samedi 25 juin 2022

Méditation de la liberté (1 Rois 19-6 ; Galates 5,1-18 ; Luc 9,51-62)

Galates 5

1 C'est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. Tenez donc ferme et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l'esclavage.

 2 Moi, Paul, je vous le dis: si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien.

 3 Et j'atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire, qu'il est tenu de pratiquer la loi intégralement.

 4 Vous avez rompu avec Christ, si vous placez votre justice dans la loi; vous êtes déchus de la grâce.

 5 Quant à nous, c'est par l'Esprit, en vertu de la foi, que nous attendons fermement que se réalise ce que la justification nous fait espérer.

 6 Car, pour celui qui est en Jésus Christ, ni la circoncision, ni l'incirconcision ne sont efficaces, mais la foi agissant par l'amour.

 7 Vous couriez bien; qui, en vous barrant la route, empêche la vérité de vous entraîner?

 8 Une telle influence ne vient pas de celui qui vous appelle.

 9 Un peu de levain, et toute la pâte lève!

 10 Pour moi, j'ai confiance dans le Seigneur pour vous: vous ne prendrez pas une autre orientation. Mais celui qui jette le trouble parmi vous en subira la sanction, quel qu'il soit.

 11 Quant à moi, frères, si je prêche encore la circoncision, pourquoi suis-je alors persécuté? Dans ce cas, le scandale de la croix est aboli!

 12 Qu'ils aillent donc jusqu'à se mutiler tout à fait, ceux qui sèment le désordre parmi vous!

 13 Vous, frères, c'est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair! Mais, par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres.

 14 Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

 15 Mais, si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde: vous allez vous détruire les uns les autres.

 16 Écoutez-moi: marchez sous l'impulsion de l'Esprit et vous n'accomplirez plus ce que la chair désire.

 17 Car la chair, en ses désirs, s'oppose à l'Esprit, et l'Esprit à la chair; entre eux, c'est l'antagonisme; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez.

 18 Mais si vous êtes conduits par l'Esprit, vous n'êtes plus soumis à la loi.

 

1 Rois 19

16 Et tu oindras Jéhu, fils de Nimshi, comme roi sur Israël; et tu oindras Elisée, fils de Shafath, d'Avel-Mehola, comme prophète à ta place.

 17 Tout homme qui échappera à l'épée de Hazaël, Jéhu le tuera, et tout homme qui échappera à l'épée de Jéhu, Elisée le tuera,

 18 mais je laisserai en Israël un reste de sept mille hommes, tous ceux dont les genoux n'ont pas plié devant le Baal et dont la bouche ne lui a pas donné de baisers.»

 19 Il partit de là et trouva Elisée, fils de Shafath, qui labourait; il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Elie passa près de lui et jeta son manteau sur lui.

 20 Elisée abandonna les boeufs, courut après Elie et dit: «Permets que j'embrasse mon père et ma mère et je te suivrai.» Elie lui dit: «Va! retourne! Que t'ai-je donc fait?»

 21 Elisée s'en retourna sans le suivre, prit la paire de boeufs qu'il offrit en sacrifice; avec l'attelage des boeufs, il fit cuire leur viande qu'il donna à manger aux siens. Puis il se leva, suivit Elie et fut à son service.

 

Luc 9

51 Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem.

 52 Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s'étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.

 53 Mais on ne l'accueillit pas, parce qu'il faisait route vers Jérusalem.

 54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent: «Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume?»

 55 Mais lui, se retournant, les réprimanda.

 56 Et ils firent route vers un autre village.

 57 Comme ils étaient en route, quelqu'un dit à Jésus en chemin: «Je te suivrai partout où tu iras.»

 58 Jésus lui dit: «Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où poser la tête.»

 59 Il dit à un autre: «Suis-moi.» Celui-ci répondit: «Permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père.»

 60 Mais Jésus lui dit: «Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu.»

 61 Un autre encore lui dit: «Je vais te suivre, Seigneur; mais d'abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison.»

 62 Jésus lui dit: «Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n'est pas fait pour le Royaume de Dieu.»

 

Prédication : 

              1.         Je me souviens d’un de mes professeurs de la faculté de théologie de Montpellier, qui nous disait, s’agissant du traité de Luther La liberté du chrétien (1520), que chaque théologien devrait le lire au moins une fois… par an.

            Ça n’est pas un très long texte et il se lit en assez peu de temps. Mais pourquoi devoir le lire, puis le relire, et le relire encore ? Ne peut-on pas le lire comme on lit d’autres livres, en soulignant, en faisant une fiche de lecture, en attendant que vienne le moment d’utiliser ces matériaux ? On le peut toujours, bien entendu. Mais telle n’était pas la recommandation de notre professeur. Sa recommandation d’ailleurs, était multiple, puisqu’elle concernait le texte, la lecture, les relectures, et la méditation de la recommandation elle-même.

            Les étudiants que nous fûmes ont-ils suivi cette recommandation ? Je ne le sais pas – je n’ai jamais vraiment cherché à le savoir. Je m’en suis souvenu, mais je ne l’ai pas fait... Par contre j’ai souvent pensé à la recommandation, j’ai souvent médité cette recommandation. Et chemin faisant j’ai découvert d’autres textes au sujet desquels il doit être possible de dire ce que le professeur disait : les relire au moins une fois… par an.

            Il en va de la liberté.

 

            2.         Quelle fut la prédication de Paul aux Galates ? Paul y prêcha l’Évangile. Et quel Évangile ? Il y avait en face de Paul des gens qui étaient issus du paganisme. Il y avait aussi des gens qui étaient du judaïsme. Et, sans doute, Paul avait enseigné que croire en Christ dispensait de toutes sortes d’obligations, que cette dispense n’avait de sens que dans l’amour. Pourquoi l’amour ? Parce que concrètement l’amour se donne et n’entend jamais réclamer quoi que ce soit en réponse, de quiconque. C’est ce que Paul leur avait enseigné. Et il leur avait aussi enseigné que l’amour est toujours menacé, même par les propos qu’on utilise pour parler de lui.

Nous n’avons pas le détail des discours de Paul, ceux qu’il a tenus lorsqu’il était chez les Galates, mais nous pouvons penser qu’il y eut des enseignements décisifs sur le Christ, sur l’Esprit et sur l’amour, discours s’efforçant de transmettre l’idée d’observer une discipline pour que l’amour reste l’amour, pour que la liberté reste la liberté… Et Paul ne semble pas avoir réussi.

            Et cela, c’est l’épître aux Galates qui vient nous l’enseigner. Lorsque Paul fut parti, lorsque la pertinence et l’efficacité initiales de son enseignement se furent effacées, on vint – nous ne savons guère qui étaient ces on – enseigner à des païens chrétiens non circoncis que la circoncision était indispensable… et qu’ils devaient donc se faire circoncire… soit pour un salut divin, soit pour un salut ethnique. Et une partie des Galates le crurent et le mirent en pratique. Alors que Non ! dit Paul, pas d’obligation, d’aucune sorte, qui ferait de vous des gens méritants, car aucun mérite n’est nécessaire à celui qui vit sous la loi de la liberté.

            Loi de la liberté est une expression un peu contradictoire, qui ne prend tout son sens que si l’on évoque en même temps l’amour.

            Nous ne savons pas ce qu’il advint des Galates après qu’ils eurent reçu l’épître de Paul, mais nous savons que l’épître fut abondamment diffusée, et abondamment commentée, signe de sa valeur. Petite sœur de l’épître aux Romains, elle fut commentée plusieurs fois par un Martin Luther souvent au meilleur de sa forme…

            Voici donc une question : après que Paul ait prêché la liberté en Galatie, et après son départ, combien de temps s’écoula-t-il avant que s’étiolent et disparaissent sa prédication et les fruits de sa prédication ? On compte les semaines, ou les mois, guère plus, une année, peut-être.

 

            3. Cette durée vous paraît-elle brève ? Et bien, souvenez-vous, souvenons-nous de Jésus et de ses disciples qui faisaient route vers Jérusalem et auxquels un village de Samaritains refusa l’hospitalité. Jacques et Jean, sans délai, se proposèrent de faire tomber le feu du ciel sur ces pauvres gens…

            En faisant cette proposition, Jacques et Jean manifestent qu’ils sont captifs de plusieurs captivités. Captifs des haines coutumières, les Juifs haïssent les Samaritains, captifs de l’idée qu’ils ont de ce qu’est suivre Jésus, ils voient cela comme un travail qui mérite salaire, comme une option qui mérite récompense, récompense en terme de puissance, un privilège pour eux qui mérite domination sur autrui. Difficile de nommer cela, mais c’est pour eux puissance, et pour les autres privation de liberté.

            Et combien de temps leur faut-il, à Jacques et à Jean, pour en arriver à ces dispositions lamentables ? Très très peu de temps. Jésus, leur maître, n’a même pas fini de prêcher qu’ils ont déjà sorti le lance-flammes. Résultat atterrant…

            Alors, comme nous le lisons, Jésus les réprimanda. Voilà. Le Maître n’a pas encore fini de parler d’amour que les disciples retrouvent en eux tout un capital de bêtise et de haine juste prêt à servir.

            Comme la prédication et son ombre se trouvent ici comme confondues, comme nous ne voulons pas affirmer que les haines ordinaires, les haines occasionnelles, et la bêtise… comme nous ne voulons pas affirmer que les humains sont par nature captifs de leurs sentiments, demandons-nous s’il y a une chance de s’en sortir.

 

            4.         Et bien, il y a Élisée, captif de son rôle de bon fils, qui tiendra tête au bouillant Elie. Elisée saura quoi faire pour prendre dignement congé de ses parents. L’épisode que nous avons lu reste assez rugueux, mais il l’est bien moins que les prouesses terrifiantes d’Elie à ses débuts.

            Il y a aussi Jésus, qui donne quelques enseignements rapides. « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser sa tête. » Si nous comprenons bien, cette tâche de libération est une tâche sans fin. Dire que le fils de l’homme n’a pas où poser sa tête c’est dire d’une part, s’agissant de sa propre liberté, elle est sans besoin de repos car elle est toujours son action et son être, c’est dire d’autre part que les humains sont incapables de lui construire une aire de repos.

            Bien au contraire, ce qui n’est pas prioritaire les humains en font des priorités, et ils rendent la captivité la plus probable car, même s’ils ont parfois mis la main à la charrue, ils regardent ensuite en arrière.

           

            5.         Y a-t-il en tout cela une conclusion heureuse ? La liberté est-elle une promesse possible ? Tant que liberté est opposée d’une manière statique à quelqu’autre notion que ce soit, il n’y a pas de liberté, et seule l’opposée demeure.

            C’est pour cette raison qu’il nous faut revenir à ce par quoi nous avions commencé. Lire et relire Martin Luther, non pour que s’accroissent nos connaissances, mais pour méditer, non seulement sur la liberté selon Martin Luther, ce qu’elle est et ce qu’elle fut, mais aussi pour méditer aussi sur notre liberté, sur ce dont elle est faite…

            Et Martin Luther n’est pas le seul qui puisse nourrir notre méditation. Entre autres il y a Emmanuel Levinas qui nous a donné un Difficile liberté, Et puis il y a tous ces textes bibliques, lus, étudiés, médités et priés chaque dimanche.

            S’agissant donc de liberté nous ne sommes pas seuls. Nous avons de la compagnie, de la nourriture, et tout ce qu’il faut pour nourrir la liberté, et faire grandir l’espérance. Puisse cela être notre tâche. Amen

samedi 18 juin 2022

Dangereuse Sainte Cène (1 Corinthiens 11:27, et autres)

Luc 9

11 L'ayant su, les foules le suivirent. Jésus les accueillit; il leur parlait du Règne de Dieu et il guérissait ceux qui en avaient besoin.

 12 Mais le jour commença de baisser. Les Douze s'approchèrent et lui dirent: «Renvoie la foule; qu'ils aillent loger dans les villages et les hameaux des environs et qu'ils y trouvent à manger, car nous sommes ici dans un endroit désert.»

 13 Mais il leur dit: «Donnez-leur à manger vous-mêmes.» Alors ils dirent: «Nous n'avons pas plus de cinq pains et deux poissons... à moins d'aller nous-mêmes acheter des vivres pour tout ce peuple.»

 14 Il y avait en effet environ cinq mille hommes. Il dit à ses disciples: «Faites-les s'installer par groupes d'une cinquantaine.»

 15 Ils firent ainsi et les installèrent tous.

 16 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons et, levant son regard vers le ciel, il prononça sur eux la bénédiction, les rompit, et il les donnait aux disciples pour les offrir à la foule.

 17 Ils mangèrent et furent tous rassasiés; et l'on emporta ce qui leur restait des morceaux: douze paniers.

 

Genèse 14

18 C'est Melkisédeq, roi de Salem, qui fournit du pain et du vin. Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut,

 19 et il bénit Abram en disant: «Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre!

 20 Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes adversaires entre tes mains!» Abram lui donna la dîme de tout.

 

1 Corinthiens 11

23 En effet, voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,

 24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit: «Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi.»

 25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant: «Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi.»

 26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

 27 C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur.

 28 Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire cette coupe;

 29 car celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation.

 30 Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d'infirmes, et qu'un certain nombre sont morts.

Prédication : 

            Les foules ne cessaient de suivre Jésus et il se trouva, un soir, que Jésus acheva son enseignement à l’heure du dîner, mais de dîner il n’y avait pas, d’autant plus que cinq mille hommes ne pouvaient absolument pas aller se ravitailler dans les – pauvres – et rares – villages alentour. Et nous connaissons la suite… combien de fois nous a-t-on raconté cet exploit : nourrir cinq mille personnes avec cinq pains et deux poissons, plus douze paniers de restes. Nous imaginons les éléments que Jésus partage se mettre à foisonner dans les paniers comme de la mousse expansive de polyuréthane, et continuer à foisonner, dans les mains de Jésus, un panier après l’autre, jusqu’à ce que le peuple soit rassasié. Suite à quoi, le récit de l’évangile reprend son cours.

            Et nous autres, lectrices, lecteurs, nous restons plutôt bouche bée… autant les miracles à connotation médicale peuvent se laisser saisir, autant la maîtrise de Jésus sur les éléments nous demeure plutôt étrangère, dès le franchissement de la mer rouge, dès Jonas, et donc aussi les pains et les poissons multipliés et surmultipliés, ça reste là, devant nous, comme les douze paniers de restes qui restent là dans le récit, dont, c’est là le propos, personne ne semble savoir quoi faire.

            Moralité – provisoire – de l’affaire, il y en a plus de reste qu’il n’y en avait au tout début. Il s’agit de pain et poisson… et peut-être, symboliquement, de tout autre chose, d’une tout autre nourriture, Mais quoi ? La bénédiction ? A cette étape, nous ne le savons pas. Mais nous allons constater que ce repas semble avoir été pris dans l’ordre et dans le calme, les 5000, groupés 50 par 50, une centaine de groupes, ont reçu tout tranquillement ce qu’on leur a donné, et nul ne semble s’être levé pour protester qu’un autre aurait été soi disant mieux servi que lui.

            Le don s’est ainsi fait, des disciples vers Jésus et de Jésus vers la foule. Et l’on peut voir dans cette belle scène comme une espèce de prototype d’Eglise, avec son peuple, avec son clergé, et avec son Seigneur, à ceci près que nos Saintes Cènes ou Eucharisties ne reproduisent pas le miracle de la multiplication des pains.

 

            Dans le Nouveau Testament, nous avons quatre récits d’institution de la Sainte Cène. Trois sont des récits évangéliques, le quatrième vient de Paul. Paul, qui n’a pas connu le Seigneur de son vivant, parle pour la Sainte Cène d’une révélation qu’il aurait personnellement reçue du Seigneur, et transmise directement aux Corinthiens. La Sainte Cène de Paul est donc d’institution très ancienne (50-52), plus ancienne que les Saintes Cènes des évangiles.

            La Sainte Cène selon Paul ne pose pas en tant que telle de problèmes liturgiques particuliers. Elle pose par contre de graves problèmes liés au contexte de Corinthe, tellement graves que Paul va commettre quelques phrases mémorables. Poursuivant l’institution de la Sainte Cène à proprement parler Paul ajoute ceci : « 27 C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. 28 Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire cette coupe ; 29 car celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation. 30 Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d'infirmes, et qu'un certain nombre sont morts. »

            Ce genre de petit texte porte le nom de discipline eucharistique et répond à la question : qui peut participer à la Sainte Cène ? Selon les Eglises, la réponse n’est pas la même. Chaque Eglise a sa propre discipline, plus ou moins contraignante, et plus ou moins mise en œuvre. Notre Eglise, dans sa liturgie de Sainte Cène (1997), propose, en guise de discipline : « Que celles et ceux qui reconnaissent en Jésus Christ le Seigneur, et désirent partager son repas… » Mais les officiants ne sont pas contraints par la liturgie – cela fait partie de notre tradition. Ajoutons qu’en 2012, dans sa Constitution, notre Eglise précise que pendant la célébration, la Sainte Cène ne peut être refusée à qui la demande. Table ouverte, en somme, table à laquelle le Seigneur invite très largement. Et pas de quoi s’inquiéter avec les propos de Paul.

            Pourtant, je vais partager avec vous un souvenir. Alors que j’étais pasteur itinérant, est arrivé sur ma table une lettre, adressée à un Conseil presbytéral, dont le propos était à peu près celui-ci : « Pendant la Sainte Cène du culte de Pentecôte, les catéchumènes se sont abominablement mal tenus. Ils se sont esclaffés en recevant la communion. Et c’est parce que vous n’avez pas lu l’Institution (avec majuscule) de la Sainte Cène. Ces catéchumènes, vous les avez condamnés à mort, car il est écrit… » Et là venait la citation que nous avons déjà lue, affaire de discernement ou de mort, ce que Paul a ajouté et qui est effectivement très radical et très expéditif. Renseignements pris auprès de plusieurs paroissiens et conseillers témoins de l’affaire, ça n’avait pas été franchement la grosse foire… la jeunesse locale avait juste manifesté son enthousiasme et sa joie… De là à crier à l’assassin, il y avait tout de même encore de la marge.

            Mais qu’en était-il à Corinthe ? La communauté de Corinthe était une communauté bien mélangée, avec des très riches, et de très très pauvres esclaves. Le repas faisait partie de la rencontre, et la Sainte Cène venait après le repas. Les très riches faisaient des repas de riches ; on a dû rapporter à Paul que les très riches arrosaient  fort leur repas, alors que les pauvres faisaient des repas de pauvres, autant dire pas de repas du tout. Pas de partage… et à la fin du repas, au moment de la Sainte Cène, côte à côte, ou face à face, des gens recueillis autant qu’on le peux avec le ventre creux, et des gens repus, et pris de boisson.

            Cette disparité communautaire fut rapportée à Paul et nous savons comment il réagit. Repassons une fois encore le disque « (…) celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation. 30 Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d'infirmes, et qu'un certain nombre sont morts. » En plus de cela, il leur adresse une recommandation toute simple, manger chez eux avant de venir. Mais, quand même ; transformer la Sainte Cène en un poison mortel, c’est un peu fort. Bien sûr, ce repas que les chrétien partagent, vu ce qu’il représente, doit pouvoir être pris avec un minimum de recueillement, mais peut-il vraiment devenir létal ? Paul, nous le savons, a parfois la plume acide… mais est-ce bien lui ? Est-ce Paul ou l’un des rédacteurs qui ont écrit après Paul et qui avaient sacralisé leurs personnes, la cérémonie et les espèces, au point que la Sainte Cène, déclaration d’amour du Christ aux humains, était devenue une ordalie ? Alors, qui donc allait venir ? Des gens très sûrs de leur propre sainteté… et d’autres emportés par un élan spirituel qui leur fait mépriser le danger. Et s’ils rataient leur évaluation préalable, est-ce qu’ils tombaient raides par terre comme Annanias et Saphira dans le livre des Actes ? S’agissant de la Sainte Cène, à Corinthe ou ailleurs, nous ne le savons pas. Mais ce que nous pouvons savoir, c’est que, à prendre la chose trop excessivement au sérieux, elle devient inaccessible, et à la prendre trop à la légère, elle perd de sa saveur, de sa sapidité spirituelle.

 

            Mais, maintenant, que faire ? C’est notre responsabilité de choisir le poids que nous allons donner à chaque verset, à chaque histoire. C’est notre responsabilité de dire – ou pas – que l’institution (la grosse et unique IIIInstitution) de la Sainte Cène est dans la première épître aux Corinthiens, chapitre 11, et qu’elle condamne pour toujours à mort ceux qui mangent en étant indignes (mais, non d’un chien, qui peut oser se déclarer lui-même digne d’avoir part à l’incomparable don que le Seigneur fait de lui-même ?).

            C’est notre responsabilité de déclarer que les célébrants et les fidèles sont sœurs et frères, absolument égaux devant le Seigneur, égaux en indignité et en dignité (c’est ainsi qu’on peut comprendre les quelques versets au fil desquels Abram et Melchisédeq se rencontrent et s’estiment, une affaire d’hommes apprenant à se connaître… presque rien de religieux là-dedans, à moins que ce soit presque tout).

            C’est notre responsabilité à la fin de penser à cette multiplication des pains et des poissons : les bénédictions du Seigneur gagnent toujours à être partagées, toujours. Car il y a toujours d’abord ce qu’elles sont, et à ce qu’elles sont s’ajoute toujours le bonheur du partage.

            De l’exercice de cette troisième responsabilité vient qu’il est possible de célébrer la Sainte Cène dans le recueillement et la joie.

samedi 11 juin 2022

Paul, une prédication de la simplicité (Romains 5,1-5)

Romains 5

1 Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ;

 2 par lui nous avons accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous mettons notre orgueil dans l'espérance de la gloire de Dieu.

 3 Bien plus, nous mettons notre orgueil dans nos détresses mêmes, sachant que la détresse produit la persévérance,

 4 la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l'espérance;

 5 et l'espérance ne trompe pas, car l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné.

Prédication

            Orgueil. Qu’est-ce que l’orgueil ? « Opinion très avantageuse de soi-même, sentiment très vif, le plus souvent exagéré, et parfois injustifié, qu’une personne a de sa valeur personnelle, de son importance sociale, généralement aux dépens de la considération due à autrui. »

            Il pourrait être intéressant de nous demander si Paul fut un orgueilleux. Peut être le fut-il… mais est-ce bien important ? L’orgueil, présumé ou avéré, est-il un motif valable pour biffer sans délais quelques intéressantes pages de la Bible  (Romains, 1 et 2 Corinthiens, Galates, Philippiens, 1 Thessaloniciens) ? On pourrait bien entendu le faire, mais on laisserait de reste des gens qui ont plagié Paul, qui ont utilisé et détourné Paul, qui ont usé de la gloire de son nom pour faire valoir par exemple une radicale infériorité de la femme... Plutôt qu’effacer Paul, mieux vaut étudier Paul, quitte, éventuellement, à l’écarter, mais alors à la fin.

            Paul est peut-être un orgueilleux. Paul est certainement un être tourmenté, du genre sérieusement tourmenté, qui remet 100 fois l’ouvrage sur le métier. Et dont, peut-être, l’objectif est l’unique objectif de tous les gens tourmentés : trouver la paix.

 

            Orgueil : « nous mettons notre orgueil dans l’espérance de la gloire de Dieu ». Nous mettons notre orgueil est un bout de phrase qui traduit un seul verbe. Dans ce verbe, il y a l’idée d’une grande importance, qu’on pourrait traduire ainsi : il y a d’après nous quelque chose de suprêmement important… nous allons dire quoi. Mais avant, ce qui est suprêmement importante pour nous, peut être effectivement l’occasion d’une vilaine enflure des personnes, mais peut être aussi la suffocation des personnes qui assistent à un exploit. Et il va falloir que nous choisissions… Quel est l’objet du verbe ? L’espérance de la gloire de Dieu.

            Voici une traduction approximative : il y a quelque chose qui est pour nous suprêmement important, c’est l’espérance de la gloire de Dieu. Que Paul et ses amis, dont l’existence est donnée à Dieu, donnent à Dieu une certaine importance, ça n’est pas trop difficile à comprendre. Mais il ne faudrait pas qu’ils en fassent trop tout de même et commencent à disposer comme pour eux-mêmes d’une gloire qui ne serait pas la leur, mais celle de Dieu. En lisant bien ce qui est écrit, nous voyons que ça n’est pas de la gloire de Dieu qu’ils parlent, mais, bien plus subtilement, bien plus modestement, de l’espérance de la gloire de Dieu. Et si l’on ajoute que le propre de l’espérance c’est toujours d’être sans délais, et d’ignorer sur le fond ce qu’elle attend, nous arrivons vraiment à quelque chose qui est vraiment très très peu, qui s’appelle espérance de la gloire de Dieu, devant quoi Paul et ses compagnons frémissent, et à quoi ils consacrent leur existence. Les mots espérance, gloire, et Dieu, utilisés pour parler de ça, sont de beaux mots, espérance de la gloire de Dieu, c’est une belle expression, mais en réalité, nous l’avons vu, il n’y a presque rien, l’homme, au bord du gouffre, suffoqué par la hauteur et la profondeur du paysage, et suffoqué peut-être bien aussi par la beauté des pensées et des phrases.

            Un autre auteur que Paul en serait resté là, mais là, c’est Paul. Et ce qui pourrait satisfaire certains auteurs ne le satisfait pas. Il remet l’ouvrage sur le métier. Cette espérance de la gloire de Dieu, c’est encore trop.

           

            Orgueil : « nous mettons notre orgueil dans l’espérance de la gloire de Dieu », dit Paul. Et Paul continue : « Bien plus, nous mettons notre orgueil dans nos détresses mêmes… » De la prédication que Paul évoque, nous pensons que son fil était si ténu qu’elle n’a jamais pu produire que des effets ténus, et Paul n’a jamais eu, si nous comprenons, à se vanter de quoi que ce soit, car en réalité il n’y avait rien. Mais même de rien il arrive qu’on se vante en donnant à ce rien un nom divin. Et cela, Paul en a manifestement conscience, soit qu’il ait été témoin du phénomène, soit qu’il ait pu céder, parfois, à cette tentation. Et ce qu’il fait ici, c’est chercher une écriture de ce qui serait moins encore que l’espérance de la gloire de Dieu. Lorsqu’il écrit « Bien plus, il y a d’après nous quelque chose de suprêmement important, ce sont nos détresses… », c’est un bien plus qui signifie un bien moins. Bien moins encore que l’espérance de la gloire de Dieu, il y a nos détresses.

            Et nos détresses, cela signifie que ça ne marche pas, on ne nous écoute pas, on nous chasse, etc. Ah, si la gloire de Dieu… Ah, si l’esprit de Dieu… Et bien non, dit en somme Paul, en matière d’esprit, de conversion, d’affaires divines et tout ce que vous voudrez, la beauté de la chose est dans la ténuité de la chose. Et cette ténuité est si ténue que celui qui entend en témoigner sera toujours devant et dans cet abime, n’ayant pour viatique que sa propre et modeste persévérance.

 

            « La détresse produit la persévérance, la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l’espérance, et l’espérance ne trompe pas. »

            Mais alors se pose une question : toute la méditation – difficile – sur la précarité – sur le presque rien – le moins que rien – de la foi en Dieu… toute cette méditation, avec son fruit de simplicité, de vertige et de liberté, peut-elle être perdue ? Elle risque bien de l’être avec cette chaîne logique que Paul propose et qu’il scelle ainsi : « … car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. »

            L’auteur de l’épître aux Romains est un assez bon pédagogue, qui ne nous laisse pas devant le divin vide qui ne peut qu’être creusé. Il nous propose sa méditation, puis nous invite à reprendre un chemin mieux balisé.

            Béni soit son nom.

 Amen

samedi 4 juin 2022

Pentecôte, quelques réflexions sur l'Esprit Saint, sur ceux qui s'en réclament (Actes 2,1-11, plus...)

 Romains 8

8 Sous l'empire de la chair on ne peut plaire à Dieu.

 9 Or vous, vous n'êtes pas sous l'empire de la chair, mais de l'Esprit, puisque l'Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas.

 10 Si Christ est en vous, votre corps, il est vrai, est voué à la mort à cause du péché, mais l'Esprit est votre vie à cause de la justice.

 11 Et si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous.

 12 Ainsi donc, frères, nous avons une dette, mais non envers la chair pour devoir vivre de façon charnelle.

 13 Car si vous vivez de façon charnelle, vous mourrez; mais si, par l'Esprit, vous faites mourir votre comportement charnel, vous vivrez.

 14 En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu:

 15 vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba, Père.

 16 Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

 17 Enfants, et donc héritiers: héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire.

 

Actes 2

1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.

 2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;

 3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.

 4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.

 5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.

 6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.

 7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?

 8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?

 9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,

 10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,

 11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»

 

Jean 14

15 «Si vous m'aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements;

 16 moi, je prierai le Père: il vous donnera un autre Consolateur qui restera avec vous pour toujours.

 17 C'est lui l'Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d'accueillir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous.

 18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous.

 19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi.

 20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous.

 21 Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m'aime: or celui qui m'aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui.»

 22 Jude, non pas Judas l'Iscariote, lui dit: «Seigneur, comment se fait-il que tu aies à te manifester à nous et non pas au monde?»

 23 Jésus lui répondit: «Si quelqu'un m'aime, il observera ma parole, et mon Père l'aimera; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure.

 24 Celui qui ne m'aime pas n'observe pas mes paroles; or, cette parole que vous entendez, elle n'est pas de moi mais du Père qui m'a envoyé.

 25 Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous;

 26 le Consolateur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit.


 Prédication : 

            Je vous parlais, la semaine dernière, de Rabbi Eliezer ben Hyrcanos, sage juif de première importance, qui fut excommunié par ses collègues pour avoir fait appel à une voix du ciel. La voix du ciel avait pourtant parlé en sa faveur. Mais un autre Maître de première importance, Rabbi Yehoshua ben Hanania, avait objecté : « Elle n’est pas au ciel ! »

            Vous vous demandez peut-être sur quoi portait les débats qui avaient opposé si méchamment ces deux maîtres… lorsque vous le saurez vous trouverez cela peut-être d’une incroyable futilité. Mais avant cela, et puisque Rabbi Yehoshua dit "Elle n’est pas au ciel", nous nous demandons ce qui n’est pas au ciel.

            Pour ces maîtres et pour leurs disciples, en ce temps-là (contemporains de Jésus de Nazareth), c’était une évidence, ce qui n’est pas au ciel, c’est la Torah, la Loi de Moïse. Elle n’est pas au ciel, parce qu’elle n’est plus au ciel, et elle n’est plus au ciel depuis qu’elle a été donnée, toute entière, une et parfaite, par Dieu, au Sinaï, à Moïse. Ce qui a une conséquence : puisque la Torah – la Loi – a été donnée toute entière, il n’y a rien d’autre que Dieu doive dire et ajouter. La Torah, écrite et orale ayant été transmise, recopiée et mémorisée  avec infiniment de sérieux, c’est à partir d’elle, et d’elle seule, qu’il convient que les hommes méditent sur leur condition et préparent leur décisions… rien que la Loi, toute la Loi, et la réflexion des hommes. Tels étaient la pensée et le sous bassement de pensée de ces hommes-là.  

            Rabbi Eliezer donc, fut excommunié, mais au fond, pourquoi ? Pour avoir contraint Dieu à parler en sa faveur, pour se l’être mis dans la poche ? Non. D’autres que lui étaient en ce temps capables de tels prodiges. Il fut excommunié pour avoir rompu le pacte de pensée qui le liait à ses collègues, et donc pour avoir rompu une barrière symbolique essentielle, entre une forme cinglante, spontanée et autoritaire d’expression, c’est à dire ce qui est en haut, et qui tombe tout à coup d’en-haut , et une forme lente, dialoguale, et travaillée d’expression, c’est à dire ce qui est en bas, qui prend le temps de la réflexion et du débat. Tout cela, c’est ce que Rabbi Yeoshua avait résumé en cette simple formule : « Elle n’est pas au ciel. »

           

             Pentecôte, bien d’autres textes qu’Actes 2,1-11 parlent du Saint Esprit, et nous en avons lu un intéressant échantillon, qui est générateur d’un intéressant faisceau de problèmes.

            Dans l’épître aux Romains, cet Esprit dont Paul parle – Esprit tout court – est-il le même que l’Esprit du Christ, et que l’Esprit de Dieu, esprits dont il parle aussi ?

            Idem dans l’évangile de Jean : le Consolateur, ou le Défenseur (Paraclet) est-il le même que l’esprit qui souffle où il veut (Jean 3), le même que l’esprit que reçoivent les disciples le soir de Pâques, lorsque Jésus souffle sur eux, qui est un esprit de pardon ?

            Dans l’Ancien Testament, est-ce le même Esprit, celui qui plane sur les eaux de la Genèse

            Le même Esprit que celui que Matthieu introduit dans son institution du baptême, « …baptisez-les au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit. »

            Oui ? Le même esprit ? Et bien, à la première personne du singulier, je ne le pense pas. Ce que je pense, c’est que des générations d’écrivains dont les textes ont été recueillis dans la Bible ont eu à qualifier les manifestations de piété des groupes qu’ils observaient, des manifestations du genre spontanées et d’autres plutôt du genre très travaillées – avec évidemment plein de nuances entre les deux. Ils auraient plutôt associé la présence du Saint Esprit aux formes spontanées d’expression. L’exemple de cela que nous connaissons le mieux est justement celui que nous avons lu, Actes 2,1-11. Dans de fragment célébrissime, emblème de Pentecôte, lu chaque année… c’est bien – nous avons vraiment l’habitude de le considérer ainsi, c’est bien de l’Esprit Saint dont il s’agit. Mais pourquoi ce fragment sacro-saint s’arrête-t-il au verset 11 ?

            Voici trois versets de plus : 12Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?» 13D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.» 14Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles »… et s’ensuit un discours argumenté, structuré… et donc s’exprime une pensée construite, très élaborée, 26 versets, juste après les exclamations spontanées du groupe des premiers disciples.

            Et voici une question : faut-il choisir, dans le texte des Actes, pour Pentecôte, entre l’expression spontanée qui vient comme tombée du ciel, et l’expression travaillée, bien élaborée, mélange d’Écritures Saintes et de sagesse humaine ? Choisir, c’est renoncer, dit-on parfois. En choisissant les 11 premiers versets, avec cette expression dans tous les dialectes de la terre, c’est bien entendu une forme d’universalité qui est choisie, une universalité simple et immédiate – en somme ce à quoi aspirait Rabbi Eliezer en faisant descendre la voix du ciel. Mais on laisse de côté la lente élaboration de la foi commune – on laisse en somme de côté Rabbi Yehoshua. Ça n’est peut être pas bien grave, mais, tout de même, est-ce le modèle d’Eglise auquel aspirait Jésus Christ, ou après Lui les Apôtres ? C’est très difficile – et hasardeux – de répondre à la place de Jésus Christ… Mais on l’a vu plus souvent enseigner qu’on ne l’a vu faire des miracles, et on l’a entendu souvent commander qu’on ne dise rien sur les miracles… Jésus Christ aurait-il été du côté de Rabbi Yehoshua, du côté de la lente et fraternelle construction de l’Eglise, lente et fraternelle élaboration, sans pour autant exclure de rares moments de claire spontanéité ? Il est assez tentant de le penser.

 

            Pourtant, même si les textes du jour ne proposent que Actes 2,1-11 et laissent de côté l’enseignement magistral de Pierre, il nous est proposé aussi Romains 8,8-17, et Jean 14,15-26 ; en les lisant tout à l’heure, nous avons mis de la durée dans nos lectures de Pentecôte portant sur le Saint Esprit. Dans les versets de Jean, l’Esprit Saint, appelé Défenseur ou Consolateur, va venir. Dans les versets de Romains, il est déjà venu. Et puisque les lecteurs que nous sommes trouvent ces textes déjà tout écrits, ils ont à se demander au présent ce que signifient ces temps des verbes dans les textes bibliques.

            Cette entreprise devrait pouvoir suffire pour échapper à la tentation à laquelle Rabbi Eliézer succomba : tentation de soulever soi-même et pour son propre profit un coin de ce voile sacré qui masque ce que l’homme ne peut revendiquer de connaître pour lui-même, mais dont la connaissance lui est parfois donnée d’en-haut.

            Sœurs et frères, puissions-nous à notre tour prendre le temps d’une longue construction de la communauté, et puisse, Dieu voulant, la connaissance d’en-haut nous être donnée en son temps. Amen