dimanche 23 février 2020

La Loi et les Prophètes (Matthieu 5,21-48) Jalons pour une éthique

Sermon sur la montagne
Matthieu 5
21 «Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: Tu ne commettras pas de meurtre; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal.
 22 Et moi, je vous le dis: quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal; celui qui dira à son frère: ‹Imbécile› sera justiciable du Sanhédrin; celui qui dira: ‹Fou› sera passible de la géhenne de feu.
 23 Quand donc tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
 24 laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; viens alors présenter ton offrande.
 25 Mets-toi vite d'accord avec ton adversaire, tant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le juge au gendarme, et que tu ne sois jeté en prison.
 26 En vérité, je te le déclare: tu n'en sortiras pas tant que tu n'auras pas payé jusqu'au dernier centime.
 27 «Vous avez appris qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère.
 28 Et moi, je vous dis: quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coeur, commis l'adultère avec elle.
 29 «Si ton oeil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi: car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne.
 30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi: car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne s'en aille pas dans la géhenne.
 31 «Par ailleurs, il a été dit: Si quelqu'un chasse sa femme, qu'il lui remette un certificat de répudiation.
 32 Et moi, je vous dis: quiconque chasse sa femme - sauf en cas d’inconduite - la pousse à l'adultère;
si quelqu'un prend une femme qui a été chassée, il est adultère.
 33 «Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens: Tu ne te parjureras pas, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
 34 Et moi, je vous dis de ne pas jurer du tout: ni par le ciel car c'est le trône de Dieu,
 35 ni par la terre car c'est l'escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c'est la Ville du grand Roi.
 36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
 37 Quand vous parlez, dites ‹Oui› ou ‹Non›: tout le reste vient du Malin.
 38 «Vous avez appris qu'il a été dit: Oeil pour oeil et dent pour dent.
 39 Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre.
 40 À qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau.
 41 Si quelqu'un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
 42 À qui te demande, donne; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos.
 43 «Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
 44 Et moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent,
 45 afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes.
 46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir? Les collecteurs d'impôts eux-mêmes n'en font-ils pas autant?
 47 Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire? Les païens n'en font-ils pas autant?
 48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. 
Mais Dieu, en vrai, il est comment ?
Prédication :
            Souvenons-nous du premier verset de Matthieu que nous avons lu la semaine dernière. 17 "N'allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir." Accomplir la-Loi-et-les-Prophètes… Nous avons 6 fragments qui commencent tous par :
 "vous avez appris qu’il a été dit…" (c’est la Loi ; la Loi envisagée dans un cadre tout à fait juridique, qui régule les échanges et définit clairement le licite et l’illicite ; mais nous savons comment toute loi peut être détournée, voire pervertie),
"Et moi je vous dis…" (c’est les Prophètes, la parole prophétique dans ce qu’elle a de radicalement critique, de surprenant, d’audacieux parfois et d’innovant ; mais aussi dans ce qu’elle peut avoir d’exagéré, voire de dramatique – n’oublions jamais que c’est au nom de la parole prophétique qu’Elie fit massacrer plusieurs centaines de personnes – idem Moïse…),
Puis, vient un troisième énoncé qui, à ce qu’il nous semble, accomplit simultanément l’un ET l’autre.
A partir de ces 6 fragments, pouvons-nous construire une éthique unique, chrétienne, et universelle ?
 
Faisons un inventaire raisonné de ces phrases originales ajoutées par Jésus, en les accompagnant de 6 courtes leçons :
  1. 23 Quand donc tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, 24 laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; (…).
    1. Se réconcilier avec Dieu n’a aucune portée si l’on ne se réconcilie pas d’abord avec un frère. Sous le vocable frère, dans cette phrase, nous pouvons identifier premièrement un frère en ethnie, ou un frère en religion.  
    2. Mais il est aussi question d’un adversaire en justice – ce qu’un frère peut être aussi – ce qui dépasse le cadre communautaire.
    3. Dans les deux cas, l’urgence est de privilégier la possibilité de cheminer ensemble (deux êtres humains) avant même d’envisager de cheminer avec Dieu.
    4. En quelque manière donc, la mise en œuvre concrète d’un principe de réconciliation entre êtres humains est toujours première sur la mise en œuvre du culte rendu à Dieu. (Rendez à l’homme ce qui est à l’homme avant de rendre à Dieu ce qui est à Dieu.)
  2. 29 «Si ton oeil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi (…) 30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi(…).
    1.  On n’aime guère lire cela et l’on n’imagine pas vraiment un être humain, un chrétien, normal, en arriver à ces extrémités. Ne rusons pas pourtant avec ce qui est écrit : c’est radical. Mais tâchons tout de même de réfléchir : si Jésus avait parlé de "mené par le bout du nez", nous ne penserions pas que quelqu’un devrait se couper le bout du nez ; il doit y avoir un sens à ces expressions, surtout qu’il s’agit d’un œil droit et d’une main droite. Recourrons à l’idée (assez commune) que l’œuvre de la main droite, et l’œuvre de l’œil droit, peuvent être comprises, et expliquées (il s’agit là d’une opposition classique entre l’œuvre de la main droite, qui est compréhensible, et l’œuvre de la main gauche) (Lorsque certains théologiens parlent de l’œuvre de la main gauche de Dieu, c’est pour exprimer que quelque chose se passe, qui est scandaleux, incompréhensible, mais qu’en même temps, parce qu’il en va de la foi en Dieu, qu’il faut continuer de rendre à Dieu seul tout ce qui est à Lui, c'est-à-dire, dans la foi, tout simplement, tout.
    2. Mais pour ce qu’il en est de l’être humain, il s’agit ici de garder le contrôle sur soi-même,  de faire triompher la raison sur la pulsion, pour être capable de s’en tenir en toute connaissance de cause à la rigueur de la Loi si c’est ce qui doit être fait, et de choisir en toute connaissance de cause l’audace prophétique si c’est ce qui s’impose.
  3. …si quelqu’un prend une femme qui a été chassée, il est adultère
    1. Je ne souhaite pas que le vocabulaire soit ici trop cru, mais vous comprenez bien qu’il s’agit de renvoyer une femme pour n’importe quelle raison, dont la première serait qu’elle a cessé de plaire. Et qu’en manière de prendre, il s’agit du sens figuré mais surtout du sens propre.
    2. La Loi prévoit qu’on se sépare dans les règles. Parce qu’une femme est un être humain. La parole prophétique interdit qu’on chasse une femme, sauf si elle s’est mal conduite.
    3. La Loi et les prophètes rappelle l’homme – chaque homme – à sa propre fidélité non seulement envers sa propre femme, mais aussi au respect de toutes les femmes, qui est ici le contraire de la luxure.
  4. 37 S’agissant de vos paroles et aussi de vos actes, que votre Oui soit ‹Oui›, et que votre Non soit ‹Non›: tout le reste vient du Malin.
    1. C’est peut-être le plus simple à comprendre, parce que, sous sa forme finale, Loi et Prophètes, cette injonction ne reprend même plus le nom de Dieu ; ce qui convient à notre culture sécularisée. Et puis la valeur de la parole est plus qu’une question personnelle, elle est aussi une question politique, au sens collectif du terme. Nous vivons dans un monde dans lequel la visibilité compte plus que le sens de l’action, et où la parole finalement engage assez peu. Ainsi s’effilochent les liens, ainsi se défont les alliances… n’oublions jamais que l’autre nom du Malin est le diviseur (diabolos) et que rien ne le réjouit d’avantage que la division des êtres entre eux, et que rien ne le ravit d’avantage que la division des êtres à l’intérieur d’eux-mêmes.
    2. Et sans doute cela a-t-il été le cas déjà du temps de Jésus et du temps de Matthieu…
  5.    42 À qui te demande, donne; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos.
    1.  Il nous faut ici d’abord envisager que la loi du talion (un œil pour un œil, etc.) a été lorsqu’elle fut promulguée et effectivement mise en oeuvre un progrès considérable : elle limitait, en qualité et en quantité, l’étendue de la vengeance. Nous avons dans la Bible des restes d’anciennes justices qui, pour une insulte, ou pour une égratignure, effaçaient une famille entière.
    2. Nous pouvons nous demander, s’agissant de ces anciennes justices, et tout autant s’agissant du talion, quelle haute opinion de soi il faut avoir pour oser les mettre en œuvre. C’est au titre d’une trop haute opinion de soi que les gestes grossiers fusent entre automobilistes et qu’on en arrive à s'entre-tuer pour une place de parking (ne parlons que des automobilistes, vous saurez généraliser).
    3. Ce qui vient au nom des Prophètes c’est joue droite, joue gauche, ou encore tunique, manteau. Ce qui correspond à une logique de surabondance.
    4. La proposition  de Jésus, pour la logique Loi et Prophètes, c’est le passage d’une logique de prêt à une logique de don.
    5. Les humains doivent donc profiter d’occasions difficiles pour construire des liens de fraternité libre et généreuse, à la place de liens d’obligation et de sujétion.   
  6. 48 Vous, vous serez ainsi parfaits comme votre Père céleste est parfait.
    1. De quelle perfection s’agit-il ? D’une perfection permanente et béate qui serait l’apanage de Dieu, et d’un homme devenu Dieu ? Non. Car tout ce que nous avons vu et dit jusqu’ici concerne un Dieu vivant et des êtres vivants, c'est-à-dire ayant, chaque jour, à accomplir, et en bien des manières, la-Loi-et-les-Prophètes.
    2. En plus, le mot perfection est un rien trompeur. S’il va bien avec le nom de Dieu, pour ce qu’il en est de l’être humain, l’idée serait plutôt de voir chaque action comme un chemin à parcourir, chaque action étant l’occasion de remettre en question des déterminations trop figées : ami, ennemi, aimer, haïr, intérêt, gratuité, frère, païen.
    3. Cette remise en question est accompagnée de prières sincères qui n’excluent personne.

A partir de ces 6 fragments, pouvons-nous construire une éthique unique, chrétienne, et universelle ? C’était notre question initiale. Et après les commentaires que nous avons faits, nous resterons modestes. Mais bien des occasions nous sont données de nous réajuster à cette exigeante éthique que nous propose le Christ.
Sœurs et frères, puissions-nous ne pas laisser se perdre les occasions que la vie nous offre.
Que Dieu nous soit en aide. Amen

dimanche 16 février 2020

La Loi et les prophètes (Matthieu 5,17-37)

Qui crie au blasphème ne fait que trahir la sacralité fantasmée de sa propre personne.

Celui qui est accusé d'avoir blasphémé, que fait-il donc, si ce n'est exercer une certaine liberté qui, par chez nous, est protégée par la République ? 
Qui crie au blasphème contre son Dieu, contre sa religion, s'installe lui-même au-dessus de sa religion et de son Dieu.
Hum... Dieu serait-il subordonné à... Serait-il l'obligé de ceux qui croient en lui ?  De l'homme et de Dieu, lequel des deux aurait créé l'autre ? 
Matthieu 5
17 «N'allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir.
18 Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l'i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé.
19 Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.
20 Car je vous le dis: si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux.

21 «Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: Tu ne commettras pas de meurtre; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal.
22 Et moi, je vous le dis: quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal; celui qui dira à son frère: ‹Imbécile› sera justiciable du Sanhédrin; celui qui dira: ‹Fou› sera passible de la géhenne de feu.
23 Quand donc tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; viens alors présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d'accord avec ton adversaire, tant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le juge au gendarme, et que tu ne sois jeté en prison.
26 En vérité, je te le déclare: tu n'en sortiras pas tant que tu n'auras pas payé jusqu'au dernier centime.

27 «Vous avez appris qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère.
28 Et moi, je vous dis: quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coeur, commis l'adultère avec elle.
29 «Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi: car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi: car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne s'en aille pas dans la géhenne.

31 «D'autre part il a été dit: Si quelqu'un répudie sa femme, qu'il lui remette un certificat de répudiation.
32 Et moi, je vous dis: quiconque renvoie sa femme - sauf en cas de rapports défendus - la pousse à l'adultère; et si quelqu'un couche avec une répudiée, il est adultère.

33 «Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens: Tu ne te parjureras pas, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Et moi, je vous dis de ne pas jurer du tout: ni par le ciel car c'est le trône de Dieu,
35 ni par la terre car c'est l'escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c'est la Ville du grand Roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.

37 Quand vous parlez, que votre oui soit oui, que votre non soit non ; tout ce qu’on ajoute vient du Malin.

Prédication
"N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abroger, mais pour accomplir" (Matthieu 5,17). Voici une autre traduction possible : "N’adhérez surtout pas à l’idée que je serais venu pour démanteler la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour démanteler, mais pour accomplir en toute plénitude."
Ce verset est le seul, dans l’évangile de Matthieu, dans lequel Loi et Prophètes sont associés par un ou. Dans tous les autres versets qui les mentionnent ensemble, Loi et Prophètes sont associés par un et. Ce et vous est familier ; il est de même nature, et de même portée, que le et qui associe l’amour de Dieu et l’amour du prochain. La foi que nous professons ne peut envisager l’un sans l’autre, et si l’un des deux vient à manquer, c’est l’amour qui n’a plus de sens.
Si, entre la Loi et les prophètes, l’un des deux vient à manquer, plus rien du tout (ni la Loi, ni les Prophètes) ne peut être mis en œuvre. Les deux s’accomplissent pleinement ensemble, ou ne s’accomplissent pas. C’est pour cela que, dans d’autres versets de Matthieu, Loi et Prophètes seront associés par un et. La Loi et les Prophètes, la-Loi-et-les-Prophètes. Mais qu’est-ce que cela signifie, avec ce et si important, ce et qui est essentiel – qui touche à l’essence même de ce dont nous voulons essayer de parler ce matin ? Essayons d’abord de parler de la Loi d’une part, puis des Prophètes d’autre part.

La Loi. Dans le monde où vivait Jésus, la Loi est pour une partie un recueil écrit (les cinq premiers livres de notre Bible) et pour une autre partie un recueil oral. Nous avons souvent l’idée que le nombre de commandements dans la Loi écrite est de 613. Mais, comme disent certains rabbins, ces 613 ne sont que les commandements principaux. C’est donc qu’il y en a beaucoup plus. Certains sont plus importants, plus grands que d’autres. Les Dix Commandements que nous connaissons sont probablement les plus importants de tous. Être Juif, c’est vivre dans l’obéissance aux commandements ; Jésus est tout à fait clair là-dessus. Pas un commandement de la Loi ne peut être omis, à chaque instant de l’existence humaine, la totalité de la Loi doit être mise en œuvre.
Insistons un peu. Il serait assez simple de considérer qu’un commandement particulier concerne chaque moment de l’existence humaine. Mais il ne s’agit pas de ça, ou du moins pas de ça seulement. Il s’agit, à chaque fois qu’il est décidé d’obéir à un commandement, de ne pas perdre de vue tous les autres commandements, et de ne pas perdre de vue non plus les précieux récits qui font aussi partie de la Loi. Par exemple, dans le monde où vivait Jésus, monde dans lequel le Temple de Jérusalem existait encore, on mettait en œuvre tous les commandements qui définissent la bonne manière de rendre un culte à Dieu, mais la mise en œuvre de ces commandements très précis ne pouvait – n’aurait jamais dû – être oublieuse de ce que Dieu libère son peuple non seulement de l’esclavage d’Égypte, mais aussi et surtout de tous les esclavages possibles, comme il est écrit : Je suis l’Eternel ton Dieu qui te fais sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclavages, tu n’auras pas d’autre Dieu que moi.
Ainsi, la pratique du culte au Temple était toujours une possibilité, mais n’aurait jamais dû devenir une obligation.
Ainsi aussi, l’obéissance à un commandement particulier ne peut jamais se faire au détriment de la vie, parce qu’en plus de ce commandement particulier, il est aussi commandé "choisis la vie afin que tu vives".
Brûler la Loi et les Prophètes... Après les livres, que brûlera-t-on ?
Parlons maintenant un peu des prophètes. Pour ce que nous en savons, les prophètes, en tant que porteurs de la parole divine, apparaissent dans l’histoire du peuple de Dieu à peu près en même temps qu’apparaissent les grandes structures sociales que sont la royauté et le culte plus ou moins centralisé. Les prophètes apparaissent comme une force divine d’opposition aux pouvoirs de monopolisation de la parole.
Quelle est alors la tâche du prophète ? Nous lisons rarement le prophète Osée, qui est pourtant l’un des plus anciens auteurs de la Bible, et qui est celui qui a le plus stimulé ses successeurs. "Par un prophète, le Seigneur fit monter Israël d’Égypte, et par un prophète, Israël fut gardé." (Osée 12,14 – nous lisons rarement le prophète Osée...) N’identifions pas Moïse à ce prophète. Mais repérons plutôt que la tâche du prophète est double : (1) faire monter Israël d’Égypte, c'est-à-dire le libérer, le tirer vers le haut, vers une liberté toujours réfléchie, toujours assumée, toujours préservée et (2) garder Israël, c'est-à-dire parler et agir de sorte qu’Israël ne retourne jamais à l’état de servitude.
Quelles servitudes (au pluriel) ? Dans le monde où vivait Jésus, et telles que Matthieu les rapporte, des servitudes liées au culte obligatoire au Temple, servitudes liées à l’occupation romaine, mais aussi aux fidélités claniques et familiales, servitudes liées à la place et au rôle des femmes, et des veuves, des servitudes liées aux préjugés portant sur les collecteurs d’impôts, aux étrangers de tous poils, aux centurions, etc..
De quels moyens le prophète dispose-t-il ? De sa parole, de sa capacité à inventer des actes hautement symboliques, très souvent d’une audace à toute épreuve, d’une forme résolue d’insouciance, et surtout d’une inébranlable et toute personnelle confiance en Dieu.
Il est possible de relire tout l’évangile de Matthieu en se posant, dans chaque séquence, la question des servitudes particulière qui sont envisagées, et la question aussi de la forme de liberté vers laquelle Jésus oriente.

Maintenant, nous avons parlé de la Loi d’une part, puis des Prophètes d’autre part. Mais peut-on parler, comme le suggère Matthieu, de la-Loi-et-les Prophètes, c'est-à-dire des deux, simultanément ? Dans le texte que nous méditons ce matin, il y a six petits paragraphes qui commencent tous par "Vous avez appris qu’il a été dit…", c’est la Loi, puis vient "Et moi je vous dis", c’est la parole prophétique, et enfin, parlant en même temps de la Loi et du prophète, vient l’énoncé d’une manière de vivre les deux en même temps. Ces six petits paragraphes portent sur le meurtre, l’adultère, la répudiation, le parjure, la vengeance – ça fait 5 – plus l’amour des amis et la haine des ennemis – 6.
Nous reviendrons dimanche prochain sur ces six points et sur le projet de société qu’ils esquissent. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la-Loi-et-les Prophètes. Ne considérons que le dernier point que nous avons lu.
  1. (La Loi) "Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : tu ne te parjureras point et tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments."
  2. (Les prophètes – la parole prophétique – Jésus parle ici en tant que prophète) "Or moi je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu, 35 ni par la terre car c'est l'escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c'est la Ville du grand Roi. 36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir."
  3. (La-Loi-et-les-Prophètes, selon Jésus, qui parle alors en tant que Christ) "Qu’il en soit ainsi de votre parole : Oui, c’est oui, non c’est non ; tout ce qu’on y ajoute vient du mauvais."

Dans ce dernier énoncé, la Loi demeure respectée, la liberté prophétique est honorée, et l’être humain se voit proposer une discipline de parole qui concerne sa vie toute entière.
Sœurs et frères, puissions-nous vivre ainsi toute notre vie et vivre une vie en plénitude, avec un oui qui soit oui, avec un non qui soit non, avec La-Loi-et-les-Prophètes. Amen.  

dimanche 9 février 2020

La rose est sans pourquoi (Esaïe 58,7-10 et Matthieu 5,13-16)

"La prière", un film à voir et à revoir.
Esaïe 58
3 " Pourquoi avons-nous jeûné sans que tu le voies, nous sommes-nous mortifiés sans que tu le saches ? " C'est qu'au jour où vous jeûnez, vous traitez des affaires, et vous opprimez tous vos ouvriers.
4 Et encore, vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute et en frappant du poing méchamment! Vous ne jeûnez pas comme il convient en un jour où vous voulez faire entendre là-haut votre voix.
5 Est-ce là le jeûne qui me plaît, le jour où l'homme se mortifie ? Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac et de cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour agréable à Dieu ?
6 N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs ?
7 N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair ?
8 Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de Dieu te suivra.



Matthieu 5
13 «Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel? Il ne vaut plus rien; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14 «Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.
15 Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.
Dans un désert de sel, il n'y a que du sel.
Dans un désert de pierres, il n'y a que des pierres
Dans un désert de ..., il n'y a que...
Prédication : 
« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit ;
Elle n’a pas souci d’elle-même, ne demande pas si on la voit. »    

          Ces deux vers d’Angélus Silesius, pour ouvrir notre méditation de ce jour, et pour faire observer que le sel aussi est sans pourquoi, que la lumière aussi est sans pourquoi, qu’ils n’ont ni elle ni lui le souci de soi même, ni ne se demandent si on les voit ou si on les goûte. La lumière est absorbée par les yeux qui la voient et le sel est dissous par l’aliment qu’il sale. L’un et l’autre sont annihilés dans l’accomplissement de sa fonction propre, et ne se demandent donc pas s’ils l’ont bien accomplie.
Nous touchons ici aux limites de cette métaphore, parce que l’authentique disciple de Jésus est certes sel de la terre et lumière du monde, mais il est aussi doté d’une intelligence qu’il ne laissera pas chez lui lorsqu’il se rend au temple et qu’il aura soin d’exercer, au temple et ailleurs. Rien ne serait plus insupportable qu’un disciple claironnant je suis le sel de la terre, et je suis la lumière du monde. La rose est sans pourquoi, l’être humain n’est pas toujours sans pourquoi.

C’est même l’un des plus beaux âges de la vie que l’âge des pourquoi. C’est un âge de l’enfance, l’un des âges de l’apprentissage de la parole, l’âge des premiers souvenirs conscients, l’âge aussi où l’enfant découvre que le monde n’est décidément pas simple, que l’on n’y obtient pas toujours rapidement ce qu’on voudrait. A cet âge, l’enfant y va de ses pourquoi, à tout propos, à tout bout de champ. Après chaque réponse reçue, il enchaîne sur un autre pourquoi. Et si la réponse que vous lui faite se finit par un pourquoi, l’enfant saura vous demander : « Mais pourquoi c’est pourquoi ? » Ce mélange de candeur enfantine et d’insatiable curiosité est tout à fait irrésistible. L’enfant qui en est à l’âge des pourquoi est un être sans pourquoi. Puis il grandit et tout se complexifie. 
A cette image d'un enfant qui joue et que nous pouvons imaginer sans pourquoi, s'ajoute une autre image, celle de l'enfant soldat, image que nous ne voulons pas illustrer maintenant. Car la réalité de l'enfant soldat dépasse à la fois l'entendement et l'illustration.

« Pourquoi avons-nous jeûné sans que tu le voies ? Pourquoi nous sommes-nous mortifiés sans que tu le saches ? » Ce n’est plus l’âge des pourquoi, ce n’est plus l’enfance. C’est la parole d’êtres humains qui se sont mis en prière, sans doute une prière de demande, en respectant les formes prescrites par leur tradition, et dont la prière n’a pas été exaucée par Dieu. Alors, ne doutant de rien, ils adressent à Dieu une seconde prière, toujours de demande, espérant de Dieu qu’il se justifie. Mais si Dieu ne répond toujours pas, vont-ils prier encore, passant de l’espérance à l’exigence, de l’exigence au défi, et finalement du défi au rejet ?
Les contemporains du prophète Esaïe ont été dans cette situation. Pourquoi l’exil ? Pourquoi l’exil pour certains, mais pas pour tous ? Pourquoi le retour de l’exil ? Pourquoi ont-ils trouvé d’autres gens sur la terre présumée de leurs ancêtres ? Pourquoi certains ont-ils choisi de ne pas revenir d’exil ? Autant de pourquoi, autant de que faire, autant de jusqu’à quand qu’ils ont adressé à Dieu, et une fois toutes ces questions posées et apparemment restées sans réponse, ils ordonnent un jeûne collectif… et Dieu reste muet. Pourquoi ? Dieu ne les voit-il pas ? Dieu ne les comprend-ils pas ? Et voici que se remet en route l’escalade, et l’inflation des pourquoi, cette même escalade qui mena le peuple de l’Exode à renier Dieu et à se donner pour dieu une statue de bête, un veau – un taureau – en or…
Il se trouve que Dieu répond. Peut-être pas directement, mais par la voix d’un prophète, Dieu répond. Et que répond Dieu ? La réponse porte sur quatre thèmes.
  1. Dieu répond d’abord sur le thème de la cohérence extérieure. La prière a pris la forme d’un jeûne. Jeûner, c’est se priver de nourriture, et peut-être même de boisson ; jeûner c’est mettre volontairement son corps en danger, pour exprimer qu’on attend tout de Dieu. Le jeûne donc exige l’engagement de toute la personne. Il est donc incohérent de jeûner, et de continuer en même temps à traiter des affaires ; et plus incohérent encore de jeûner et de se montrer en même dur en affaires. Il est aussi parfaitement incohérent de jeûner, et en même temps d’imposer de lourds travaux à ses propres ouvriers ou domestiques…
  2. Dieu répond aussi sur le thème d’une cohérence intérieure, cohérence de ce qui est visible, et de ce qui ne l’est pas. Se priver de nourriture, porter un sac comme vêtement, incliner la tête, courber le dos, s’asperger de cendres, marcher lentement à petits pas et en tremblant, oui. Mais les formes canoniques de la prière ne sont rien si le cœur n’y est pas. Or, ce qui est dans le cœur ne se voit pas.
  3. Dieu répond aussi, toujours par la bouche du prophète, sur le thème de l’implication. Il s’agit maintenant de repérer qu’il est inutile de prier Dieu pour obtenir quelque chose qu’on pourrait soi-même mettre en œuvre, peut-être pas jusqu’à l’accomplissement, mais au moins partiellement, voire même juste un peu, si peu que ce soit. La perspective que propose le prophète Esaïe est, à cet égard, celle d’un volontarisme déterminé : brise les chaînes injustes, dénouer les liens de tous les jougs, etc.. L’être humain qui jeûne est alors, avec Esaïe, chargé lui-même d’une part vraiment importante de l’exaucement de sa propre prière.
  4. Et pour couronner le tout, la gloire de Dieu, toujours avec le prophète Esaïe, ne se manifeste ni avant, ni sans que les points 1, 2 et 3 ne soient suffisamment investis par ceux qui se réclament de lui, l’engagement et la justice du croyant venant en premier, et la gloire de Dieu venant en dernier. Il me semble ici retrouver l’intuition d’une grande voix de la théologie (Dietrich Bonhoeffer ?), qui affirme (citation tout à fait de mémoire) “si tu veux que Dieu se manifeste, commence donc par faire quelque chose en son nom”. 

Mais sommes-nous toujours capables de faire quelque chose au nom de Dieu ? N’y a-t-il pas des situations extrêmes dans lesquelles l’être humain est réellement et totalement impuissant, où les forces manquent autant que les mots ? Bien entendu, les propos du prophète Esaïe ne peuvent pas être proposés, et moins encore opposées.
            Mais ils peuvent être proposés à ceux qui auront pour tâche l’accompagnement des éprouvés.
            Il se peut alors que, dans cet accompagnement, dans ce cheminement commun, quelque chose de l’esprit d’enfance soit retrouvé, par l’un, par l’autre. Il se peut, disons-nous. Plus que de le dire, nous pouvons le croire. Plus encore que le croire, nous pouvons le vivre. Prions Dieu qu’en tout cela il  nous vienne en aide.

Le témoin de Jésus Christ est sans pourquoi, il témoigne parce qu’il témoigne ; il n’a pas le souci de lui-même, ne demande pas si on le voit. Amen

dimanche 2 février 2020

Libération d'Auschwitz, 75 ans (Luc 2,21-40)


Œuvre de Zoran Mušič

            Tziganes, homosexuels, témoins de Jéhovah, handicapés mentaux, puis, ultérieurement Polonais, et Russes… et les Juifs, tel fut le programme nazi d’extermination d’individus réputés asociaux, et de races dites inférieures.
Lundi dernier, 27 janvier 2020, c’était le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau ; un camp où plus d’un million de personnes ont été assassinées, la plupart dès leur arrivée.
Pour celles et ceux qui, à leur arrivée, avaient été sélectionnés comme aptes au travail, commençait une vie épouvantable qui n’était qu’une sorte de sursis. Quelques-uns on survécu.
Tous ces êtres humains étaient concentrés sous un seul nom : Juif. Non pas à Auschwitz seulement, mais aussi à Chełmno, Bełżec, Sobibor, Treblinka, et Majdanek… nous ne citons ici que les noms des centres de mise à mort.
            Pourquoi cette évocation ?
Pour introduire une question simple : que signifie le mot Juif lorsqu’il est mis en regard d’effectifs dépassant les millions d’âmes provenant des quatre coins de l’Europe ?
Envisagé dans cette perspective, le mot Juif n’a aucune signification, mais il est synonyme de haine et de mort.
Nous pouvons dire qu’aucun mot, aucun nom, n’a de signification dans une telle perspective, ni le mot Alakaluf, ni le mot Indien, ni le mot Herero, ni le mot Nama, ni le mot Arménien, ni le mot Tutsi, ni le mot Ukrainien, ni le mot Cambodgien…
Mais il y a 75 ans et plus, entre 1933 et 1945, en Europe, c’est aux Juifs que cela est arrivé, d’une manière singulière et unique : c’est pour exterminer les Juifs d’Europe que furent construites des installations industrielles uniquement destinées à tuer des êtres humains et à réduire leurs corps en cendres.
Honte sur l’humanité pour les siècles des siècles.
Luc 2
21 Huit jours plus tard, quand vint le moment de circoncire l'enfant, on l'appela du nom de Jésus, comme l'ange l'avait appelé avant sa conception.
 22 Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils l'amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur
 23 - ainsi qu'il est écrit dans la loi du Seigneur: Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur -
 24 et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons.
 25 Or, il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint était sur lui.
 26 Il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.
 27 Il vint alors au temple poussé par l'Esprit; et quand les parents de l'enfant Jésus l'amenèrent pour faire ce que la Loi prescrivait à son sujet,
 28 il le prit dans ses bras et il bénit Dieu en ces termes:
 29 «Maintenant, Maître, c'est en paix, comme tu l'as dit, que tu renvoies ton serviteur.
 30 Car mes yeux ont vu ton salut,
 31 que tu as préparé face à tous les peuples:
 32 lumière pour la révélation aux païens et gloire d'Israël ton peuple.»
 33 Le père et la mère de l'enfant étaient étonnés de ce qu'on disait de lui.
 34 Syméon les bénit et dit à Marie sa mère: «Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté
 35 - et toi-même, un glaive te transpercera l'âme; ainsi seront dévoilés les débats de bien des cœurs.»
 36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser. Elle était fort avancée en âge; après avoir vécu sept ans avec son mari,
 37 elle était restée veuve et avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s'écartait pas du temple, participant au culte nuit et jour par des jeûnes et des prières.
 38 Survenant au même moment, elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l'enfant à tous ceux qui attendaient le rachat de Jérusalem.
 39 Lorsqu'ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.

 40 Quant à l'enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui.
Prédication : 
            Passent les jours et passent les semaines, les lectures des évangiles que nous faisons et que nous méditons nous aident à nous construire une image du monde dans lequel vivait Jésus. Ces lectures nous aident aussi à appréhender l’incroyable diversité des formes de la foi en Dieu qui existaient dans ce temps-là ; autant de formes de la foi en Dieu, autant de formes de l’attente, autant de formes de l’espérance.

            Notre image de ce monde ne s’est pas encore enrichie de ce qui se passait au Temple de Jérusalem. Voici donc trois tableaux.
  1. Au Temple de Jérusalem, se perpétuait le culte dont les cinq premiers livres de la Bible donnent une description assez précise. Et ce Temple était, pour les Judéens et les Galiléens, le seul lieu où ce culte pouvait être célébré, le seul lieu où des sacrifices à Dieu pouvaient être accomplis. Et donc, toute famille pieuse de ce temps-là se rendait régulièrement, assidûment, au Temple, pour y faire ce qui devait être fait. Et c’est ainsi que vint le jour où, conformément à la loi de Moïse, la famille de Jésus se rendit au Temple. Il s’agissait de purification après une naissance, d’une part, et de rachat du premier né mâle d’autre part (toutes les formes du culte ne sont pas recueillies dans la Bible, mais on peut avoir une idée de cela en lisant Lévitique 12). L’expression de l’attente et de l’espérance, au Temple, tient en un seul mot : toujours. Et si l’on développe un peu ce seul mot, c’est toujours le même rituel pour que tout soit toujours en ordre et que tout donc puisse toujours continuer.
  2. Il y avait, à Jérusalem, un homme juste et pieux, inspiré par le Saint Esprit et prudent, du nom de Siméon. Il apparaît comme un homme seul, qui n’appartient à aucune confrérie ni à aucun parti, et qui mène sa vie avec son Dieu, à proximité du Temple mais sans en pratiquer le rituel, habité par l’Esprit de Dieu et libre comme l’air. Il y a des croyants comme ça. La tradition en fait un vieil homme… dépositaire d’une espérance particulière : la consolation d’Israël, ou encore il attend qu’un défenseur – un avocat – se  lève pour soutenir et consoler Israël. Mais de quoi Israël souffre-t-il ? Comme souvent, la réponse est dans le texte, sous les yeux du lecteur. Israël, selon Siméon, souffre de son étroitesse, de son repli sur soi, de son fier isolement. Ce que Siméon a entrevu, c’est une ouverture du salut à l’humanité entière, à tous les peuples, Israël d’abord, puis tous les païens, donc l’humanité entière. Siméon entrevoit ce qui sera Pentecôte, ce qu’il en sera du chemin des communautés, chemin de violence et de déchirement autant que d’onction d’Esprit et de bénédiction.
  3. Troisième tableau, il y avait aussi une prophétesse du nom de Anne. Et c’est avec elle encore une autre espérance qui vient se manifester. Elle est une prophétesse et, comme ses prédécesseurs les prophètes, elle n’est connue ni d’Ève ni d’Adam, mais elle fait irruption dans le paysage du Temple pour y énoncer son attente et pour y délivrer son message. Elle attend, pour sa part, le rachat de Jérusalem. Si Jérusalem a besoin d’être racheté, c’est que Jérusalem est captive, Jérusalem est esclave. Esclave de Rome ? Ce n’est pas le plus grave. Esclave d’elle-même, esclave du Temple, de son histoire, de ceux qui gèrent le Temple. Qui dit rachat dit rançon. Pour la prophétesse Anne, l’enfant qui est là, ce Jésus, est celui qui va payer la rançon, qui va payer de sa personne pour que le culte à l’Eternel soit libéré des formes ancestrales et réputées indispensables de la piété.
Le sacrifice d'un couple de tourterelles ou de deux petits pigeons...
Voici, nous avons décrit les trois tableaux qui nous sont proposés dans ce texte. Puis, les parents de Jésus ayant fait au Temple ce qu’ils avaient à y faire, ils s’en retournent chez eux, à Nazareth, en Galilée. Et nous, nous voici avec trois tableaux supplémentaires dans la galerie des formes de la foi et de l’espérance dans le pays où vivait Jésus.
Mais est-ce pour tous la même foi ? Est-ce pour tous la même espérance ? Est-ce que toutes ces formes de la foi et de l’espérance doivent converger par nécessité vers un seul nom, celui de Jésus ? Et une fois que ce nom est bien établi, est-ce que la foi et l’espérance en Jésus assument et absorbent toutes les autres formes de foi et toutes les autres formes de l’espérance ? Ces questions ne sont pas des jeux de théologiens. Elles ont un véritable enjeu, et cet enjeu s’exprime premièrement en termes d’unicité et d’unité, et secondement (mais c’est là le plus important), en termes de reconnaissance.
Y a-t-il unicité de l’origine qui porterait le nom de Jésus ; et conséquemment, devrait-il y avoir unité de discours, unité de la forme de la célébration chrétienne ? Dès les premières pages de l’évangile de Luc, nous percevons bien que l’unicité originaire est très malmenée par tous ces personnages qui ne cessent d’apparaître et qui, chacun à sa manière, imprime son image dans ce qu’on pourrait appeler la rhapsodie originelle des évangiles. Tant et si bien que, toutes ces images semblant bien n’être aucunement unifiables ni non plus délégitimées, la question qui demeure est celle de la reconnaissance fraternelle.
 
Quelle reconnaissance existe-t-il entre l’instance du Temple, Siméon l’inspiré, et Anne la prophétesse ? Nous n’en savons rien. Nous les voyons agir, nous les entendons parler, mais nous ne les voyons pas du tout interagir. Et ainsi tout se passe comme si Luc, l’auteur de l’évangile, voulait suggérer qu’il y a une diversité d’espérance pour une unique origine, Jésus. Et que cette diversité d’espérance se redéploie dès Pentecôte en une diversité d’expériences. Cette diversité d’expériences rend fondamentalement difficile la reconnaissance fraternelle des uns par les autres, reconnaissance qui ne cesse pourtant d’être nécessaire et espérée.
Cette reconnaissance par delà les expériences, les formes du culte, la langue, l’ethnie… est la seule vocation de tous ceux qui se réclament du même nom : Jésus.

L’histoire de la chrétienté a-t-elle été à la hauteur de cette vocation ? Nous n’allons pas répondre à cette question ; car nous n’allons pas chercher à occuper une position qui nous permettrait de prononcer un jugement sur l’histoire. La question de la reconnaissance n’est pas une question historique. Elle est posée à chacune, à chacun, dans la situation qui est la sienne : qui est ton frère ? et qu’as-tu fait de lui ?
Pour l’histoire passée, elle est passée, elle est déjà écrite ; et nous pouvons, à Paris, aller nous incliner devant le mur des noms et devant le mur des justes. Pour le temps présent, et pour les temps qui viennent, tout n’est pas encore joué.

Puisse l’Esprit de notre Seigneur se répandre sur nous, que nous fassions ce qui doit être fait. Amen