samedi 28 janvier 2023

Un longue méditation réparatrice sur les Béatitudes (Matthieu 5,1-12)

Matthieu 5

1 À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent de lui.

 2 Et, prenant la parole, il les enseignait:

 3 «Heureux les pauvres de cœur: le Royaume des cieux est à eux.

 4 Heureux les doux: ils auront la terre en partage.

 5 Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés.

 6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassasiés.

 7 Heureux les miséricordieux: il leur sera fait miséricorde.

 8 Heureux les cœurs purs: ils verront Dieu.

 9 Heureux ceux qui font œuvre de paix: ils seront appelés fils de Dieu.

 10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le Royaume des cieux est à eux.

 11 Heureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.

 12 Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux; c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

1 Corinthiens 1

26 Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l'appel de Dieu: il n'y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille.

 27 Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre les sages; ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort;

 28 ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n'est pas, Dieu l'a choisi pour réduire à rien ce qui est,

 29 afin qu'aucune créature ne puisse s'enorgueillir devant Dieu.

 30 C'est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus, qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance,

 31 afin, comme dit l'Écriture, que celui qui s'enorgueillit, s'enorgueillisse dans le Seigneur.

 Sophonie 2,3 + 3,12-13

3 Recherchez le SEIGNEUR, vous tous les humbles de la terre, qui mettez en pratique le droit qu'il a établi; recherchez la justice, recherchez l'humilité, peut-être serez-vous à l'abri au jour de la colère du SEIGNEUR.

 12 Je maintiendrai au milieu de toi un reste de gens humbles et pauvres; ils chercheront refuge dans le nom du SEIGNEUR.

 13 Le reste d'Israël ne commettra plus d'iniquité; ils ne diront plus de mensonges, on ne surprendra plus dans leur bouche de langage trompeur; mais ils pourront paître et se reposeront sans personne pour les faire trembler.

Prédication : 

         Des pauvres de cœur, des doux, ceux qui pleurent, avec les Béatitudes. Des gens qui ne sont ni sages ni puissants, des faibles, avec Paul. Des humbles et des pauvres, avec le prophète Sophonie.

            Cela me fait penser à un épisode de ma vie maintenant vieux de bientôt 50 ans. Il y avait une communauté dont les effectifs avaient enflé jusqu’à deux ou trois centaines de personnes. Communauté ouverte en ses débuts, accueillant pour l’enseigner des prédicateurs de belle stature, qui dispensaient pour la dresser une parole de valeur, une parole nourrissante. Mais, cette communauté, plus elle avait grandi, plus elle s’était renfermée. Finis les apports extérieurs. Il n’y avait plus qu’une seule parole qui était entendue, la parole d’un seul homme. Et que disait cette parole ? Et qui était cet homme ? Cet homme était un autodidacte de la foi. Il était aussi un dirigeant autoproclamé, et autocrate. Sa parole n’avait à peu près qu’un seul thème, les petits, les pauvres de cœur, les ni sages ni puissants, les faibles, évidemment proclamés bienheureux, stature glorieuse à laquelle chacun des membres de la communauté devait atteindre, chacun, c'est-à-dire tous, sauf un, vous devinez lequel. Tous sauf lui. Cette histoire de foi chrétienne, qui commença avec grâce et bénédiction, devint en assez peu de temps une affaire de domination, puis de révolte, puis de déchirement…

            Certains se sont demandés : « Combien de fois nous a-t-il fait le coup des Béatitudes ? Et ça a marché ! » Et plusieurs de ceux qui ont vécu cette aventure se demandent : « Faut-il brûler les Béatitudes, et tant qu’on y est, brûler aussi les Corinthiens, plus Sophonie ? »

            Brûler, c’est un peu fort. Quelqu’un m’a dit que le livre qui a été le plus brûlé dans toute l’histoire des livres, c’est L’institution de la religion chrétienne, de Calvin. C’est étonnant. Mais les incendies n’ont pas réussi à venir à bout des œuvres de Calvin. Car il suffit d’un seul exemplaire quelque part pour que tout recommence. Et si cet exemplaire n’existe plus, une mémoire solide saura suppléer. Il n’est pas possible de brûler les Béatitudes. Par contre, ce qui est possible, lorsqu’il nous est proposé de lire ce texte, c’est passer outre.

            Mais peut-être passerons-nous outre pendant quelques temps, avant d’y revenir. Et il sera possible d’y revenir de trois manières différentes. Car les Béatitudes peuvent être reçues de trois manières : pédagogique, critique, et liturgiques

  1. Les Béatitudes ont une fonction pédagogique.

            Elles nous apprennent quelque chose sur l’humanité. Il n’est pas nécessaire de considérer d’emblée qu’elles sont impératives. Ainsi chacune des proclamations est là pour suggérer, pour enseigner une ou plusieurs choses. Parmi ce qui revient le plus, c’est le décalage entre le contenu de la proclamation Bienheureux et ce qui est promis. C’est plus ou moins direct, et cohérent. A cette pédagogie d’ailleurs nous pourrions donner le nom de pédagogie du juste et de l’injuste. Bien sûr la pédagogie de l’injuste est celle qui heurte. Mais à bien y regarder, on pourrait aussi l’appeler pédagogie du bonheur, un bonheur au présent, un bonheur peut-être complexe dans une vie peut-être éprouvée. Mais c’est ainsi que la vie réserve parfois de grandes catastrophes, et qu’alors les Béatitudes invitent à une grande réflexion personnelle. A un grand Pourquoi ? Et alors les Béatitudes, loin d’être des réponses auxquelles il faudrait acquiescer, sont plutôt les amorces de ces grands parcours, les jalons dans des grands territoires au fil desquels s’élaborera une nouvelle manière d’exister. Les Béatitudes ainsi, ont une fonction pédagogique.

  1. Les Béatitudes ont une fonction critique

            Quelqu’un vous propose de vous soumettre parce qu’il est écrit Heureux les doux. Quelqu’un vous propose Heureux les miséricordieux, tout en ayant quelque chose à se faire pardonner par vous. Chacune des Béatitudes peut ainsi être non pas proposée, mais opposée. Chacune peut être retournée contre vous comme un devoir impératif. Cela arrive, nous l’avons vu. Indépendamment de ce genre d’évènement, il se peut que la lecture que vous faites des Saintes Écritures vous amène vers les Béatitudes de Matthieu 5, ou vers d’autres Béatitudes (92 LXX ; 25 GNT). Et comment allez-vous réagir ? Nous nous intéressons à la forme brutale de la réponse : le OUI, et le NON. Par critique nous entendons ici quelque chose qui atteint et dépasse l’instant d’une réponse instantanée, peut-être même brutale. Une réponse qui coupe court à toute argumentation. Et qui, tout en même temps, peut ouvrir la porte a des engagements importants, voire sans réserve ni mesure, dans le sens du OUI comme dans le sens du NON. Bien sûr, ils nécessaire de pouvoir, parfois, réagir de cette manière, ce peut être une question de survie spirituelle, mais la contre partie de cette sorte de réaction c’est l’absence d’élaboration des réponses, et l’absence aussi de fraternisation. Les Béatitudes ont une fonction critique.

  1. Les Béatitudes ont une fonction liturgique

            Car nous ne pouvons pas en rester à ces deux fonctions, l’une pédagogique, et l’autre critique. Car le texte est là qui propose une tout autre lecture, une lecture liturgique, avec ou sans musique, mais surtout ensemble, et en lisant l’ensemble du texte, sans trier telle ou telle phrase parce que vraiment ça ne passe pas. La liturgie donc prend tout et le partage équitablement entre tous. Ce que ça change ? La liturgie me donne à entendre par la voix de mes sœurs et frères ce que sans eux je n’entendrais pas. Et elle me fait dire ce que, sans elle, je ne dirais pas. Ce que ça change ? Le sens d’un texte d’où vient-il ? Il vient de ce qui peut être compris. Mais si la situation est particulièrement tendue, ou critique, d’où ce sens viendra-t-il ? Disons d’abord que nul n’est obligé de se faire obligation de comprendre ce genre de texte que notre tradition nous propose de lire. Il est permis de laisser de côté. Mais si l’on décide de persister, la liturgie propose une lecture particulière, globale, simultanée… un peu comme est la vie, étrange, globale et simultanée. Et peut-être que, parfois, le texte s’éclaire, presque comme de lui-même. Et le lecteur en est tout bouleversé.

            Et maintenant ?

            Maintenant, en nous souvenant de l’histoire communautaire dont nous avons déjà parlé, demandons-nous qui était qui, qui était celui qui monopolisait la parole, et quelle était sa position par rapport aux autres ? C’est simple : une position de dominateur. Alors que nous aurions pu espérer – si ne n’était exiger – que tous soient égaux, et alors les Béatitudes auraient pu être la règle de vie d’une communauté fraternelle. Mais cela n’advint pas…

            Dans le cinquième chapitre de l’évangile de Matthieu, celui qui prononce les Béatitudes, qui est-il, tout en haut de sa montagne ? Il n’est supérieur qu’en apparence, il n’est même pas égal. Le récit de son ministère public nous apprendra qu’il est le serviteur de ses semblables, et qu’en accomplissant les Écritures, il est serviteur du sens. C’est par lui que les Béatitudes sont prononcées, et c’est par lui aussi qu’elles deviennent compréhensibles, une compréhension qui mène à la vraie vie. Amen

samedi 21 janvier 2023

Quelques réflexions sur l'unité (Matthieu 4,12-23 ; 1 Corinthiens 1,10-13+17 ; Esaïe 8,23-9,3)

 Matthieu 4  

12 Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée.

 13 Puis, abandonnant Nazara, il vint habiter à Capharnaüm, au bord de la mer, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali,

 14 pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le prophète Esaïe:

 15 Terre de Zabulon, terre de Nephtali, route de la mer, pays au-delà du Jourdain, Galilée des Nations!

 16 Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière; pour ceux qui se trouvaient dans le sombre pays de la mort, une lumière s'est levée.

 17 À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer: «Convertissez-vous: le Règne des cieux s'est approché.»

 18 Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon appelé Pierre et André, son frère, en train de jeter le filet dans la mer: c'étaient des pêcheurs.

 19 Il leur dit: «Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d'hommes.»

 20 Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent.

 21 Avançant encore, il vit deux autres frères: Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d'arranger leurs filets. Il les appela.

 22 Laissant aussitôt leur barque et leur père, ils le suivirent.

 23 Puis, parcourant toute la Galilée, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Règne et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple.

 1 Corinthiens 1,10-13 + 17

10 Mais je vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ: soyez tous d'accord, et qu'il n'y ait pas de divisions parmi vous; soyez bien unis dans un même esprit et dans une même pensée.

 11 En effet, mes frères, les gens de Chloé m'ont appris qu'il y a des discordes parmi vous.

 12 Je m'explique; chacun de vous parle ainsi: «Moi j'appartiens à Paul. - Moi à Apollos. - Moi à Céphas. - Moi à Christ.»

 13 Le Christ est-il divisé? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés?

 14 Dieu merci, je n'ai baptisé aucun de vous, excepté Crispus et Gaïus; 15 ainsi nul ne peut dire que vous avez été baptisés en mon nom. 16 Ah si! J'ai encore baptisé la famille de Stéphanas. Pour le reste, je n'ai baptisé personne d'autre, que je sache.

 17 Car Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais annoncer l'Évangile, et sans recourir à la sagesse du discours, pour ne pas réduire à néant la croix du Christ.

 Esaïe 8,23-9,3

23 Mais ce n'est plus l'obscurité pour le pays qui était dans l'angoisse. Dans un premier temps le Seigneur a couvert d'opprobre le pays de Zabulon et le pays de Nephtali, mais ensuite il a couvert de gloire la route de la mer, l'au-delà du Jourdain et le district des nations.

9,1 Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre, une lumière a resplendi.

 2 Tu as fait abonder leur allégresse, tu as fait grandir leur joie. Ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson, comme on jubile au partage du butin.

 3 Car le joug qui pesait sur lui, le bâton à son épaule, le gourdin de son chef de corvée, tu les as brisés comme au jour de Madiân.

Prédication

            Une certaine profusion de noms de lieux, c’est ce qui nous est proposé pour commencer cette méditation. Les textes que nous venons de lire nous invitent à voyager depuis tout le nord et l’est de la Palestine jusqu’à Madiân, c'est-à-dire jusqu’au sud est du Sinaï. Autant d’allusions à autant de dialectes et cultures, autant aussi d’histoires anciennes et très anciennes, autant de révélations, autant d’alliances et de querelles entre peuples et à l’intérieur de certains peuples.

            Attardons-nous un peu sur Madiân. Lorsque, dans le livre des Juges, il est question de Madiân, on en fait un peuple qui vit en bordure du désert à l’est de la Judée et qui vient régulièrement pour razzier les récoltes, le bétail, et sans doute aussi les personnes. Madiân est un ennemi. Mais lorsqu’il en est question au livre de l’Exode, c’est un peuple accueillant. Il accueille l’étranger Moïse. C’est aussi un peuple aussi qui rend un culte à ce Dieu dont on ne prononce pas le nom. Madiân est un endroit où Iahvé reçoit un culte, où il dispose d’un clergé, et où il s’adresse aux humains. Ça n’a l’air de rien, mais il existe un consensus d’expert sur l’origine madiânite de Iahvé. C’est à la faveur d’un schisme et d’un exil d’une partie de ce peuple que ce Dieu aura été introduit dans le nord palestinien.

            Mais un schisme dans un petit peuple, cela ne faisait probablement pas un grand nombre de personnes. Nous le savons bien tous, il n’est pas besoin d’être nombreux pour qu’un groupe se déchire (il y a des blagues là-dessus s’agissant des protestants ; je ne sais pas s’il y a des équivalents en catholicisme romain).

            Le point de départ de notre méditation est ainsi la dimension minimale imaginaire d’un groupe en dessous de laquelle ce groupe est nécessairement uni dans l’adoration du même Dieu.

            Ça n’est qu’un point de départ. Bougeons !

 

            Bougeons, en revenant à nos textes. Textes qui mentionnent quantité de lieux, et donc aussi quantité d’histoires, huit siècles, avec des invasions, avec des exils, avec parfois des retours d’exil, avec des populations qui arrivent, avec d’autres populations qui disparaissent à jamais… immanquablement des métissages, métissages des personnes, métissages des idées. Et dans toutes ces affaires, il y en a une qui reste, c’est Dieu. Ce Dieu qui, au commencement, était le dieu d’une poignée de Madianites en déroute pourrait-il devenir le dieu des populations bigarrées qui peuplent cette partie du monde qu’on appelle Palestine ? Autre question : ce Dieu pourrait-il être le grand inventeur de l’histoire de ces peuples et de ces lieux ? Le prophète Esaïe pose bien ces questions et donne bien des réponses, positives. Dieu est Dieu de l’histoire et Dieu des peuples. Ces réponses ont l’air d’aller de soi : Matthieu, dans son évangile, épouse le discours universalisant du prophète Esaïe, Mais Matthieu fait un grand pas de plus que Esaïe en imaginant ce que peut être une prédication adressée d’un coup à une universalité de gens, une prédication compacte, et qui ne devrait rien à tel ou tel savoir, ni à telle démonstration : « Convertissez-vous, le Règne des cieux s’est approché. »

            Bien sûr, nous ne devons pas oublier que cette prédication est prononcée dans tel contexte, mais nous pouvons repérer que pour résumer tout son message, Jésus – Matthieu – a utilisé  un impératif éthique (Convertissez-vous !), et un énoncé de sa foi (Le royaume des cieux s’est approché). Chacun peut faire l’exercice pour lui-même.

            Et tout cela apparait au début du récit de Matthieu. Nous savons bien que ce récit va foisonner, diverger, passer par la croix, la tombe et la résurrection. Et que le lecteur sera toujours invité à faire siens tout les enseignements du maître et du récit.

            Mais il sera – il est toujours – invité à retenir cette prédication des commencements – nous disons même que sans elle il n’est pas de commencement possible : « Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché ! » Et s’il fallait être bien certain de l’importance et du merveilleux de la chose, nous dirions que le Règne des cieux est si proche en Jésus qu’il ne peut l’être d’avantage.

            Ainsi, à cette étape du parcours de Jésus, nous avons une prédication unique, dont nous pouvons imaginer qu’elle est assez unanimement reçue. Car il s’adresse à des groupes de membres de synagogues, et il n’a pas non plus encore bien du monde autour de lui, à peine quelques disciples. Le temps n’est pas venu de grandes réactions discordantes à sa prédication, C’est plus tard que ces choses vont arriver. Et c’est une autre fois que, Bible en main lisant Matthieu, nous pourrons tenter d’évaluer les réactions des uns ou des autres à la prédication de Jésus, adhésion ou rejet, union ou dislocation…

 

            Mais pour aujourd’hui, il nous est proposé de faire un détour par Corinthe. Unité de peuple et de prédication ? Charité fraternelle ? Tout ce que nous avons exploré et souhaité aura-t-il fonctionné ? Sous nos yeux, à l’instant, quelques versets de Paul aux Corinthiens. Nous ne sommes plus en Palestine, l’Évangile est donné aux Païens. Et cela change-t-il quelque chose à notre méditation ?

            A Corinthe, chacun de déclarer qu’il appartient à Paul, ou à Apollos, ou à Céphas, ou à Christ. Avec le verbe appartenir, dans ce contexte, même le nom Christ est une grossièreté. Car ces modes d’appartenance mis en avant relèvent de la prétention sur autrui, de la domination qu’on entend exercer. D’où la colère de Paul. Et vous le savez bien, l’hymne à l’amour est aussi dans la première épître aux Corinthiens.

            Aucune Eglise n’avait été bénie, ointe d’esprit, plus que l’Eglise de Corinthe, était-ce pour se faire ainsi la guerre ? En plus de la colère de Paul, nous pouvons imaginer la tristesse de Paul, et imaginer aussi ce qu’il lui a fallu s’arracher pour écrire l’hymne à l’amour…

            Ici, nous le voyons un peu comme nous avons vu Matthieu, Paul propose un résumé super compact de sa prédication. Une question, et un impératif. Le Christ est-il divisé ? C’est la question. Ne pas réduire à néant la croix du Christ ! C’est l’impératif.

 

            Et maintenant ? Nous pouvons nous souvenir de l’histoire de l’Eglise, c'est-à-dire de l’histoire des Églises, de leur diversité dès l’origine, de leur capacité à se multiplier, à se diviser, et à porter les unes sur les autre des jugements bien peu fraternels.

            Nous pouvons aussi nous souvenir d’une conférence missionnaire mondiale qui eut lieu en 1910 à Édimbourg, à partir de laquelle fut fondé le Conseil œcuménique des Églises, à partir de laquelle aussi commença la rencontre entre les Églises, rencontre qui prit la forme que nous lui avons connue depuis : se retrouver fraternellement et partager les pensées et les théologies respectives.

            Pouvons-nous aujourd’hui proposer deux phrases, une affirmation et une question, pour proposer à la fin un paysage peut-être concret de l’unité ?

            Voici l’affirmation : Christ est un, il est tout à tous, tout entier en chacun, et n’appartient à personne (c’est plus qu’une affirmation). Et voici la question : « Que fais-tu de ton frère ? »

            Chacune, chacun peut méditer ces phrases, elles sont comme des balises sur un chemin d’unité. Amen  



dimanche 15 janvier 2023

Sur le baptême (Jean 1, 29-34)

 Ce blog accueille, dimanche après dimanche, autant qu'on le puisse mettre à jour, les prédications prononcées à Vincennes, Temple de l'EPUdF, 15 rue de la Fraternité. Le plus souvent, le prédicateur est le pasteur habituel. Mais, parfois, quelqu'un est invité.



Jean 1,29-34 En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ;c’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. » Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint. ’Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »

 

 

Chers Amis, chers Frères et Sœurs,

 

Sûrement connaissez-vous ces paroles dites par un homme célèbre du début de notre ère. Plus qu’un roi, il avait été élevé au rang de dieu. Son nom portait pour initiales J.C.J.C. avait déclaré : veni vedi vici. Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu, avait dit Jules César, quelques années avant l’épisode que nous relate aujourd’hui l’Évangile.

Probablement sans intention particulière, l’Évangile donne aujourd’hui un écho singulier aux paroles de César en les déplaçant selon une tout autre visée. César parlait de lui-même. Jean le Baptiste en annonce un autre : Jésus, l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde.

Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu, avait dit César.

Je suis venu baptiser dans l’eau, j’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe, dit Jean Baptiste. Il ajoute : Je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. Jean ne dit pas, comme César : j’ai vaincu, sauf à considérer qu’en rendant témoignage, il emporte lui aussi une victoire, mais qui n’a rien de militaire. En effet,  rendre témoignage, cela se dit en grec : connaître le martyre, emporter la couronne, la victoire du martyre. Martyr, j’ai vaincu.

Ainsi Jean a-t-il commencé par venir et baptiser dans l’eau les foules de Jérusalem et de Judée. C’était un baptême de purification. On confessait ses fautes, et on s’en trouvait lavé et purifié. Aucun doute, Jean était convaincu des bienfaits du baptême qu’il administrait à ses semblables. Il en savait aussi la faiblesse. Il déclarait : Un homme vient derrière moi qui est passé devant moi, car avant moi il était, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Non pas tel ou tel péché que l’un ou l’autre a commis, de façon plus ou moins délibérée. Non pas les péchés, la compilation de tous les péchés du monde, mais bien le péché comme tel ; le mal pris à la racine, le mal qui s’oppose au plan de Dieu.

Frères et Sœurs, laissons-nous investir par cette Parole inouïe de l’Évangile : un Agneau, fragile et sans défense, sans croc pour mordre, ni griffe pour menacer, sans tanière pour s’abriter ; blanc en signe de pureté, de douceur et de faiblesse. Voilà que cet être de douceur et de fragilité délivre notre monde de tout ce qu’il sécrète de violence, de tyrannie, d’absolument détestable : le péché du monde. Pensons aux violences que des hommes infligent à d’autres, les monstruosités de la guerre, les enfants abusés ou abandonnés, les femmes humiliées, les malades accablés, les esclavages, les addictions les plus recuites, en un mot : LE péché. Ces abominations, un Agneau innocent est venu et vient encore pour les enlever et nous en délivrer.

Il s’agit bien plus que du blanchissage par Jean Baptiste de quelques fautes dans l’eau boueuse du Jourdain. Vient désormais l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde en sa racine.

Désormais la faiblesse de l’Agneau a vaincu l’ignominie du mal.

Hors des habitants de Palestine, Jésus était inconnu à son époque, un homme sans moyen, n’ayant rien écrit, ne s’étant jamais déplacé au-delà de deux cents de kilomètres de son village, pendant trois courtes années de vie publique. A la même époque, César gouvernait le plus puissant des empires et régnait sur trois continents.

 

Deux mille ans après, l’Empire a disparu. Les Paroles de Jésus demeurent.

Plus encore, elles continuent à retourner les cœurs.

Elles poursuivent la transformation du monde.

L’Agneau de Dieu enlève le péché du monde. L’Esprit de Dieu descend sur l’Agneau comme une colombe, toute blanche, douce et fragile elle aussi.

Jean a rendu témoignage à Jésus, Fils de Dieu. Après lui, jusqu’à nos jours, le peuple des croyants poursuit le témoignage :

C’est lui le Fils de Dieu, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.

 

Frères et Sœurs, nous qui, deux mille ans après la venue de l’Agneau, vivons encore aujourd’hui de la Parole dite par le Seigneur, ne nous trompons pas d’attelage. Ne cédons pas aux vaines gloires.

Ne nous aliénons pas aux logiques de l’avoir, du savoir et du pouvoir.

Ne nous enchaînons pas aux engrenages de violence.

Comme Jean, nous ne sommes pas dignes de le recevoir.

Comme Jean, accueillons-le cependant, le Christ, le Seigneur.

Écoutons sa Parole. Parole de Salut. Elle peut nous guérir.

Il peut nous sauver. Écoutons-le.

 Amen.

Père Marc Dumoulin

Curé de Notre Dame de Vincennes

samedi 7 janvier 2023

Epiphanie. Ce qu'il y a dans le cœur des hommes (Matthieu 2,1-12)


 Bonne Année, sœurs et frères !
Aujourd'hui, je mets pas mal de texte biblique en ligne
Ainsi qu'un sermon un peu long... et encore,
Je ne savais pas que l'Epiphanie m'intéressait tant que ça.
Plein d'autres idées ! Une autre fois...

Éphésiens 3

1 C'est pourquoi moi, Paul, le prisonnier de Jésus Christ pour vous, les païens... 2 si du moins vous avez appris la grâce que Dieu, pour réaliser son plan, m'a accordée à votre intention, 3 comment, par révélation, j'ai eu connaissance du mystère, tel que je l'ai esquissé rapidement. 4 Vous pouvez constater, en me lisant, quelle intelligence j'ai du mystère du Christ. 5 Ce mystère, Dieu ne l'a pas fait connaître aux hommes des générations passées comme il vient de le révéler maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et prophètes: 6 les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus Christ, par le moyen de l'Évangile.

 

Esaïe 60

1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière: la gloire du SEIGNEUR sur toi s'est levée. 2 Voici qu'en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue. 3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever. 4 Porte tes regards sur les alentours et vois: tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi, tes fils vont arriver du lointain, et tes filles sont tenues solidement sur la hanche. 5 Alors tu verras, tu seras rayonnante, ton cœur frémira et se dilatera, car vers toi sera détournée l'opulence des mers, la fortune des nations viendra jusqu'à toi. 6 Un afflux de chameaux te couvrira, de tout jeunes chameaux de Madiân et d'Eifa; tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l'or et de l'encens, et se feront les messagers des louanges du SEIGNEUR.

Matthieu 2

1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem 2 et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage.»

 3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître. 5 «À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète: 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.»

 7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait, 8 et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage.»

 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. 10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. 11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

Prédication : 

            Je voudrais vous raconter une petite anecdote qui appartient à la vie d’un groupe interreligieux auquel j’ai participé à Rillieux la Pape (nord de l’agglomération lyonnaise), entre 2005 et 2010. Les intervenants habituels de ce groupe étaient un rabbin, un imam, un curé et un pasteur. Et à force de rencontres préparatoires et de séances publiques, nous avions noué des liens d’estime, voire de complicité. A la question « Pouvons-nous prier ensemble ? » il fut répondu que oui. De quelle manière ? Il fut répondu : en silence. Mais quelqu’un (je ne vous dis pas de quelle confession) dit : « Il faut mettre une bougie ». Le rabbin demanda : « Mais pour quoi faire ? » Réponse : « C’est le symbole universel de la prière » Et l’imam de rajouter : « Non… » J’arrête là cette petite histoire, vous en imaginerez la suite. Pour la fin, sachez que le temps de prière commun eut finalement lieu. Retenez seulement ceci : symbole universel de la prière.

            Je voudrais ajouter une autre anecdote à celle que nous venons de partager. Ça se passe quelque part dans l’EPUdF, Région parisienne, et ce sont des discussions entre pasteurs sur les activités œcuméniques récentes dans leurs paroisses. L’une de mes collègues rapporte sur un groupe qui se cherche, qui cherche donc quoi faire ensemble, et qui ne trouve pas. Ça n’est pas faute de proposer des idées. Mais ça ne joue pas. Même une étude biblique ça ne joue pas. « Et pourtant, dit ma collègue, c’est la seule chose qui soit universelle. » Et là, quelqu’un lui répond que non. Que c’est une chose qui est très protestante, peut-être même uniquement protestante, branche réformée de l’EPUdF (il est même possible que ce soit plus partagé encore que cela…). Retenez seulement ce petit morceau de phrase : c’est la seule chose qui soit universelle.

            Mais pourquoi parler d’affaires universelles ? Suggestions liées aux textes qui nous sont proposés. Et interprétations le plus souvent retenues de ces textes.

 

            Le salut d’Israël est destiné à toutes les nations – ce qu’affirme le 60ème chapitre du prophète Ésaïe, un salut qui passe par une expérience lumineuse, mystique, et auquel correspond une certaine organisation du monde, clairement centrée sur la Terre Promise et sur Jérusalem, et qui concerne métaphoriquement toutes les nations connues à l’est d’Israël (à l’ouest, il y a la mer). Ajoutons qu’en mentionnant Madian, Ésaïe mentionne le lieu parfois considéré comme la terre de naissance de Dieu lui-même. Et tous ces gens, tous les hommes, apportent en présent de l’or et de l’encens… nous connaissons ces dons, ils nous sont familiers… Nous connaissons aussi un monde bien plus large que celui que connaissait le Prophète Ésaïe. Alors, rapport à ce monde, cette scène a-t-elle quelque chose d’universel ? Elle a une certaine perspective universelle. Mais que penser de cette unification du monde ? S’impose-t-elle d’elle-même ? Peut-elle être proposée à tous ? Jadis ? Aujourd’hui ? Les dons qui sont apportés dans cette scène nous sont familiers – l’or, l’encens. Mais tout ceci est-il universel ?

            C’est sans doute de cette vision d’Ésaïe que s’est inspiré l’auteur de Matthieu pour la scène d’ouverture de son évangile… (rajoutant la myrrhe) Même si le lecteur sait déjà qui est qui, il doit faire un effort pout se tenir proche du récit, dans lequel plein de choses vont aller de soi, vont être universelles, d’emblée. Les rois naissent dans les capitales, tout le monde le sait. Les étoiles annoncent leur naissance (savoir universel babylonien). Les Saintes Écritures annoncent le lieu de leur naissance (savoir universel judéen). Les rois haïssent les prétendants à la royauté. Les successions royales se préparent dans la ruse et se règlent dans le sang. Aux rois qui viennent de naître on apporte des présents somptueux… tout y est, rapport à la démarche des mages – mais nous pourrons dire que rien n’y est en fait. Et nous le savons vraiment bien, le roi qui vient de naître n’est ni ce qu’il devrait être et n’est pas où il devrait être, si bien que nous le récit des universaux que nous venons d’inventorier s’écroule (sauf les étoiles et les Saintes Écritures, éléments stable, indépendamment de ce qu’en font les humains). Tout le reste s’écroule, et même les intentions les plus meurtrières sont réduites à l’impuissance… nous aimerions bien que cette impuissance soit un universel, nous l’aimerions bien…

            Poursuivons. Ainsi donc, tout ce qui est normal et qui pourrait être tenu pour universel s’effondre. Et nous savons nous autres tout de cet effondrement. Dans le berceau, nous savons qui c’est. Les mages se prosternent et nous savons devant qui. La scène elle-même annonce une fin tragique, mais nous savons qui sera l’inspirateur d’une fin féconde (on laisse là comme de côté le massacre des Saints Innocents) ; un enfant au moins sera sauvé, et nous savons lequel. Et il sera sauvé par ce salut le plus ancien mentionné par un prophète d’Israël, Osée, « J’ai appelé mon Fils hors d’Égypte. »

            Mais (ici il faut impérativement dire mais) tout ça, nous le savons, et tout ça, nous – peut-être pas vous et moi – mais les traditions auxquelles nous appartenons, le savent, et ce qui s’ensuit en terme de choses prétendument universelles, et laides. Quelque chose se passe. Comme l’affirme l’auteur de l’épître aux Éphésiens, « les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse… », mais quelles sont les règles qu’ils doivent respecter ? De quelle manière doivent-ils imiter leurs aînés dans la foi ? La manière dont Dieu se fait connaître produit-elle toujours les mêmes rites, les mêmes cérémonies, les même organisations sociales ? La mission des mages produira-t-elle les mêmes fruits que la mission de Matthieu, ou que la mission vers les Éphésiens ? Laissons un instant tout cela en suspens (même si vous avez déjà compris où nous allons).

 

            Tout en revenant au texte de Matthieu, nous trouvons ceci : « Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin. » C’est simple, ils ne vont pas repasser par Jérusalem, ils ne vont pas donner à Hérode l’adresse du domicile des parents et de l’enfant, et donc, prenant une chemin de traverse, il retournent chez eux.

            Mais, comme nous l’avons esquissé précédemment, nous pouvons entendre tout cela d’une manière un peu métaphorique. Il aurait été normal, universel, vu ce qu’ils étaient, qu’ils cheminent par une route royale et qu’ils transitent par la demeure des rois, mais autre chose se passe – le merveilleux – qui fait qu’ils prennent un autre chemin. Et tâchons ici d’entendre tout autre chose que la D335 plutôt que N118. Autre chemin : un itinéraire auquel vous n’avez jamais pensé et qui vous mène là où vous n’auriez jamais imaginé. Et ça n’est pas la route qui est changée, mais la vie.

            Sans doute les mages n’avaient-ils pas pensé qu’ils allaient se prosterner devant une mère et un nouveau-né, sans doute n’avaient-ils pas imaginé qu’ils offriraient ainsi leurs trésors royaux, à des gens dépouillés de tout. Et après être rentrés dans leur pays ? Ici cesse l’histoire des mages. A jamais différents. A jamais sans doute avertis en songe de ne pas prendre le chemin habituel pour l’unique chemin, ni aucune voie, pour l’unique voie. Il n’y a pas d’unique voie.

            Ils rentrèrent donc chez eux – ils se retirèrent dans leur pays retiré. Prenant un autre chemin, un chemin toujours autre chemin. Ils disparaissent de l’histoire. Ils sont à jamais transformés. Puisse cette transformation nous arriver aussi, universelle, ou pas. Amen