samedi 19 février 2022

Jésus prêche à ses disciples l'extrême dépendance de Dieu, David en fait résolument l'expérience

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Luc 6

27 «Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent,

 28 bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.

 29 «À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique.

 30 À quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas.

 31 Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux.

 32 «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Car les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment.

 33 Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Les pécheurs eux-mêmes en font autant.

 34 Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez qu'ils vous rendent, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Même des pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu'on leur rende l'équivalent.

 35 Mais aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.

 36 «Soyez généreux comme votre Père est généreux.

 37 Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés.

 38 Donnez et on vous donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu'on vous versera dans le pan de votre vêtement, car c'est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous.»

1 Samuel 26

 2 Saül se mit en route et descendit au désert de Zif, avec trois mille hommes, l'élite d'Israël, pour rechercher David au désert de Zif.

 3 Saül campa sur la colline de Hakila, qui est en face de la steppe, près de la route. David demeurait dans le désert. Il vit que Saül était venu le poursuivre au désert.

 4 Ayant envoyé des éclaireurs, David fut certain de l'arrivée de Saül.

 5 David se mit en route et parvint à l'endroit où campait Saül. David aperçut l'endroit où étaient couchés Saül et Avner, fils de Ner, le chef de son armée. Saül était couché à l'intérieur de l'enceinte, et la troupe campait autour de lui.

 6 David prit la parole et dit à Ahimélek, le Hittite, et à Avishaï, fils de Cerouya et frère de Joab: «Qui veut descendre avec moi jusqu'à Saül, au camp?» Avishaï dit: «Je descendrai avec toi.»

 7 David et Avishaï arrivèrent de nuit auprès de la troupe, alors que Saül était couché, endormi, dans l'enceinte, sa lance fichée en terre à son chevet. Avner et la troupe dormaient autour de lui.

 8 Avishaï dit à David: «Aujourd'hui, Dieu a remis ton ennemi entre tes mains. Permets-moi donc de le clouer au sol d'un seul coup de lance. Je n'aurai pas à lui en donner un deuxième.»

 9 David dit à Avishaï: «Ne le tue pas! Qui pourrait porter la main sur le messie du SEIGNEUR et demeurer impuni?»

 10 Et David dit: «Par la vie du SEIGNEUR! C'est le SEIGNEUR qui le frappera, quand viendra l'heure de sa mort ou quand il descendra au combat pour y périr.

 11 Que le SEIGNEUR m'ait en abomination si je porte la main sur le messie du SEIGNEUR! Prends donc la lance qui est à son chevet et la gourde d'eau, et allons-nous-en.»

 12 David prit la lance et la gourde d'eau qui étaient au chevet de Saül, et ils s'en allèrent. Personne n'en vit rien, personne ne le sut, personne ne s'éveilla. Ils dormaient tous: une torpeur venue du SEIGNEUR était tombée sur eux.

 13 David passa de l'autre côté et se tint sur le sommet de la montagne, au loin. Il y avait entre eux une longue distance.

 14 David cria en direction de la troupe et d'Avner, fils de Ner: «Avner, vas-tu me répondre?» Avner répondit: «Qui es-tu, toi qui cries aux oreilles du roi?»

 15 David dit à Avner: «Tu es un homme, n'est-ce pas, et tu n'as pas ton pareil en Israël. Pourquoi donc n'as-tu pas veillé sur le roi, ton maître? Quelqu'un du peuple est venu pour tuer le roi, ton maître.

 16 Ce n'est pas bien, ce que tu as fait là. Par la vie du SEIGNEUR, vous méritez la mort pour n'avoir pas veillé sur votre maître, le messie du SEIGNEUR. Regarde maintenant où sont la lance du roi et la gourde d'eau qui étaient à son chevet.»

 17 Saül reconnut la voix de David et il dit: «Est-ce là ta voix, mon fils David?» David dit: «C'est ma voix, mon seigneur le roi.»

 18 Et il dit: «Pourquoi donc mon seigneur poursuit-il son serviteur? Qu'ai-je donc fait, et quel mal y a-t-il en moi?

 19 Et maintenant, que mon seigneur le roi daigne écouter les paroles de son serviteur. Si c'est le SEIGNEUR qui t'a excité contre moi, qu'il respire le parfum d'une offrande! Mais si ce sont des hommes, qu'ils soient maudits devant le SEIGNEUR pour m'avoir chassé aujourd'hui et coupé du patrimoine du SEIGNEUR, en me disant: ‹Va servir d'autres dieux!›

 20 Et maintenant, que mon sang ne tombe pas à terre loin de la face du SEIGNEUR, car le roi d'Israël s'est mis en campagne pour rechercher une simple puce, comme on pourchasse la perdrix dans les montagnes.»

 21 Saül dit: «J'ai péché. Reviens, mon fils David! Je ne te ferai plus de mal puisque ma vie a été précieuse à tes yeux en ce jour. Oui, j'ai agi comme un fou, je me suis lourdement trompé.»

 22 David répondit: «Voici la lance du roi. Que l'un des garçons traverse et qu'il la prenne.

 23 Que le SEIGNEUR rende à chacun ce qu'il a fait de juste et de sincère. C'est le SEIGNEUR qui t'avait livré aujourd'hui entre mes mains, et j'ai refusé de porter la main sur le messie du SEIGNEUR.

Prédication :

            S’agissant du roi David, nous avons en mémoire qu’il était le dernier fils de Jéssé. Ça se passait à Bethléem, en Judée. Le prophète Samuel avait préféré ce petit gars insignifiant à tous ses grands gaillards de frères. L’onction royale avait donc été conférée à David. Désormais, deux hommes étaient oints. David et l’autre, l’autre étant le roi Saül. Saül était, à ce qu’on dit, le premier roi d’Israël, oint lui aussi par le prophète Samuel… puis disgracié pour avoir transgressé divers interdits.

            Après avoir été oint, David s’en alla grandir à la cour du roi Saül où il s’illustra comme musicien, seul capable d’apaiser les fureurs du roi, et surtout comme homme de guerre.

            Et puis, l’état mental de Saül se dégradant, il prit David en haine, et David dut fuir, se réfugiant chez les Philistins, ou dans le désert. Et Saül le poursuivit… C’est là qu’il nous est proposé de lire.

            Saül, qui voulait la mort de David, se trouva à la merci de David. Une question se posa donc : « Celui qui veut ma mort se trouvant à ma merci, est-il légitime que je le tue ? » Oui ? Non ? Réponse de David : non !

            David semble mettre en œuvre une sorte de commandement : si celui qui veut votre mort se trouve à votre merci, vous l’épargnerez. C’est un commandement très intéressant. Mais peut-on le généraliser ainsi que nous sommes en train de le faire ? D’abord, nous avons là deux personnage ayant reçu l’onction, et donc ce ne sont pas des gens ordinaires. Pourtant nous les avons appelés simplement David et Saül, oui, ce sont des noms de rois et nous parlons donc du régicide, plus loin, nous avons pu laisser résonner l’idée d’un fils, de son père, et du parricide , et en plus nous pouvons évoquer le serviteur et son Seigneur, et finalement toute relation de pouvoir… Ces généralisations sont-elles légitimes ?

            Est-ce que le geste – retenir son bras est aussi un geste – est-ce que le geste de David peut servir de fondement à un commandement très général interdisant tout meurtre ? Dans d’autres fragments du récit, nous pouvons voir David, petit chef de bande, détruire des villages entiers, massacrer toute la population, et ne conserver que le bétail.

            Mais ça n’est pas parce que David le fait que ça légitime quoi que ce soit. C’est d’ailleurs une erreur courante que de considérer que ce qui est fait, ou pas fait dans la Bible doit être considéré immédiatement comme un modèle, ou une loi. La Bible ne nous dispense jamais ni de la réflexion, ni de la foi.

            Et il nous faut en revenir à la Bible.

 

            Épargner Saül, cela peut-il être exigé ? Et si oui, cela peut-il être exigé indépendamment des circonstances ? Difficile de répondre à cet instant.

            Continuons. David motive précisément sa décision. Saül, même disgracié, même renié, demeure le roi, demeure celui qui a reçu l’onction royale et divine, et personne ne doit, personne ne peut porter la main sur lui. Paroles de David : « C’est Le Seigneur qui le frappera lorsque viendra l’heure…  Que Le Seigneur me maudisse si je porte la main sur le messie du Seigneur. » Selon David, que Saül meure n’appartient qu’au Seigneur seul. D’où la décision de David d’épargner Saül.

            Et nous nous demandons en quoi la décision de David, avec ses motivations, peut nous concerner… nous qui ne sommes ni rois, ni oints, ni armés, ni ennemis d’untel… Nous ne sommes rien de tout cela. Et sans doute n’aurons-nous jamais à contempler notre ennemi livré à notre merci, en nous demandant, pistolet à la main, s’il nous faut frapper ou retenir notre main… Jamais. Cette histoire donc, David épargnant Saül, ne nous concerne pas.

            Soit, elle ne nous concerne pas. Mais en le disant, nous sentons que c’est faux, et qu’il y a là quelque chose à méditer, quelque chose de délicat, quelque chose d’important. Quelque chose que l’être humain ne peut jamais décider que par soi- même, dans lequel son engagement est total, et totale aussi sa retenue. Pour le dire autrement, c’est la situation qui est inédite, avec un sujet dans une position de toute puissance, une toute puissance qui est invitée à se reconnaître elle-même, à se méditer elle-même, et à s’effacer d’elle-même. C’est une sorte de processus pour lequel il n’y a ni théorie ni diplôme.

            David avec Saül, laissons là le fragment du récit. Et venons-en à Luc.

 

            Qu’en est-il de ce fragment de discours de Jésus (Luc 6,27-38) que nous avons associé au fragment de récit de Samuel ?

            Ce fragment de discours comporte quantité d’impératifs (17 en 12 versets) et chacun de ces impératifs correspond d’assez près à une situation dans laquelle celui qui y est engagé, de gré ou de force, est invité à être engagé d’avantage encore, voire engagé sans aucune restriction.

            Celui qui engagé est invité à l’être plus encore, et comme le texte est très structuré, il est tentant d’affirmer que c’est la raison qui est en jeu, que c’est la raison qui appelle à cet engagement extrême, alors qu’il est possible de dire que cet engagement est déraisonnable. Car ça n’est pas en raison qu’on présente l’autre joue, ça n’est pas en raison qu’on donne la tunique en plus du manteau, qu’on prête sans perspective de remboursement, etc.. 

            Ajoutons à la déraison que si tous ces impératifs faisaient l’objet d’une proclamation contraignante, ou étaient constitués en un règlement, ça serait le signal de la présence d’un gourou dans les environs, mais certainement pas celle d’un berger ou d’un sauveur.

            Prenons cependant pour nous-mêmes tous ces impératifs ensemble, et tâchons d’imaginer la situation, ou le genre de situation qu’ils décrivent. C’est une situation dans laquelle le peu de puissance dont on dispose est appelé à s’exercer en s’épuisant totalement. Il est alors question de don absolu, de don éperdu, absolument gratuit, avec récompense dans les cieux, c'est-à-dire on ne sait ni quoi, ni où, ni quand.

            Plus encore, ces nombreux impératifs considérés tous ensemble viennent, dans leurs différences cumulées décrire quantité de situations très particulières, pendant que dans leur ressemblance ils renvoient à ce dont nous avons parlé déjà tout à l’heure en parlant de David : celui qui doit s’engager, agir, est seul, absolument impréparé.

           

            Il nous reste une étape à franchir. La singularité de la situation, la solitude et l’impréparation de celui qui agit peuvent être reprises en un seul mot : liberté. Liberté de Dieu, et peut-être bien liberté de l’homme. La toute puissance de celui qui agit s’exténuant, c’est à la liberté qu’il se trouve de plus en plus invité. Quant à celui auquel il est fait grâce, il se trouve libre de toute obligation.

            Ainsi pour Saül et David.

            Ainsi pour Jésus Christ, ses disciples et les disciples de ses disciples après lui.

            Ainsi de nous-mêmes.