dimanche 20 novembre 2016

Le Roi des Juifs (Luc 23,32-43) A l'occasion de la fête du Christ Roi

Luc 23
32 On en conduisait aussi d'autres, deux malfaiteurs, pour les exécuter avec lui.
33 Arrivés au lieu dit «le Crâne», ils l'y crucifièrent ainsi que les deux malfaiteurs, l'un à droite, et l'autre à gauche.
34 Jésus disait: «Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font.» Et, pour partager ses vêtements, ils tirèrent au sort.
35 Le peuple restait là à regarder; les chefs, eux, ricanaient; ils disaient: «Il en a sauvé d'autres. Qu'il se sauve lui-même s'il est le Messie de Dieu, l'Élu!»
36 Les soldats aussi se moquèrent de lui: s'approchant pour lui présenter du vinaigre, ils dirent:
37 «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même.»
38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui: «C'est le roi des Juifs.»
39 L'un des malfaiteurs crucifiés l'insultait: «N'es-tu pas le Messie? Sauve-toi toi-même et nous aussi!»
40 Mais l'autre le reprit en disant: «Tu n'as même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine!
41 Pour nous, c'est juste: nous recevons ce que nos actes ont mérité; mais lui n'a rien fait de mal.»
42 Et il disait: «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi.»
43 Jésus lui répondit: «En vérité, je te le dis, aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis.»

Luc 3
1 L'an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d'Abilène,
2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,
4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis;
6 et tous verront le salut de Dieu.
7 Jean disait alors aux foules qui venaient se faire baptiser par lui: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion; et n'allez pas dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.»
Jean le Baptiste, prédicateur en colère !
10 Les foules demandaient à Jean: «Que nous faut-il donc faire?»
11 Il leur répondait: «Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même.»
12 Des collecteurs d'impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent: «Maître, que nous faut-il faire?»
13 Il leur dit: «N'exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé.»
14 Des militaires lui demandaient: «Et nous, que nous faut-il faire?» Il leur dit: «Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde.»

Prédication : 
                Dans cette horrible scène de crucifixion, avec ces deux malfaiteurs qui entourent le Christ, c’est l’humanité qui est partagée en deux, dans son rapport à elle-même et dans son rapport à Dieu :
-          Il y a ceux qui, refusant de répondre de leurs actes, se montrent exigeants à l’égard de Dieu ;
-          Et ceux qui, acceptant de répondre de leurs actes, comptent sur sa seule miséricorde.
Dans cinq semaines, ce sera Noël. Et dimanche prochain, le temps de l’Avent commence, temps de l’attente de Noël, temps de l’attente de la venue du Christ. C’est ainsi que l’année liturgique finit – aujourd’hui – et recommence. L’année liturgique finit symboliquement au moment où la pleine révélation du Christ à l’Eglise et au monde a eu lieu : la fête qui correspond à ce moment s’appelle fête du Christ Roi. Que Christ soit roi, nous venons de le lire : il est Roi des Juifs.
Les Romains, chez qui les crucifixions étaient fréquentes, plaçaient au cou des suppliciés, ou sur le sommet des croix, un écriteau par lequel ils informaient le public des motifs de la condamnation. Le motif pouvait être sédition, vol, désertion… mais, ce jour-là, on inscrivit Roi des Juifs. Le public était donc informé de ceci : être Roi des Juifs était un motif de condamnation à mort.
Les Romains ont eu bien des difficultés avec les Juifs, avec cette province lointaine qu’était la Palestine, qu’ils n’ont jamais vraiment bien comprise, jamais pacifiée, et qu’ils ont fini par ravager : plus de Temple (70), plus de peuple juif sur cette terre (135).
Cette province avait quelque chose de très particulier : son culte du Dieu, de l’Eternel, Dieu au nom imprononçable, et, avec ce culte, d’une manière essentielle, un combat séculaire que des membres de ce peuple menaient contre l’idolâtrie, même au sein de sa propre religion. En fait, la dynamique de l’alliance avec Dieu ne permet jamais que la religion devienne juste identitaire et ait seulement une fonction de régulation sociale. L’Alliance avec Dieu porte aussi, en elle, d’une manière permanente, deux principes puissamment contestataires, puissamment subversifs : le Nom de Dieu est imprononçable, et Dieu ne peut être représenté. Ainsi les formes de la religion, les apparences de la religion, sont provisoires, sont éphémères, ne peuvent pas être défendues pour elles-mêmes. Et l’essentiel, c’est que celui qui croit fasse sienne cette alliance. Et donc celui qui croit n’obéit en conscience qu’à Dieu seul, vit d’une manière conséquente, sans crainte de ses semblables, ni désir de leur plaire, et s’en remet à Dieu.
Ces principes religieux étaient incompréhensibles pour les Romains ; ils rendaient aussi la Palestine ingouvernable ; et cette Palestine ne cessait de se diviser, au nom de Dieu les uns toujours en contestant d’autres… et parfois très violemment.
            C’est selon ces principes religieux, dans une absolue fidélité à l’Alliance, qu’a vécu Jésus de Nazareth. Et nous devons considérer que cette scène d’exécution énonce la vérité : il est le Roi des Juifs, et crucifié. Sa royauté est révélée dans toute sa vie, y compris à la croix.
            Nous précisons maintenant ceci, en trois temps. (1) Que le Roi des Juifs est Juif. (2) Que le Roi des Juifs est Roi. (3) Que le Roi des Juifs est crucifié.

            Premier temps : le Roi des Juifs est Juif. C’est apparemment évident, mais il est des évidences qui doivent être interrogées. Un Juif, qu’est-ce que c’est ? Un Juif est fils de Juif, descendant d’Abraham, Isaac et Jacob. Nous ne pouvons pas nous en tenir à cela. Les écrivains de l’Ancien Testament, disons Moïse et les Prophètes, ne s’en sont jamais tenu à cela. On n’est pas Juif seulement par la naissance. On n’est pas Juif non plus seulement par l’observance rituelle. Cela, c’est l’apparence. On est Juif dans l’apparence, mais aussi dans une constante réflexion de sa propre vie. On est Juif par la naissance, par l’obéissance, par l’intelligence, et par le cœur, par l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Mais qui est capable de cela ? Etre Juif, c’est le vouloir, tâcher de le mettre en œuvre, avec les forces qu’on a, et s’en remettre à Dieu seul. On est Juif ainsi dans un constant apprentissage de la foi en Dieu, dans un constant processus de conversion.
Petit à petit, certains courants du judaïsme se sont détachés du lien du sang, de l’observance rituelle, ont insisté sur la dimension éthique de la foi en Dieu, et se sont ouverts aux nations. C’est par cette ouverture que les nations ont connu Dieu, et que nous le connaissons.
En son temps, comme tous les prophètes avant lui, Jean le Baptiste rappelle ce que c’est qu’être Juif. Et, comme prophète, il interpelle ses contemporains et, au besoin, les invective lorsque qu’ils viennent à lui sans repentir, sans volonté de changer de vie...
            Jésus est Juif. Mais il n’est pas un Juif comme les autres. Il est le Roi des Juifs.
Second temps : comment comprendre cette royauté ? Il y a en Jésus une sorte de superlatif, de dépassement. Par sa consécration à ses semblables sans considération de grandeur, d’origine ou de dignité, par l’intelligence de son enseignement, par son indifférence vis-à-vis des convenances, par sa défiance des puissants et par son absolue confiance en Dieu, Jésus, tout en étant Juif, fait éclater non seulement les cadres du judaïsme de son temps, mais aussi les cadres de toutes les religiosités à venir. Avec lui c’est la foi en Dieu, en Dieu seul, qui triomphe. En cela il est suprêmement Juif. En cela aussi aussi l’Alliance et la dynamique de l’Alliance avec Dieu s’offrent à tous les humains. Il est le Roi des Juifs.

            Troisième temps, il est crucifié. Pourquoi Jésus fut-il crucifié ? Le récit de l’évangile de Luc montre que des gens bien en place ont vu en lui un dangereux concurrent ; ils l’ont éliminé. Mais l’évangile de Luc nous montre aussi que ses propres disciples ne l’ont ni compris, ni soutenu, ni défendu. Plus tard, devenus apôtres, ils auront bien de la peine à ne pas transformer parfois en rituel rigide, en société cloisonnée, ce qui était pourtant un immense souffle de libération. Et la suite de l’histoire de l’Eglise, des Eglises chrétiennes n’a pas infirmé cela.
L’existence du Roi des Juifs est insupportable à tous ceux qui ont une image à promouvoir, ou un statut à défendre. Jésus Christ, le Roi des Juifs, dérange, il ne cesse de déranger. Et crucifié, il le fut, il l’est et le sera jusqu’à la fin des temps, bien qu’aucun de ses actes ne lui méritât jamais ce sort. 

Cependant, jusqu’à la fin des temps aussi, il y a deux malfaiteurs qui sont crucifiés à ses côtés, comme si l’humanité entière se partageait en deux. Il y a ceux qui, refusant de répondre de leurs actes et de l’état du monde, se montrent exigeants à l’égard de Dieu : « « Si Dieu existait, etc. » Et il y a ceux qui, acceptant de répondre de leurs actes et de l’état du monde, en appellent à son aide et comptent sur sa miséricorde. Et chacun peut, jusqu’au dernier souffle de sa vie, en appeler à cette miséricorde. Ceux qui, un jour, le font le font parce qu’ils espèrent croire, parce qu’ils tâchent d’apprendre à croire, et parce qu’ils croient déjà.

Et même s’ils doivent vivre plusieurs décennies encore, le Christ crucifié, vivant pour les siècles des siècles, leur adresse cette étonnante parole : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » Le Christ, qui est Roi, entend cette prière sincère. Et il y répond. Amen