résurrection et après son ascension – pour s’en tenir à l’évangile de Luc et aux Actes des Apôtres – que l’Esprit Saint est donné.
            Il est envoyé par le Père, sur la requête du Fils. Nous pouvons donc dire que l’Esprit Saint arrive en dernier. Ce que d’ailleurs la formule baptismale, qui est dans l’évangile de Matthieu, confirme en énonçant : « … au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. » L’Esprit Saint n’est pas moins Dieu, n’est pas moins Seigneur que le Fils et le Père. Mais voilà, c’est après le Père et après le Fils qu’il se manifeste. Nous allons approfondir cela.
           
            Pentecôte, selon le livre des Actes, cela se passe à Jérusalem, en Judée. Les habitants de Judée, et entre tous surtout ceux de Jérusalem ont d’eux-mêmes une haute opinion, selon laquelle ils sont la seule lignée pure du peuple élu par Dieu ;  Jérusalem, c’est là se dresse le Temple ; et le Temple est le lieu où demeure la présence de Dieu. Et de cela aussi, les habitants de Jérusalem sont très fiers. Or, à Pentecôte, selon le livre des Actes, l’Esprit Saint se manifeste hors du Temple, et se répand sur des Galiléens. Cela est choquant pour les institutions. L’Esprit Saint n’est pas là où il devrait résider ordinairement… et, en plus, les gens qui le reçoivent sont des Galiléens. Pour les habitants de Jérusalem, pour les habitants de Judée, les Galiléens ne sont que des gens d’ascendance douteuse, des pas grand-chose, voire des moins que rien.
Pentecôte : des Galiléens reçoivent l’Esprit Saint hors du Temple ! Les cadres et les repères habituels de la religion sont totalement dépassés.
            En poursuivant la lecture des Actes des Apôtres, nous allons découvrir que ces Galiléens eux-mêmes, ayant entre temps structuré leur propre mouvement, c'est-à-dire ayant structuré la jeune Eglise, vont être eux-mêmes tout à fait choqués de voir l’Esprit Saint être répandu sur des Païens, que eux, Galiléens regardent aussi un peu de haut.
Pentecôte (bis – si l’on ose dire) : des Païens reçoivent l’Esprit Saint en dehors des cadres et de repères prévus par la nouvelle religion.
Alors, bien entendu, nous qui venons après tout cela, nous qui avons lu et assimilé le discours que Pierre fait à Pentecôte à Jérusalem, nous reconnaissons dans ces fantaisies de l’Esprit Saint l’accomplissement de la prophétie de Daniel : « Dans les derniers temps, je répandrai de mon Esprit sur toute chair… » Mais ce savoir ne doit pas nous conduire à considérer comme banal ou ordinaire que l’Esprit Saint se répande là où on ne l’attend pas. Ne nous comportons pas en gens savants et blasés. La surprise est entière pour les disciples de Jésus devenus Apôtres, comme elle fut entière pour les Judéens de Jérusalem. Nous ne savons pas où Dieu est aujourd’hui en train de se faire connaître, ni où l’Esprit Saint est aujourd’hui en train de se répandre. La surprise et l’étonnement dureront… jusqu’à la fin des derniers temps.

Ceci étant dit, il y a trois points communs importants entre les disciples rassemblés à Jérusalem le jour de la première Pentecôte et les Païens rassemblés devant Pierre :
1. Le premier point commun, c’est que l’Esprit Saint se répand, de sa seule initiative, et sur des gens qui ne l’ont pas personnellement sollicité. L’Esprit Saint surprend…
2. Le second point commun, c’est que ces gens, bien que n’ayant rien demandé, éprouvent envers Dieu et envers ceux qui parlent de Dieu une sympathie sincère, et profonde. Ils sont, si l’on peut dire, déjà tournés vers Dieu ; ils ont déjà entrouvert  leur cœur à Dieu.
3. Le troisième point commun, c’est que ces gens ont tous déjà reçu un enseignement de qualité. Nous voyons bien que, dans le 10ème chapitre des Actes des Apôtres, lorsque l’Esprit Saint est répandu sur les Païens, Pierre n’a pas achevé son enseignement… mais il l’a déjà bien commencé. Une parole, un catéchisme ordonné a été déjà mis en place, et une communauté structurée existe déjà. Et c’est le cas aussi pour les disciples assemblés à Jérusalem : ils avaient reçu l’enseignement de Jésus, et existaient déjà en tant que communauté structurée autour des Apôtres et de Pierre. Ce troisième point commun est d’une importance capitale : un enseignement et un encadrement sont des préalables nécessaires à l’irruption de l’Esprit Saint. Et voici deux illustrations de ceci, l’une biblique, l’autre historique.
Illustration biblique, première épître aux Corinthiens : l’Eglise de Corinthe, fut une Eglise sur laquelle l’Esprit Saint se répandit très généreusement. Cette communauté vécut indubitablement une expérience spirituelle intense et profonde. Malgré la présence de l’Esprit Saint, la communauté se disloque. Il y manque, pour qu’elle tienne durablement, des cadres et de la structure. C’est ce que Paul s’efforce de faire dans son Epître. Paul célèbre les dons de l’Esprit Saint, par deux fois dans cette épître, mais il rappelle aussi, et surtout, aux Corinthiens des vérités déjà reçues au sujet de Dieu, et aussi des enseignements structurants qui concernent les bonnes et fraternelles manières de vivre ensemble.
L'Esprit Saint, sous la forme d'un volatile
Deuxième illustration, historique : au premiers temps de la Réforme, celui de Thomas Müntzer (1490 ?-1525). Il était prêtre, puis disciple de Luther mais, trouvant que la Réforme prenait trop de temps et que Luther prenait trop de précautions, Müntzer développa une théologie très spirituelle, radicale, et violente, où le Christ  n’était pas « doux », mais « amer », une théologie où l’Esprit Saint pouvait se passer des Saintes Ecritures et de leurs interprètes qualifiés et reconnus, où Dieu lui-même parlait à l’intimité de gens sans instruction. Müntzer fut idéologue et meneur de la révolte paysanne qui ensanglanta le sud de l’Allemagne en 1524-1525, 300.000 paysans se soulevèrent, et furent matés. Müntzer vous dit que l’Esprit Saint souffle : bilan, 100.000 morts. Retenons ici que l’Esprit Saint est un alibi parfois utilisé par des idéologues pressés et avides de pouvoir pour mobiliser et soulever des gens peut-être spirituellement peu nourris, mais aussi et surtout peu instruits.
Le destin de certains volatiles...
            L’Esprit Saint doit venir et il vient, mais en dernier, après tout le reste. Le livre de la Genèse est là déjà pour nous dire que l’Esprit Saint ne sait faire qu’une chose : planer, virevolter, à la surface des eaux, soulever de l’écume, être la beauté des vagues et des tourbillons des tempêtes que lui-même suscite. Il fait ça très bien, l’Esprit Saint… mais il ne fait rien d’autre. Et pour qu’il y ait un peu d’ordre, pour que la vie puisse émerger et durer, il faut que quelque chose soit dit, il faut une parole structurante. La création ne commencera que lorsque Dieu, en tant que Père, aura dit : « Que la lumière soit ! » en manifestant par là son autorité transcendante sur le chaos.
            L’Esprit Saint doit venir et viendra. Mais, pour que Dieu ne soit pas qu’une autorité transcendante, abstraite et peut-être persécutrice , il manque l’incarnation, c'est-à-dire le Fils. Avec le Fils, Dieu devient homme et frère, il devient un enseignement et un modèle.
L’Esprit Saint doit venir, après l’Ascension, car s’il manque l’Esprit Saint, il manque à Dieu son dynamisme créateur et à l’être humain cet élan profondément intime, voire irrépressible, qui le soutient sur son chemin de sanctification, à la suite du Fils.
Mais, nous l’avons dit, si on laisse l’Esprit Saint seul, sans la parole et l’enseignement du Fils, et sans l’autorité et la transcendance du Père, tout n’est qu’émotion, agitation, manipulation, et risque de retourner au chaos…

            Vous avez reçu l’Esprit Saint. Vous le recevrez, et nous le recevrons encore… car notre chemin est encore long et que la promesse de notre Seigneur ne saurait faillir. Mais nous continuerons à étudier les Ecritures Saintes, ainsi que l’héritage de nos grands prédécesseurs théologiens, non pas pour donner à nos vues des arguments imparables, mais pour que nos émotions spirituelles les plus profondes ne nous débordent pas, et pour leur donner des mots et un langage que nous puissions partager ; nous l’oublierons pas aussi chemin faisant que l’Esprit Saint nous surprendra toujours…


            Que le Père nous garde, que le Fils nous guide, et que l’Esprit Saint nous surprenne. Amen

dimanche 15 mai 2016

Sur la sanctification et l'observance (Lévitique 20,7-8)


Lévitique 20

7 Sanctifiez-vous donc pour être saints, car c'est moi, le Seigneur, votre dieu.
8 Gardez mes lois et faites-les. C'est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie.

Disons tout de suite qu'il sera très important, s'agissant de ces deux versets, et dans le choix d'une traduction de la Bible, de bien vérifier que la distinction est bien faite entre "garder" et "faire" - c'est à dire mettre en pratique - les lois ou commandements, et de bien vérifier aussi que même s'il l'être humain, et les communautés, sont appelés à se sanctifier et à être saints, à être sur un chemin de sainteté, c'est bien le Seigneur - Le Saint Unique béni soit-il - qui sanctifie...

Dans cet établissement, quelque part au sud de Brooklyn, on est "shomer shabbat", on garde le shabbat. C'est un commandement important de la Torah que garder le sabbat. Mais est-ce seulement littéralement qu'on garde un commandement ? Les récents débats sur le sujet de la bénédiction dans l'EPUdF ont permis de mettre en évidence que les "contre" se réclament très volontiers de Lévitique 18 mais jamais de Lévitique 20. Chers lecteurs, la différence entre Lévitique 18 et Lévitique 20 c'est que le chapitre 18 déclare que toutes sortes de choses sont des abominations aux yeux de Dieu, et que Lévitique 20 commande la mise à mort de ceux qui commettraient ces mêmes choses. Obéir ? J'ose espérer que, délibérément, mes lecteurs transgressent les commandements de Lévitique 20... et que c'est en tant que transgresseurs conscients et responsables qu'ils se présentent devant Dieu.

7 Sanctifiez-vous donc pour être saints, car c'est moi, le Seigneur, votre dieu.
8 Gardez mes lois et faites-les. C'est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie.

Mais de quelles lois parle-t-on ? Pas seulement les lois du 20ème chapitre du Lévitique. Toutes les lois de Moïse. Ceci dit, ces deux versets sont dans le 20ème chapitre du Lévitique et ce n’est certainement pas par hasard qu’ils ont été placés là…  Qu’y a-t-il avant ces versets, qu’y a-t-il a près eux ?
Avant ces versets, il est interdit de sacrifier à ses propres enfants à un dieu. Le sacrifice d’enfants est attesté dans le Proche Orient ancien, il soulève chez les Hébreux, et chez nous aussi, une unanime et constante réprobation…
Mais après ces versets, il y a un catalogue d’interdictions ; maudire ses propres parents est interdit ; toutes sortes de conduites sexuelles sont passées en revue, interdites, et pénalisées. Va-t-on pour ces interdits recueillir la même unanime et constante réprobation que pour les sacrifices d’enfants ? Ce n’est pas vraiment sûr…
Ajoutons que, pour toute transgression de ces lois, la peine est la même : la mort. La mort pour avoir sacrifié son enfant à un dieu, la mort pour avoir maudit père et mère, la mort pour toutes les formes possibles de l’adultère, la mort pour à peu près toutes les pratiques sexuelles particulières – sans rien envisager sur le consentement des gens, la mort, identiquement prescrite pour d’éventuels agresseurs, autant que pour leurs victimes…
Sanctifiez-vous, est-il donc commandé avec cela. La sanctification requiert-elle qu’on surveille les gens, et la sanctification passe-t-elle par le meurtre ?

Les deux versets du Lévitique que nous méditons sont inclus entre deux collections de lois, l’une portant sur des agissements au sujet desquels nul ne transige, l’autre porte sur des agissements au sujet desquels les appréciations vont massivement diverger. Quant à la même peine de mort qui viendrait sanctionner aveuglément toutes les transgressions, on se demande quel insensé oserait s’en satisfaire et la mettre en œuvre...
De fait, on ne va pas lire telle loi comme telle autre, et on ne va pas lire telle loi toujours de la même manière. Dans les versets que nous méditons, il est écrit de garder les lois, et de les faire. Le mot hébreu ici traduit par loi est associé à l’idée de perpétuité, si bien qu’un commandement de la loi est là, bien là, tel qu’il est, pour toujours. Mais ce qu’on fait, la pratique, cela doit être fait maintenant, aujourd’hui, et refait, encore, demain, un autre jour, qui n’est pas comme aujourd’hui. Or faire, c’est transformer, tout comme fait Dieu aux premiers jours de la création : il transforme le chaos et il l’oriente vers la vie. Faire le commandement, le mettre en pratique, c’est transformer le chaos, pour orienter ce qu’on peut vers la vie.

S’agissant des commandements bibliques, il s’agit donc bien, comme nous l’avons lu, de les garder, et de les faire. Garder, et faire : cela fait bien deux verbes, avec un écart entre eux.

Sanctifiez-vous, est-il écrit, c’est moi le Seigneur, votre dieu. Et nous avons bien compris déjà que ceux qui veulent se sanctifier ne pourront pas se contenter de faire seulement comme c’est écrit.
Oui, la première étape, sur un chemin de sanctification, c’est de repérer justement qu’il y a toujours un écart entre ce qui est prescrit et ce qui est à faire ; cet écart est celui qui existe entre le toujours et le maintenant, ou entre la fermeture et l’ouverture, entre la délibération et l’action, entre but et le fruit, ou entre la mort et la vie. C’est toujours dans cet écart que nous évoluerons, tant que nous serons vivants. Il nous faut vivre dans cet écart, dans cet espace qui existe toujours entre garder le commandement et le faire.
Sur un chemin de sanctification, seconde étape, il va nous falloir tout à la fois garder les lois, et les faire, les mettre en pratique : c'est-à-dire examiner, délibérer, choisir, agir. Nous devons choisir ce que nous allons faire. Dans la tradition qui est la nôtre, notre choix est nourri par notre connaissance, par notre étude des Ecritures, et, comme pour tout le monde, par notre appréciation des circonstances. Nous ne pouvons pas exclure que ce qui est à faire puisse correspondre littéralement à un commandement biblique. Mais nous ne pouvons pas non plus imposer a priori cette correspondance littérale. Si nous imposons a priori une correspondance littérale entre un commandement biblique et  notre action, nous refermons l’espace entre « garder les lois » et « les faire », nous refermons de fait l’espace de la sanctification. Si nous refermons l’espace de la sanctification, nous désobéissons au commandement qui nous enjoint de nous sanctifier. Pour le dire encore plus clairement, ceux qui s’imposent a priori une obéissance littérale aux commandements, et qui l’imposent à autrui, n’ont pas le Seigneur pour dieu, mais… la lettre du commandement.
La recherche d'images en lignes avec le mot clé "holiness" conduit à des résultats... étonnants.
Vient une troisième étape de la sanctification, sous la forme d’une affirmation : « C’est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie. » en lisant cela, nous sommes tentés de nous dire que si c’est finalement le Seigneur qui nous sanctifie, il n’est pas besoin que nous étudiions la Bible, ni que nous délibérions avant d’agir… Oui, le Seigneur sanctifie certainement, déclare saints, parfaits, purs, honorables, des paroles et des actes commis par des ignorants, par des êtres que nous méprisons, par des gens qui ne le connaissent pas ni ne veulent le connaître. Mais le Seigneur est Le Seigneur, et lui seul sait qui sont les humains. A nous qui ne sommes que des humain et qui avons hérité de ces Saintes Ecritures, il est commandé de nous sanctifier, comme nous l’avons vu déjà, et de laisser le Seigneur nous sanctifier. C’est dire que nos paroles et nos actes, tous, sans exception, doivent être remis à Dieu. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, de nous-mêmes, nous prononcer sur la portée ultime même des meilleures de nos actions. C’est bien à nous de les faire, et le Seigneur seul les sanctifiera et nous sanctifiera. Même notre obéissance aux commandements les plus beaux, comme celui de l’amour du prochain, nous ne pouvons que la faire, et c’est le Seigneur seul qui peut la sanctifier. Quant au choix que nous faisons parfois délibérément de ne pas obéir à tel ou tel commandement de la Bible, il appartient encore à notre Seigneur de nous sanctifier, de le sanctifier, ou pas.

De le sanctifier, de nous sanctifier… ou pas. Mais alors, ne vient-il pas en nous comme une sorte d’inquiétude ? Nous avons étudié, réfléchi, choisi, agi, et nous ne savons pas si nous avons bien fait, bien fait dans le sens où ce que nous avons fait protège la vie, ou la restaure, lui permet de s’épanouir. Ce que nous éprouvons n’est pas le doute violent des temps de crise, ni la conscience douloureuse de ceux qui savent qu’ils ont failli. Sur le chemin de notre sanctification il nous reste toujours cette question : le Seigneur nous a-t-il sanctifiés ? Et bien cette question n’est pas séparable de la foi, parce que l’incertitude qu’elle traduit n’est pas séparable de la foi. Croire, c’est toujours se présenter incertain devant Dieu.
C’est toujours avec une incertitude que nous allons nous présenter devant Dieu, avec cette sorte d’anxiété timide, joyeuse et résolue, émue peut-être, qu’on éprouve devant sa majesté aimante. Et la suite, et le reste, appartiennent à Dieu qui seul peut accomplir notre sanctification.
A Lui seul soit la gloire. Amen

dimanche 8 mai 2016

Expérience de l'unité (Jean 17,20-26)

Jean 17
20 «Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi:
21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé.
22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un,
23 moi en eux comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.
24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant le commencement du monde.
25 Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu, et ceux-ci ont connu que tu m'as envoyé.

26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux.»
Prédication
J’ai évité ce texte, depuis l’année 2000. Et encore, ce n’était, cette année-là, qu’une courte méditation un peu ironique, au commencement d’une séance de CP. En autant d’années pourtant, en s’en tenant strictement au lectionnaire, j’ai dû rencontrer ce texte au moins cinq fois. Et je l’ai évité…
Pourquoi évite-t-on un texte ? On évite un texte parce qu’on ne le comprend pas… c’est ce qu’on prétexte parfois, et, parfois, c’est vrai, on ne comprend pas. Peut-être qu’au contraire on évite un texte parce qu’on le comprend bien, voire trop bien. On évite un texte parce qu’on ne veut pas trop entendre ce qu’il est en mesure de signifier. C’est ce que je me dis en l’étudiant aujourd’hui. Mais vais-je écrire cela ? Vais-je prêcher explicitement sur ce que je ne voulais pas trop entendre – et que j’entendais sans doute tout de même assez bien…
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j’ai évité ce texte, et certaines sont trop intimes pour une prédication. Mais l’une des raisons, que je peux avancer, qui m’a fait éviter ce texte, est qu’il était bien trop souvent mis en scène dans une perspective œcuménique, et portant sur l’affirmation que les disciples du Christ devraient être unis pour que le monde croie : « Si les chrétiens étaient tous unis, alors le monde entier se convertirait. » Imaginez cela dans une bouche catholique, arrivant dans une oreille protestante. La conscience protestante qui est derrière cette oreille croit s’entendre dire que « si vous étiez tous catholiques romains, alors le monde se convertirait en masse ». Un peu orgueilleux, et légèrement paranoïaque comme tous les minoritaires, le protestant croit qu’on l’agresse en lui faisant reproche d’être responsable des divisions du christianisme et responsable aussi de la déchristianisation du monde.
C’est de l’enfantillage que cela, et écran de fumée devant des choses beaucoup plus personnelles, et beaucoup plus graves… Disons que les enfants commencent toujours par des enfantillages et qu’avec un peu de chance ils n’en resteront pas à ce par quoi ils ont commencé.
Donc tâchons de lire ce texte, aujourd’hui, en adulte.

Commençons par bien repérer que ce que nous avons sous les yeux est une prière que Jésus adresse à son Père. Il est important de bien le repérer. Jésus prie. On ne peut pas imaginer un seul instant que Jésus prie pour quelque chose qui serait advenu déjà, ou pour quelque chose qu’il pourrait faire lui-même. Il n’est rien qui soit hors de portée de Jésus dans l’évangile de Jean : même ressusciter un mort, il peut le faire, il prie, et il le fait, alors Lazare sort de son tombeau. Mais ici, tout à la fin de son ministère ? Il prie. Et il ne fait pas…
Deux observations à faire là-dessus.

La première, c’est que nous sommes en train – une fois encore – de méditer sur l’évangile de Jean, qui est l’évangile de l’incarnation radicale de Dieu. Lorsque le Verbe se fait chair, ou encore, lorsque la Parole – qui est Dieu – se fait un homme, cela n’est pas fait pour être défait. Dieu se donne entièrement à l’humanité en Jésus Christ, ce don est un don d’amour, et c’est un don sans reste et sans reprise, un don qui laisse tout à fait faible et exposé celui qui le fait. Si nous demandons pourquoi Jésus prie, et prie seulement, pour l’unité de ses disciples, c’est qu’il ne peut pas faire autrement, ni autre chose, que prier.
Seconde observation, conséquence de la première observation, que nous pouvons faire sur cette prière, et plus généralement, sur l’évangile de Jean, c’est que l’unité relève du choix et de la responsabilité des disciples de Jésus. Dieu, parce qu’il l’a choisi, se donne à l’humanité, entièrement, totalement, en Jésus Christ. Quant à ce que l’humanité fera de ce don, il appartient à l’humanité d’en décider. Même si Jésus prie le Père que ses disciples soient un, l’unité des disciples du Christ appartient d’une manière très essentielle aux disciples du Christ, à leur réponse à cette prière, à leur responsabilité.
 
Ceci étant dit, nous devons nous demander de quoi est faite cette unité pour laquelle Jésus prie. « Qu’ils soient un comme nous sommes un », telle est la prière, tel est le vœu, de Jésus. L’unité du Père et du Fils, l’unité du Père, qui donne son Fils, qui se donne totalement, par amour, au Fils et dans le Fils, telle est – telle devrait être – l’unité des disciples. Nous autres, donc, disciples du Christ, sommes appelés, par le vœu de notre Seigneur, par amour chacun l’un pour l’autre, à nous donner les uns aux autres. Si nous nous donnons ainsi les uns aux autres, cela signifie que nul n’est rien sans l’autre, que chacun n’est que pour l’autre…
A cet instant, les disciples du Christ se regardent bien les uns les autres et se demandent si c’est bien ainsi qu’ils sont unis.
Peut-être bien que la réponse est négative. Mais, ne nous culpabilisons pas trop. Nous sommes en train de lire l’évangile de Jean. Et l’évangile de Jean va très très loin. Cette unité, est une unité extrême.
Nous pouvons nous demander si même cette unité est possible entre des êtres humains, et à quel prix elle serait possible, ce qu’elle exige de dévotion réciproque, d’abnégation réciproque… donc de discipline communautaire, et de discipline personnelle. Nous pouvons nous demander aussi ce qu’il adviendrait entre ceux qui se plieraient à cette discipline, si l’un d’entre eux le faisait hypocritement ou avec perversité. Quelle violence en sortirait ? A quelles souffrances, à quels désastres aboutirait-on ?
Que savons-nous, d’ailleurs, de la réalité même de cette unité ? Peut-être que la vie communautaire d’un clergé régulier – vivant sous une règle – peut donner à vivre, et à voir, quelque chose de cette unité. Mais si cet unité ressort de l’amour du Père pour le Fils, et correspond à l’unité du Père et du Fils, pourquoi faudrait-il une règle ? Peut-être aussi que l’unité des couples qui s’aiment correspond-elle parfois aussi à cette unité pour laquelle Jésus prie. Mais Jésus ne prie pas ici pour les couples, mais pour ses disciples…

Cette unité extrême, l’unité du Père et du Fils, à laquelle les disciples sont appelés, et pour laquelle Jésus prie, n’est pas nôtre, pas tout à fait, un peu… et pour tout le temps que durera l’humanité, Jésus prie le Père, pour que ses disciples soient un comme Lui et le Père sont un, afin que le monde croie que c’est bien le Père qui a envoyé le Fils…
Le Fils prie le Père… Mais voici que surgit une question de plus. Le Père exauce-t-il parfois le Fils ? Les disciples sont-ils un, parfois ? Nous, qui nous disons disciples du Christ, faisons-nous, ou avons-nous fait, parfois, déjà, l’expérience, ponctuellement, de cette unité ? Posons la question autrement : avons-nous fait déjà l’expérience, dans notre vie chrétienne, que le don que quelqu’un vous fait d’une parole, d’un geste, de son attention… donne à croire que ce qui vous arrive a un sens, est une étape, un moment sur un chemin où même si les apparences n’y sont pas l’on n’est pas tout seul, qu’on est secrètement accompagné, donne finalement à croire en Dieu ? Avons-nous fait l’expérience de recevoir ce sens, avons-nous fait aussi l’expérience de donner ce sens ? Tel est le cas, j’ose le dire, pour moi-même, alors j’ai fait l’expérience de l’unité pour laquelle Jésus prie. Puissiez-vous avoir aussi vécu cette expérience.
J’en ai donc la certitude, Le Père exauce le Fils, en nous, et par nous, parfois. Oui, dans ce genre d’événement, le Fils donne la gloire que le Père lui a donnée, alors la foi jaillit et quelqu’un peut commencer, ou recommencer, ou continuer, à vivre, et à croire. Mais qu’est-ce que cette gloire ? C’est, pour tenter de le dire, une illumination et un amour. Nous avons parlé de Judas et de Pierre il y a quelques jours, des hommes qui, à un moment, trahissent et, un jour, plus tard, se reprennent, dont la vie peut changer, être transformée. La gloire que le Père donne au Fils, puis que le Fils donne à ses disciples, c’est une illumination, un éclairage qui met au jour et à vif le pire, et le meilleur, d’un être humain, et c’est aussi un amour en tant que l’amour est puissance d’apaisement et de transformation. Donner cette gloire, c’est rendre possible l’unité pour laquelle Jésus prie… Choisir de recevoir cette gloire, c’est décider de mettre en œuvre cette unité.

L’engagement de Jésus, sa vie durant, a été de donner cette gloire qu’il avait reçue de toujours. Il l’a donnée jusqu’à la fin de sa vie. Et, à la fin de sa vie, il lui reste la prière. Il pose là ses paroles et ses actes. Et, pour la suite, pour la fin, il s’en remet aux humains et il s’en remet au Père.
Puissions-nous agir de même. Amen