samedi 30 septembre 2023

Des textes encore des textes, et Matthieu 21,28-31

Philippiens 2

1 S'il y a donc un appel en Christ, un encouragement dans l'amour, une communion dans l'Esprit, un élan d'affection et de compassion,

 2 alors comblez ma joie en vivant en plein accord. Ayez un même amour, un même cœur; recherchez l'unité;

 3 ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous.

 4 Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres.

 5 Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ:

 6 lui qui est de condition divine n'a pas considéré comme une proie à saisir d'être l'égal de Dieu.

 7 Mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme,

 8 il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur une croix.

 9 C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,

 10 afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre,

 11 et que toute langue confesse que le Seigneur, c'est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père.

 Ezéchiel 18

25 Mais vous dites: ‹La façon d'agir du Seigneur n'est pas correcte!› Écoutez, maison d'Israël: Est-ce ma façon d'agir qui n'est pas correcte? Ce sont vos façons d'agir qui ne sont pas correctes.

 26 Quand le juste se détourne de sa justice, commet l'injustice et en meurt, c'est bien à cause de l'injustice qu'il a commise qu'il meurt.

 27 Quand le méchant se détourne de la méchanceté qu'il avait commise et qu'il accomplit droit et justice, il obtiendra la vie.

 28 Il s'est rendu compte de toutes ses rébellions et s'en est détourné: certainement il vivra, il ne mourra pas.

Matthieu 21

28 «Quel est votre avis? Un homme avait deux fils. S'avançant vers le premier, il lui dit: ‹Mon enfant, va donc aujourd'hui travailler à la vigne.›

 29 Celui-ci lui répondit: ‹Je ne veux pas›; un peu plus tard, pris de remords, il y alla.

 30 S'avançant vers le second, il lui dit la même chose. Celui-ci lui répondit: ‹J'y vais, Seigneur›; mais il n'y alla pas.

 31 Lequel des deux a fait la volonté de son père?» - «Le premier», répondent-ils. Jésus leur dit: «En vérité, je vous le déclare, collecteurs d'impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu.

Prédication : 

            Et après avoir lu deux textes, Prophète et Épître, chanté un cantique, et lu enfin l’évangile proposé pour ce jour nous commençons notre prédication qui la plupart du temps porte sur ce évangile.

            Mais cet évangile est souvent encore bien trop de matière, et nous retiendrons une phrase, voire quelques mots en quoi nous allons trouver une certaine nourriture. Et les restes de cette trouvaille seront – si j’ose dire – remisés jusqu’à on ne sait quand.

            Et ainsi donc, je vous le déclare – dit Jésus – collecteurs d’impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume des cieux. » Nous nous demandons qui est ce vous. Qui sont donc ces gens précédés dans le Royaume… Et le lecteur bien sûr de se demander s’il n’en est pas lui-même, s’il n’est pas précédé dans le Royaume… par… Ces questions peuvent toujours être posées ; je partage avec vous le souvenir atterré d’un sermon de 45 minutes, portant sur le début du prophète Osée, le prédicateur traitant les fidèles de toutes sortes de noms et finissant, si je me souviens, par collecteurs d’impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume des cieux.

            Formellement, une telle prédication doit être possible. Des prédications extrêmes doivent être possibles, dans des circonstances extrêmes. Nous devons par exemple à Dietrich Bonhoeffer un : « Hors de l’Eglise confessante, il n’y a pas de salut. » Une phrase qui fit scandale, partout où il y avait des chrétiens en Allemagne. C’était le IIIè Reich. Circonstances extrêmes, affirmation extrême. Et, vous le savez, à la fin, on tue le prédicateur.

            Mais faut-il que nous lisions et commentions aujourd’hui la Bible comme certains la lisaient alors ? Mon souvenir de la prédication sur Osée date de 25 ans et ça ne change rien aux conclusions qui s’imposent aujourd’hui. Grâce à Dieu notre partie du monde n’a pas rebasculé dans la barbarie.

           

            Qui étaient ces gens contre lesquels Jésus défouraillait ? Grands prêtres et anciens du peuple, entendez bien que ces gens étaient très certains de leur légitimité, de leur pureté aussi, entendez avec cela qu’ils se savaient gardiens des lieux, et c’est sous leur autorité que les uns et les autres étaient admis au temple, ou pas, déclarés fréquentables, ou pas. Dans de telles classifications, vous savez à quel niveau sont les collecteurs d’impôts et les prostituées. Or Jésus les accueillait sans préalables et sans discrimination aucune. Et même pas sous clause de repentir et de conversion. Ces gens venaient à Jésus. Et ils goûtaient avec lui au Royaume de Dieu, car le Royaume de Dieu c’est lorsque Jésus parle, lorsqu’il répand la parole, lorsqu’elle est entendue (le texte, son commentaire, prières et cantiques, etc.). Ce qui nous propose une résolution très simple du jeu d’inclusion et d’exclusion que proposent les détracteurs de Jésus, jeu, ou plutôt piège dont Jésus se dégage avec finesse et avec force… et d’une manière qui ne condamne aucun de ceux qui sont à la recherche de la justice et de la bonté.

            Ici, nous pouvons dire Amen

 

            Mais il y a autre chose que j’aimerais partager avec vous aujourd’hui, une chose un peu ancienne. Ça se passe dans notre faculté de théologie, le cours porte sur la prédication. Celui qui professe est aujourd’hui redevenu paroissien du Foyer de l’Âme. Et il nous enseignait ceci : pas plus de 10 versets, dans 1 seul livre biblique, ce sur quoi on ne prêche pas, on ne le lit pas, on ne lit pas sa prédication, on peut l’apprendre par cœur, on peut l’improviser, on peut avoir un plan sous les yeux. Contraintes. Il donne aussi quelques recommandations moins contraignantes, voire libératrices.

            Je partage avec vous ces souvenirs, parce qu’il recommandait de ne choisir que dix versets maximum dans un seul livre de la Bible. Critère de professeur pour mettre un peu d’ordre dans son cours… mais aussi une sorte d’os sur lequel le jeune théologien pouvait se faire les crocs.

            10 versets donc et, ce matin, avec Matthieu 21:28-31, nous avons respecté la maille, avec 4 versets… mais l’intelligibilité de la chose nous a obligés à élargir le texte.       Et elle nous suggère maintenant de nous demander s’il existe une limite basse pour la longueur du texte de la prédication. Prenons un de nos aînés, dont nous possédons de nombreux sermons : Karl Barth (1886-1968). Il prêche avec un seul verset. Par exemple « La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse » (Psaume 111:10 ; 20/07/1958 ; Aux captifs la liberté ; p.153). Je n’ai pas trouvé de ministre du culte qui prêche sur 0 verset. De toute manière, est-ce que la qualité du sermon tient au texte biblique choisi ? Nous devons être très prudent sur cette question, car elle nous fait flirter avec la seconde tentation selon Matthieu : « tu ne mettras pas à l’épreuve – tu ne tenteras pas – le Seigneur ton Dieu. » Ce qui signifie que, au point où nous en sommes, la Parole de Dieu, dans la prédication, peut se passer de la permission d’un texte biblique. Et parler – dira-t-on – directement au cœur de l’être humain, directement à vos cœurs.

 

            Mais ça n’est pas tout. Le texte peut être infiniment raccourci. Peut-il être rallongé ? Partageons quelques souvenirs futiles d’un épisode de Lucky Luke, Le pont sur le Mississipi. On construit un pont mais, le jour de la venue des officiels pour l’inauguration, le pont n’est pas fini. Que faire, en plus de travailler ? Quelqu’un propose un office religieux qui doit être long, un autre sort sa Bible et commence à lire : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre… » La lecture continue et continue encore… Vers l’épître aux Philippiens, le pont est prêt. Je vous laisse calculer le temps qu’il faut pour lire à voix haute toute la Bible, de Genèse à Philippiens. Et si la parole de Dieu peut ici prendre un nom, c’est patience. Que peut-il rester en mémoire, ou dans le cœur humain, d’une aussi longue lecture ?

            Sans aller jusque là, je partage avec vous quelques remarques sur la semaine qui vient de finir. Il fallait bien sûr préparer le sermon, pour lequel trois textes étaient proposés – c’est habituel. Et puis des funérailles ont été annoncées. Pour ces funérailles, choix de la famille, Proverbes 16,1-25, Éphésiens 4,32, Galates 6,10, puis Psaumes 34,19, Esaïe 52,9, Jean 3,13, auxquels il faut ajouter les 3 textes de ce jour (Matthieu 21,28-31, Philippiens 2,1-9, Ézéchiel 18,25-28), les deux offices ayant été préparés pour ainsi dire en même temps. Les textes et les réflexions sur les textes s’entremêlent, ou plutôt s’entrechoquent puis s’entremêlent. Nous sommes à des kilomètres des recommandations de la faculté. Et de cet entremêlement finit par sortir comme un éblouissement. Pensez au pointillisme de Seurat (1859-1891), à la lumière qui en émerge. Pensez aux merveilleuses mosaïques de Zeugma. Et puisqu’il s’agit de lumière et de certain commencement (perpétuité du commencement), revenez aux Saintes Écritures et à la première parole de Dieu dans toute la Bible : « Que la lumière soit… »

            Et nous finirons ici, sur ces sommes de fragments qui Dieu voulant, peuvent soudainement produire une lumière et une parole durables. Oui, je crois que c’est ainsi que Dieu libère et que Dieu bénit. Amen


vendredi 22 septembre 2023

Passion avant la Passion (Matthieu 20,1-16)

 
Vous pourrez lire aussi Esaïe 55,6-9 et Philippiens 1,20-27

Matthieu 20

1 «Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin, afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne.

 2 Il convint avec les ouvriers d'une pièce d'argent pour la journée et les envoya à sa vigne.

 3 Sorti vers la troisième heure, il en vit d'autres qui se tenaient sur la place, sans travail,

 4 et il leur dit: ‹Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.›

 5 Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième, il fit de même.

 6 Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient là et leur dit: ‹Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail?› -

 7 ‹C'est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés.› Il leur dit: ‹Allez, vous aussi, à ma vigne.›

 8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: ‹Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.›

 9 Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d'argent.

 10 Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu'ils allaient recevoir davantage; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent.

 11 En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison:

 12 ‹Ces derniers venus, disaient-ils, n'ont travaillé qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour et la grosse chaleur.›

 13 Mais il répliqua à l'un d'eux: ‹Mon ami, je ne te fais pas de tort; n'es-tu pas convenu avec moi d'une pièce d'argent?

 14 Emporte ce qui est à toi et va-t'en. Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi.

 15 Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien? Ou alors ton oeil est-il mauvais parce que je suis bon?›

 16 Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.»

Prédication : 

    1. Pour autant que je m’en souvienne, et en plus de 25, voire 30 années, et en ayant (catéchisme, école biblique, études bibliques, et bien entendu un petit nombre de sermons) proposé ce texte à la lecture et à la réflexion, la réaction constatée aura été presque toujours la même : c’est pas juste ! Avec plus ou moins d’emportement. Je me souviens même d’adolescents virulents. De certains adultes un fâchés. De trouver ça dans la Bible. Mais j’en ai vu qui se contentaient de hausser les épaules. S’agissant en fait de leur réaction il m’a semblé à l’époque que l’histoire de leur vie – pour ce que j’ai connu – était, s’agissant de la 11ème heure, plus déterminante que la durée de leur vie. Il m’a semblé aussi que certaines sortes de rencontres sont essentielles.
    2. Le Royaume des cieux, ce lieu – ce n’est pas un lieu – cette topique – peut-être, au moment où, au temps où, s’accomplit pour les humains tout ce dont Jésus parle et tout ce qu’il promet. Objet de promesse, qu’il s’agisse d’une expérience concrète ou l’appel à une réflexion profonde, et le déroulement de cette réflexion peut bien en tenir lieu. Le Royaume, c’est ce dont parle Jésus en Matthieu 20, et ce qui nous est proposé, comme objet de réflexion, lecteurs que nous sommes.
    3. Est comparable… Le Royaume des cieux est comparable à… et tout de suite, stop. Déjà stop ? Car il s’agit d’autre chose qu’une comparaison. Il faut trouver plus fort qu’une comparaison. Par exemple semblable. Non pas semblable en quantité, mais semblable en qualité, en essence. Si vous avez l’un vous avez l’autre. Mais que pouvons-nous avoir de l’un ? Et de l’autre ? Le mystère du Royaume des cieux étant ce qu’il est – à moins qu’au fond il ne soit très simple – nous allons évoquer l’homme, seigneur de sa maison. Et c’est cet homme qui, d’emblée, et jusqu’au bout, va, montrer, voire incarner le Royaume des cieux. Le Royaume des cieux, c’est lui. Et puisqu’il interagit avec plusieurs de ses semblables, nous pourrons – peut être – affirmer qu’il est, cet homme maître de maison, une expérience du royaume, pendant au moins un moment. Nous allons voir.
    4. C’est le moment de se souvenir de cette petite histoire – nous pouvons l’appeler parabole – un peu complexe si nous voulons nous attacher à la sophistication du vocabulaire, mais plutôt simple si nous voulons seulement nous attacher à l’inégalité flagrante qui existe à la fin entre la rétribution des premiers embauchés, et la rétribution des derniers embauchés. Le calcul est vite fait, ramené à un taux horaire, ceux de la onzième heure sont onze fois mieux payés que les autres. Il y en a qui grognent, d’un grognement qui parfois peut tourner à la bagarre. Le maître de maison est donc récusé dans sa manière de rétribuer ses gens, il est même peut-être en danger. Mais n’y aura pas de violence autre que verbale, et encore. Redisons-le, le Royaume des cieux, c’est cet homme.
    5. C’est cet homme… ce maître de maison qui sortit de bon matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Et qui embaucha des ouvriers à la première heure, à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la onzième. J’aurais bien aimé qu’il en embauche quelques-uns à la douzième heure, pour rendre plus inégale encore cette histoire d’appel et de rétribution. Mais je ne suis pas l’auteur, ni l’homme, et dois, nous devons, faire avec cette onzième heure. Souvent nous parlons de grâce et de gratuité, mais là, manifestement, il y a quelque chose à faire. Si grâce il y a dans cette énonciation du Royaume elle est à chercher, dans l’appel  - le royaume appelle et il s’agit d’y entrer et d’y travailler. Et à la fin, le royaume paye. Mais quel travail ? Les hommes travaillent à la vigne. Est-ce une image, la vigne, la vigne divine, ou une vigne toute terrestre, l’agriculture toute terrestre, parce que c’est ce qu’il faut pour vivre ? Nous pourrions ne conserver que le mot travail, parce que d’une manière ou d’une autre travailler c’est transformer une chose en une autre, c’est valoriser… et c’est valorisant aussi. Les hommes sont payés pour ce qu’ils ont fait : 1 denier, c’est le salaire normal pour une journée de travail de l’époque. Et tout va bien. Sauf que le royaume des Cieux – le maitre de maison, ne tient compte à la fin aucunement de la durée. Et c’est cet homme-là qui est le Royaume des cieux. Ça vous appelle quand ça veut, pour un temps de travail flottant, ça s’arrête tous ensemble, il y a une rémunération, mais qui est sans lien avec la durée travaillée, pire, moins vous avez travaillé, plus vous êtes payés (ou le contraire) et pire de pire, vous n’avez pas été prévenu au début. C’est l’homme, le maître de maison, c’est le Royaume des cieux.
    6. Et si nous le savions d’avance ?  Que sait-on, au moment de l’appel ? Il y a bien entendu une sorte de continuité. C’est pour un travail assez précis qu’ils sont embauchés pour le Royaume, par l’homme, un travail que tous pourraient faire, non pas en quantité égale, mais en qualité. Quelque chose de possible, tout en bas même de ce que fait l’espèce humaine.  Et qui trouvera sa fin et sa récompense – la Bible n’est pas avare de propos sur la récompense du travail de ceux qui œuvrent ici, là, mais essentiellement toujours dans la vigne du Seigneur. La vigne est inaliénable, et le vigneron ouvrier sacré. Et non, on ne le sait pas. Le Royaume, c’est le Maitre de maison et le maître de maison est de fait imprévisible même s’il appelle d’abord pour une tâche simple, et cette imprévisibilité ne relève pas du caprice ni de la fantaisie. C’est l’homme, c’est la vie de l’homme qui sans passion, ni sans raison, sème bien des choses sur les chemins que d’aucuns espéraient parcourir sans dérangement aucun… et tout autre chose finalement advient. Est-ce ça, le Royaume ?
    7. Et nous revenons à cet écart entre ce qui est imaginé et ce qui advient. Avec les réactions qui adviennent aussi. Les embauchés de la première  murmurent contre le maître de maison. Et qui a-t-il dans ce murmure ? Ils avaient imaginé telle rémunération, beaucoup, et c’est autre chose qui arrive.   Nous disons parfois de la haine qu’elle est le sentiment qui s’empare de quelqu’un lorsque l’imaginaire vient se fracasser sur le réel. C’est exactement le cas ici. Nous savons aussi que ce sentiment se réalise et s’accomplit en détruisant ce qui l’a causé. Autrement dit, pour la leçon qu’il donne sur le Royaume, le Maître engage sa vie. Nous ne savons pas quelles sont la suite et la fin de cette affaire : « Je ne fais aucun tort. […] Prends ton argent et emporte-le ! », et en plus s’affirme la totale liberté de l’homme, c'est-à-dire la totale liberté du Royaume, totale liberté et du Fils et du Père. Et totale aliénation non pas de l’humanité toute entière, mais  d’une partie au moins du genre humain qui entend bien qu’hommes et Dieu lui soit soumis. Et qui, ou quoi, leur fera comprendre, et admettre la leçon de la parabole des ouvriers de la onzième heure. « Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.
    8. Cette parabole, finalement est une sorte de répétition de la première partie de la Passion. Il est généreux de son enseignement, généreux de son corps, pour ceux qui croient en lui, et pour ceux aussi qui ne croient pas. L’accès à ce jardin est ainsi ouvert à tous.

samedi 16 septembre 2023

Matthieu le théologien (Matthieu 18,21-35)

Matthieu 18

  21 Alors Pierre s'approcha et lui dit: «Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je? Jusqu'à sept fois?»

 22 Jésus lui dit: «Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois.

 23 «Ainsi en va-t-il du Royaume des cieux comme d'un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.

 24 Pour commencer, on lui en amena un qui devait dix mille talents.

 25 Comme il n'avait pas de quoi rembourser, le maître donna l'ordre de le vendre ainsi que sa femme, ses enfants et tout ce qu'il avait, en remboursement de sa dette.

 26 Se jetant alors à ses pieds, le serviteur, prosterné, lui disait: ‹Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.›

 27 Pris de pitié, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette.

 28 En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent pièces d'argent; il le prit à la gorge et le serrait à l'étrangler, en lui disant: ‹Rembourse ce que tu dois.›

 29 Son compagnon se jeta donc à ses pieds et il le suppliait en disant: ‹Prends patience envers moi, et je te rembourserai.›

 30 Mais l'autre refusa; bien plus, il s'en alla le faire jeter en prison, en attendant qu'il eût remboursé ce qu'il devait.

 31 Voyant ce qui venait de se passer, ses compagnons furent profondément attristés et ils allèrent informer leur maître de tout ce qui était arrivé.

 32 Alors, le faisant venir, son maître lui dit: ‹Mauvais serviteur, je t'avais remis toute cette dette, parce que tu m'en avais supplié.

 33 Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j'avais eu pitié de toi?›

 34 Et, dans sa colère, son maître le livra aux tortionnaires, en attendant qu'il eût remboursé tout ce qu'il lui devait.

 35 C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur.»

Prédication

Et c’est ainsi que finit le fragment qui nous est proposé aujourd’hui. Ce fragment est une spécialité de Matthieu…

            Et en finissant de le lire nous éprouvons une sorte de satisfaction, peut-être même une satisfaction. Dieu est là qui rétribue ou va rétribuer les dispositions des hommes à leur (juste) valeur, tant dans le sens positif que dans le sens négatif. Reste juste à savoir de quel côté chacun est. Quelqu’un sait-il où il est, où il en est en matière de créance et de dettes envers ses semblables ? Quelqu’un peut-il être au clair et ne plus rien exiger de qui lui aura nui, un jour ? Quelqu’un peut-il être au clair avec un autre auquel lui-même aura nui, un jour ? Oui, et oui, cela peut arriver. En peu de temps, pour certains, en infiniment de temps pour d’autres.

            Mais en fait, ça n’est pas vraiment de ça que parle Matthieu. Ce qui intéresse Matthieu, ce ne sont pas les hommes et les différents planchers, paliers et plafonds de leurs rancunes et de leurs pardons. Bien sûr, ce que nous lisons n’est pas inintéressant, et peut-être même est-ce utile, encore que cela relève disons du bon sens. A-t-on besoin vraiment de la Bible, a-t-on vraiment besoin des promesses élémentaires que fait Jésus. Je ne cesse de me poser la question. Belles et cruelles sont ces histoires, ne boudons pas. Et posons sur elles un oui approbateur et satisfait aussi franc que nous posons sur la parabole des vignerons de la 11ème heure, qui appartient elle aussi exclusivement à Matthieu, Matthieu décidément bien intéressé par des affaires de rétribution plutôt encombrantes, voire inquiétantes. Ces affaires, prenez-les comme vous le voulez.

            Ce qui intéresse Matthieu, c’est Dieu. Matthieu le théologien est ainsi le titre d’un opuscule un peu savant, mais pas trop (Jean Zumstein, 1987).

 

            Dieu ? Pour tenter d’approcher cela, je vous propose d’abord de revenir à la fin de notre fragment du jour, une fin très précise : « c’est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère. » Dieu est là-dedans. Il est là dans une certaine arithmétique du pardon au sein des familles, et au sein des communautés. Il y a une justice, si nous lisons bien. Il y a une punition collective (Dieu vous punira, collectivement) s’il manque un seul pardon individuel (si chacun de vous ne pardonne pas à son frère). Chacun donc a pouvoir et responsabilité sur tous les autres, sur leur destin. Et Dieu fait sienne cette justice, avec un élément aggravant : ce pardon humain doit venir du fond du cœur, sinon… nous l’avons vu.

            Mais, est-ce seulement possible ? Drôle de justice pour un drôle de Dieu. Règles d’équivalence humaines impossibles, pour une impossible justice divine – ce qui condamne en fait les humains. Et règles si l’on veut divines, inaccessibles aux humains.

            Et, à supposer que quelqu’un y parvienne, Dieu se trouve alors contraint d’accomplir ce qui a été dit. Et cela nous rappelle des morceaux que nous avons lus assez récemment. « En vérité, je vous le déclare : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel. Je vous le déclare encore, si deux d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. » (Mt.18,18-19) Il n’y a rien de précisé sur l’objet de la demande, et pourtant Dieu est alors tenu de répondre. Alors, bien sûr, il est Dieu et en tant que Dieu il peut promettre. Mais doit-il répondre factuellement à tout ce que les humains humainement demandent. Oui. Et nous nous trouvons là devant une promesse et une réponse surtout, extrêmement encombrantes. Et il sera très difficile de prendre la défense de Dieu lorsqu’il aura été constaté, par nous-mêmes ou par nos interlocuteurs, sœurs et frères en humanité que, finalement, en dépit de la promesse, il ne se passe rien, il ne s’est rien passé. Il sera aussi inconvenant de faire argument de ceci : « Si Dieu n’a pas agi selon la promesse, c’est que vous n’étiez au fond pas du tout unis. » Drôles de manières, drôles de croyants, drôle de Dieu. Matthieu nous donne à réfléchir, avec, il est vrai, une certaine brutalité… Matthieu le théologien, disions-nous. Il y a des styles en théologie…

           

            La situation dans laquelle nous sommes devrait nous faire nous souvenir d’un autre fragment un peu aride et très connu : « 5 Alors le diable l'emmène dans la Ville Sainte, le place sur le sommet du temple 6 et lui dit: "Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre." 7 Jésus lui dit: "Il est aussi écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu" » (Matthieu 4,5-7).

            Seconde tentation dans l’évangile de Matthieu, quatrième chapitre, c'est-à-dire presque le tout début, qui ressemble à une petite histoire exemplaire, mais qui est un principe fondamental. Mettre à l’épreuve le Seigneur ton Dieu, c’est attraper un verset biblique comportant une promesse, bénédiction ou malédiction, c’est égal… attraper un verset biblique, et affirmer que Dieu vous doit ce que mentionne ce verset. Tenter Dieu et faire de lui votre esclave, c’est tout un. Et sur cette tentation pèse un interdit principiel que, parmi les auteurs bibliques, Matthieu n’est pas le seul à avoir repéré. Il nous permet de repérer l’écueil, de prendre conscience qu’il nous arrive parfois, justement, de mettre Dieu à l’épreuve, de le considérer, texte en main, comme notre serviteur… et ça n’est la lettre de telle ou telle prière, ou le texte de telle ou telle prédication ; c’est le ton, c’est le style qui fait qu’à tel instant nous tâchons de tenir Dieu sous notre coupe ; et avec un soupir de satisfaction… Dieu alors nous appartient, nous faisons comme si… tout en déployant autour de Lui un arsenal de promesses aliénantes, dont celle que nous avons méditée tantôt.

            Y a-t-il, avec ces mêmes promesses, quelque chose qui aurait à voir par exemple avec la liberté ?

           

            Je le crois (il faut le dire à la première personne). Il nous faut – essayer de –  lire et méditer certains textes de Matthieu comme nous essayons de le faire maintenant. Lire à la fois la seconde tentation de Matthieu et les autres textes. Le but de cette lecture n’est pas de se libérer de ces impossibles promesses, mais de se libérer du poids de la lettre du texte, pour se rendre compte que leur but n’est pas l’objet apparent, mais la liberté. A un moment de la lecture, il résonne un non – non à la tentation – et un oui, oui de la liberté, oui de l’engagement.

            Amen

samedi 9 septembre 2023

Et si moi-même je venais à pécher ? (Matthieu 16,13-20)

Matthieu 18

15 «Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère.

 16 S'il ne t'écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.

 17 S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Église, et s'il refuse d'écouter même l'Église, qu'il soit pour toi comme le païen et le collecteur d'impôts.

 18 En vérité, je vous le déclare: tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel.

 19 «Je vous le déclare encore, si deux d'entre vous, sur la terre, se mettent d'accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux.

 20 Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux.»

Prédication

            Je me demande souvent quelle est la genèse des textes bibliques, quels sont les matériaux qui les constituent, quels sont les processus qui sont mis en œuvre, comment éventuellement agissent, les premiers rédacteurs, ceux qui font le tri et qui mettent en ordre… et comment là-dessus le temps fait son œuvre – le temps, ce sont le plus souvent des hommes, copistes, bibliothécaires, il peut aussi y avoir des accidents de l’histoire : telle version du texte, déjà peu copiée, brûle et avec elle c’est un ensemble de traditions qui part en poussière. Pourtant l’histoire ne s’arrête pas et si l’on pleure sur un manuscrit perdu, il faut aussi s’émerveiller et rendre grâces pour le hasard et les efforts qui font arriver sur notre table ce livre que certains appellent Parole de Dieu. Dans cet émerveillement, nous pourrons nous demander si c’est parce que Dieu a parlé que le livre est appellé Parole de Dieu, ou si c’est parce que les humains se sont si fort impliqués dans la production et la conservation des textes, s’ils ont posé leur autorité là-dessus, pour la gagner et pour la tenir, qu’ils l’ont érigée en Parole de Dieu, autorité du texte, et d’un lecteur ambitieux. Ordre de Dieu, ou tradition humaine ? Il n’est pas forcément nécessaire de tout trancher. Il est nécessaire d’interroger, toujours, ce que sont les enjeux d’une lecture. Il est intéressant aussi de se demander si, écrit, texte, ou oral, un texte a une réelle portée, ou pas. Abymes de questions, liturgiques, littéraires, éthiques, ou encore historiques.

            Abymes qui ont été souvent parcourus et bien documentés, et pas seulement par des personnes de sensibilité religieuse (surtout pas par des religieux qui ramènent toujours tout à la religion, c'est-à-dire à eux-mêmes). 

            En 2015, en tout cas, le cinéaste Rabah Ameur-Zaïmeche a été un copiste et interprète inspiré de l’évangile lorsqu’il a réalisé Histoire de Judas, film au cours duquel un certain disciple repère que la petite troupe qui accompagne Jésus est suivie par quelqu’un qui ne cesse de prendre en note méticuleusement tout ce que Jésus dit… Dans la confrontation brutale entre le disciple et l’inconnu, le disciple dira « Il (Jésus) n’a pas besoin d’un secrétaire » Jésus n’a pas besoin d’un secrétaire. Sa parole donc passe de bouche à oreille, sans écrit, du moins à l’origine, et plus tard peut-être. La pertinence de cette parole ne doit rien à l’autorité de l’humain sur l’humain. Et c’est même beaucoup plus grave : ceux qui fabriquent du texte à la place de la parole défendent à mort leur production et leur autorité : dans ce film, quelqu’un sera poignardé et mourra pour s’en être pris au texte.

            Pauvre message, et pauvre messager. S’il y a une passion, en plus de celle du Christ, c’est celle du témoin, ça n’est pas celle du texte, comme certains aimeraient bien nous le faire croire.

 

            Tout ceci étant posé, nous pouvons nous demander ce qu’il en est des textes de l’évangile de Matthieu que nous avons lus ces dernières semaines.

            Sous la forme de quelques questions simples. "Jésus a-t-il dit ?"… ou "A-t-on mis dans la bouche de Jésus ?" : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église… » Est-ce la phrase inaugurale du Seigneur par laquelle Pierre est intronisé d’emblée et pour toujours par le Seigneur, ou est-ce une phrase par laquelle quelques croyants donnent à réfléchir sur une primauté de fait qui les embarrasse, alors ils mettent « bâtirai » au futur… Car elle est bien au futur, cette phrase. Jésus bâtira, soit, il bâtira, dans le futur mais quand ? L’évangile de Matthieu voit le tems très loin, « avec vous tous les jours jusqu’à la fin de monde », tout en se demandant si le top départ d’érection de cette Eglise n’allait pas commencer qu’après le top finish des derniers temps ? Mais serait-ce plutôt dès le moment où l’épisode Pierre, retenu par les 3 premiers évangiles, est reçu par les croyants – mais j’ai peine à imaginer une communauté vaste qui se rassemblerait comme un seul homme autour d’un certain texte, même – et surtout – si important.

            Resterait à examiner si le modèle communautaire porté par ce petit fragment correspond aux formes d’autorité pratiquées par l’Empire romain, ou dans un petit monde de juifs chrétiens (et pas que !), c'est-à-dire touchés par la grâce et constitués en communautés nouvelles.

            Y a-t-il d’emblée une « Eglise des Eglise, qui domine les autres ? Qui en sera le leader, et par quelle nécessité, et par quelle autorité ? Et des communautés locales, qui sera le leader ? Pierre, idéal du croyant, idéal perpétuel ? Ou simple typologie ? La succession apostolique se fera-t-elle selon un certain droit, ou se fera-t-elle selon le cœur ? (avec cette succession chacun peut être appelé à être successeur de Pierre).

            La discussion a dû être musclée. Quelques lignes plus bas, Pierre se fait sérieusement tacler par Jésus pour avoir récusé que la Passion puisse non seulement arriver mais être aussi perpétuellement nécessaire. Cet épisode est-il signe que le secrétaire avait encore frappé, en défendant la littéralité de son texte contre les paroles de témoins vivants ? Ou bien est-ce le fruit nécessaire d’une méditation sur la Passion ? Faut-il disqualifier Pierre ? Faut-il seulement se pencher sur telle pathologie de la foi qui fait que parfois les croyants en viennent à jeter le plus précieux et à ne conserver que le plus vil ? Il y a Pierre, et Jésus. Mais il n’y a pas Pierre et Pierre, c'est-à-dire pas de communauté plurielle, sauf si le lecteur en a l’idée. Comment les autres disciples auront-ils accueilli Pierre (son explication avec Jésus semble bien s’être tenue dans la discrétion au moins selon Matthieu) ?

 

            Et bien, parole de Jésus, « si ton frère vient à pécher, va le trouver, et fais-lui des reproches seul à seul. » La perspective construite par ce fragment est bien une perspective communautaire, avec d’abord 1 croyant, puis 2, puis 4, puis toute la communauté, appelée Église par Jésus – ici il faut comprendre comment Matthieu, Matthieu imagine, et peut-être bien expérimente la foi chrétienne en ses commencements. Ce qu’il propose est d’inspiration juive (Dt. 19,15) mais teinté de cette pâte de miséricorde qui, semble-t-il, n’appartient qu’à l’évangile de Jésus Christ. Le péché du frère est amendable, c’est sûr. Mais s’il n’est pas amendé, l’exclusion suivra (disons que l’impur ne doit pas indéfiniment se mêler avec le pur). Mais l’intransigeance des frères est-elle appelée à ne jamais cesser ? Et l’exclu doit-il être à jamais exclu ? Nous ne savons pas tout du fonctionnement des communautés juives, mais nous savons que certains de leurs membres, et certains de leurs chefs étaient particulièrement virulents. Pas tous ? A la fin du fragment que nous lisons, s’agissant du frère convaincu de péché, il est affirmé au nom de Jésus « qu’il soit pour toi comme le païen et le collecteur d’impôts » Retour à la première personne du singulier et à la responsabilité du croyant seul. Pour exclure, à la manière d’une forme agressive de pratique religieuse ? Ou, au contraire, pour ne pas clore l’histoire, pour laisser les textes et les portes ouverts et pour accueillir des collecteurs d’impôts (Matthieu était un collecteur d’impôts), ainsi que des païens (ou considérés comme tels par toutes sortes de gens qui se proclamaient élus).

            Ambition donc de l’Évangile  de Jésus Christ (selon Matthieu), à cet endroit ? Transformation des manières et des cœurs des accueillis autant que des accueillants, et toutes sortes de transformations des cœurs, des exclus – mais par qui ? – ainsi que Dieu veut, et quand il voudra. Dans un secret tête à tête, oui, le « arrière de moi Satan » et le « Tu es Pierre et sur cette pierre… » C’est le même homme, la même femme, le même sauveur, et toujours la même liberté. Amen


samedi 2 septembre 2023

Hors de ma vue, Satan (Matthieu 16,21-27)

 Matthieu 16

21 À partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter.

 22 Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant: «Dieu t'en préserve, Seigneur! Non, cela ne t'arrivera pas!»

 23 Mais lui, se retournant, dit à Pierre: «Retire-toi! Derrière moi, Satan! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.»

 24 Alors Jésus dit à ses disciples: «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il me suive.

 25 En effet, qui veut sauvegarder sa vie, la perdra; mais qui perd sa vie à cause de moi, l'assurera.

 26 Et quel avantage l'homme aura-t-il à gagner le monde entier, s'il le paie de sa vie? Ou bien que donnera l'homme qui ait la valeur de sa vie?

 27 Car le Fils de l'homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père; et alors il rendra à chacun selon sa conduite.

Prédication

            Tout juste avant ce dialogue – cet échange – entre Jésus et Pierre, il y eut un autre échange. Pierre confessa l’identité Christ Fils du Dieu vivant, à la suite de quoi Jésus lui remit la responsabilité d’une Eglise chrétienne à venir. Nous avons partagé il y a peu quelques remarques sur cela.

            Puis vient donc cet autre échange. Jésus annonce ses souffrances à venir, Pierre réprimande Jésus, Jésus traite Pierre de Satan, d’occasion de chute dont les vues ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes – tout cela n’étant pas vraiment des compliments. A ce sujet, pour commencer, nous pourrons remarquer que cet échange se passe en tête à tête entre Pierre et Jésus… Seuls y assistent les lecteurs… autrement Pierre aurait été définitivement disqualifié : mais "casse-toi, Satan", etc. tant il est vrai que la littérature et la traduction tendent à adoucir les propos.

 

            Il s’agit de renvoyer Pierre, parce qu’il a mal parlé de Jésus à Jésus et peut-être aussi parce qu’il a cherché à faire ça en douce. Dans tout ce que Pierre dit, quelque chose semble faire saillie, c’est Arrière de moi, Satan…, ce que nous prenons en main maintenant. Et nous nous demandons ce que signifie Satan.

            Ça ne s’entend pas, c’est écrit, il y a un S majuscule, Satan c’est le nom de quelqu’un. Quelqu’un qui, prince des anges, s’est un jour révolté contre Dieu, qui l’a précipité de haut en bas, auquel le monde est soumis… et l’on a du Satan de presque la première page de la Bible jusqu’à presque la dernière page de la Bible. Hors de la Bible, nous avons quantité de biographies de l’animal, pour ceux que ça intéresse, comme Satan : une biographie, opus de 2006.

            Mais pourquoi ce personnage intéresse-t-il tellement ? Au lieu de le comprimer en une seule entité massive et sans profondeur, ne pouvons-nous pas plutôt, comme nous tentons de le faire par ailleurs, avec Jésus, étudier en contexte les versets qui utilisent le mot Satan (avec et sans majuscule) ?

 

            Comme « Arrière de moi… ou recule… Satan… » injonction adressée par Jésus à Pierre. Jésus commençait à montrer à ses disciples ce qu’il en serait de sa passion. C’est un peu étonnant : la passion à venir ne s’explique pas, elle se montre. Elle se montre, avec toutes les ambigüités du voir, le flou, le tremblé, les distorsions, et les caustiques. Et avec tous ces effets d’optiques, tout se montre et, sans doute, en même temps, tout s’efface. Alors, bien sûr, nous que l’histoire a bénis, nous savons ce qu’il en est du commencement et de la fin. Mais les disciples ? Et Pierre ? Les commencements de monstration de la Passion vont rencontrer le refus des disciples – pas même la protestation, ni une hésitation, mais bien le refus, refus de Pierre qui, prenant Jésus à part, se met à le réprimander…

            Ici, faisons une petite marche arrière dans le texte, et reposons quelques questions de géographie simple. Dieu, où habite-t-il ? Et Jésus, où habite-t-il avant de s’aventurer parmi les hommes ? C’est très haut, infiniment haut. Et le Fils de l’homme ? La localisation des prophètes candidats au titre de fils de l’homme est éthérée, Elie est monté dans un char de feu, Jérémie a disparu en terre étrangère, on ne sait où. Le mouvement par lequel l’un reviendra est un mouvement de haut en bas. Et le mouvement par lequel le Christ vient et doit venir est aussi un mouvement de haut en bas, non seulement son arrivée et son pèlerinage sur terre, mais aussi, plus bas et encore plus bas, la Passion, la croix, l’ensevelissement, toutes choses incompréhensibles, avec la résurrection qui est l’incompréhensible de l’incompréhensible, que nous comptons comme suite et fin de l’abaissement du Fils de l’homme, mouvement perpétuel de haut en bas. Personne ne va trouver à redire à cela, ni Pierre, ni personne d’autre, tant que cela reste au ras du sol.

            Mais Jésus commence à montrer à ses disciples que le mouvement descendant de la présence du Christ doit descendre plus bas que terre. Inadmissible pour Pierre. La confession de foi de Pierre, Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, est soluble dans la Passion. Et voilà qu’en privé il adresse une remontrance à son Seigneur. Et qu’il se fait fermement tancer par Lui. Déjà dit… mais insistons un peu, car il y a toujours un Satan qui rode dans notre lecture. En parlant comme il le fait, Pierre veut faire remonter le Christ de sous la terre vers la surface de la terre, et de la surface de la terre vers le ciel. Et c’est pour cela qu’il se fait vertement tancer par Jésus. Dégage Satan… tes raisons ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. Et là nous avons quelque chose de très intéressant, rapport à Dieu, rapport à Satan. Car que propose Pierre à Jésus ? Un mouvement de bas en haut. Et que propose Jésus à Pierre ? Un mouvement de haut en bas, mouvement qui met le Christ tout au service des hommes, qui vient à leur rencontre, se consacre à eux sans nuances et sans reste. Alors que Pierre – Satan, avec comme sans majuscule – propose une sorte d’ascension, le Fils de l’homme, le Christ, et lui-même, Pierre, montent tout au-dessus d’une humanité faible, voire perdue, et règnent sur cette humanité par tel ou tel moyen, par toutes sortes d’appareil à culpabiliser dont les religions dominantes ont toujours su prôner un usage contraint, si ce n’est forcé.

            Avec toute cette charge, Pierre et la naissante Eglise du Christ ont-ils fait naufrage avant même d’avoir navigué ? Regardons autour de nous, ce que nous sommes, et ce que sont aussi d’autres rassemblements de femmes et d’hommes, Eglise, sous l’autorité de Pierre ou de tel ou tel autre. Il y a bien des Églises, des milliers et Dieu seul connait ceux qui lui appartiennent. Le projet que fait Jésus sous le nom de Pierre d’une Eglise une et universelle aurait-il échoué ? Oui ? Et qui sommes-nous pour le dire ? Et si nous l’avons-lu, où est-ce donc ? Faute de trouver, laissons là ces commentaires. Et lisons-encore.

            Il est assez clair qu’un projet ecclésiastique collectif avec Pierre à sa tête a connu quelques difficultés et a démarré laborieusement. Mais ce démarrage – peut-être cet échec, a été source d’intéressantes réflexions. Faute de disposer d’un collectif, il reste toujours possible de réfléchir, avec les individus, et pour eux – dans ce cadre, pour eux signifie pour chacune et chacun, l’être humain individuel confronté personnellement avec son Christ, avec son Sauveur. Pas question de groupe ni de hiérarchie, mais d’engagement personnel, et sans mesure : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. » C’est tout à fait personnel, profondément personnel. Est-ce que ça marche mieux, est-ce que ça vaut mieux que les méditations sur l’Eglise, sur le collectif ? On peut le dire, on peut le prétendre, à ce point en tout cas de notre méditation. Mais il y a l’échec d’une foi envisagée seulement dans une perspective individuelle – cet échec est déjà notable lorsque Jésus traite Pierre de Satan, et il le sera plus encore lorsque Pierre reniera Jésus et dira bien fort « Je ne le connais pas »

 

            A méditer ainsi, que va-t-il nous rester ? Nous n’allons pas rejeter Pierre, ni Jésus. Nous n’allons pas effacer le Bas ni le Haut. L’Évangile continue. Il continue comme un récit tragique, mais il continue. Le tragique n’éteint pas l’espérance, comme l’échec n’éteint pas l’engagement. Comme le bruit de la foule et des reniements n’éteint pas la Parole. Et Dieu lui-même est si essentiellement engagé pour la cause humaine qu’il est ineffaçable. Amen