dimanche 15 avril 2018

Où donc est-il écrit ... (Luc 24,35-48)


Luc 24 
35 Et eux (les pèlerins d'Emmaüs) racontèrent (aux disciples) ce qui s'était passé sur la route et comment ils l'avaient reconnu (Jésus) à la fraction du pain.
36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut présent au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»
37 Effrayés et remplis de crainte, ils pensaient voir un esprit.
38 Et il leur dit: «Quel est ce trouble et pourquoi ces objections s'élèvent-elles dans vos cœurs?
39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi. Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai.»
40 À ces mots, il leur montra ses mains et ses pieds.
41 Comme, sous l'effet de la joie, ils restaient encore incrédules et comme ils s'étonnaient, il leur dit: «Avez-vous ici de quoi manger?»
42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.
43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.
44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures,
46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,
47 et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
48 C'est vous qui en êtes les témoins.
Prédication :


Reprenons deux versets, 44 et 46. « Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été dit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes », et « C’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour. »
            Où donc ceci est-il écrit ? Consultons des Bibles savantes, celles qui ont des références dans les marges et des notes en bas de page. Nous nous attendons à une profusion de renvois à de nombreux versets bibliques de l’Ancien Testament. Nous trouvons… nous ne trouvons rien. Nous sommes étonnés. Nous espérions au moins quelques fragments du Psaume 22, ou d’Esaïe 52, ou d’Osée 6. Mais non. Nous ne trouvons aucun renvoi.
            Il y a juste la version ZeBible (traduction en français courant, avec guide de lecture) pour considérer ces deux versets comme une invitation à relire la Bible – entendez l’Ancien Testament – à la lumière de la résurrection, mais ça n’est pas ce que nous cherchons ni ce que Jésus annonce. Jésus n’annonce pas que le nouveau éclaire l’ancien mais au contraire, que l’ancien précède et explique le nouveau.
            Bref, si nous sommes en quête d’une correspondance littérale, nous faisons fausse route. Et pourtant, Luc l’évangéliste proclame cet accomplissement. Alors, que s’accomplit-il ici ?

            Pour répondre à cette question, il nous faut nous demander ce que nous retenons de fondamental dans l’Ancien Testament, non pas un ou deux versets, mais dans l’ensemble. Ici, je ne peux que vous faire une proposition toute personnelle.  Cette proposition tient en deux grands volets théologiques.
(1) Dieu observe son peuple, constate qu’il n’est pas tel qu’il le voudrait, et donc Dieu corrige ce peuple en lui infligeant toutes sortes de maux. Parmi ces maux, l’épidémie, la famine, la domination étrangère, l’exil…
(2) Dieu aime inlassablement son peuple ; quelles que soient les avanies de l’histoire, et quelles que soient les égarements de ce peuple, il le rassemble, le ramène, le protège et le bénit.
Je ne veux faire aucune synthèse entre ces deux théologies, celle du jugement impitoyable et celle de la bienveillance infinie.
Si vous voulez un texte qui dise les deux en même temps, voici Exode 20, 5-6 : « (Je suis ton Dieu), poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations – s'ils me haïssent – et prouvant sa fidélité à des milliers de générations – si elles m'aiment et gardent mes commandements ».
Ces deux théologies sont exposées simultanément par l’Ancien Testament et j’aimerais suggérer – non pas prouver mais suggérer seulement – qu’elles ne sont pas séparables l’une de l’autre… qu’elles ne devraient jamais être séparées l’une de l’autre… que si elles sont séparées l’une de l’autre elles sont anéanties l’une comme l’autre, l’une par l’autre ; mais ensemble, elles se fécondent mutuellement.
            C’est ce que nous retenons et ce par quoi nous revenons à la lecture de Luc.

            Nous devons maintenant nous demander comment en Jésus tout cela, c'est-à-dire le cœur de l’Ancien Testament, est accompli, et mené, concernant l’humanité entière, à une indépassable plénitude.
            Cela suppose que nous considérions, que nous affirmions même, que ce qui est écrit de Jésus de Nazareth est susceptible de concerner profondément l’humanité. C’est assez audacieux – il nous faut bien prendre garde à ce que cette audace ne soit pas une insoutenable prétention. Que dirons-nous donc, avec hésitation ? En reprenant l’inspiration qui est la nôtre en parcourant l’Ancien Testament, nous dirons que partout où de grandes promesses sont suivies de grandes trahisons et de grands repentirs, l’Evangile – en tant que Nouveau Testament – est susceptible de concerner individuellement chaque être humain et collectivement tout groupe humain. Nous reprenons notre lecture en considérant les deux théologies mentionnées ci-dessus.
(1) En Jésus vivant, mort et ressuscité, il y a un jugement. Ce n’est pas seulement aux premiers disciples que s’adresse ce jugement : ils n’ont pas compris leur maître, ne l’ont pas défendu, et l’ont abandonné. Ce jugement concerne toutes celles et ceux qui ont entendu parler du Christ. L’histoire du monde est là pour l’indiquer, l’état du monde est là pour le confirmer : les humains se sont rendus, et se rendent encore coupables, de grands abandons, de grandes trahisons, de grands massacres et génocides. Jésus vivant, sa vie, son enseignement, sont le nom du jugement. Ce jugement concerne tous les humains – ou presque – et aussi toutes les institutions ecclésiastiques, ou séculières – comme l’ONU – les grandes et les petites… toutes étant en quelque manière plus intéressées par leurs traditions et leur survie que par le message de l’Evangile. Pour un Martin Luther King, pour une Mère Teresa, combien de légions de Tartuffes, ou seulement d’indifférents ?
Lorsqu’on voit jusqu’où va l’engagement de Jésus, lorsqu’on comprend même un peu son enseignement, lorsqu’on saisit jusqu’à quel point il fait don de lui-même, on ne peut qu’être confondu. Combien de fois les perles auront-elles été données à des cochons ? Combien de fois son enseignement aura-t-il été transmis et ignoré, sa personne invoquée et bafouée ? Combien de fois encore faudra-t-il qu’il meure ? Et combien de fois faudra-t-il encore qu’il ressuscite ?
Pour tous ceux qui le connaissent, Jésus de Nazareth est leur jugement. C’est ainsi que l’Ancien Testament donne à comprendre le Nouveau.
(2) Cependant ça n’est pas tout. En Jésus vivant, mort et ressuscité, il y a une inépuisable source de bénédiction. Son enseignement, même mille fois ignoré, demeure accessible : les Saintes Ecritures sont le livre le plus diffusé dans le monde. L’enseignement de Jésus ne cesse d’inspirer des humains, connus, ou inconnus, célèbres ou anonymes : d’authentiques témoins du ressuscité ne cessent d’apparaître dans l’histoire.
La résurrection du Fils de Dieu ne s’épuise pas en une fois au matin de Pâques, mais elle advient encore et encore, concrètement, dans des vies abimées, bouleversées. Elle advient non seulement comme espérance mais aussi comme réalité d’une vie renouvelée. Elle est autant de possibilités nouvelles, de chemins nouveaux, de pardon, de repentir et de réconciliation.
C’est ainsi aussi que l’Ancien Testament donne à comprendre le Nouveau.

Mais, direz-vous, tout ce langage est le langage de l’Alliance. Qu’est-ce qui change  entre l’une et l’autre ? Ce qui change, c’est que le monde s’est ouvert. Certaines composantes du Judaïsme de l’Antiquité avaient commencé à penser l’universel, à se penser comme religion de justice et de paix pour l’humanité. IHVH qui était un Dieu ethnique est devenu, en Jésus Christ, et dans le monde gréco-latin, un Dieu universel. Par son Messie – si l’on veut parler de Messie – qui a été cet homme-là, Dieu s’est adressé à tout homme, et l’intuition universalisante de certains maîtres juifs est devenue une espérance possible pour chaque être humain. Une branche du Judaïsme du premier siècle a été capable de transmettre cette espérance au plus grand nombre. Et c’est de cette branche-là que nous sommes issus.

Vous pourrez objecter que cette intuition universalisante a été capable d’horreurs, de massacres et de persécutions. Et vous aurez raison. Mais ces horreurs n’épuisent pas la théologie de la divine miséricorde. Les deux théologies dont nous parlons sont inséparables, pour le pire, et pour le meilleur, c’est la conviction qui nous porte maintenant.

Qui mettra le meilleur en œuvre ? La réponse est en toutes lettres dans le texte. « On prêchera (au nom du Christ) la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations (…). C’est vous – auditeurs, lecteurs – qui en êtes les témoins. » Amen


dimanche 8 avril 2018

Bienheureux ceux qui, ayant lu, ont cru (Jean 20,19-31)



Jean 19
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: «La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie.»
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: «Recevez l'Esprit Saint;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.»
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc: «Nous avons vu le Seigneur!» Mais il leur répondit: «Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas!»

26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: «La paix soit avec vous.»
27 Ensuite il dit à Thomas: «Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi.»
28 Thomas lui répondit: «Mon Seigneur et mon Dieu.»
29 Jésus lui dit: «Parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru.»

30 Jésus a fait sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Ceux-ci ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.



Prédication :
            Tout texte, toute histoire écrite, doit avoir une fin. Cette vérité concerne les évangiles. Comment terminer un évangile dont le principal protagoniste, Jésus de Nazareth, a accompli moult miracles et surtout, après avoir été mis à mort, ressuscite ? On n’imagine évidemment pas qu’il ressuscite pour mourir de nouveau. Et on n’imagine pas non plus qu’une fois ressuscité, il demeure les bras croisés et sans rien faire devant le spectacle de la misère du monde. Alors l’évangile n’a pas de fin ;  il est appelé à enfler, à devenir une lourde collection d’apparitions et de miracles. C’est d’ailleurs ce que sont certains des textes dits apocryphes : de lourdes et pittoresques collections de miracles toujours les mêmes. Et c’est aussi un peu le cas de la fin de nos évangiles. Le merveilleux appelle le merveilleux, le miracle le miracle, jusqu’au point où le merveilleux de l’Ascension s’impose pour enfin clore l’affaire. Gagne-t-on vraiment en crédibilité en ajoutant toujours un miracle après un autre miracle ? Pas sûr…
            Marc, dans sa version la plus ancienne, fait disparaître le ressuscité, et les femmes (Marc 16,8). Souvenez-vous : les femmes ayant constaté que le tombeau était vide, et ayant entendu la proclamation d’un ange, s’enfuient et ne disent jamais rien à personne. De la même manière, Jean, dans une version très courte, fait entrer Pierre dans le tombeau, fait dire au narrateur : « il vit et il crut », avant de renvoyer les disciples chez eux (Jean 20,10).
Ces deux fins très courtes, et paradoxales, invitent les lecteurs à poursuivre eux-mêmes et sans tarder l’aventure de l’Evangile. Nous avons parlé de cela la semaine dernière.

Dans une version un peu plus longue, Jean va faire de Marie-Madeleine la seule et unique personne qui rencontre le ressuscité, parle avec lui avant qu’elle n’aille témoigner vers les disciples. Apparemment sans suite, comme nous l’avons déjà vu. C’est une des fins possibles de l’évangile de Jean. L’évangile de Jean a six fins possibles… Nous venons de lire bout à bout la troisième et la quatrième. Ces deux fins mettent en question les apparitions du Ressuscité et la mission de ceux qui auront cru, et mettent en question aussi les miracles.
           
Avec Thomas, il y a quelque chose d’important à dire, et cette chose c’est : « Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. » Ne pas avoir vu, c’est ne pas avoir vu le Christ ressuscité. C’est aussi ne pas avoir vu le tombeau vide. C’est aussi ne pas avoir vu les miracles accomplis par Jésus. N’avoir pas vu, c’est au fond n’avoir personnellement aucune autre attestation de l’existence du Messie que celle constituée par le texte lui-même. C’est la situation de celles et ceux qui, dès trois ou quatre générations après les faits, n’ont rien d’autre que… l’évangile de Jean, lu seul ou en communauté.
C’est notre situation : nous avons l’évangile de Jean. Bien sûr nous avons plus que le texte que nous lisons ce matin puisque, en plus,  nous avons le chapitre 21 et les trois autres évangiles. Mais tout de même, nous n’avons qu’eux. Formellement, nous n’avons rien d’autre que des textes, et nous sommes tous parfaitement égaux dans cette situation : nous n’avons rien vu.
Nous pouvons penser que, lorsque cette fin de l’évangile de Jean a été écrite, il y avait encore de très vieilles gens qui prétendaient avoir été et être les seuls véritables témoins des événements. Nous pouvons aussi penser qu’il y avait aussi de plus jeunes gens qui se targuaient de visions spéciales et de savoirs particuliers. Et bien la fin de l’évangile de Jean, telle que nous l’envisageons maintenant, vient essayer de mettre un point final à toutes sortes de révélations spéciales et personnelles et sans doute aussi à mettre fin à des miracles et autres apparitions. La situation mise en place est la suivante : vous n’avez – nous n’avons – rien vu, mais, par contre, nous avons lu ; nous avons lu l’évangile de Jean.
Rien n’est à voir. Il n’y aura plus jamais rien à voir, mais chacun pourra ouvrir le livre, et lire.

            Et maintenant, voici une question : que faisons-nous lorsque nous lisons ? Déjà, avant même de commencer à lire, nous présupposons qu’il y a quelque chose d’intéressant dans le texte que nous nous apprêtons à lire. Nous savons qu’il va y avoir des éléments merveilleux. Nous consentons par avance – adultes que nous sommes – à la présence de ce merveilleux (des morts qui sortent de leur tombeau, des vivants qui passent à travers les murs, des malades qui guérissent…). Tous ces merveilleux événements vont arriver dans le texte. Alors nous lisons ; et lorsque nous lisons, tout un monde se déploie sous nos yeux, le monde du texte. Nous, lecteurs, en imagination, nous devenons spectateurs de ce monde, spectateurs des actions qui s’y déroulent, auditeurs des propos qui sont tenus, interpellés par les commentaires qui sont faits, juges des personnages ; nous sommes tout cela.
Nous sommes donc en imagination plongés dans ce monde, non pas avec la possibilité d’y intervenir, mais avec la possibilité sans limite d’interroger, de réfléchir, de rembobiner l’action, de la revivre, etc.
Et puis, vient un certain moment où nous cessons de lire, nous refermons le livre. Le texte demeure ce qu’il est, inchangé. Mais nous ? Le lecteur ? Que lui arrive-t-il ? Je ne peux pas me prononcer à votre place, mais, peut-être, le lecteur aura-t-il été touché, changé. Peut-être profondément touché. Au point de croire ? Nous lisons l’évangile de Jean… Peut-être. « Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru », c’est ce qui est écrit. Bienheureux ceux qui, en ayant lu, ont cru !
Ainsi, ceux qui ont lu ont eu l’occasion de voir en imagination ce que Thomas a vu, d’entendre ce qu’il a entendu, d’être confondu et confus comme Thomas le fut. Convoque-t-on Dieu ? A-t-on – avons-nous – des conditions à lui poser ? Sommes-nous les maîtres et lui, le serviteur ? Et bien, en lisant cette finale, nous répondons – à notre honte – que oui, que parfois nous exigeons du Ressuscité des preuves de sa résurrection. Et l’amour dont parle si souvent Jésus dans l’évangile de Jean, son amour par lequel il aime, consent – même en tant qu’amour divin – à cet abaissement : il apparaît. Mais nous pouvons aussi réaliser l’énormité de notre demande et, peut-être, renoncer à cette demande. Nous pouvons commencer à croire.
Nous pouvons aussi en imagination assister à de grands miracles. Et comprendre que le miracle appelle plus souvent un autre miracle qu’il n’appelle la foi. Alors nous pouvons lire que 7 miracles sont nécessaires et suffisants. En choisissant de ne transmettre que 7 miracles fondamentaux, Jean suggère au lecteur de lire, et de méditer : pourquoi 7, pourquoi ces 7 là, et pourquoi pas d’autres, et pourquoi, ayant en imagination assisté précisément à ces 7-là le lecteur se trouve-t-il puissamment incité à prendre une décision.

Voilà. Cette finale de l’évangile de Jean est sous nos yeux. Nous la lisons, nous la méditons – c’est encore la lire – et nous la commentons – c’est toujours la lire – et nous refermons le livre. Je pense que nous ne sommes pas tout à fait indemnes. Il reste l’émerveillement – nous avons lu un texte marqué par le merveilleux. Mais aussi, nous nous sommes enfermés avec les disciples apeurés, nous avons senti l’odeur de leur peur, et le Seigneur et Dieu s’est tout de même présenté en personne, une première fois, puis huit jours plus tard, une seconde fois. Nous avons, en imagination, perçu son souffle et entendu ses paroles…  Et alors ? Avons-nous cru ?
Nous nous sommes souvenus des 7 miracles fondamentaux. Et si nous ne nous en sommes pas souvenus, nous allons rouvrir le livre, lire encore et nous demander pourquoi 7, ces 7 là et pas un de plus, doivent suffire pour croire.

Enfin, nous allons nous demander ce qu’est cette foi, ce croire dont parle Jean. Et bien, justement, croire, avoir la vie en son nom, c’est avoir une vie qui ne s’arrête pas sur l’apparent échec qu’est la mort de Jésus de Nazareth, mais qui le voit vivant et agissant avec ceux qui croient. Et qui s’en émerveille.
Que cette vie soit notre vie. Amen


dimanche 1 avril 2018

Elles ne dirent rien à personne (Marc 16,1-8) Pâques


Marc 16
1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer.
2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.
3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau?»
4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée; or, elle était très grande.
5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur.
6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité, il n'est pas ici; voyez l'endroit où on l'avait déposé.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »
8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Il faudrait relire aussi Marc 8.31-33, Marc 9.30-32, Marc 10.32-34 et Marc 14.26-28. Relire, se souvenir, et raconter.
Prédication :
« …et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » Fin du dernier texte lu ce matin. Et fin de l’évangile de Marc dans sa version la plus ancienne. Une fin pitoyable : trois femmes ont vu le tombeau vide et entendu la parole de l’ange mais elles s’enfuient, se taisent à jamais, et il n’y a aucune apparition du ressuscité. Ajoutez à ceci que les disciples ont disparu dans la nature et vous avez le bilan de l’évangile de Marc. On se demande si c’est la peine d’en parler…


Bien entendu, si vous prenez vos Bibles, vous allez voir, dans l’évangile de Marc, que Jésus apparaît de multiples façons (Marc 16.9 et suivants), ce qui peut rassurer. Ouf, il y a bien des attestations de la résurrection. Mais toutes les bonnes Bibles vous signaleront à cet endroit qu’il est manifeste que ces apparitions sont des ajouts au texte original : ce n’est pas la même langue grecque, ni le même style, ni le même auteur. Ce sont des rajouts, canoniques, oui, mais des rajouts tout de même…
La question à laquelle nous nous attaquons est celle des attestations de la résurrection de Jésus Christ Fils de Dieu. Quelqu’un demande « d’où tiens-tu que Jésus est ressuscité ? » et l’on répond « des gens l’ont vu, c’est écrit dans la Bible ». C’est vrai, Marc, dans son état final, ainsi que Matthieu, Luc et Jean introduisent, chacun dans son récit, des apparitions du ressuscité. Et pour certains lecteurs, cela va suffire pour prouver la résurrection. Pourtant prétendre que les récits bibliques de la résurrection constituent des preuves de la résurrection, c’est faire montre d’une naïveté considérable. C’est exactement comme affirmer que Dieu a créé l’univers en 6 jours calendaires il y a 6000 ±100 années, et s’est reposé le septième jour, c’est écrit dans la Bible…

Le génie de l’évangile de Marc dans sa première écriture, c’est d’attester la résurrection – d’en donner une attestation, un témoignage – sans jamais que n’apparaisse le ressuscité. Mais que se passe-t-il alors dans l’évangile de Marc qui atteste la résurrection ?
Pour tâcher de l’expliquer un peu, je voudrais commencer par vous faire remarquer que, dans l’évangile de Marc, lorsque Jésus ayant fait un miracle commande qu’on se taise, tout le monde en parle. Pourtant, si Jésus commande qu’on taise ses miracles, c’est qu’il souhaite que sa messianité ne soit pas confondue avec sa puissance miraculeuse. C’est qu’il souhaite que sa messianité survive à sa disparition. La foi au Fils de Dieu, comme la foi en Dieu le Père, doit être en mesure de répondre positivement de leur silence et de leur absence, et de répondre autre chose que c’est dans leur absence même qu’ils se rendent le plus présents. La preuve par le miracle n’est guère solide, la preuve par l’absence l’est encore moins…
La preuve par la présence présente aussi bien des inconvénients. Si Jésus ressuscité apparaît une fois il faudra, pour susciter l’adhésion du plus grand nombre, que beaucoup d’apparitions aient lieu. Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru, est-il écrit, dans l’évangile de Jean. Mais Jean, hélas dirais-je aujourd’hui, dit cela après – et avant –  tout un tas d’apparitions… Marc est plus conséquent, et plus radical. Nous pouvons estimer que pour Marc, dans sa version la plus ancienne, une apparition du ressuscité est le plus grand poison de la foi en la résurrection.
Aussi affirmons-nous que la fuite et le silence des femmes apparaissent comme le meilleur moyen possible pour que la foi des disciples en la résurrection du Fils de Dieu ne soit pas fondée sur le vent d’apparitions. Mais sur quoi cette foi va-t-elle se fonder ?

Nous allons répondre. Qui sont les disciples de Jésus ? Ces gens sont des Hébreux et, depuis l’aube des temps, la survie spirituelle des Hébreux – leur foi – leur survie tout court parfois – tient à l’obéissance à deux commandements très simples : souviens-toi, raconte. Et vous savez bien que, pour les Hébreux, le verbe raconter ne signifie pas seulement faire un reportage exact et circonstancié, mais tâcher aussi d’interpréter, de donner à comprendre, ce qui se passe.

Et que se passe-t-il  donc, lorsqu’on lit l’évangile de Marc dans sa version la plus ancienne ? Il est manifeste, l’existence même de l’évangile de Marc indique clairement, que, après la mort du Fils de Dieu, il y a eu chez ses disciples, envers et contre tout, en l’absence de toute apparition du Ressuscité… il y a eu une activité – réflexion, écriture, prédication – qui correspondait à l’enseignement et à l’exemple reçus du Maître. L’actualité de la résurrection du Fils de Dieu, ce n’est pas l’activité du Fils de Dieu après sa mort, mais l’activité des disciples du Fils de Dieu après que celui-ci soit mort.
Alors quelle attestation, voire quelle preuve, avons-nous donc de la résurrection du Fils de Dieu ? Nous avons pour attestation l’évangile de Marc dans sa version la plus ancienne. Et nous devons cet évangile à quelques braves hébreux qui ont fait ce que tout hébreu peut faire lorsque son monde s’écroule : se souvenir, raconter. C’est ce qu’ils ont fait et c’est ce que fait pour nous le texte lui-même. En refusant toute apparition merveilleuse du Fils de Dieu à Pâques, et en parlant pourtant de sa résurrection, Marc veut orienter le regard de son lecteur sur tout le reste essentiel de la vie de Jésus. En somme, pour Marc, celui qui apparaît sous l’identité de Jésus de Nazareth et se fait baptiser dans le Jourdain (Marc 1.9), c’est le Ressuscité. Et il ne cesse d’apparaître pendant tout le récit. Et qui donc le fait apparaître ? L’auteur, les auteurs du texte – béni soit leurs noms !
Et après l’auteur du texte, vient le lecteur du texte. Lorsqu’il lit, puis se souvient, lorsqu’il raconte, c'est-à-dire met en œuvre ce qu’il a reçu et compris, il rend présent et visible le Fils de Dieu ressuscité.

Nous allons finir en revenant à notre point de départ : « Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent jamais rien à personne, car elles avaient peur. »
Que reste-t-il à faire, si l’on tout de même voir le Fils de Dieu Ressuscité ? Recommencer dans la joie et sans tarder la lecture, au début, en Marc 1.1 : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ». Ce verset est le titre de tout l’ouvrage. De Marc 1.1 à Marc 16.8, nous n’avons que le commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu.
La suite de l’évangile, il nous appartient de l’écrire, c'est-à-dire de la penser, de la vivre et de la raconter. Qu’il en soit ainsi. Amen