dimanche 27 septembre 2015

Je connais les noms de quelques uns de ceux qui seront sauvés (Marc 9,38-48)

Marc 9,38-48
38 Jean lui dit: «Maître, nous avons vu quelqu'un qui chassait les démons en ton nom et nous l'en avons empêché parce qu'il ne nous suit pas.»
39 Mais Jésus dit: «Ne l'en empêchez pas, car il n'y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi.
40 Celui qui n'est pas contre nous est pour nous.
41 Quiconque vous donnera à boire un verre d'eau parce que vous appartenez au Christ, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense.
42 «Quiconque entraîne la chute d'un seul de ces petits qui croient, il vaut mieux pour lui qu'on lui attache au cou une grosse meule, et qu'on le jette à la mer.
43 Si ta main entraîne ta chute, coupe-la; il vaut mieux que tu entres manchot dans la vie que d'aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas.
45 Si ton pied entraîne ta chute, coupe-le; il vaut mieux que tu entres estropié dans la vie que d'être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne.
47 Et si ton oeil entraîne ta chute, arrache-le; il vaut mieux que tu entres borgne dans le Royaume de Dieu que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne,
48 où le ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas.
49 Car chacun sera salé au feu.
50 C'est une bonne chose que le sel. Mais si le sel perd son goût, avec quoi le lui rendrez-vous? Ayez du sel en vous-mêmes et soyez en paix les uns avec les autres.»

Prédication : 
            Souvenir personnel, pour commencer cette prédication. Marcel avait été pour Lise un fiancé délicat, un mari doux et prévenant, l’homme de toute sa vie. Ils étaient âgés déjà lorsque je les ai connus, dévoués l’un à l’autre, bons l’un pour l’autre…Ils ont vieilli encore un peu. La vieillesse est parfois chose laide. Marcel est tombé malade et la maladie l’a rendu grossier, puis violent. Devenu impossible à maîtriser, il a fallu l’enfermer. Lise allait le voir, souvent, et revenait, à chaque fois, anéantie. Tout son amour pour Marcel était impuissant. La médecine, qui a des noms pour toutes choses, était elle aussi impuissante. Un jour, Lise m’a posé cette question : « Est-ce un démon qui s’est emparé de lui ? »
            Le premier verset du texte que nous méditons commence ainsi : « Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom… » Les démons, c’est le nom donné à  l’impuissance face au naufrage d’une personne, c’est le nom donné au désastre, c’est le nom donné à ceux pour lesquels toutes les personnes réputées compétentes se sont montrées incapables, alors le problème est donc resté ainsi sur les bras des plus proches… qui n’ont plus, pour faire face, que leur courage, et leur foi. Telle est la situation de départ de notre texte, c’est la situation de l’impuissance radicale, de la faiblesse absolue, la situation de « ces petits qui croient ».
Il arrive, parfois, que, dans une telle situation, se présente quelqu’un qui, contre toute attente, apportera un peu de soulagement. « Nous avons vu quelqu’un qui chasse les démons en ton nom… », rapporte Jean, disciple de Jésus.
            Celui qui soulage miraculeusement, c'est-à-dire contre toute attente, d’un mal, d’un souci qui a résisté à tous les spécialistes patentés, celui qui soulage non pas en son nom propre, pas pour sa petite gloire ou pour asseoir sa domination, mais qui au contraire agit au nom de Jésus Christ, gratuitement, sans aucune contrepartie… à celui qui agit ainsi, demande-t-on de quelle chapelle il est ? C’est pourtant ce qu’ont fait les disciples de Jésus. Ils ont empêché quelqu’un d’agir, de faire le bien, parce que ce quelqu’un n’était pas de leur chapelle : « nous l’avons empêché parce qu’il ne nous suit pas. »

Nous appartenons à une tradition chrétienne qui professe qu’il n’y a de salut que par pure grâce. Or, le texte que nous méditons nous conduit à nous interroger sur l’acte des disciples de Jésus, un acte grave, et, semble-t-il, impardonnable. « Maudit soit celui qui met un obstacle sur le chemin d’un de ces petits qui croient. » Nous nous interrogeons donc sur les œuvres. Ce texte biblique est justement là pour que nous interrogions nos propos, et nos pratiques, et que nous les interrogions sérieusement.
            Or, nous avons bien là sous nos yeux un texte revêtu d’autorité, une parole attribuée à Jésus, qui vient proclamer que certains actes seront rétribués positivement et d’une manière inaliénable, et que d’autres actes seront rétribués de la géhenne, c'est-à-dire de l’ultime malédiction… Quels actes ?
            Commençons par ceux qui vaudraient la géhenne. Lisons, tout simplement. Nous avons empêché (un homme) (de chasser les démons en ton nom) parce qu’il ne nous suit pas, rapporte l’un des ses disciples à Jésus. Que reste-t-il au désespéré, à l’impuissant, à celui qui a son malheur et sa misère sur les bras, une fois que des personnes bien-pensantes ont récusé toute possibilité d’un bienfait ? A celui qui n’a que son malheur et sa foi, que reste-t-il si on le prive de sa foi ? Il ne reste qu’un malheur aggravé. Or, il est impardonnable, enseigne Jésus, d’arracher la bouée de quelqu’un qui surnage avec peine (si ta main…). Il est impardonnable de poser sa botte sur le corps de celui qui se débat dans la boue (si ton pied…). Impardonnable aussi de se repaître du spectacle du malheur d’autrui (si ton œil…). Ce genre d’acte, l’acte de ses disciples, qui ont empêché un homme de chasser des démons au nom de Jésus, est condamné par Jésus lui-même, sans appel, et apparemment sans rémission possible pour celui qui les aura commis.
            Mais il y a d’autres actes, pas forcément spectaculaires, des actes minuscules, des actes à la portée de chacune, de chacun, qui peuvent être accomplis même lorsque tous les experts se sont montrés impuissants. Ce sont des actes qui ne guérissent rien mais qui peuvent prendre l’allure de miracles, seulement parce que plus personne ne les attend, et parce que ceux qui les commettent le font sans prétention aucune. « Celui qui vous donnera à boire un verre d’eau parce que vous êtes de Christ… » Et bien, nous affirme Jésus, ce genre d’acte est rétribué, et d’une manière inaliénable ! « … en vérité, (celui qui les aura accomplis) ne perdra jamais sa rétribution. »

            Ne nous demandons surtout pas qui est de Christ et qui n’est pas de Christ. Le Christ n’a jamais fait le tri des malheureux avant de les soulager. Reconnaissons plutôt que, parfois, devant le malheur, nous en avons fait infiniment moins que ce que nous aurions pu et que, parfois aussi, il nous est arrivé de mal parler de ceux qui, se réclamant pourtant du Christ, ne sont pas de la même chapelle que nous et pourtant accomplissent des actes de bonté. Nous ne sommes pas pour autant de mauvaises personnes. Il nous est arrivé aussi d’accomplir des actes simples, minuscules, et qui auront été des actes de bonté.
Mais puisque ces actes, mauvais et bons, sont mis apparemment en balance par le texte que nous méditons, demandons-nous combien d’actes minuscules de pure bonté faut-il accomplir pour contrebalancer de mauvaises actions. Et bien… Dieu seul le sait… car, très souvent, les meilleures de leurs actions sont ignorées de ceux-là même qui les accomplissent.
Nous ne pouvons donc pas nous prévaloir de nos bonnes actions. Et nous ne serons sauvés que par pure grâce. Mais nous pouvons plaider pour ceux qui ont bien agi. Si la divine rétribution d’actes de bonté minuscules est une rétribution inaliénable, alors je connais le nom de quelques-uns de ceux qui seront sauvés, parce que je sais ce qu’ils ont fait un jour pour moi.

Ceci dit, dans l’attente confiante de ce salut qui n’arrive que par pure grâce, nous pouvons chercher à mieux vivre. Et le texte nous donne clairement une direction à prendre. Pas seulement les remèdes radicaux du genre « Si ta main… si ton pied… si ton œil… ». Il nous suggère de penser un peu à ce qu’on agrippe tellement fort qu’on n’en bouge plus. Penser aussi à ce après quoi l’on court si vite qu’on ne remarque même plus que d’autres chemins sont possibles. Penser enfin à ce vers quoi notre regard se pose, avec un genre d’insistance qui empoisonne le jugement. Nous pouvons penser à tout cela, et simplifier, épurer, saler, comme Jésus le suggère, pour perdre le plus possible de ces boursouflures qui relèvent plus de l’arrogance, de la religiosité, et de la convoitise, que de la foi.


« Nous avons vu un homme qui chassait les démons en ton nom, et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne nous suit pas. » Ce jour-là, les disciples de Jésus se sont trompés de combat. Oui, il faut se battre contre ceux qui détruisent, mutilent, aliènent… Mais c’est surtout pour l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu qu’il faut se battre, contre ce qui aliène l’être humain. Ce jour-là, les disciples de Jésus se sont trompés de combat… puissions-nous ne pas nous tromper, et mener ce combat en nous-mêmes, et pour autrui. Que le Seigneur nous soit en aide. Amen 

Loin des bousculades, celles du Hadj, celles de "Je suis Charlie", celles de "On est, on est, on les les champions !". Thor's Café, Cap Ameli, Groenland. Cet endroit n'est pas habitable sans les secours justement de cette machinerie qui enfante aussi les foules et leurs immenses mouvements. Et s'y retirerait-on qu'on n'y survivrait sans doute pas au premier hiver arctique... Et pourtant, le silence, l'incomparable silence de ces pays, et l'immense solitude. Ainsi rêver de la demeure de Dieu. 
Avant l'immense nuit, alors que, déjà, la mer est gelée, je sors, quelques heures de marche autour de ma cabane. Certaines tempêtes me forceront à demeurer cloîtré. Hier, j'ai vu passer l'ange blanc, la chouette arctique, rarissime compagne de mes méditations. Quelques mois encore passeront avant que je n'adresse la parole à l'un de mes semblables. Ou quelques siècles... Tout est bien.

dimanche 20 septembre 2015

La suite de l'Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu - 3 - (Marc 8,27-38) Sur la honte

Marc 8
27 Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe. En chemin, il interrogeait ses disciples en leur disant «Qui suis-je, selon ce que les gens disent ?»
28 Ils lui dirent: «Jean le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres, l'un des prophètes.»
29 Et lui leur demandait: «Et vous, qui dites-vous que je suis?» En lui répondant, Pierre lui dit : «Tu es le Christ.»
30 Mais il les réprimanda, {leur enjoignant} de ne rien dire de lui à personne.
31 Puis il commença à leur enseigner qu'il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite.
32 Il parlait ouvertement ce langage. Mais Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander.
33 Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre; il lui dit : « Dégage ! Derrière moi, Satan, car tes pensées et tes manières ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.»
34 Puis il fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit: «Si quelqu'un veut venir derrière moi, me suivre, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il m’accompagne.
35 En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera.
36 Et quel avantage l'homme a-t-il à gagner le monde entier, s'il le paie de sa vie?
37 Que pourrait donner l'homme en échange de sa vie?

38 Car si quelqu'un a honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération (engeance) adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges.»



Prédication :
            Le texte que nous venons de lire est le même texte que celui que nous avons lu il y a une semaine. La prédication d’il y a une semaine avait laissé de côté un verset, le dernier : Car si quelqu'un a honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges.
            Ce verset parle de la honte. Si quelqu’un a honte de moi et de mes paroles, dit Jésus. Mais comment aurait-on honte de Jésus et de ses paroles ? Et bien, d’abord, la honte, qu’est-ce que c’est ?

            Retour sur un épisode d’actualité. Il y a quelque jours, à Pontoise, au cours du « Salon Musulman du Val d’Oise », deux conférenciers barbus connus pour leur radicalisme, ont vu surgir devant eux deux femmes en jeans et torse nu. On peut voir, sur les photos, que d’autres femmes sont présentes aux premiers rangs de l’assemblée, et qu’elles ne sont pas en jeans ni torse nu… Nous allons ici nous interroger sur ce bref face à face. Avant de nous interroger sur ce choc, nous nous interrogeons sur ce qui forme une communauté.
            Ce qui forme une communauté, ce sont les liens qui unissent des personnes entre elles. C’est d’abord (1) l’image que chacun a de soi-même, mais aussi (2) l’image que chacun cherche à donner de soi-même, ainsi que (3) l’image que chacun a des autres, et enfin (4) l’image que les autres ont de vous. Les liens qui unissent des personnes entre elles tiennent donc à ce que les gens pensent d’eux-mêmes, et à ce qu’ils montrent, disent et font, puis à la réception de tout cela par les autres.
Il y a des liens forts qui rassemblaient le public et les orateurs barbus. Ce sont, dans leur milieu, des orateurs renommés. Deux femmes ont fait irruption devant eux, et devant leur public, jeans et torse nu. Aucun lien ne s’est fait entre eux tous… rien ne correspondait entre elles et eux.

            S’interroger sur l’image de soi et l’image des autres, sur la plus ou moins grande correspondance entre ces images, cela permet de s’interroger sur la honte. Car la honte est cela qu’on éprouve lorsque l’image qu’on a de soi vient à être abimée, lorsque l’image qu’on a de ceux auxquels on est lié vient à être abimée. Alors, lorsqu’une personne éprouve de la honte, ce qui la relie à elle-même, et ce qui la relie à autrui vient à être malmené, voire détruit. La honte, lorsqu’on l’éprouve, fait à la fois perdre pied et perdre le contact… La honte est ainsi un sentiment qui isole puissamment. Celui qui éprouve la honte aura besoin de se reconstruire, ainsi que de reconstruire ses relations…
            Dans le face à face entre les orateurs barbus et les femmes aux torse nu, dans le face à face entre elles et le public, puis dans le face à face entre elles et ceux qui les ont violemment expulsées, dans le face à face que les média nous proposent de revivre, quelqu’un aura-t-il trouvé l’occasion d’éprouver la honte ? Quelqu’un aura-t-il été ébranlé… Nous ne pouvons pas pénétrer les consciences. Ce qu’on peut lire sur les sites des uns et des autres, les forums et les blogs laisse bien perplexe. Le face à face entre radicalisme et provocation produit plus souvent l’endurcissement que la honte. Mais peut-être que quelques âmes fragiles, hésitantes, tentées par telle option ou par telle autre, auront à cette occasion éprouvé la honte. Peut-être auront-elles alors choisi de tourner le dos à ce monde dans lequel les femmes sont horriblement encadrées, et choisi finalement le monde où les femmes disposent librement d’elles-mêmes. Je le crois. Qui sait ? Peut-être. Car de la honte on peut sortir « par le haut » (la conversion), ou « par le bas » (l’endurcissement).

Si quelqu’un a honte de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, dit Jésus… Ceci nous invite à une large interrogation sur ce que les gens ont pu éprouver, amis ou ennemis de Jésus, lorsqu’ils l’ont entendu parler, lorsqu’ils l’ont vu vivre, et mourir. Si c’est de la honte qu’ils ont éprouvé, qu’en auront-ils fait ?
Les disciples de Jésus, et ses contemporains, qu’éprouvent-t-ils lorsqu’ils voient leur maître guérir, ou multiplier les pains ? Peut-être pas de la honte, sans doute de la fierté, de la joie, et, pour certains, un dépit qui se changera en haine. Lorsque Jésus enseigne, mais qu’ils ne comprennent rien, qu’éprouvent-ils ? Lorsqu’il polémique ? Lorsqu’il transgresse le commandement du sabbat ? Qu’éprouvent-ils ? Lorsqu’il guérit, d’un seul mot, un enfant qu’eux-mêmes avaient été impuissants à soulager, et qu’en plus il les traite d’engeance incrédule, ajoutant « jusqu’à quand vous supporterai-je » ? Peut-être que la honte s’invite là. Lorsqu’il accueille à bras ouverts des enfants qu’eux-mêmes avaient repoussés ? Lorsqu’il leur tend un bout de pain en disant « c’est mon corps », qu’éprouvent-ils ? Lorsqu’il se laisse arrêter sans se défendre ? Et lorsqu’il meurt misérablement ?
Parmi les sentiments qu’ils éprouvent, la honte est certainement présente, la honte qui dévaste l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes en tant que disciples de cet homme-là, et c’est si flatteur lorsque tout va bien ! La honte qui met à mal le lien qui les unissait à leur maître, mais qui, peut-être aussi, met à mal les liens qui les unissaient à leur contemporains. Oui, la honte est un sentiment qui peut habiter les disciples de Jésus, et certains de ses contemporains. Puissent-ils avoir eu honte de Lui et de ses paroles, et en être sortis par le haut.
De la honte, nous l’avons dit, on peut sortir par le bas, ou par le haut. Sortir de la honte par le bas ce pouvait être, pour les disciples de Jésus, s’enfuir, le renier puis se taire définitivement et laisser l’histoire effacer l’Evangile, la bonne nouvelle, et l’espérance. Sortir de la honte par le haut ce pouvait être, prendre de la distance avec la religion et les compromissions de leur temps, choisir de devenir témoins de Jésus après sa mort, choisir de croire et vivre par la foi. C’est, nous le pensons, ce qu’ils ont fait. Ce qui n’effaçait en rien leur ancienne incrédulité, leur vieille dureté de cœur, leur lâcheté et leur reniement. Car la honte, lorsque celui qui l’éprouve ne se laisse pas anéantir par elle mais choisit de lui faire face, lorsque celui qui l’éprouve choisit d’en sortir par le haut, est proche parente de la vérité. En tant que telle, elle constitue le sous-bassement solide d’une conversion. Vous objecterez qu’on peut se convertir à bien des idées, à bien des religions. Oui, mais les idées ne se valent pas toutes. S’agissant de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu, le dépassement de la honte par le haut, la conversion, est une ouverture à la vie, elle est une protestation contre tout ce qui défigure Dieu en en faisant une idole, ou une arme de guerre, une protestation contre tout ce qui abime l’être humain en en faisant du bétail.

Si quelqu'un a honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges. Comment allons-nous comprendre ce que dit finalement Jésus ?
Comme une menace dans la perspective du jugement dernier, peut-être… Mais après ce que nous avons dit de la honte, et de l’appel à la conversion qu’elle apporte avec elle, ce qui est soudain mis en jeu c’est le jugement dernier de Dieu sur l’homme qui est mis en question. Avant le jugement dernier de Dieu sur l’homme, il y a le jugement avant-dernier de l’homme sur lui-même. La honte est là, honte de mes paroles, honte de mes gestes, honte de soi-même… lorsqu’elle arrive, la honte signale la possibilité d’une conversion. Il y a un choix de vie que chacun peut faire, et doit toujours faire. Du jugement dernier, nous ne pouvons dire qu’une seule chose : il vient en dernier. Le dernier mot n’est jamais dit et il ne nous appartient pas. En affirmant que le Fils de l’homme venant au jour du jugement pourra avoir honte de certains, Jésus affirme que son opinion n’est pas encore formée. Quelle sera-t-elle sur nous ? Cela lui appartient. C’est une bonne nouvelle pour mettre fin à toute spéculation sur l’au-delà.
Tout est grâce, et c’est par la foi qu’il nous faut vivre, et continuer l’Evangile. Amen



On pourrait dire que l'Europe est en train de faire naufrage, que l'Occident est en train de faire naufrage, que la modernité a tellement peu tenu ses promesses que, finalement, le radicalisme religieux est une alternative acceptable, ou qu'un Etat fort, sans doute... Mais un Etat fort est juste une version sécularisée du radicalisme religieux. Et du radicalisme religieux on sait de quoi il est capable. Séduction et facilité du désespoir que se laisser aller plus que quelques instants à certaines pensées. Il faut préférer le silence de la honte au caquètement  des idées trop simples. Quant aux gestes... 
Je défendrai la modernité. Car c'est en Dieu que je crois. 

dimanche 13 septembre 2015

La suite de l'Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu - 2 - (Marc 8,27-38)

Marc 8
27 Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe. En chemin, il interrogeait ses disciples en leur disant «Qui suis-je, selon ce que les gens disent ?»
28 Ils lui dirent: «Jean le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres, l'un des prophètes.»
29 Et lui leur demandait: «Et vous, qui dites-vous que je suis?» En lui répondant, Pierre lui dit : «Tu es le Christ.»
30 Mais il les réprimanda, {leur enjoignant} de ne rien dire de lui à personne.
31 Puis il commença à leur enseigner qu'il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite.
32 Il parlait ouvertement ce langage. Mais Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander.
33 Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre; il lui dit : « Dégage ! Derrière moi, Satan, car tes pensées et tes manières ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.»
34 Puis il fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit: «Si quelqu'un veut venir derrière moi, me suivre, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il m’accompagne.
35 En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera.
36 Et quel avantage l'homme a-t-il à gagner le monde entier, s'il le paie de sa vie?
37 Que pourrait donner l'homme en échange de sa vie?

38 Car si quelqu'un a honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges.»

Prédication :
        Petit retour en arrière. Dans le texte que nous avons lu la semaine dernière, Jésus, ayant accompli un miracle, interdisait formellement qu’on fasse quelque publicité que ce soit autour de ce miracle.
Nous avons compris qu’on ne fait guère avancer la cause de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu en faisant une publicité effrénée au sujet de miracles accomplis par lui, mais que nous sommes incapables de réitérer. A nous, au nom du Christ, d’accomplir simplement ce que nous sommes capables d’accomplir. Plaise à Dieu que cela porte du fruit et à Lui soit la gloire.
        Le texte que nous venons de lire aujourd’hui met en place une autre interdiction, plus fermement exprimée encore que la précédente.
« Tu es le Christ ! », affirme Pierre. Et Jésus lui-même de répliquer en interdisant à tous ses disciples de dire quoi que ce soit de lui à quiconque.
Comment l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu va-t-il être continué s’il est s’interdit de dire publiquement que Jésus est le Christ et s’il est même interdit de parler de lui ?

Laissons un  instant en suspens le défi que constitue, en elle-même, cette interdiction. Et revenons au texte et aux contextes.
            Jésus est un prédicateur brillant, un guérisseur performant, il a une notoriété considérable dans son petit pays. Et dans son petit pays, sous brutale domination romaine, l’attente d’un puissant libérateur est une réalité. La notoriété de Jésus, la publicité faite autour de lui, risque à chaque instant de faire se lever derrière lui une petite armée, motivée religieusement et politiquement, qui pourrait certes donner du fil à retordre aux légions romaines, mais que Rome saurait assurément écraser. Lorsqu’il commande à ses disciples de ne rien dire de lui à personne, Jésus tente peut-être de prévenir la violence.
           
            Pour autant, personne n’a jamais respecté vraiment l’interdiction, formulée par Jésus, ni jadis, ni maintenant. Si bien que la question qui nous intéresse ne peut pas être celle du respect de cette interdiction, mais celle de son interprétation.
Il en va de cette interdiction comme du commandement du Décalogue qui dit : « Tu ne prononceras pas mon nom en vain ! », c’est ce qui est commandé. Mais n’abuse-t-on pas de ce commandement si l’on vient à en faite une interdiction absolue de prononcer le nom de Dieu ? Que les quatre lettres du nom divin soient imprononçables, cela ne dispense jamais de parler de Dieu. Et comment parlera-t-on de Lui, de Dieu, sans jamais le nommer ? Ce commandement nous invite à nous demander de quoi nous parlons lorsque nous parlons de Dieu. Il nous signale même que lorsque nous parlons de Dieu, ce n’est jamais de Dieu que nous parlons. Cela signifie que ce commandement ne vise pas à établir, à signifier ou à maintenir que Dieu est Dieu. Que Dieu soit Dieu n’est jamais établi ni jamais réfuté par aucun propos ni par aucun agir humain. Nous ne pouvons pas établir ou réfuter que Dieu soit Dieu. C’est une affaire qui nous dépasse. Mais le commandement interpelle profondément celui qui se réclame de Dieu. « Est-ce bien Dieu qui est ton Dieu ? » Ou encore : « Ton Dieu, est-ce Dieu ? Ou bien est-ce le texte dont tu te réclames ? » Ou encore, « Comment montreras-tu que Dieu est ton Dieu ? »
           De même, l’interdiction de jamais parler de lui à personne, que Jésus adresse à ses disciples, est destinée à les interpeller. Que Pierre dise à Jésus, devant les autres disciples : « Tu es le Christ ! » n’établit ni n’établira jamais en aucun cas que Jésus est le Christ. Ce qui peut établir que Jésus est le Christ, c’est ce que Jésus dit et fait : son ministère public, sa Passion, sa Résurrection. Mais ne soyons pas naïfs, car son ministère public, sa Passion, sa Résurrection, ne nous sont accessibles que par un texte. « C’est écrit dans la Bible… » Et alors ? Rien ne peut indiquer que Jésus est le Christ, si ce n’est la réception de ce texte. C'est-à-dire que rien ne peut indiquer que Jésus est le Christ si ce n’est ce que les lecteurs ont fait, font, et feront de ce texte.
A ceci on pourra objecter que Jésus est le Christ indépendamment de ce que les humains auront fait de lui, tout comme Dieu est Dieu indépendamment de ce que les humains font de lui. Et c’est vrai, en tant qu’énoncé de la foi. C’est tellement vrai que l’énoncé de cette foi donne une chance à l’humanité. Dieu est plus grand, Christ est plus grand, que les atrocités commises en son nom, et que les horreurs proférées en son nom.
Dans cette foi, ni Dieu ni Christ n’ont besoin de nos services. Notre propos est juste de continuer l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu. Au fond, nous avons à louer Dieu que nos pères ont reçu l’Evangile. Nous avons à rendre grâce à Dieu de ce que des traditions ont reçu et transmis le texte, et bien des commentaires du texte. Jésus est Christ parce que nos pères l’ont reconnu, et ont transmis ce qu’on a dit de lui. Reste encore à ce que Jésus soit Christ pour nous, Christ pour moi. Est-il Christ pour moi ? Que chacun s’interroge ! S’il est Christ pour moi, comment le saurai-je ? Nous avons un bon guide pour nous interroger maintenant. L’évangile de Marc !

Pierre confesse que Jésus est le Christ. A la bonne heure ! Mais « il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands  prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite. » La plupart des traducteurs rendent « il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, etc. » Il le fallait et, hélas, il le faut toujours. Nous affirmons que la Passion de Jésus, telle qu’elle est racontée par les évangiles, n’épuise en aucun cas la question de Jésus en tant que Christ. Il n’est pas exact de dire que Jésus a été reconnu comme Christ à la croix, ni au matin de Pâques. Ce qui est exact, c’est d’affirmer que Jésus n’est reconnaissable  comme Christ – hier, aujourd’hui et toujours – que crucifié et ressuscité, et qu’il ne l’est que pourvu que ceux qui se réclament de lui discutent très sérieusement, contestent en eux-mêmes et pour autrui, les trois pouvoirs qui ont toujours, dans le récit, et dans l’histoire de la chrétienté, rejeté Jésus, le Fils de l’homme, le Christ : les anciens, les grands-prêtres, les scribes.
Rejeté par les anciens : Jésus est reconnaissable comme Christ lorsque ses disciples, ses témoins, nous autres… nous ne prétendons pas que l’ancienneté est sage, a fait ses preuves, et que le temps présent, ou la génération montante, n’a rien à nous apprendre, et que les formes sociales,  politiques, et les inégalités qui vont avec sont de toujours et pour toujours…
Rejeté par les grands prêtres : Jésus est reconnaissable comme Christ lorsque ses disciples, ses témoins, nous autres… nous ne nous en  tenons pas par obligation, par conservatisme aux formes reçues et ne contraignons pas tout un chacun à pratiquer sans le comprendre un rituel que nous-mêmes n’aurons pas sérieusement interrogé.
Rejeté par les scribes : Jésus est reconnaissable comme Christ lorsque ses disciples, ses témoins, nous autres… nous ne sacralisons pas le texte biblique, c'est-à-dire au fond ne sacralisons pas nos propres habitudes et nos propres personnes.

            Peut-être que cela fait beaucoup à discuter, beaucoup à contester, beaucoup à rejeter. Peut-être que ça casse bien des convenances et bien des connivences. Continuer l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu, c’est une croix à porter. La joie peut ne pas être absente lorsqu’on choisit de porter cette croix.
Que le Seigneur nous donne l’envie et la joie de porter cette croix. En la portant résolument nous signalerons que Jésus est Christ pour nous. Ainsi pourra-t-il être, Dieu voulant, un signe aussi pour nos contemporains. Amen


Un signe pour nos contemporains... signe de quoi? Prolongement étrange de cette prédication, l'irruption des Femen dans un "Salon musulman", où l'on discutait de cuisine, de la place de... l'opportunité, de la licéité... enfin, du statut et de la place des femmes. C'était à Pontoise, il y a quelques heures. Ce qui me donne l'opportunité de traduire en trois phrases simples les trois examens de soi proposés ci-dessus, et cela fera trois résolutions sérieuses.
Rejeté par les anciens : "Je ne serai jamais un vieux con !"
Rejeté par les grands prêtres : "Je ne serai jamais un intégriste !"
Rejeté par les scribes : "Je ne serai jamais un fondamentaliste !"


dimanche 6 septembre 2015

La suite de l'évangile de Jésus Christ Fils de Dieu (Marc 7,31-37)


Lorsque l'émotion sera retombée et, déjà, elle est retombée, il restera celles et ceux qui, chassés par la misère et les horreurs de la guerre, auront eu l'heur de survivre au voyage. Parmi eux, le père d'Aylan Kurdi. Bodrum restera la perle de la Riviera Egéenne, et certains vacanciers européens continueront à y goûter un repos mérité. Les avis de ces gens sur les hôtels qu'ils auront fréquentés resteront essentiellement grincheux. Y a-t-il un vacancier européen heureux sur les rives orientales de la mer Egée ? L'un d'eux se plaindra un de ces jours qu'on ait laissé au petit matin des cadavres sur la plage privée de son hôtel. Et, l'année prochaine, préférera l'île de Kos. Aucun d'entre nous, ne rendra la vie à un enfant mort noyé. Que le Tout Puissant nous prenne en pitié.


Marc 7
31 Jésus quitta le territoire de Tyr et revint par Sidon vers la mer de Galilée en traversant le territoire de la Décapole.
32 On lui amène un sourd qui, de plus, parlait difficilement et on le supplie de lui imposer la main.
33 Le prenant loin de la foule, à l'écart, Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue.
34 Puis, levant son regard vers le ciel, il soupira. Et il lui dit: «Ephphata», c'est-à-dire: «Ouvre-toi.»
35 Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait correctement.
36 Jésus leur recommanda de n'en parler à personne: mais plus il le leur recommandait, plus ceux-ci le proclamaient.
37 Ils étaient très impressionnés et ils disaient: «Il a bien fait toutes choses; il fait entendre les sourds et parler les muets.»


Prédication : 
Un simple, un très simple épisode de l’évangile de Marc, tel est ce court récit d’un miracle accompli par Jésus en terre étrangère. Un miracle dont Jésus recommandera qu’on ne parle surtout pas, mais au sujet duquel une publicité considérable sera faite, qui vaudra à Jésus une renommée tout aussi considérable… Ce simple épisode est accompagné de beaucoup d’autres épisodes, et bout à bout, ils constituent une histoire de la vie de Jésus. Ainsi donc, à première vue, l’évangile est une histoire de la vie de Jésus.

Pourtant, l’évangile n’est pas seulement une histoire de la vie de Jésus. Et nous en sommes avertis dès le premier verset de Marc. Vous avez le droit de ne pas connaître ce verset par cœur. Le voici : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ». Ce premier verset, c’est le véritable titre de l’évangile de Marc. Et cela a une conséquence importante : lorsque le lecteur a sous les yeux cette histoire de la vie de Jésus, il n’a que le commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu.

Pourquoi tous ces préliminaires, vous demandez-vous ? Et bien pour suggérer que la continuation de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu doit nous préoccuper d’avantage que son commencement, et pour suggérer aussi qu’une lecture attentive du texte de  Marc (de Marc entre autres – de  Marc, aujourd’hui) peut nous indiquer quelques conditions de possibilité de la continuation de cet évangile. Donc, nous lisons, et nous commentons, seulement deux versets, en gardant en tête cette question : Quelle sera la suite de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ?

Premier verset que nous commentons : Il leur recommanda de n’en parler à personne. Jésus, donc, nous rapporte Marc, recommande – et avec tellement de fermeté que cela ressemble à un commandement – de ne parler à personne du miracle qu’il vient d’accomplir. Et lorsque le miracle c’est de rendre la parole à un muet, il est pour le moins surprenant que l’auteur du miracle commande qu’on se taise. Alors, pour continuer l’évangile, faut-il se taire, ou parler ? Quand se taire, et quand parler ? Et parler, pour dire quoi ? Pour dire que Jésus a fait des miracles ? La dévotion populaire est friande de miracles, et les marchands d’illusions sont gourmands de la dévotion populaire. Faire grande publicité de ce que Jésus a, un jour, quelque part, guéri un sourd qui ne parlait pas, cela ne sert pas l’évangile. Car ce genre de miracle étant non réitérable, en faire la publicité ne fait qu’alimenter les illusions. On ne nourrit pas l’espérance en alimentant les illusions. Et c’est pour cela que nulle publicité ne doit jamais être faite au sujet d’un miracle qui a eu lieu, même si, et surtout si, l’on croit que des miracles sont possibles.

Deuxième verset que nous commentons : On lui amène un sourd qui avait de la peine à parler. Nous devons reconnaître qu’une certaine quantité de publicité avait été nécessaire autour de Jésus pour que la rencontre entre lui et le sourd puisse avoir été initiée, et l’on se doute bien que ça n’est pas pour gentille petite tape sur la joue qu’on supplie Jésus de poser la main sur ce malheureux. Pourtant, ça n’est pas publiquement que la rencontre a lieu. Les effets de la rencontre entre Jésus et le sourd sont manifestes, mais la rencontre reste strictement en tête à tête, puisque Jésus l’emmena loin de la foule, à l’écart. Les lecteurs que nous sommes sont les spectateurs de la suite, mais pas la foule. Il y a là une triple leçon à recevoir :
-          (Un) Mener les gens là où une rencontre décisive est possible, c’est une condition de continuation de l’évangile.
-          (Deux) Mais cette rencontre, ni ce qui s’y dit, ni ce qui s’y passe, ni ce qui s’ensuit, ne nous appartient pas. Il y a même plus à dire, puisque celui qui était sourd et mal-parlant sera bien moins facile à diriger, bien moins facile à manipuler, lorsqu’il sera guéri que lorsqu’il était handicapé. Autrement dit celui qui ne désire pas qu’autrui puisse un jour prendre la parole, puisse s’exprimer, réfléchir, contester, choisir… ne laisse aucune chance à la continuation de l’évangile.
-          (Trois) On ne voit aucunement le sourd mal-parlant protester ou se rebiffer, ce qui suggère qu’on réfléchisse un peu sur l’obéissance : se laisser mener là où quelque chose d’inouï nous sera peut-être dit, là où nous vivrons peut-être une rencontre inaugurale, c’est aussi une condition de continuation de l’évangile. Mais, s’agissant des lecteurs que nous sommes, cette obéissance ne peut pas être synonyme d’abdication de la raison. Même si nous ne savons pas à quoi nous sommes sourds, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas accepter d’écouter n’importe quoi. Et même si nous manquons de mots parfois pour dire ce qui nous porte, nous ne devons pas accepter de le dire n’importe comment.

Mais qu’allons-nous faire, et qu’allons-nous dire, et comment, afin que l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ait une suite ? Dans l’intimité de la rencontre, Jésus accomplit quelques gestes, lève les yeux au ciel, gémit, et prononce un seul mot, un impératif, adressé au sourd mal-parlant. Si nous excluons de cette scène les gestes magiques, car nous n’en sommes pas capables, il reste un regard vers le ciel, un gémissement et un impératif.
-          Il reste un impératif : Ouvre-toi ! C’est l’impératif que nous devons entendre, et que nous pouvons être amenés à adresser à nos contemporains. S’ouvrir, mais à quoi ? A tout, mais pas à n’importe quoi ! Faire le tri ! Les oreilles pour entendre, la bouche pour parler, rien dans notre texte n’indique que la bouche doive stupidement répéter ce que les oreilles ont entendu. L’intelligence critique et constructive doit s’ouvrir. « La foi chrétienne est illumination de la raison (Erleuchtung der Vernunft) », a écrit Karl Barth, l’un des plus grands théologiens du siècle passé.
-          Il reste aussi un gémissement, parce qu’œuvrer pour l’évangile est chose parfois lourde et pénible, tant cela risque d’être source de malentendus et de peine.
-          Il reste enfin un regard vers le ciel, car ce qu’on accomplit, il faut bien entendu le faire à la mesure de ce que nous savons faire, si peu de choses que ce soit. Mais, avec cette conviction essentielle : Dieu agit. Même si nos paroles et nos actes ont une portée décisive pour quelqu’un, c’est en fait Lui, Dieu seul, qui agit. A Lui est la gloire.

Alors, qui va continuer l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ? Ministres et fidèles, jeunes et vieux, croyants et incroyants, hommes et femmes de bonne volonté. Puisse chacun d’entre nous vouloir le faire. Et le Seigneur nous sera en aide. Amen