samedi 26 février 2022

Changer, cela est-il possible ? (Luc 6,39-45)

Luc 6

39 Il leur dit aussi une parabole: «Un aveugle peut-il guider un aveugle? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou?

 40 Le disciple n'est pas au-dessus de son maître, mais tout disciple bien formé sera comme son maître.

 41 «Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas?

 42 Comment peux-tu dire à ton frère: ‹Frère, attends. Que j'ôte la paille qui est dans ton œil›, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien? Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton œil ! Et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l'œil de ton frère.

 43 «Il n'y a pas de bon arbre qui produise un fruit malade, et pas davantage d'arbre malade qui produise un bon fruit.

 44 Chaque arbre en effet se reconnaît au fruit qui lui est propre: ce n'est pas sur un buisson d'épines que l'on cueille des figues, ni sur des ronces que l'on récolte du raisin.

 45 L'homme bon, du bon trésor de son cœur, tire le bien, et le mauvais, de son mauvais trésor, tire le mal; car ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du cœur.

Prédication

            Après ces lectures je voudrais évoquer un troisième auteur, le prophète Jérémie qui, au meilleur de son inspiration, imagina un futur dans lequel le frère et son prochain n’auraient plus jamais à échanger des propos du genre Mon frère, je vais te dire, parce que moi je le sais, ce que Dieu veut de toi… et l’autre évidemment de répondre Mon frère, je vais te dire, parce que moi je le sais mieux que toi, ce que Dieu veut de toi (Jérémie 31,31).

            Qu’est-ce qui était en cause, au temps de Jérémie ? La politique étrangère, le culte du temple de Jérusalem, la perspective d’un exil, la manière dont vivait les gens, toutes choses que la Loi (Torah) évoque, tout en requérant réflexion, interprétation et prise de responsabilité, sur le court terme, sur le long terme… responsabilités collectives, duelles, et individuelles.

            Dans cette perspective, si cette délibération de la loi pouvait être menée à bien – une sorte de visée permanente portée par une délibération permanente, tous ces gens deviendraient un peuple (le mot peuple est parfois un peu péjoratif, selon les auteurs, mais ici il est clairement employé dans une perspective laudative : puissent-ils devenir peuple pour moi, dit le Seigneur-Dieu).

            Mais le peuvent-ils ? La réponse, selon Jérémie, est connue : ils le peuvent – ou plutôt ils le pourront – lorsque le Seigneur-Dieu inscrira lui-même sa Loi (Torah) dans leurs cœurs ; le mot à mot, c’est lorsque le Seigneur-Dieu donnera sa Torah dans leurs cœurs. Mais le futur ne suffit pas à constituer ici le sens. Le don de la Loi n’est sans doute pas achevé, mais il est sans doute déjà commencé. Le cœur de l’homme n’est pas, n’est plus, hermétique aux saints commandements de la Loi, et l’intelligence de l’homme n’est donc pas incapable d’une méditation personnelle et fraternelle.

            Tout ceci nous pouvons l’appeler espérance de Jérémie, et nous pouvons faire le bilan de cette espérance en lisant les chapitres 32 à 52 du livre, mais pas seulement. Car l’espérance du livre de l’Exode, l’espérance aussi du livre du Deutéronome, pourraient bien être ainsi aussi être évaluées. Il y est question de Loi. Mieux que de Loi il y est question de distance, entre l’homme et son frère, entre l’homme et la Loi, entre l’homme et Dieu.

            A l’extrême de l’accomplissement de l’espérance de Jérémie, la distance entre l’homme et la Loi est nulle, nulle aussi la distance entre l’homme et Dieu, nulle aussi est la distance entre l’homme et son frère par la parole qui les différencie et qui les unit. Mais, une fois encore, d’ici-là ?

            D’ici-là, oserai-je le dire, c’est le temps du fragment (ou le temps de la distance infinie).

           

            Après avoir prononcé des bénédictions et des malédictions, après avoir prêché l’amour des ennemis jusqu’à leur donner plus que ce qu’ils veulent vous prendre,  après avoir ordonné de ne pas juger… après ce programme considérable  et comme si cela ne suffisait pas, comme si ça n’était pas déjà impossible, « Jésus ajouta encore une parabole. » Et une parabole qu’il est difficile de cerner, puisque 4 – ou 5 petits fragments imagés vont suivre.

            1. (aveugles) Deux aveugles, l’un guidé par l’autre, vont tomber dans un trou. Histoire vieille comme le monde et allégorie usée jusqu’à la corde, reprise ici sans qu’il soit possible de dire qui est l’aveugle qui guide, ni qui est l’aveugle qui suit… et après tout, peut-être sont-ils, chacun à son tour, guide et guidé. Peut-être faut-il, dans ce discours, à ce moment de ce discours, penser que tous sont aveugles. Que personne, en réalité, n’y voit rien. Personne n’y voit rien, et ce que Jésus dit là est le commencement de la parabole, commencement de l’instruction de ses disciples.

            2. (des disciples, un seul maître) L’instruction des disciples donc. Et il y a un maître. À l’horizon de l’instruction des disciples – horizon qui va être bientôt précisé – les disciples feront ce que fait ou faisait le maître. Nous pouvons bien entendu penser que le maître, c’est  Jésus (mais que fait Jésus ?) et que maître il est dès le commencement de sa vie. Une certaine lecture de l’évangile de Luc peut nous conduire à cette compréhension. Mais plusieurs épisodes de l’évangile de Luc nous montrent un Jésus maladroit au début de son ministère. Ce qui nous suggère qu’on ne naît pas maître, mais qu’on le devient, et qu’on le devient dans une réflexion de tous les jours. Même ainsi, nous pouvons penser qu’il n’y a que Jésus qui, dans l’évangile, a une stature de maître, stature qu’il travaillera jusqu’à la fin. Quel rapport à ses disciples cela produira-t-il ? Nous le dirons tantôt.

            3. (œil, paille, poutre) Suite, maintenant que nous avons parlé du maître et de ses disciples, et que nous avons établi qu’il ne s’agit pas d’une hiérarchie au sens humain, parlons des disciples entre eux. Paille, et poutre, l’allégorie est une fois de plus usée jusqu’à la corde. Quelqu’un se croit suffisamment qualifié pour faire le maître, quelqu’un se croit suffisamment accompli pour jouer le maître. Et il ne l’est pas. De maître, il n’y en a qu’un (principe évangélique, si l’on veut) et de hiérarchie parmi les disciples, il n’y en a pas. Qu’il n’y en ait pas n’empêche pas que, paille ou poutre, peu importe le calibre, l’on puisse s’aider entre frères et sœurs à faire le ménage à l’intérieur des yeux, des yeux qui sont nécessaires pour construire une juste vision du monde (pour ceci on pourrait bien aussi parler des oreilles, mais les yeux voient le plus souvent avant même que les oreilles entendent, si bien que le premier nettoyage communicationnel qui s’impose est celui du regard). Résumons, quelqu’un peut être aidant, et un autre aidé, mais la condition qui s’impose à qui veut être aidant est qu’il ait fait lui-même, aidé peut-être par son maître, le ménage de ce qui se trouve d’abord dans ses yeux.

            4. (arbres, bons ou mauvais) Qu’y a-t-il donc dans mes yeux, devrait se demander le disciple ? Et faisant retour sur lui-même, considérant une allégorie de plus, réfléchissant sur la diversité de la flore, le disciple se demande s’il est buisson d’épines ou figuier, s’il est ronce ou vigne (le disciple peut bien se poser la question s’agissant de son frère, ou de sa sœur, mais nous avons établi juste précédemment qu’il y a une dimension très introspective, une méditation très personnelle, une sorte de qui suis-je devant mon maître et avec mon maître ? qui commande tout ce parcours ?). Et puis, à cette étape, il ne s’agit pas de dire qui est qui – c’est déjà fait – mais de se demander, étant soi-même ce qu’on est, ce que peut-être on peut devenir. On objectera, c’est facile, que jamais un buisson d’épine ne deviendra figuier, et réciproquement, et que jamais un roncier ne deviendra vigne, et réciproquement. Et donc qui n’a jamais porté de bon fruit n’en portera jamais et celui qui porte le mal dans son cœur ne fera jamais que porter le mal autour de lui.

            5. (ce qu’il y a dans le cœur de l’homme) … Sauf que, toute cette parabole – c’est une parabole en cinq fragments – est construite autour de l’idée contraire. Contre les invariants de la botanique, contre les préjugés, contre le désespoir qui parfois vous habite, il n’est pas gravé dans le marbre que celui qui suit son maître est condamné à répandre autour de lui le mal, la souffrance et toutes sortes de tourments. L’homme mauvais et l’homme bon ont à suivre chacun son propre chemin dans le sillage du même maître. Et même si nous avons essayé de conserver à cette méditation un air de généralité, le maître dont nous avons parlé est Jésus de Nazareth.

                       En commentant un fragment de Jérémie, nous disions à l’instant que le temps du fragment était le temps de la distance infinie, le temps d’une espérance très très lointaine. La parabole de Luc 6, que nous avons lue, autre fragment, déjà plus large, déjà moins isolé de l’ensemble d’un livre, nous donne une espérance plus proche, et plus concrète.

            Une espérance que nous pouvons envisager d’habiter, avec laquelle nous pouvons entreprendre de vivre. Comme le dit Paul (un autre fragment encore) : 57 Rendons grâce à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. 58 Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, faites sans cesse des progrès dans l'œuvre du Seigneur, sachant que votre peine n'est pas vaine dans le Seigneur. » Amen

samedi 19 février 2022

Jésus prêche à ses disciples l'extrême dépendance de Dieu, David en fait résolument l'expérience

Une page avec une seule illustration

Luc 6

27 «Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent,

 28 bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.

 29 «À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique.

 30 À quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas.

 31 Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux.

 32 «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Car les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment.

 33 Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Les pécheurs eux-mêmes en font autant.

 34 Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez qu'ils vous rendent, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Même des pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu'on leur rende l'équivalent.

 35 Mais aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.

 36 «Soyez généreux comme votre Père est généreux.

 37 Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés.

 38 Donnez et on vous donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu'on vous versera dans le pan de votre vêtement, car c'est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous.»

1 Samuel 26

 2 Saül se mit en route et descendit au désert de Zif, avec trois mille hommes, l'élite d'Israël, pour rechercher David au désert de Zif.

 3 Saül campa sur la colline de Hakila, qui est en face de la steppe, près de la route. David demeurait dans le désert. Il vit que Saül était venu le poursuivre au désert.

 4 Ayant envoyé des éclaireurs, David fut certain de l'arrivée de Saül.

 5 David se mit en route et parvint à l'endroit où campait Saül. David aperçut l'endroit où étaient couchés Saül et Avner, fils de Ner, le chef de son armée. Saül était couché à l'intérieur de l'enceinte, et la troupe campait autour de lui.

 6 David prit la parole et dit à Ahimélek, le Hittite, et à Avishaï, fils de Cerouya et frère de Joab: «Qui veut descendre avec moi jusqu'à Saül, au camp?» Avishaï dit: «Je descendrai avec toi.»

 7 David et Avishaï arrivèrent de nuit auprès de la troupe, alors que Saül était couché, endormi, dans l'enceinte, sa lance fichée en terre à son chevet. Avner et la troupe dormaient autour de lui.

 8 Avishaï dit à David: «Aujourd'hui, Dieu a remis ton ennemi entre tes mains. Permets-moi donc de le clouer au sol d'un seul coup de lance. Je n'aurai pas à lui en donner un deuxième.»

 9 David dit à Avishaï: «Ne le tue pas! Qui pourrait porter la main sur le messie du SEIGNEUR et demeurer impuni?»

 10 Et David dit: «Par la vie du SEIGNEUR! C'est le SEIGNEUR qui le frappera, quand viendra l'heure de sa mort ou quand il descendra au combat pour y périr.

 11 Que le SEIGNEUR m'ait en abomination si je porte la main sur le messie du SEIGNEUR! Prends donc la lance qui est à son chevet et la gourde d'eau, et allons-nous-en.»

 12 David prit la lance et la gourde d'eau qui étaient au chevet de Saül, et ils s'en allèrent. Personne n'en vit rien, personne ne le sut, personne ne s'éveilla. Ils dormaient tous: une torpeur venue du SEIGNEUR était tombée sur eux.

 13 David passa de l'autre côté et se tint sur le sommet de la montagne, au loin. Il y avait entre eux une longue distance.

 14 David cria en direction de la troupe et d'Avner, fils de Ner: «Avner, vas-tu me répondre?» Avner répondit: «Qui es-tu, toi qui cries aux oreilles du roi?»

 15 David dit à Avner: «Tu es un homme, n'est-ce pas, et tu n'as pas ton pareil en Israël. Pourquoi donc n'as-tu pas veillé sur le roi, ton maître? Quelqu'un du peuple est venu pour tuer le roi, ton maître.

 16 Ce n'est pas bien, ce que tu as fait là. Par la vie du SEIGNEUR, vous méritez la mort pour n'avoir pas veillé sur votre maître, le messie du SEIGNEUR. Regarde maintenant où sont la lance du roi et la gourde d'eau qui étaient à son chevet.»

 17 Saül reconnut la voix de David et il dit: «Est-ce là ta voix, mon fils David?» David dit: «C'est ma voix, mon seigneur le roi.»

 18 Et il dit: «Pourquoi donc mon seigneur poursuit-il son serviteur? Qu'ai-je donc fait, et quel mal y a-t-il en moi?

 19 Et maintenant, que mon seigneur le roi daigne écouter les paroles de son serviteur. Si c'est le SEIGNEUR qui t'a excité contre moi, qu'il respire le parfum d'une offrande! Mais si ce sont des hommes, qu'ils soient maudits devant le SEIGNEUR pour m'avoir chassé aujourd'hui et coupé du patrimoine du SEIGNEUR, en me disant: ‹Va servir d'autres dieux!›

 20 Et maintenant, que mon sang ne tombe pas à terre loin de la face du SEIGNEUR, car le roi d'Israël s'est mis en campagne pour rechercher une simple puce, comme on pourchasse la perdrix dans les montagnes.»

 21 Saül dit: «J'ai péché. Reviens, mon fils David! Je ne te ferai plus de mal puisque ma vie a été précieuse à tes yeux en ce jour. Oui, j'ai agi comme un fou, je me suis lourdement trompé.»

 22 David répondit: «Voici la lance du roi. Que l'un des garçons traverse et qu'il la prenne.

 23 Que le SEIGNEUR rende à chacun ce qu'il a fait de juste et de sincère. C'est le SEIGNEUR qui t'avait livré aujourd'hui entre mes mains, et j'ai refusé de porter la main sur le messie du SEIGNEUR.

Prédication :

            S’agissant du roi David, nous avons en mémoire qu’il était le dernier fils de Jéssé. Ça se passait à Bethléem, en Judée. Le prophète Samuel avait préféré ce petit gars insignifiant à tous ses grands gaillards de frères. L’onction royale avait donc été conférée à David. Désormais, deux hommes étaient oints. David et l’autre, l’autre étant le roi Saül. Saül était, à ce qu’on dit, le premier roi d’Israël, oint lui aussi par le prophète Samuel… puis disgracié pour avoir transgressé divers interdits.

            Après avoir été oint, David s’en alla grandir à la cour du roi Saül où il s’illustra comme musicien, seul capable d’apaiser les fureurs du roi, et surtout comme homme de guerre.

            Et puis, l’état mental de Saül se dégradant, il prit David en haine, et David dut fuir, se réfugiant chez les Philistins, ou dans le désert. Et Saül le poursuivit… C’est là qu’il nous est proposé de lire.

            Saül, qui voulait la mort de David, se trouva à la merci de David. Une question se posa donc : « Celui qui veut ma mort se trouvant à ma merci, est-il légitime que je le tue ? » Oui ? Non ? Réponse de David : non !

            David semble mettre en œuvre une sorte de commandement : si celui qui veut votre mort se trouve à votre merci, vous l’épargnerez. C’est un commandement très intéressant. Mais peut-on le généraliser ainsi que nous sommes en train de le faire ? D’abord, nous avons là deux personnage ayant reçu l’onction, et donc ce ne sont pas des gens ordinaires. Pourtant nous les avons appelés simplement David et Saül, oui, ce sont des noms de rois et nous parlons donc du régicide, plus loin, nous avons pu laisser résonner l’idée d’un fils, de son père, et du parricide , et en plus nous pouvons évoquer le serviteur et son Seigneur, et finalement toute relation de pouvoir… Ces généralisations sont-elles légitimes ?

            Est-ce que le geste – retenir son bras est aussi un geste – est-ce que le geste de David peut servir de fondement à un commandement très général interdisant tout meurtre ? Dans d’autres fragments du récit, nous pouvons voir David, petit chef de bande, détruire des villages entiers, massacrer toute la population, et ne conserver que le bétail.

            Mais ça n’est pas parce que David le fait que ça légitime quoi que ce soit. C’est d’ailleurs une erreur courante que de considérer que ce qui est fait, ou pas fait dans la Bible doit être considéré immédiatement comme un modèle, ou une loi. La Bible ne nous dispense jamais ni de la réflexion, ni de la foi.

            Et il nous faut en revenir à la Bible.

 

            Épargner Saül, cela peut-il être exigé ? Et si oui, cela peut-il être exigé indépendamment des circonstances ? Difficile de répondre à cet instant.

            Continuons. David motive précisément sa décision. Saül, même disgracié, même renié, demeure le roi, demeure celui qui a reçu l’onction royale et divine, et personne ne doit, personne ne peut porter la main sur lui. Paroles de David : « C’est Le Seigneur qui le frappera lorsque viendra l’heure…  Que Le Seigneur me maudisse si je porte la main sur le messie du Seigneur. » Selon David, que Saül meure n’appartient qu’au Seigneur seul. D’où la décision de David d’épargner Saül.

            Et nous nous demandons en quoi la décision de David, avec ses motivations, peut nous concerner… nous qui ne sommes ni rois, ni oints, ni armés, ni ennemis d’untel… Nous ne sommes rien de tout cela. Et sans doute n’aurons-nous jamais à contempler notre ennemi livré à notre merci, en nous demandant, pistolet à la main, s’il nous faut frapper ou retenir notre main… Jamais. Cette histoire donc, David épargnant Saül, ne nous concerne pas.

            Soit, elle ne nous concerne pas. Mais en le disant, nous sentons que c’est faux, et qu’il y a là quelque chose à méditer, quelque chose de délicat, quelque chose d’important. Quelque chose que l’être humain ne peut jamais décider que par soi- même, dans lequel son engagement est total, et totale aussi sa retenue. Pour le dire autrement, c’est la situation qui est inédite, avec un sujet dans une position de toute puissance, une toute puissance qui est invitée à se reconnaître elle-même, à se méditer elle-même, et à s’effacer d’elle-même. C’est une sorte de processus pour lequel il n’y a ni théorie ni diplôme.

            David avec Saül, laissons là le fragment du récit. Et venons-en à Luc.

 

            Qu’en est-il de ce fragment de discours de Jésus (Luc 6,27-38) que nous avons associé au fragment de récit de Samuel ?

            Ce fragment de discours comporte quantité d’impératifs (17 en 12 versets) et chacun de ces impératifs correspond d’assez près à une situation dans laquelle celui qui y est engagé, de gré ou de force, est invité à être engagé d’avantage encore, voire engagé sans aucune restriction.

            Celui qui engagé est invité à l’être plus encore, et comme le texte est très structuré, il est tentant d’affirmer que c’est la raison qui est en jeu, que c’est la raison qui appelle à cet engagement extrême, alors qu’il est possible de dire que cet engagement est déraisonnable. Car ça n’est pas en raison qu’on présente l’autre joue, ça n’est pas en raison qu’on donne la tunique en plus du manteau, qu’on prête sans perspective de remboursement, etc.. 

            Ajoutons à la déraison que si tous ces impératifs faisaient l’objet d’une proclamation contraignante, ou étaient constitués en un règlement, ça serait le signal de la présence d’un gourou dans les environs, mais certainement pas celle d’un berger ou d’un sauveur.

            Prenons cependant pour nous-mêmes tous ces impératifs ensemble, et tâchons d’imaginer la situation, ou le genre de situation qu’ils décrivent. C’est une situation dans laquelle le peu de puissance dont on dispose est appelé à s’exercer en s’épuisant totalement. Il est alors question de don absolu, de don éperdu, absolument gratuit, avec récompense dans les cieux, c'est-à-dire on ne sait ni quoi, ni où, ni quand.

            Plus encore, ces nombreux impératifs considérés tous ensemble viennent, dans leurs différences cumulées décrire quantité de situations très particulières, pendant que dans leur ressemblance ils renvoient à ce dont nous avons parlé déjà tout à l’heure en parlant de David : celui qui doit s’engager, agir, est seul, absolument impréparé.

           

            Il nous reste une étape à franchir. La singularité de la situation, la solitude et l’impréparation de celui qui agit peuvent être reprises en un seul mot : liberté. Liberté de Dieu, et peut-être bien liberté de l’homme. La toute puissance de celui qui agit s’exténuant, c’est à la liberté qu’il se trouve de plus en plus invité. Quant à celui auquel il est fait grâce, il se trouve libre de toute obligation.

            Ainsi pour Saül et David.

            Ainsi pour Jésus Christ, ses disciples et les disciples de ses disciples après lui.

            Ainsi de nous-mêmes.

  

samedi 12 février 2022

Aujourd'hui, nous vous proposons trois textes pour un culte thématique, et la thématique, c'est la diaconie.

 Jean 6

5 Or, ayant levé les yeux, Jésus vit une grande foule qui venait à lui. Il dit à Philippe: «Où achèterons-nous des pains pour qu'ils aient de quoi manger?» 6 En parlant ainsi il le mettait à l'épreuve; il savait, quant à lui, ce qu'il allait faire. 7 Philippe lui répondit: «Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas pour que chacun reçoive un petit morceau.» 8 Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit: 9 «Il y a là un garçon qui possède cinq pains d'orge et deux petits poissons; mais qu'est-ce que cela pour tant de gens?» 10 Jésus dit: «Faites-les asseoir.» Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit. Ils s'assirent donc; ils étaient environ cinq mille hommes. 11 Alors Jésus prit les pains, il rendit grâce et les distribua aux convives. Il fit de même avec les poissons; il leur en donna autant qu'ils en désiraient. 12 Lorsqu'ils furent rassasiés, Jésus dit à ses disciples: «Rassemblez les morceaux qui restent, de sorte que rien ne soit perdu.» 13 Ils les rassemblèrent et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d'orge qui étaient restés à ceux qui avaient mangé.

 Jean 9

1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. 2 Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?» 3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui! 4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler; 5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.» 6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle; 7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.

 Marc 12 

41 Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup. 42 Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes. 43 Appelant ses disciples, Jésus leur dit: «En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc. 44 Car tous ont mis en prenant sur leur superflu; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre.»



Prédication  En quatre points : La divine puissance, le partage, fatalité, liberté 

            LA DIVINE PUISSANCE

            Ainsi donc, au sixième chapitre de l’évangile de Jean, Jésus multiplia des pains et des poissons, et, après que les gens eurent mangé, il y eut douze paniers de restes de pain. Il y eut donc plus de pain à la fin qu’au commencement. Et le nombre d’hommes qui avaient mangé était ce jour-là de 5000. Que ferons-nous – qu’allons-nous faire – d’un résultat aussi époustouflant ?

            Nous pouvons nous en vanter : notre Seigneur est un puissant seigneur. Il nourrit les foules, guérit des malades, change l’eau en vin… Il n’est personne qui soit plus puissant que Lui.

            Soit, mais en nous exprimant ainsi, nous mettons les gens en compétition, et nous nous  inscrivons nous même dans un processus compétitif. De plus en plus de miracles vont être exigés, et cela va mal tourner. Car il va venir un moment où il n’y aura plus de miracles, où toute cette compétition tournera court, lorsque Jésus mourra sur la croix.

            Bien sûr, après la croix il ressuscite, c’est le miracle des miracles, sauf que la résurrection n’efface jamais la passion – il serait même tout à fait possible de dire que la résurrection n’est pas différente de la passion, que la résurrection prolonge la passion. Car après sa mort Jésus revient dans la chair, comme un homme, et il poursuit le travail de formation de ses disciples, qu’il avait entrepris jusque là, avec plus ou moins de succès.

            Laissons donc là une fierté trop mal placée, et recommençons la lecture.

 

            Jésus multiplie les pains et, même si nous devons éviter de nous vanter de cela, nous pouvons bien nous en émerveiller.

            Nous nous émerveillons d’un monde, le monde du texte, dans lequel un homme puissant met sa puissance considérable au service de personnes démunies. Émerveillement ! Mais il y a un mais : c’est dans le monde du texte que cela se passe.

            PARTAGE

            Qu’en est-il dans le vrai monde, c'est-à-dire notre monde ? Et bien lisons le texte, nous fermons ensuite le livre, et nous revenons à la vraie vie.

            Lorsque du pain est distribué, y en a-t-il plus à la fin qu’au début ? Nous ne le voyons pas. Y a-t-il des gens qui donnent et partagent ? Un peu, beaucoup, parce que donner et partager de ce qu’on a, c’est souvent possible. Qu’il s’agisse des avions du Programme Alimentaire Mondial ou des aides modestes d’un Diaconat paroissial, c’est possible.

            Oui, dans le vrai monde, des gens donnent et partagent.

           

            Mais qu’ont-ils à partager ? Pour illustrer cette possibilité de partager ce qu’on a, évoquons le second récit que nous avons lu.

            On parle souvent de ce récit comme d’un des sept miracles accomplis par Jésus dans l’évangile de Jean. On parle souvent aussi des bienfaits de l’argile utilisée comme masque nettoyant pour la peau : on applique, on laisse sécher, on rince, et les impuretés sont éliminées. Ce savoir est connu depuis la nuit des temps. Et c’est ce savoir que Jésus met en œuvre avec l’aveugle : il fait de la boue avec sa salive et de la poussière du chemin, il applique bien cette boue sur les yeux de l’aveugle, et l’envoie se laver là où il y a bien de l’eau. Tout cela nettoie bien les yeux. L’aveugle est guéri.

            Une médecine si simple, ne pouvait-elle pas être mise en œuvre par quelqu’un d’autre que Jésus ? Et bien, en ce temps-là, dans cette culture-là, ceux qui auraient dû pouvoir traiter ce pauvre homme étaient très obsédés par la pureté, ils avaient peur du sale. Qui donc aurait été mettre ses mains au contact d’yeux sales ? Ce que Jésus a à partager n’est pas ici la puissance miraculeuse, mais une humaine compétence, une de ces compétences que certains peuvent avoir et qui peuvent être partagées.

            FATALITE

            L’aveugle de naissance, si Jésus n’était pas passé par là, serait resté aveugle. Et être aveugle aurait été pour lui une fatalité.

            Or, il n’y a pour Jésus aucune fatalité. Lorsque ses disciples lui demandent « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? », Jésus répond ni lui ni ses parents… et en plus de cette réponse en mots il va faire une réponse en actes. Les mots et les actes de Jésus réparent pour toujours le monde de l’aveugle.

            Il n’y a pas de fatalité, avons-nous dit.

 

            Mais si l’on veut dire que, dans le livre, dans la Bible et en Christ, il n’y a pas de fatalité, mieux vaut être prudent. Car en ce temps-là il y avait d’autres aveugles et ces autres aveugles n’eurent pas la chance de rencontrer Jésus. En ce temps-là aussi il y eut d’autres rassemblements de foules et ces foules n’eurent pas la chance de manger à leur faim. En ce temps-là, dans le livre, Lazare mourut, et fut par Jésus ramené de la mort à la vie. Mais les autres ?

            Où sont-ils dans la Bible ? Où sont, dans les évangiles, ceux qui ne rencontrent pas Jésus ? La question est importante, parce qu’il s’agit de savoir, à la fin, si la parole de Jésus, si la puissance de Jésus, sont et seront encore actives après qu’il sera définitivement parti.

            Lorsque Jésus se choisit des disciples et qu’il choisit de les former, il œuvre pour que sa parole et sa puissance durent longtemps. Si nous choisissons, nous, de continuer la lecture au-delà des évangiles, nous verrons Pierre parler et agir en imitateur de Jésus. Et nous verrons que pour quelques-uns encore, de plus en plus nombreux, le monde en est changé. Jusqu’aux extrémités de la terre, c’est le mot d’ordre. Et cela signifie tout le monde. De fait, les Apôtres vont s’aventurer de plus en plus loin, et l’Évangile touchera de plus en plus de monde. C’est l’histoire des Églises. Et là où les Églises s’établissent, y a-t-il encore une fatalité ?

            LIBERTE

            Nous devons être lucides, et honnêtes. Nous ne pouvons pas parler pour le monde entier, et là où notre Église est établie, en dépit des engagements des uns et des autres, en dépit de leurs efforts, même si certaines misères sont soulagées, il reste aussi du malheur parfois apparemment irréversible. C’est certainement attristant. Mais il n’y a pas qu’à cela que nous devons regarder.

            Il y avait une immense foule que Jésus souhaitait nourrir. Et il y avait un p’tit gars, avec cinq pains d’orge et deux petits poissons. Il y avait aussi le grand Temple de Jérusalem et le tronc pour les offrandes, une pauvre vieille femme y mit une toute petite pièce (en fait, elle en mit deux). Point commun entre ces deux personnes, tant le p’tit gars que la vieille femme, une fois leur don fait, ils n’eurent plus rien. Ils donnèrent tout… Mais ça n’est pas à ça vous allez être exhortés. Personne n’avait exhorté le p’tit gars et la vieille femme à tout donner ; donner ainsi était juste la forme de leur engagement. Même si cet engagement était infiniment dérisoire par rapport à la tâche à accomplir, ils l’ont fait. Et ils l’ont fait tout à fait librement.

            Librement : au nom du Seigneur Jésus Christ, qu’il nous soit donné d’agir de même.        



samedi 5 février 2022

Lorsque Pierre va à la pêche (Luc 5,1-11)

Luc 5

1 Or, un jour, la foule se serrait contre lui à l'écoute de la parole de Dieu; il se tenait au bord du lac de Génésareth.

2 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac; les pêcheurs qui en étaient descendus lavaient leurs filets. 3 Il monta dans l'une des barques, qui appartenait à Simon, et demanda à celui-ci de quitter le rivage et d'avancer un peu; puis il s'assit et, de la barque, il enseignait les foules. 4 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon: «Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour capturer du poisson.» 5 Simon répondit: «Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets.» 6 Ils le firent et rassemblèrent une grande quantité de poissons; leurs filets se déchiraient. 7 Ils firent signe à leurs camarades de l'autre barque de venir les aider; ceux-ci vinrent et ils remplirent les deux barques au point qu'elles enfonçaient. 8 À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant: «Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un pécheur.» 9 C'est que l'effroi l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris; 10 de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon. Jésus dit à Simon: «Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu auras à capturer.» 11 Ramenant alors les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent. 

Prédication

            Vocation prophétique, avec Ésaïe, vocation apostolique, avec Paul, et vocation à être disciple, avec Pierre. Les trois textes qui nous sont proposés ce matin parlent de vocation.

            La vocation, c’est un être humain, un appel, un message dans un temps et dans des circonstances uniques, et une réponse positive.

            Tous ces éléments sont à peu près cités dans leur ordre habituel d’apparition. Parfois celui qui est appelé répondra non (il restera, dans nos sources bibliques, à examiner si, au cas où celui qui est appelé répond non, Dieu renonce et lâche comme ça celui qu’il avait appelé).

            La plupart du temps, la réponse sera positive, et le message divin sera émis.

            Quant à la réception du message, c’est à l’avenant.

            Ésaïe est appelé par Dieu à délivrer un message incompréhensible, destiné à endurcir le cœur des auditeurs, afin qu’aucune conversion n’advienne ni aucun pardon divin (c’est l’une des pages les plus étranges de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments réunis.).

            Paul, là où nous avons lu, est absolument sûr de lui-même, sûr de ce qu’il avance, mais il est nettement moins sûr de ses chers Corinthiens. Lui, il répond, mais eux, vont-ils entendre et, s’ils entendent, se laisseront-ils transformer ? Au final, nous ne le savons pas trop. Peut être la première épître de Saint Clément de Rome aux Corinthiens nous permettrait-elle de répondre.

            Et il nous reste Pierre, qui en est, là où nous avons lu, à ses tout débuts, comme Esaïe, appelé non pas par une voix du ciel, mais par un autre homme – Jésus. Pierre est appelé à devenir pécheur d’hommes : « Désormais, ce sont des hommes que tu auras à capturer », lui dit Jésus.

            Mais capturer des hommes, qu’est-ce que ça signifie ?

 

            Cela signifie bien des choses. Dans les versets que nous lisons, pour décrire ce que Pierre faisait et ce qu’il aura à faire, pêcher, quatre verbes différents sont utilisés (et les traducteurs font ce qu’ils peuvent ; ceux qui commentent font ce qu’ils peuvent aussi.

            (1) Lorsqu’on va à la pêche, il arrive qu’on rentre bredouille et c’était le cas de Pierre et de ses associés ce matin-là, ce matin où un homme monta dans leur barque et s’en servit de tribune pour enseigner les foules. On ne sait ce qu’il leur enseigna mais, à la fin son enseignement, il commanda à Pierre d’aller un peu au large, et de lancer le filet en eau profonde, pour attraper du poisson.

            Premier verbe, disons attraper, ou saisir… le verbe employé ici par Luc n’est pas un verbe très rare, il porte bien en lui l’idée d’attraper. Vocabulaire de chasse, de pêche, ou de guerre. Il s’agit de prendre le contrôle d’un être vivant, et ce contrôle est bien un contrôle définitif. Les poissons ainsi pris au filet sont des poissons qui sont destinés à nourrir des humains et, avant de nourrir des humains, ils auront péri. Jésus donc commande à Pierre et ses associés d’aller capturer pour mourir des poissons.

            (2) Jésus ordonne à Pierre de jeter les filets, et Pierre va obéir à Jésus. « Nous avons trimé la nuit entière sans rien prendre… » Prendre, second verbe que nous rencontrons, qui est ce qu’on pourrait appeler un verbe standard, un verbe à tout faire, un verbe simple pour un homme simple, car Pierre est un homme simple, un homme qui n’est pas nécessairement habité par des subtilités langagières. Et son langage est donc exempt de subtilité. La bredouille, c’est quand on n’a rien pris, et la question de ranger d’une manière ou d’une autre ce qu’on n’a pas pris ne se pose pas. Et si l’on a pris quelque chose, la question ne se pose pas non plus, on met tout ça en vrac sur le fond de la barque – on rangera plus tard, ou pas.

            Premier verbe, prendre pour la mort.

            Deuxième verbe, tout simplement, prendre.

            (3) Et maintenant, troisième verbe, « ils capturèrent une grande quantité de poissons ». Il y en eut tellement que les filets se déchiraient et que les barques menaçaient de sombrer, scène pittoresque.

            Le verbe utilisé pour décrire cette capture est très étonnant [συνέκλεισαν] : sa signification c’est enfermer ensemble et on comprend bien ce que cela signifie lorsqu’on pèche au filet, mais il y a une figure de style, une assonance, qui fait que lorsqu’on lit enfermer ensemble, on entend presque église.

            Le narrateur de cette histoire, tout en parlant de Pierre, se met à parler de ce rassemblement de gens, qui n’existe pas vraiment encore, mais qui est proche d’arriver. L’Église en germe, c’est peut-être cette foule rassemblée sur la rive. Ces gens, ces paroissiens, comment sont-ils arrivés là ? Par ruse – le pécheur leurre le poisson ? Et ce futur dirigeant d’Église qu’est Pierre, comment attirera-t-il les croyants ? Par du boniment ? Et dans quel but ? Les enfermer ensemble dans un filet d’actes de puissance et de raisonnements fumeux ?        Si tel est le cas, ce qui est promis, c’est que le filet se rompra… Mais l’évangile de parie pas sur le pire.

            Troisième verbe, rassembler dans un espace fermer.

            (4) Il y a un quatrième verbe, qui fait écho au premier verbe. Le premier verbe, c’était prendre mort, et le quatrième, c’est prendre vivant.

            Ce que Pierre aura à faire, lui déclare Jésus, c’est prendre vivant des hommes. Non pas les prendre vivants comme des poissons pour les mettre dans un aquarium ou un vivier afin de disposer d’eux plus tard, non pas les prendre comme, à la guerre, on fait des prisonniers, mais les prendre et les rendre, les prendre pour les rendre à la vie (tout autre compréhension de ce quatrième verbe reviendrait en arrière, reviendrait aux verbes précédents, et surtout au premier).

            Pierre aura à les prendre vivants, ce qui exclut que ces hommes soient préalablement leurrés. Ce qui oblige qu’ayant entendu l’appel, ce soit leur volonté et leur choix qui les conduise à entrer dans cet espace décrit comme un filet, mais un filet ouvert, et que nous appelons Église.

            Quelqu’un donc a entendu l’Évangile, quelqu’un a entendu l’appel, il entre tel qu’il est, sans forcément savoir ce qui va se passer, et c’est la liberté qu’il trouve, celle de partir et celle de rester.

            Quatre verbes donc : prendre pour la mort, prendre, rassembler dans un lieu hermétiquement clos et finalement prendre pour la vie. Et avec ces quatre verbes de quoi nourrir une année entière d’études bibliques consacrées à la vocation, de quoi nourrir des journées de réflexion sur des épisodes de l’histoire des Églises, et de quoi nourrir des heures de réflexion personnelle, chacun sur sa manière de recevoir la Bonne Nouvelle, et chacun aussi sur sa manière de partager cette Bonne Nouvelle, qui sera transmise Dieu voulant.

 

            Ce jour-là, Pierre, Jacques et Jean ont choisi de laisser derrière eux tous leurs outils, pour suivre Jésus. Ils sont entrés dans un long travail d’apprentissage, il y aurait du boulot... Jacques et Jean, souvenez-vous, étaient du genre à vouloir incendier un village parce qu’on leur avait refusé l’hospitalité, et Pierre était du genre à faire de grande promesses à son Maître, puis du genre à le renier.

            Ce jour-là, en laissant tous leurs outils, ils ont franchi une première étape, importante, voire essentielle : on n’attrape pas les hommes vivants avec des outils. Avec tous les sens que prend le mot outil, nous pouvons penser que ce début est un assez bon début. Puissions les suivre sur ce chemin. Amen