samedi 24 février 2024

Abraham ne sacrifiant pas (Genèse 22,1-13)

 Genèse 22

Or, après ces événements, Dieu mit Abraham à l'épreuve et lui dit: «Abraham»; il répondit: «Me voici.»

 2 Il reprit: «Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l'offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t'indiquerai.»

 3 Abraham se leva de bon matin, sangla son âne, prit avec lui deux de ses jeunes gens et son fils Isaac. Il fendit les bûches pour l'holocauste. Il partit pour le lieu que Dieu lui avait indiqué.

 4 Le troisième jour, il leva les yeux et vit de loin ce lieu.

 5 Abraham dit aux jeunes gens: «Demeurez ici, vous, avec l'âne; moi et le jeune homme, nous irons là-bas pour nous prosterner; puis nous reviendrons vers vous.»

 6 Abraham prit les bûches pour l'holocauste et en chargea son fils Isaac; il prit en main la pierre à feu et le couteau, et tous deux s'en allèrent ensemble.

 7 Isaac parla à son père Abraham: «Mon père», dit-il, et Abraham répondit: «Me voici, mon fils.» Il reprit: «Voici le feu et les bûches; où est l'agneau pour l'holocauste?»

 8 Abraham répondit: «Dieu saura voir l'agneau pour l'holocauste, mon fils.» Tous deux continuèrent à aller ensemble.

 9 Lorsqu'ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait indiqué, Abraham y éleva un autel et disposa les bûches. Il lia son fils Isaac et le mit sur l'autel au-dessus des bûches.

 10 Abraham tendit la main pour prendre le couteau et immoler son fils.

 11 Alors l'ange du SEIGNEUR l'appela du ciel et cria: «Abraham! Abraham!» Il répondit: «Me voici.»

 12 Il reprit: «N'étends pas la main sur le jeune homme. Ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu, toi qui n'as pas épargné ton fils unique pour moi.»

 13 Abraham leva les yeux, il regarda, et voici qu'un bélier était pris par les cornes dans un fourré. Il alla le prendre pour l'offrir en holocauste à la place de son fils.


Prédication : 

            Je me souviens, début des années 2000, de la préparation d’un week-end de catéchisme consistorial consacré à Abraham. Les pasteurs du consistoire étaient en charge de tout ou presque. Ils s’étaient donc réunis, tous les 6, et avaient pris le temps de réfléchir, de parler le plus calmement possible, y compris, évidement, sur l’épisode du sacrifice d’Isaac. S’agissant de cet épisode, la conversation s’était tendue. L’un d’entre nous soutenait qu’il n’y avait aucun problème à ce que Dieu – Dieu – ordonne à Abraham le sacrifice d’Isaac et que l’opportun sauvetage de la situation, et de l’enfant, avec voix divine et bélier sacrificiel, était une sorte d’entrave dans la foi pure d’Abraham, entrave dans la foi. C’est ce qu’il disait et il agaçait tout le monde. Un autre donc l’apostropha : « Si je comprends bien, si Dieu vient demain, ou un autre jour, te dire de sacrifier ton fils, ton unique, que tu aimes, tu vas le faire, sans hésiter… ? » Il y a eu un long silence. Dans les réunions de pasteurs, le silence est rare. Et le collègue a dit oui, qu’il le ferait. Il irait le faire. Et re-silence. Inquiétant silence. Je crois que nous ne doutions pas de l’à-propos du silence de Dieu. Mais avec ce qui se passe dans la tête des gens, tout, rien et surtout n’importe quoi, il pouvait être nécessaire de prendre des précautions. Nous convînmes avec lui que si des voix divines venaient à s’adresser à lui, il ferait appel à notre discernement.

            Vingt et quelques années ont passé. Dieu n’a pas parlé dans la tête de mon collègue, en tout cas Dieu ne lui a pas demandé de reproduire l’exploit d’Abraham, à moins que, peut-être, mon collègue ait dit non à Dieu.

 

            Dans le 22ème chapitre du livre de la Genèse, on voit en Abraham la perfection du croyant, ou la perfection de la foi. Difficile de choisir la bonne expression car la foi, est-ce un lourd massif de convictions, ou est-ce plutôt comme une rivière. La foi, est-ce les paroles d’Abraham, premier et seul croyant, ou est-ce les constructions d’autels avec des rituels qui semblent déjà bien fixés ? La foi, est-ce l’autel du sacrifice, l’unique culte, déjà Jérusalem ? La foi pourrait aussi être le dialogue entre l’homme et son Dieu. Ou le dialogue entre le père et son fils.

            Tous ces éléments sont dans le texte, et ils ne sont pas vraiment triés. Leur agencement – qui est surtout un bazar – peut laisser croire qu’il y a, en fait un homme qui croit, lui, un seul, Abraham. Et c’est d’ailleurs ce qu’on entend souvent dire. Sa foi est inébranlable. Il sait en religion tout faire, tout faire et il le fait bien. Et à se demander donc, puisqu’il en est ainsi, pourquoi Dieu vient-il le tenter. Pourquoi Dieu se fait-il tentateur, n’y a-t-il pas un personnage biblique qui serve justement à la tentation ? Et surtout n’y a-t-il pas quelque chose d’étrange au fait de tenter un homme dont la foi est réputée irréprochable… nous nous répétons ici. Quel est ce croyant, nous savons le dire, un peu par habitude, mais quel est ce Dieu ? Nous n’avons guère l’habitude d’interroger la figure de ce Dieu. Peut-être un tout petit peu, mais très peu, au fond. Détruire la foi du croyant, c’est assez simple, et même lorsqu’il s’agit de personnes très reconnues, c’est simple aussi de révoquer en doute leurs paroles et leurs actes. Pour tout procès en canonisation, il y a bien un avocat du diable. Car ce sont toujours des humains véritables dont on fait des saints. Mais Dieu lui-même ? Quand donc l’interroge-t-on ? Et quand donc en fait-on le procès ?

            Vous direz bien sûr que c’est lorsqu’on s’appelle Dostoïevski et qu’on écrit Les frères Karamazov qu’on fait le portrait, et le procès de Dieu.

            Mais même ainsi, l’entreprise est hasardeuse. Je me souviens de la faculté de théologie – une fois encore – probablement un cours de Théologie pratique, et  il avait été question de Karamazov, au grand scandale de quelques étudiants pour lesquels il était blasphématoire d’imaginer demander à Dieu des comptes des malheurs subis par les humains. Pour ces quelques étudiants théologiens, ce qu’on appelle la voie littéraire était tout à fait barrée. Car, tout le monde le sait, on n’apprend Dieu que dans la Bible. Nous ironisons juste un peu. Ajoutons que si nous commençons à écarter la voix littéraire, il nous faudra aussi écarter la peinture, la musique, l’opéra, le cinéma… et je n’oublie pas une certaine toile peinte en ~1603, par le Caravage, intitulée Le Sacrifice d’Isaac. Il y a le père qui tient son fils à la gorge, d’une main, et qui, de l’autre main, tiens le couteau. L’ange est à gauche, retenant le bras sacrificateur. Il désigne de son autre main le bélier au pied de l’autel. Tout va pour le mieux dans le meilleur des tableaux possible, tout va pour le mieux dans le meilleur Genèse 22 possible. Dieu s’en prend à Abraham, mais pas Abraham à Dieu.

 

            Et pourtant, il y a matière, dès le début il y a matière. Dieu demande une vie et pas n’importe laquelle. Il demande à Abraham (1) le don de la vie de son seul fils sémite, fils de la promesse, (2) fils qu’il aime. (3) Il précise le mode opératoire, avec plein de détails. (4) sans aucune explication, ni perspective d’un éventuel réconfort ou d’une consolation. Et c’est Dieu.

            Alors, bien sur, puisque nous connaissons le texte, nous savons qu’à la fin tout va bien finir, l’ange, le bélier, le sacrifice du bélier et le prix d’honneur décerné à Abraham sous la forme d’une répétition de la promesse – comme si cette répétition était une après d’autres. Oui, tout va bien. Mais, sincèrement, ce Dieu, que veut-il ?

            En effaçant Isaac de la sorte, il soutient qu’en matière de foi (1) la promesse est sans valeur ; que la dynastie aussi est sans valeur, (2) que les sentiments sont sans valeur, (3) que la foi juste est une foi juste formelle, on fait le sacrifice et basta, et (4) et qu’on est en ces matière totalement pauvre et isolé. Et c’est Dieu qui veut ça, et c’est Dieu qui fait ça.

            Dieu réclame l’effacement d’Isaac, non pas en tentant Abraham, mais bien plutôt en le défiant. Pourquoi ce défi de Dieu ? Parce que ce champion de la foi qu’est Abraham n’a pas, pas du tout besoin de Dieu, pas besoin de cette bouée de sauvetage qu’est Dieu, ni besoin de ces félicitations diverses que sont des enfants dits de la promesse. Dieu s’en prend en somme à Abraham pour tenter de ramener Abraham à la mesure d’un homme, à la mesure d’un pauvre homme qui vit, ou vivrait de joies diverses, de promesses divines tenues, mais conditionnées, suspendues aux mérites de l’homme.

            Et c’est ce qui va se passer, dans le texte que nous méditons.

 

            Les rédacteurs du texte ont joué à la fin le jeu de Dieu. Ils ont en somme cédé à la tentation, en faisant d’Abraham et d’Isaac des obéissants, des soumis, et en faisant de Dieu un dieu qui mesure comme nous mesurons, et qui rétribue comme un commerçant. Mais à ce jeu, c’est Dieu qui perd, et c’est l’homme aussi qui perd, au moment où s’établissent diverses lois qui font de l’homme une sorte d’assisté, de l’homme, et de Dieu.

            Et qu’allons-nous faire, et dire ? Faire ce que nous faisons. Et dire ? Nous reprenons la lecture, par exemple, au v.2, Dieu fait sa demande « Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l'offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t'indiquerai. »

            Et là le lecteur auteur que vous êtes va bien écouter la voix divine, ou Dieu, prendre quelques instants de réflexion, peut-être même une nuit de réflexion, voire même trois jours et à la fin, il va donner à Dieu sa réponse de croyant, il va répondre non. Le non de la foi.      

            Amen


samedi 17 février 2024

Tentations (Genèse 9,8-15 ; Marc 1-15)

 Marc 1

12 Aussitôt l'Esprit pousse Jésus au désert.

 13 Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

 14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Évangile de Dieu et disait:

 15 «Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché: convertissez-vous et croyez à l'Évangile.»

 

Genèse 9

8 Dieu dit à Noé accompagné de ses fils:

 9 «Je vais établir mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous

 10 et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous: oiseaux, bestiaux, toutes les bêtes sauvages qui sont avec vous, bref tout ce qui est sorti de l'arche avec vous, même les bêtes sauvages.

 11 J'établirai mon alliance avec vous: aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du Déluge, il n'y aura plus de Déluge pour ravager la terre.»

 12 Dieu dit: «Voici le signe de l'alliance que je mets entre moi, vous et tout être vivant avec vous, pour toutes les générations futures.

 13 «J'ai mis mon arc dans la nuée pour qu'il devienne un signe d'alliance entre moi et la terre.

 14 Quand je ferai apparaître des nuages sur la terre et qu'on verra l'arc dans la nuée,

 15 je me souviendrai de mon alliance entre moi, vous et tout être vivant quel qu'il soit; les eaux ne deviendront plus jamais un Déluge qui détruirait toute chair.


Prédication : 

            Le 26 décembre 2004, un puissant séisme suivi d’un énorme tsunami ravagea toutes les côtes de l’Asie du sud, bords de l’Océan indien et jusqu’à l’Afrique de l’Est. Parlons du bilan humain, considérable, des centaines de milliers de vies perdues.

            Parlons aussi d’affaires à proprement parler miraculeuses, dont une m’a été contée par de vieux chers amis d’une paroisse d’Ardèche. Leurs enfants étaient partis pour un Noël exotique, destination océan indien, l’hôtel leur avait donné une chambre au plus près de la plage. Le 25, le jeune monsieur a commencé à se sentir mal, et il incriminait la plage, la mer, un peu tout… un peu rien. La réception de l’hôtel n’était pas prise au dépourvu par cet étrange malaise et savait donc quoi faire : une annexe de l’hôtel, sur la colline, quelque dizaines de mètres de dénivelée plus haut. Suffisamment haut pour que passe le malaise. Suffisamment pour leur sauver la vie le lendemain. Hasard ?

            Et toujours en rapport avec ce tsunami dans l’océan indien, je dois me souvenir de ceci, qui m’a été servi dans mon bureau : « Ce tsunami est la punition de Dieu contre ces peuples qui pratiquent une autre religion, et qui n’ont pas voulu recevoir Jésus comme leur sauveur. »

            Les bras vous en tombent. Il ne fait pas bon être autodidacte en théologie. Comment peut-on imaginer Dieu, méditer et mettre en œuvre  une telle horreur ? Comment peut-on imaginer qu’Il va faire périr le juste – l’unique juste – avec le méchant ? Dieu sauve Noé à cause de sa justice. Mais s’il sauve aussi la femme, les brus et les fils de Noé, ça n’est pas parce qu’ils sont justes eux aussi, mais en raison de la définition de ce que sont le nom de famille et le nom du chef de famille en ce temps-là.

            Et puis il n’y a pas vraiment de lien entre le Déluge biblique et le tsunami dont nous parlons, ni non plus entre des tempêtes et autres tourbillons. Pour désigner le Déluge biblique, il y a un mot, un seul, qui n’a que ce seul usage et qui disparaît une fois la chose accomplie. C’est un petit peu rigolo parce que ce mot se dit Maboul. Mais c’est sérieux, car il s’agit de détruire intégralement les hommes, les bêtes et leurs habitats, tout en maintenant en vie un certain reste inconnu, car il va de soi que ceux qui périssent ne savent rien de tout cela. Ce qui suggère de dire que le Déluge est à la fois l’abîme de la déréliction, et le sommet de l’espérance… tant qu’il y a un juste, tout ce qui peut finir peut aussi recommencer.

            Combien ce langage est exagéré… Combien cette mystique de la fin et du commencement du monde est en-deçà de ce que vivent ceux que les vagues ont dévorés, et ceux aussi qu’elles ont épargnés. Et si nous tenons comme promesse le « Plus jamais … » du déluge, pouvons-nous aussi tenir une consolation qui serait attachée à cette promesse ? Et toute cette connaissance du Déluge pourrait-elle faire de nous des consolateurs reconnus et efficaces ?

            Cette réflexion peut être menée, et doit être menée, mais elle doit aussi être balayée, pour qu’advienne la parole.

 

            En plus du Déluge… mais qu’a-t-il donc ressenti, Jésus, lorsqu’il a vu – lui seul – les cieux se  déchirer, et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe ? Expérience de plénitude, sans doute, et plus sans doute aussi. Mais ces expériences extraordinaires, que produisent-elles ? Comment dit-on ? Les chevilles qui enflent ? Autant de puissance chez un sujet aussi jeune, nous nous demandons ce qu’il va bien en faire. Bien sûr, nous savons, nous autres, que l’Esprit, même tout entier répandu sur chacun, se partage néanmoins entre tous, mais nous savons aussi que cette puissance est parfois comme mise en stock pour pouvoir en jouir plus tard. Tentation, cela s’appelle.

            Et justement 12 Aussitôt l'Esprit pousse Jésus au désert. 13 Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

            On nous dit chaque fois que, dans l’évangile de Marc, il n’y a pas de tentations. Étrange. Cela vient d’une faute de lecture. Les gens lisent Matthieu, ils lisent Luc, où ils trouvent deux fois trois tentations, pas dans le même ordre, mais ils ne lisent pas Marc. Alors que les tentations y sont bel et bien « tenté par Satan », d’abord puis : « Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. » Tentations, oui. Il est dans désert, et dans le désert il faut se nourrir. En intelligence avec les bêtes sauvages il bénéficie d’une certaine tranquillité, et aussi de la possibilité de prélever sur ces bêtes sauvages de quoi se nourrir. Quant aux anges, toute une vie spirituelle, et intellectuelle passe là.

            Et puis l’homme en intelligence avec les bêtes du désert et avec les esprits, est le modèle de  l’homme dans les littératures de ce temps (Enkidou ; Gilgamesh).

            La tentation donc, c’est de rester tout seul pénard dans le désert, en ne lâchant rien pour personne, en ne s’occupant de personne, et tant pis pour les autres.

 

            Et pour combien de temps ? C’est la Bible et dans la Bible c’est 40 symbolique. Au bout de 40 jours, ce qui doit être purgé est purgé. Et l’homme revient vers les hommes, dans de fraternelles dispositions. Il ne prêche pas encore, mais il revient vers les hommes. Et il ne prêchera qu’après la disparition de Jean le Baptiste, nous pouvons seulement en imaginer la raison, prudence, ou politesse, car on ne doit pas faire concurrence à ce prédécesseur, celui qui vous a baptisé.

            Quand elle vient, la première prédication de Jésus est d’une simplicité et d’une concision remarquables. Il reste le reste de toutes les méditations qui mènent à l’Évangile. Un peu comme si les propos savants, audacieux voire bêtes tenus sur les séismes avaient été érodés, passé au fil des événements, et qu’il n’en restait que deux ou trois phrases, pas plus, sur la tristesse, sur la joie, et sur la gratitude, des phrases pour les survivants, des phrases finalement un peu trop grandes pour ceux qui les prononcent, mais ils n’en ont pas d’autres.

            Trois de ces phrases sont dans l’évangile de Marc, les trois premières, les trois – ou quatre – premières de tous les évangiles – de tous les évangiles possibles : Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Et tout le reste vient après. Amen

           

 


samedi 10 février 2024

Méditations sur la volonté (Marc 1,40-45 et Lévitique 13,1-2 et 45-46)

Marc 1

40 Un lépreux s'approche de lui; il le supplie et tombe à genoux en lui disant: «Si tu le veux, tu peux me purifier.»

 41 Pris de pitié, Jésus étendit la main et le toucha. Il lui dit: «Je le veux, sois purifié.»

 42 À l'instant, la lèpre le quitta et il fut purifié.

 43 S'irritant contre lui, Jésus le renvoya aussitôt.

 44 Il lui dit: «Garde-toi de rien dire à personne, mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification ce que Moïse a prescrit: ils auront là un témoignage.»

 45 Mais une fois parti, il se mit à proclamer bien haut et à répandre la nouvelle, si bien que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais qu'il restait dehors en des endroits déserts. Et l'on venait à lui de toute part.

Lévitique13

1 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse et à Aaron:

 2 «S'il se forme sur la peau d'un homme une boursouflure, une dartre ou une tache luisante, et que cela devienne une maladie de peau du genre lèpre, on l'amène au prêtre Aaron ou à l'un des prêtres ses fils;

 45 Le lépreux ainsi malade doit avoir ses vêtements déchirés, ses cheveux défaits, sa moustache recouverte, et il doit crier: ‹Impur! Impur!›;

 46 il est impur aussi longtemps que le mal qui l'a frappé est impur; il habite à part et établit sa demeure hors du camp.

Prédication

            Les choix de lectures de ce jour nous invitent à une petite traversée du 13ème chapitre du livre de Lévitique, un chapitre consacré à diverses maladies de peau.

            Vous avez entendu les deux premiers versets, et les deux derniers versets. Le reste, vous pourrez le lire chez vous. Le tout fait 59 versets, en une sorte de grand manuel diagnostic. Des guérisons spontanées y peuvent être envisagées, des exclusions temporaires aussi, pour éviter toute propagation. Mais le soin ? Ce chapitre n’est pas d’un manuel thérapeutique. Dans l’Ancien Testament, les maladies de peau sont extrêmement redoutées et handicapantes, pas seulement chez les enfants d’Israël. Souvenez-vous : il y a un général assyrien – un étranger, un ennemi – du nom de Naaman, qui sera miraculeusement guéri par la volonté – si ce n’est la puissance – du prophète Élisée. Il courrait en Assyrie le bruit qu’un certain homme, en Israël, pouvait guérir, mais ce genre d’événement devait être excessivement rare, et on en parlait beaucoup, ce qui donne l’illusion d’une certaine abondance (c’est comme les attaques d’ours polaire au Groenland). Mais la réalité c’est un seul Naaman guéri, et pour combien de lépreux anonymes, et oubliés ?

            Oubliés, c’est peut-être une impression fausse. Les auteurs de la Bible se sont souvent intéressés à leurs sujets d’une manière passionnée. Et leur manière d’écrire s’en est ressentie : tout est extrêmement précis, tout est exagéré, et si l’on parle de maladie, c’est une grande maladie. Tant il est vrai que les grandes maladies ont besoin de grands docteurs, à moins que ça ne soit le contraire. Ce qui peut nous laisser penser que les chemins de la guérison n’étaient peut-être pas si rares que cela, qu’il s’agisse au fond de la manière prophétique – guérison d’un coup d’un seul – ou une manière plus gentiment chimique – ces époques-là devaient connaître déjà les vertus de tels minéraux, de la cendre des vache rousse (Nombres 19,2), ou d’eaux diversement minéralisées.

            Et pourquoi préciser cela ? Parce que, comme toujours dans ce type de réflexion biblique, deux populations, deux positions, vont se faire face. L’une se retranchera derrière le manuel diagnostic, en affirmant que la chose est inguérisssable, et en ne risquant aucun soin, alors que l’autre population prendra le risque de l’approche, du contact et du soin, au risque d’échouer, au risque aussi de la contagion (pardonnez-moi de me ressouvenir ici du romancier Frank Gill SLAUGHTER, 1908-2001, auteur à succès de romans médicaux, dans lesquels la volonté se manifeste bien comme nous l’avons esquissé maintenant).

 

            Et tout ça avec ce verbe vouloir qui est répété deux fois en deux versets : « Un lépreux s’approche de lui ; il le supplie et tombe à genoux en lui disant : "Si tu le veux, tu peux me purifier." Pris de pitié, Jésus étendit la main et le toucha. Il lui dit : "Je le veux, sois purifié".

            Le verbe purifier est répété aussi, mais il est facile à cerner. Purifier peut avoir un sens rituel, et d’ailleurs Jésus va envoyer l’homme vers les prêtres pour accomplir sa purification – rituelle. Il va aussi employer le verbe purifier dans le sens de guérir. Quelques jeux de mots sont donc possibles : Jésus donc purifie cet homme mais ne le purifie pas. C’est un jeu de mots qui suggère que la purification – guérison – importe pour Jésus d’avantage que la purification rituelle : Jésus s’engage dans l’impossible. Ce qui pour nous va assez de soi, car nous sommes lecteurs de l’Evangile et parce que nous savons aussi abondamment guérir.

            Mais en d’autres temps, ou en d’autres circonstances, ou lorsque la maladie résiste ? Et lorsque l’urgence est somatique, d’avantage que rituelle, qui donc va engager sa volonté dans un combat risqué. Qui donc va s’y coller ? Jésus. Il le veut. Sa volonté y est tout entière. Mais qu’est-ce que vouloir ? C’est imaginer quelque chose qui n’est pas, imaginer le faire advenir, et se le donner comme but. Jésus veut et ce qu’il veut il le fait advenir : l’homme est guéri. La volonté de Jésus est puissante. C’est la volonté du Christ Fils de Dieu. Nous rendons gloire et grâce à Dieu.

            Ce que Jésus veut aussi, c’est que l’homme guéri accomplisse la partie rituelle de la purification, afin qu’une publicité réglée soit faite sur cette guérison, et sans doute pour qu’il ne soit pas, lui, Jésus, vu comme un concurrent, et que sa volonté ne soit pas vue comme une puissance sauvage. A ce moment du premier évangile, nous devons envisager Jésus comme un homme exceptionnel, très puissant dans ses paroles et dans ses gestes, et capable de s’engager tout entier dans l’impossible, comme un homme. Mais cet homme est quelque part impuissant. L’ordre qu’il donne sur la purification du lépreux guéri n’est suivi d’aucun effet. Au contraire même, la publicité sauvage qui s’ensuit aboutit à une bousculade permanente. Et si la volonté de Jésus s’était puissamment exercée dans un petit théâtre de l’intimité, elle devra certainement prendre une autre allure, un autre chemin, pour rencontrer les humains en foule. Ce chemin sera le discours, même si, de temps à autre, un événement individuel aura encore lieu. Mais pour le plus grand nombre  c’est l’anonymat qui sera, de fait, la règle. Une certaine forme de la volonté dont nous avons déjà bien parlé s’efface, impuissante. Une autre forme émerge. Christ en face à face, d’homme à homme, si cher aux Protestants réformés, disparaît petit à petit du paysage de l’Évangile, au profit du Christ de la communauté et dans la communauté, forme catholique, on peut le voir ainsi.

            Et au profit aussi, cela viendra plus tard, de la figure totalement solitaire du Christ de la Passion, du Christ en croix et du Christ au Tombeau. Et la fin si particulière de l’évangile de Marc, faite de silence et d’effroi, vient interroger le lecteur, l’auditeur, d’une manière assez absolument radicale. Lecteur, auditeur, quelle est ta volonté, que vas-tu dire, que vas-tu faire ? Et tout se passe alors comme si toute prédication était une prédication de Pâques à la manière de Marc, suspendue entre la vie et la mort.

 

            Mais maintenant se pose encore une question : cette volonté du Christ Fils de Dieu qui semble bien s’exprimer dans le texte aux temps anciens s’exerce-t-elle encore aujourd’hui ? Sa Bonne Nouvelle existe-t-elle toujours ? Guérit-on des maladies de peau ou d’autres maladies juste en valorisant la volonté de celui qui souffre ? Savons-nous faire cela ?

            Il n’est pas question que du texte d’espérance que nous lisons émerge un flot de culpabilité. Notre volonté doit et peut s’exprimer juste pour ce qu’elle est. Et le fruit de notre parole ne  nous appartient pas.

            Se souvenir de cela c’est se souvenir de l’Évangile. Orientons notre volonté vers cet Évangile en actes, au service de notre prochain. Amen

Si vous voulez lire tout Lévitique 13, c'est ici :

Lévitique13

1 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse et à Aaron:

 2 «S'il se forme sur la peau d'un homme une boursouflure, une dartre ou une tache luisante, et que cela devienne une maladie de peau du genre lèpre, on l'amène au prêtre Aaron ou à l'un des prêtres ses fils;

 3 le prêtre procède à l'examen du mal de la peau. Si dans la partie malade le poil a viré au blanc, et que cela paraisse former une dépression dans la peau, c'est une maladie du genre lèpre; après l'examen, le prêtre le déclare impur.

 4 S'il s'agit d'une tache luisante blanche sur la peau, qu'elle ne paraisse pas former une dépression dans la peau, et que le poil n'y ait pas viré au blanc, le prêtre met le malade à l'isolement pour sept jours;

 5 le septième jour, le prêtre procède à l'examen: si le mal est visiblement resté stationnaire, sans prendre d'extension sur la peau, le prêtre le met à l'isolement pour une seconde période de sept jours;

 6 le septième jour, le prêtre procède à un second examen: si la partie malade s'est ternie et que le mal n'a pas pris d'extension sur la peau, le prêtre le déclare pur: c'est une dartre; le sujet lave ses vêtements, puis il est pur;

 7 mais si la dartre prend de l'extension sur la peau après l'examen par le prêtre en vue d'une déclaration de pureté, le sujet fait procéder à un nouvel examen par le prêtre.

 8 Le prêtre procède à l'examen: puisque la dartre a pris de l'extension sur la peau, le prêtre le déclare impur: c'est la lèpre.

 9 Si un homme est atteint d'une maladie du genre lèpre, on l'amène au prêtre;

 10 le prêtre procède à un examen: s'il y a une boursouflure blanche sur la peau, qu'elle ait fait virer le poil au blanc et que de la chair à vif y apparaisse,

 11 c'est une lèpre invétérée dans sa peau; le prêtre le déclare impur; il ne prend pas la peine de le mettre à l'isolement, car il est manifestement impur.

 12 Mais si cette lèpre se met à bourgeonner sur la peau, au point de recouvrir toute la peau du malade, de la tête aux pieds, d'après ce que peut en voir le prêtre,

 13 ce dernier procède à un examen: puisque la lèpre recouvre tout son corps, il déclare pur le malade; tout ayant viré au blanc, il est pur.

 14 Mais du jour où on voit sur lui de la chair à vif, il devient impur;

 15 le prêtre procède à l'examen de la chair à vif et le déclare impur: la chair à vif est impure, c'est de la lèpre;

 16 ou bien alors si la chair à vif a de nouveau viré au blanc, le sujet va trouver le prêtre;

 17 le prêtre procède à l'examen: puisque la partie malade a viré au blanc, le prêtre déclare pure cette maladie: le sujet est pur.

 18 S'il y a eu sur la peau de quelqu'un un furoncle qui a guéri,

 19 mais qu'à l'endroit du furoncle se forme une boursouflure blanche, ou une tache luisante d'un blanc rougeâtre, le sujet fait procéder à un examen par le prêtre;

 20 le prêtre procède à l'examen: si la tache paraît faire un creux dans la peau et que le poil y ait viré au blanc, le prêtre le déclare impur: c'est une maladie du genre lèpre, qui est en train de bourgeonner dans le furoncle;

 21 si par contre, lorsque le prêtre procède à l'examen, il ne s'y trouve aucun poil blanc, qu'elle ne fasse pas un creux dans la peau et qu'elle soit terne, le prêtre met le sujet à l'isolement pour sept jours;

 22 si elle a réellement pris de l'extension sur la peau, le prêtre le déclare impur: c'est une maladie;

 23 mais si la tache luisante est restée stationnaire, sans prendre d'extension, c'est la cicatrice du furoncle; le prêtre le déclare pur.

 24 Autre cas: Si quelqu'un est atteint d'une brûlure de la peau, causée par le feu, et qu'apparaisse dans la brûlure une tache luisante d'un blanc rougeâtre ou blanche,

 25 le prêtre procède à l'examen: si le poil a viré au blanc dans la tache luisante et que celle-ci paraisse former une dépression dans la peau, c'est de la lèpre qui est en train de bourgeonner dans la brûlure; le prêtre le déclare impur: c'est une maladie du genre lèpre;

 26 si par contre, lorsque le prêtre procède à l'examen, il n'y a pas de poil blanc dans la tache, que celle-ci ne fasse pas un creux dans la peau et qu'elle soit terne, le prêtre met le sujet à l'isolement pour sept jours;

 27 le septième jour, le prêtre procède à l'examen: si elle a réellement pris de l'extension dans la peau, le prêtre le déclare impur: c'est une maladie du genre lèpre;

 28 mais si la tache luisante est restée stationnaire, sans prendre d'extension sur la peau, si elle est terne, c'est une boursouflure due à la brûlure; le prêtre le déclare pur: c'est la cicatrice de la brûlure.

 29 Si un homme ou une femme est atteint de quelque mal sur la tête ou au menton,

 30 le prêtre procède à l'examen du mal: s'il paraît former une dépression dans la peau et qu'il s'y trouve du poil roussâtre et clairsemé, le prêtre le déclare impur: c'est la teigne, c'est-à-dire la lèpre de la tête ou du menton;

 31 si par contre, lorsque le prêtre procède à l'examen de ce mal de teigne, il ne paraît pas former une dépression dans la peau, bien qu'il ne s'y trouve pas de poil noir, le prêtre met pour sept jours le malade atteint de teigne à l'isolement;

 32 le septième jour, le prêtre procède à l'examen du mal: si la teigne n'a pas pris d'extension et qu'il ne s'y trouve pas de poil roussâtre, si la teigne ne paraît pas former une dépression dans la peau,

 33 le sujet se rase, mais sans raser l'endroit teigneux; puis le prêtre met pour une seconde période de sept jours le teigneux à l'isolement;

 34 le septième jour, le prêtre procède à l'examen de la teigne: si la teigne n'a pas pris d'extension sur la peau et qu'elle ne paraisse pas former une dépression dans la peau, le prêtre le déclare pur; après qu'il a lavé ses vêtements, il est pur;

 35 mais si la teigne prend de l'extension sur la peau après la déclaration de pureté,

 36 le prêtre procède à l'examen: puisque la teigne a pris de l'extension sur la peau, le prêtre ne recherche même pas s'il y a du poil roussâtre; il est impur;

 37 mais si la teigne est visiblement restée stationnaire et que du poil noir y a poussé, c'est que la teigne est guérie et qu'il est pur; aussi le prêtre le déclare-t-il pur.

 38 S'il se forme sur la peau d'un homme ou d'une femme des taches luisantes, blanches,

 39 le prêtre procède à un examen: si ces taches sur leur peau sont d'un blanc terne, c'est un vitiligo qui a bourgeonné sur la peau; le sujet est pur.

 40 Si un homme perd ses cheveux, il a la tête chauve; il est pur;

 41 s'il perd ses cheveux sur le devant, il a le front dégarni; il est pur;

 42 mais s'il se forme dans sa calvitie, au sommet de la tête ou sur le front, un mal d'un blanc rougeâtre, c'est une lèpre qui est en train de bourgeonner, au sommet de la tête ou sur le front;

 43 le prêtre procède à l'examen: si la boursouflure dans la partie malade est d'un blanc rougeâtre, au sommet de la tête ou sur le front, et qu'elle paraisse semblable à une lèpre de la peau,

 44 c'est un lépreux, il est impur; le prêtre le déclare impur; le mal l'a frappé à la tête.

 45 Le lépreux ainsi malade doit avoir ses vêtements déchirés, ses cheveux défaits, sa moustache recouverte, et il doit crier: ‹Impur! Impur!›;

 46 il est impur aussi longtemps que le mal qui l'a frappé est impur; il habite à part et établit sa demeure hors du camp.

 47 «Si un vêtement est taché de lèpre, vêtement de laine ou vêtement de lin,

 48 tissu ou tricot de lin ou de laine, cuir ou tout objet confectionné en cuir,

 49 si la tache devient verdâtre ou rougeâtre sur le vêtement ou le cuir, sur le tissu ou le tricot, ou sur tout objet de cuir, c'est une tache de lèpre: on fait procéder à un examen par le prêtre;

 50 le prêtre procède à l'examen de la tache, puis met l'objet taché pour sept jours sous séquestre;

 51 le septième jour, il procède à l'examen de la tache: si la tache a pris de l'extension sur le vêtement, sur le tissu ou le tricot, ou sur le cuir - quel que soit l'objet en cuir - c'est une tache de lèpre maligne; l'objet est impur;

 52 on brûle le vêtement, le tissu ou le tricot de laine ou de lin, ou tout objet de cuir qui a cette tache; puisque c'est une lèpre maligne, l'objet doit être brûlé;

 53 si par contre, lorsque le prêtre procède à l'examen, la tache n'a pas pris d'extension, sur le vêtement, sur le tissu ou le tricot, ou sur tout objet de cuir,

 54 le prêtre ordonne de laver l'objet taché, puis le met pour une seconde période de sept jours sous séquestre;

 55 le prêtre procède à un examen, après lavage de la tache: si la tache n'a pas changé d'aspect, même si elle n'a pas pris d'extension, l'objet est impur; tu le brûles; c'est un vêtement rongé, à l'envers ou à l'endroit;

 56 si par contre, lorsque le prêtre procède à l'examen, la tache s'est ternie après lavage, il l'arrache du vêtement ou du cuir, du tissu ou du tricot;

 57 mais si quelque chose réapparaît sur le vêtement, sur le tissu ou sur le tricot, ou sur tout objet de cuir, c'est une lèpre en train de bourgeonner: tu brûles l'objet taché.

 58 Le vêtement, le tissu ou le tricot, ou tout objet de cuir, que tu laves et d'où disparaît la tache, se lave une seconde fois et devient pur.»

 59 Telles sont, concernant la tache de lèpre sur un vêtement de laine ou de lin, sur un tissu ou un tricot, ou sur tout objet de cuir, telles sont les instructions qui permettent de le déclarer pur ou impur.