dimanche 27 novembre 2016

Se préparer à l'impensable... (Matthieu 24,32-44)

Matthieu 24
32 Comprenez cette comparaison empruntée au figuier: dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l'été est proche.
33 De même, vous aussi, quand vous verrez tout cela, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes.
34 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive.
35 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
36 «Mais ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne sinon le Père, et lui seul.
37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme;
38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,
39 et on ne se doutait de rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.
40 Alors deux hommes seront aux champs: l'un est pris, l'autre laissé;
41 deux femmes en train de moudre à la meule: l'une est prise, l'autre laissée.
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.
43 Vous le savez: si le maître de maison connaissait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.
44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.
No comment...
Luc 23
32 On en conduisait aussi d'autres, deux malfaiteurs, pour les exécuter avec lui.
33 Arrivés au lieu dit «le Crâne», ils l'y crucifièrent ainsi que les deux malfaiteurs, l'un à droite, et l'autre à gauche.
(...)
39 L'un des malfaiteurs crucifiés l'insultait: «N'es-tu pas le Messie? Sauve-toi toi-même et nous aussi!»
40 Mais l'autre le reprit en disant: «Tu n'as même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine!
41 Pour nous, c'est juste: nous recevons ce que nos actes ont mérité; mais lui n'a rien fait de mal.»
42 Et il disait: «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi.»

Prédication : 
            Voici ce que nous avons dit, la semaine dernière, et méditant sur la royauté du Christ et sur sa crucifixion : « Jusqu’à la fin des temps, il y a deux malfaiteurs qui sont crucifiés à ses côtés, comme si l’humanité entière se partageait en deux parties ; d’un côté, ceux qui, refusant de répondre de leurs actes et de l’état du monde, se montrent exigeants à l’égard de Dieu : « Si Dieu existait, etc. » ; et de l’autre côté ceux qui, acceptant de répondre de leurs actes et de l’état du monde, comptent sur son aide et sur sa miséricorde.

            Mais après ce rappel, voici une question : pourquoi, c'est-à-dire pour quelle raison, Jésus fut-il crucifié ? Prenons-le tout simplement, le plus simplement possible, et énonçons que Jésus fut crucifié parce que ses actes ont été jugés dangereux pour un certain ordre du monde. Cette réponse n’épuise évidemment pas la question posée, mais nous allons nous en tenir très simplement à cette réponse. Il y a un lien de cause à effet entre le choix de vie de Jésus et sa mort. Nous nous posons maintenant exactement la même question, mais en pensant aux deux malfaiteurs : pour quelle raison furent-ils crucifiés ? Et le plus simplement possible, nous pouvons dire qu’ils furent crucifiés parce que leurs actes ont été jugés dangereux pour un certain ordre du monde. Et cette réponse est la même que celle que nous avons donnée s’agissant de Jésus. Et donc il y a, pour ces trois hommes, des liens tout à faits clairs entre ce qu’a été leur vie et ce que le sort leur réserve. Mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois, quelque chose arrive, de terrible, sans cause aucune, sans aucune raison ! Et c’est cela qui est aujourd’hui l’objet de notre méditation.

Premier dimanche de L’Avent, l’Avent précède Noël, c’est un temps pour attendre la venue du Seigneur, et le Seigneur vient à Noël. Mais le Seigneur ne vient pas à Noël seulement, nous dit le texte de Matthieu… il vient aussi – en tant que Fils de l’homme – à la fin des temps. Mais la fin des temps, quand cela sera-ce ?
           
Certaines personnes, lecteurs de la Bible, lecteurs de l’évangile de Matthieu, pourraient prétendre détenir la réponse, puisqu’ils connaissent les signes de l’imminence de la fin des temps. Soit, mais ces signes se sont multipliés, toujours identiques à eux-mêmes, depuis plusieurs millénaires et, depuis plusieurs millénaires, on peut prédire l’imminence de la fin des temps. Et voici, toute prédication sur l’imminence de la fin des temps vient buter – vient se briser – sur un seul verset : « ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils… ». Et comme un seul verset souvent ne suffit pas, il est aussi écrit : « vous ne pouvez pas penser l’heure à laquelle le Fils de l’homme doit venir. » Ainsi, l’heure du Fils de l’homme, c'est-à-dire la fin des temps, ne relève pas de ce que nous pouvons penser. Elle est impensable. Impensable était aussi la venue du déluge dans le récit de la Bible.
Voyez-vous, les lecteurs de la Bible sont souvent très malins, trop malins : ils savent la fin de l’histoire même avant d’en lire le début. Dans le texte de ce jour, Matthieu lui-même, qui donne la parole à Jésus – donc Jésus lui-même – fait remarquer, sans raillerie aucune, qu’avant le déluge, les gens vivaient comme on doit vivre : manger, boire, nouer des alliances matrimoniales et préparer la venue de la génération suivante… La venue du déluge était impensable pour ces gens-là. Et nous ne faisons rien d’autre qu’eux. Nous ne sommes pas plus malins qu’eux : nous ne savons rien de l’impensable et nous n’avons aucun savoir de ce que nous n’imaginons même pas.
            Ainsi, nous n’avons aucun savoir, ni du moment, ni de la manière, ni de l’issue de la fin des temps. Ainsi, dit encore Jésus, il n’y a aucun savoir du sort respectifs de deux hommes apparemment semblables, occupés dans les champs à ce que les hommes doivent faire, et aucun savoir du sort de deux femmes apparemment semblables occupées à faire ce que les femmes doivent faire pendant que les hommes sont aux champs. On n’a rien à leur reprocher, mais les uns seront pris et les autres laissés. La fin des temps est ainsi faite… Il n’y a donc connaissance ni du moment, ni de la manière, ni de l’issue, et pourtant, Jésus commande – il nous est commandé – de veiller, et de d’être prêts. Veiller à quoi ? Etre prêts à quoi ? 

Nous n’allons pas en rester tout simplement à cette fin des temps dont on parle tout le temps et qui n’arrive jamais. La fin des temps n’est pas toujours une catastrophe cosmique naturelle ou surnaturelle, mais ce peut être une catastrophe advenant dans la vie d’un être humain, un événement inimaginable et aucunement anticipé. Cela arrive, et on n’y était absolument pas préparé, parce qu’on n’avait jamais imaginé que cela pourrait arriver. Ce genre d’événement agit comme un juge, voire comme une condamnation, parce que rien de ce sur quoi l’on comptait ne peut permettre d’y faire face. Ça peut être cela, la fin des temps.
Faut-il prendre un exemple ? Certains d’entre nous ont vécu déjà cette forme de fin des temps… Les disciples de Jésus l’ont vécue aussi, le jour où leur maître a été mis à mort d’une manière particulièrement infamante. Ils ne l’avaient aucunement imaginé.

Voici donc des questions simples, et très redoutables : peut-on être prêt à ce qu’on n’imagine pas ? Peut-on être prêt à ce dont on ne peut avoir aucune connaissance ?

Veillez, nous ordonne notre Seigneur dans ce texte ! Et soyez prêts à ce qu’advienne quelque chose à quoi vous ne pouvez aucunement vous préparer, puisque vous ne pouvez en avoir aucune connaissance ! Ce sont des injonctions impossibles. Elles font peur ; ou, au moins, elles suscitent une sorte d’inquiétude. Et nous pouvons réellement nous demander comment obéir. Et bien l’obéissance peut ici prendre trois formes : étudier, prier, faire mémoire.
Etudier est l’une des formes de l’obéissance. Etudier les grands textes bibliques, étudier les grands commentaires de ces textes, c’est veiller, et se préparer. Ceux qui nous ont précédés ont traversé leur propre fin des temps et ils ont laissé parfois de précieuses traces de leur passage.
Prier – notamment sous la forme liturgique et communautaire de la prière – est une seconde forme de l’obéissance. Cela permet une expression de la détresse, et une expression de la confiance. Et plus encore, puisque nous sommes des êtres de langage, mettre certains mots dans notre bouche permet aussi de faire entrer dans nos cœurs ce que ces mots signifient.
Faire mémoire de nos prédécesseurs, de leur vie et de leur engagement, est une troisième forme de l’obéissance. Nous ne sommes pas les premiers à qui le Seigneur s’adresse, et nous ne sommes pas non plus les premiers à vouloir lui obéir et à lui avoir obéi.

Veillez et soyez prêts à l’impensable, commande donc le Seigneur ; étudier, prier et faire mémoire, ce sont trois aspects de l’obéissance à ce commandement.

Mais il reste une question à poser : si nous obéissons de cette manière – étudier, prier, faire mémoire – sommes-nous prêts à l’impensable ?
Nous ne pouvons pas l’affirmer. Mais nous pouvons dire – très modestement – que nous y sommes un peu préparés, que notre confiance en Dieu et en la vie est un peu confortée, que ce n’est pas d’illusions que notre foi est faite, mais de vérité.


Parmi les expressions de cette vérité, il y a que le notre Seigneur est venu, est présent, et qu’il viendra. A Lui soit la gloire. Amen.


dimanche 20 novembre 2016

Le Roi des Juifs (Luc 23,32-43) A l'occasion de la fête du Christ Roi

Luc 23
32 On en conduisait aussi d'autres, deux malfaiteurs, pour les exécuter avec lui.
33 Arrivés au lieu dit «le Crâne», ils l'y crucifièrent ainsi que les deux malfaiteurs, l'un à droite, et l'autre à gauche.
34 Jésus disait: «Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font.» Et, pour partager ses vêtements, ils tirèrent au sort.
35 Le peuple restait là à regarder; les chefs, eux, ricanaient; ils disaient: «Il en a sauvé d'autres. Qu'il se sauve lui-même s'il est le Messie de Dieu, l'Élu!»
36 Les soldats aussi se moquèrent de lui: s'approchant pour lui présenter du vinaigre, ils dirent:
37 «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même.»
38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui: «C'est le roi des Juifs.»
39 L'un des malfaiteurs crucifiés l'insultait: «N'es-tu pas le Messie? Sauve-toi toi-même et nous aussi!»
40 Mais l'autre le reprit en disant: «Tu n'as même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine!
41 Pour nous, c'est juste: nous recevons ce que nos actes ont mérité; mais lui n'a rien fait de mal.»
42 Et il disait: «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi.»
43 Jésus lui répondit: «En vérité, je te le dis, aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis.»

Luc 3
1 L'an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d'Abilène,
2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,
4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis;
6 et tous verront le salut de Dieu.
7 Jean disait alors aux foules qui venaient se faire baptiser par lui: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion; et n'allez pas dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.»
Jean le Baptiste, prédicateur en colère !
10 Les foules demandaient à Jean: «Que nous faut-il donc faire?»
11 Il leur répondait: «Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même.»
12 Des collecteurs d'impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent: «Maître, que nous faut-il faire?»
13 Il leur dit: «N'exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé.»
14 Des militaires lui demandaient: «Et nous, que nous faut-il faire?» Il leur dit: «Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde.»

Prédication : 
                Dans cette horrible scène de crucifixion, avec ces deux malfaiteurs qui entourent le Christ, c’est l’humanité qui est partagée en deux, dans son rapport à elle-même et dans son rapport à Dieu :
-          Il y a ceux qui, refusant de répondre de leurs actes, se montrent exigeants à l’égard de Dieu ;
-          Et ceux qui, acceptant de répondre de leurs actes, comptent sur sa seule miséricorde.
Dans cinq semaines, ce sera Noël. Et dimanche prochain, le temps de l’Avent commence, temps de l’attente de Noël, temps de l’attente de la venue du Christ. C’est ainsi que l’année liturgique finit – aujourd’hui – et recommence. L’année liturgique finit symboliquement au moment où la pleine révélation du Christ à l’Eglise et au monde a eu lieu : la fête qui correspond à ce moment s’appelle fête du Christ Roi. Que Christ soit roi, nous venons de le lire : il est Roi des Juifs.
Les Romains, chez qui les crucifixions étaient fréquentes, plaçaient au cou des suppliciés, ou sur le sommet des croix, un écriteau par lequel ils informaient le public des motifs de la condamnation. Le motif pouvait être sédition, vol, désertion… mais, ce jour-là, on inscrivit Roi des Juifs. Le public était donc informé de ceci : être Roi des Juifs était un motif de condamnation à mort.
Les Romains ont eu bien des difficultés avec les Juifs, avec cette province lointaine qu’était la Palestine, qu’ils n’ont jamais vraiment bien comprise, jamais pacifiée, et qu’ils ont fini par ravager : plus de Temple (70), plus de peuple juif sur cette terre (135).
Cette province avait quelque chose de très particulier : son culte du Dieu, de l’Eternel, Dieu au nom imprononçable, et, avec ce culte, d’une manière essentielle, un combat séculaire que des membres de ce peuple menaient contre l’idolâtrie, même au sein de sa propre religion. En fait, la dynamique de l’alliance avec Dieu ne permet jamais que la religion devienne juste identitaire et ait seulement une fonction de régulation sociale. L’Alliance avec Dieu porte aussi, en elle, d’une manière permanente, deux principes puissamment contestataires, puissamment subversifs : le Nom de Dieu est imprononçable, et Dieu ne peut être représenté. Ainsi les formes de la religion, les apparences de la religion, sont provisoires, sont éphémères, ne peuvent pas être défendues pour elles-mêmes. Et l’essentiel, c’est que celui qui croit fasse sienne cette alliance. Et donc celui qui croit n’obéit en conscience qu’à Dieu seul, vit d’une manière conséquente, sans crainte de ses semblables, ni désir de leur plaire, et s’en remet à Dieu.
Ces principes religieux étaient incompréhensibles pour les Romains ; ils rendaient aussi la Palestine ingouvernable ; et cette Palestine ne cessait de se diviser, au nom de Dieu les uns toujours en contestant d’autres… et parfois très violemment.
            C’est selon ces principes religieux, dans une absolue fidélité à l’Alliance, qu’a vécu Jésus de Nazareth. Et nous devons considérer que cette scène d’exécution énonce la vérité : il est le Roi des Juifs, et crucifié. Sa royauté est révélée dans toute sa vie, y compris à la croix.
            Nous précisons maintenant ceci, en trois temps. (1) Que le Roi des Juifs est Juif. (2) Que le Roi des Juifs est Roi. (3) Que le Roi des Juifs est crucifié.

            Premier temps : le Roi des Juifs est Juif. C’est apparemment évident, mais il est des évidences qui doivent être interrogées. Un Juif, qu’est-ce que c’est ? Un Juif est fils de Juif, descendant d’Abraham, Isaac et Jacob. Nous ne pouvons pas nous en tenir à cela. Les écrivains de l’Ancien Testament, disons Moïse et les Prophètes, ne s’en sont jamais tenu à cela. On n’est pas Juif seulement par la naissance. On n’est pas Juif non plus seulement par l’observance rituelle. Cela, c’est l’apparence. On est Juif dans l’apparence, mais aussi dans une constante réflexion de sa propre vie. On est Juif par la naissance, par l’obéissance, par l’intelligence, et par le cœur, par l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Mais qui est capable de cela ? Etre Juif, c’est le vouloir, tâcher de le mettre en œuvre, avec les forces qu’on a, et s’en remettre à Dieu seul. On est Juif ainsi dans un constant apprentissage de la foi en Dieu, dans un constant processus de conversion.
Petit à petit, certains courants du judaïsme se sont détachés du lien du sang, de l’observance rituelle, ont insisté sur la dimension éthique de la foi en Dieu, et se sont ouverts aux nations. C’est par cette ouverture que les nations ont connu Dieu, et que nous le connaissons.
En son temps, comme tous les prophètes avant lui, Jean le Baptiste rappelle ce que c’est qu’être Juif. Et, comme prophète, il interpelle ses contemporains et, au besoin, les invective lorsque qu’ils viennent à lui sans repentir, sans volonté de changer de vie...
            Jésus est Juif. Mais il n’est pas un Juif comme les autres. Il est le Roi des Juifs.
Second temps : comment comprendre cette royauté ? Il y a en Jésus une sorte de superlatif, de dépassement. Par sa consécration à ses semblables sans considération de grandeur, d’origine ou de dignité, par l’intelligence de son enseignement, par son indifférence vis-à-vis des convenances, par sa défiance des puissants et par son absolue confiance en Dieu, Jésus, tout en étant Juif, fait éclater non seulement les cadres du judaïsme de son temps, mais aussi les cadres de toutes les religiosités à venir. Avec lui c’est la foi en Dieu, en Dieu seul, qui triomphe. En cela il est suprêmement Juif. En cela aussi aussi l’Alliance et la dynamique de l’Alliance avec Dieu s’offrent à tous les humains. Il est le Roi des Juifs.

            Troisième temps, il est crucifié. Pourquoi Jésus fut-il crucifié ? Le récit de l’évangile de Luc montre que des gens bien en place ont vu en lui un dangereux concurrent ; ils l’ont éliminé. Mais l’évangile de Luc nous montre aussi que ses propres disciples ne l’ont ni compris, ni soutenu, ni défendu. Plus tard, devenus apôtres, ils auront bien de la peine à ne pas transformer parfois en rituel rigide, en société cloisonnée, ce qui était pourtant un immense souffle de libération. Et la suite de l’histoire de l’Eglise, des Eglises chrétiennes n’a pas infirmé cela.
L’existence du Roi des Juifs est insupportable à tous ceux qui ont une image à promouvoir, ou un statut à défendre. Jésus Christ, le Roi des Juifs, dérange, il ne cesse de déranger. Et crucifié, il le fut, il l’est et le sera jusqu’à la fin des temps, bien qu’aucun de ses actes ne lui méritât jamais ce sort. 

Cependant, jusqu’à la fin des temps aussi, il y a deux malfaiteurs qui sont crucifiés à ses côtés, comme si l’humanité entière se partageait en deux. Il y a ceux qui, refusant de répondre de leurs actes et de l’état du monde, se montrent exigeants à l’égard de Dieu : « « Si Dieu existait, etc. » Et il y a ceux qui, acceptant de répondre de leurs actes et de l’état du monde, en appellent à son aide et comptent sur sa miséricorde. Et chacun peut, jusqu’au dernier souffle de sa vie, en appeler à cette miséricorde. Ceux qui, un jour, le font le font parce qu’ils espèrent croire, parce qu’ils tâchent d’apprendre à croire, et parce qu’ils croient déjà.

Et même s’ils doivent vivre plusieurs décennies encore, le Christ crucifié, vivant pour les siècles des siècles, leur adresse cette étonnante parole : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » Le Christ, qui est Roi, entend cette prière sincère. Et il y répond. Amen


dimanche 6 novembre 2016

Quelle résurrection ? (Luc 20,27-38)

Assez longtemps après le décès de son homme, de son chéri, son si cher vieux mari mort, délicat, prévenant, attentionné... au terme d'une sale maladie qui l'avait rendu brutal et effroyablement grossier, la veuve me posa cette simple question : "Monsieur le Pasteur, lors de la résurrection, comment serons-nous?" Désireux de lui laisser sa propre réponse, j'avais temporisé : "Que voulez-vous me dire au juste?" Et la réponse vint : "Si c'est pour me le rendre dans l'état où il était lorsque la mort nous a séparés, et bien... ils peuvent le garder !"
Luc 20
27 Alors s'approchèrent quelques Sadducéens. Les Sadducéens contestent qu'il y ait une résurrection. Ils lui posèrent cette question:
28 «Maître, Moïse a écrit pour nous: Si un homme a un frère marié qui meurt sans enfants, qu'il prenne la veuve et donne une descendance à son frère.
29 Or il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans enfant.
30 Le second,
31 puis le troisième prirent la femme, et ainsi tous les sept: ils moururent sans laisser d'enfant.
32 Finalement la femme mourut aussi.
33 Eh bien! cette femme, à la résurrection, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l'ont eue pour femme?»
34 Jésus leur dit: «Ceux qui appartiennent à ce monde-ci prennent femme ou mari.
35 Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari.
36 C'est qu'ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges: ils sont fils de Dieu puisqu'ils sont fils de la résurrection.
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l'a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.

38 Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui.»


Prédication :
            Les Sadducéens affirmaient qu’il n’y a pas de résurrection, et ils vinrent interroger Jésus. Qui étaient ces gens-là ? C’était un très petit nombre de quelques grandes familles, l’aristocratie des prêtres du Temple de Jérusalem, ancienne lignée, très grosses fortunes, extrêmement conservateurs et prêts à pactiser avec les pouvoirs politiques, même celui des occupants, prêts à tout pour que rien ne change de l’ordonnancement du monde. Cet ordonnancement leur était favorable, et depuis plusieurs siècles.
Les Sadducéens affirmaient qu’il n’y a pas de résurrection et ils en démontraient l’absurdité au regard de ce que tous les Juifs recevaient comme autorité suprême, les Ecrits de Moïse (les Cinq premiers livres de notre Bible).
            Nous n’allons pas  reprendre leur démonstration. Nous allons juste repérer que les Sadducéens qui interrogent Jésus ne prennent à aucun moment en considération le fait que cette femme aura vécu sept fois le drame de devenir veuve, et le drame, voire la honte, de ne jamais enfanter. La vie des malheureux, cela n’intéresse aucunement les Sadducéens.
Et, pour un peu, ils la représenteraient lascive puis, à cette femme, ils finiraient par reprocher la mort de ses maris successifs... 
            Selon les Sadducéens, s’il y avait une résurrection, la société nouvelle s’organiserait alors et pour l’éternité en suivant les prescriptions perpétuelles de la Loi de Moïse. Comme cela peut conduire à des situations contraires à cette Loi, c’est qu’il n’y pas de résurrection.
Ne nous laissons pas abuser par une aussi piètre démonstration. Demandons-nous plutôt pour quelle raison l’on approuve une doctrine, ou pour quelle raison on la combat. La résurrection est l’espérance des prophètes, l’espérance pour les temps effroyablement difficiles. Elle peut être une résurrection politique, mais aussi une résurrection personnelle. Pourquoi les Sadducéens affirment-ils qu’il n’y a pas de résurrection ? Lorsque la vie vous a si bien installé, lorsqu’on est totalement indifférent au sort des petites gens, lorsqu’on a des privilèges à défendre, on n’a pas besoin d’une espérance. En plus, le pouvoir et les privilèges des Sadducéens ne sont aucunement fondés sur la Loi de Moïse… Les Sadducéens ne doivent leur position qu’à une intrigue de cour qui avait conduit à la disgrâce les prêtres légitimes, sous le règne de Salomon. En peu de mots, si l’on veut parler de leur légitimité à être les maîtres du Temple de Jérusalem, les Sadducéens sont des pièces rapportées, peu légitimes, voire des imposteurs… Ils n’ont que faire d’un prophète de Dieu qui leur rappelle cette vérité, et le toujours libre choix de Dieu ; ils n’ont rien à faire de Dieu, rien à faire de la résurrection et surtout rien à faire d’un jugement qui la précéderait.
           


            La réponse que Jésus leur fait tient en deux temps. Puisqu’il a été question de doctrine, cela va être d’abord doctrine contre doctrine. Et puisqu’il a été question aussi de Saintes Ecritures, cela sera aussi Saintes Ecritures contre Saintes Ecritures. Et nous verrons que c’est la perspective même de la résurrection qui est totalement transformée.
La doctrine sadducéenne de la résurrection n’est pas la seule possible. Si un homme a un frère marié qui meurt sans enfants, qu’il prenne sa veuve et donne une descendance à son frère. Dans cet ancien monde, cela permet que le nom du frère ne soit pas perdu pour la famille et le clan. En plus, la femme fait partie des biens du frère défunt et on ne peut pas laisser perdre des biens familiaux. Et puis reconnaissons aussi que cela donne une petite sécurité à la femme, et que si des enfants naissent, c’est un peu une assurance vieillesse. C’est la Loi de Moïse. Mais après la résurrection, une fois que tous vivent pour l’éternité, cette Loi est sans aucune pertinence. Si l’on ne peut plus mourir, pourquoi prendre femme ou mari ?
Le point de vue des Sadducéen, matérialiste, conservateur, et foncièrement inégalitaire, n’est pas le seul possible. Jésus imagine les ressuscités semblables aux anges, vivant perpétuellement de la présence de Dieu. Sa manière de penser la résurrection redistribue les bienfaits de Dieu, après le jugement de Dieu, et selon la justice souveraine de Dieu.
Les Sadducéens se réclament de la Bible, Jésus tout autant. Les Sadducéens disqualifient l’idée de résurrection en se réclamant des Saintes Ecritures. Si Jésus s’avisait de nier l’autorité des Saintes Ecritures, il serait disqualifié. Mais Jésus aussi est lecteur des Saintes Ecritures. A la lecture toute statique conservatrice que proposent les Sadducéens, Jésus oppose une lecture dynamique et ouverte d’un épisode fameux, celui du buisson ardent.
« Que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l’a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » Le lien n’est pas évident à première vue entre le buisson ardent et la résurrection.
Lorsque Moïse voit ce buisson, il s’est écoulé un très long temps depuis la descente en Egypte, et les Hébreux souffrent, ils sont esclaves. Dieu, qui a fait alliance avec Abraham, Isaac et Jacob les a-t-il oubliés, et a-t-il oublié leurs enfants, son peuple ? Moïse, qui est considéré ici comme l’auteur des cinq premiers livres de la Bible, affirme que le Dieu qui lui parle dans le buisson ardent est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Cela signifie qu’il considère que les patriarches sont vivants en leurs descendants, que l’alliance passée avec les pères bénéficie aux fils. La libération des fils, c’est la résurrection des pères. Et la résurrection, c’est le signe de la fidélité de Dieu. Tout au long de cette très longue histoire, Dieu ne cesse jamais d’être fidèle, tout comme le buisson brûle sans jamais se consumer. Dieu donc appelle sans se lasser, s’engage sans s’épuiser, et demeure toujours libérateur.

La perspective de la résurrection est ainsi transformée. Les Sadducéens ne veulent qu’une chose, et sont prêts à tout pour cela : que rien jamais ne change, que les riches restent riches, et les pauvres pauvres. Leur monde est un monde sans foi en Dieu et sans espérance.
En face d’eux, il y a Jésus. La résurrection selon Jésus, c’est la fidélité de Dieu qui ne connaît aucune interruption et n’en connaîtra aucune tant que le monde sera monde et que des humains y vivront. Alors la résurrection selon Jésus n’est pas inscrite dans un au-delà lointain. « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui. » La résurrection selon Jésus est inscrite dans le présent de la foi, dans le présent de la vie, comme reconnaissance de la vérité de ce qu’on est, reconnaissance de la grâce qui vous fut faite et de la chance qu’on a, comme espérance pour les autres comme pour soi, dès maintenant, et à jamais, et comme engagement personnel.
Alors avec Jésus Christ, affirmons que « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui. » Pour nous-mêmes mais surtout pour le monde, croyons en la résurrection et vivons selon ce que nous croyons. Amen