dimanche 25 mai 2014

Sur le trouble et la vérité (Jean 14,1-12)

Jean 14
1 «Que votre cœur ne se trouble pas: vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2 Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures: sinon vous aurais-je dit que j'allais vous préparer le lieu où vous serez?
3 Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.
4 Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin.»
5 Thomas lui dit: «Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin?»
6 Jésus lui dit: «Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va auprès du Père si ce n'est par moi.
7 Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l'avez vu.»
8 Philippe lui dit: «Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit.»
9 Jésus lui dit: «Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m'as pas reconnu! Celui qui m'a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu: ‹Montre-nous le Père›?
10 Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même! Au contraire, c'est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres.
11 Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.

12 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes, parce que je vais auprès du Père.

Prédication
            « Il est la vérité le chemin et la vie, nul ne vient au Père que par lui. », chantait-on au milieu des années 70 avec le groupe Les Témoins. C’est bien évidemment l’un des versets que nous venons de lire qui inspirait cette chanson. Mais, voyez-vous, quelques 40 années plus tard, je m’interroge.
            Je suis le chemin etc. c’est ce que je lis. Mais je chantais Il est le chemin etc. Ça change bien des choses. Je lis que Jésus dit « nul ne vient auprès du Père si ce n’est par moi », et il le dit à certaines personnes dans certaines circonstances particulières – nous allons y venir. Mais moi je chante « nul ne vient au Père que par lui », et c’est tout autre chose, c’est une généralité dans laquelle j’affirme, mine de rien, qu’il n’existe qu’un seul moyen pour aller à Dieu, à Dieu en tant que Père si l’on veut. A 14 ans je chante ça à tue-tête et avec la conviction massive d’un jeune chrétien. Mais, voyez-vous, maintenant, je m’interroge. Qui suis-je pour affirmer des choses aussi catégoriques et définitives ?
Dieu est plus grand que tout, plus mystérieux que tout, hors de portée de tous et moi, pauvre petit homme, j’irais affirmer tout fort que je sais, moi, que l’unique chemin je le connais ? Cela reviendrait à récuser tous les autres chemins, et à récuser tous ceux qui suivent un autre chemin que le mien. Cela reviendrait à affirmer que je sais tout de Dieu… Insoutenable prétention. J’oserais presque dire blasphème (l’un des disciples de Rabbi Akiba a un jour affirmé que celui qui prétend connaître tout le sens de la Torah est un blasphémateur). Je ne sais rien de Dieu et des chemins qui mènent à lui. Est-ce que je sais seulement si mon propre chemin me mène à Dieu, en tant que Père, en tant que Dieu ? Je ne sais pas où le chemin me mène. Dieu le sait. Je crois que le chemin n’est pas caché pour Dieu. Je découvrirai le moment venu où le chemin me mène. J’y marche par la foi.
           
            Jésus dit, à ses disciples, dans un moment particulier, « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient auprès du Père, si ce n’est par moi. »
            Ce moment particulier est un moment de trouble, comme nous avons lu, premier verset du chapitre 14 : « Que votre cœur ne se trouble pas. » Jésus parle à ses disciples et le cœur de ses disciples est troublé. Le cœur de ses disciples est troublé parce que Jésus a parlé à ses disciples. Il a parlé à ses disciples pendant tout le chapitre 13. Il nous faut alors relire un peu le chapitre 13.
            Dans le chapitre 13, Jésus qui parle à ses disciples leur annonce : la trahison, non pas celle de Judas seulement, mais leur trahison à tous, et ils n’y comprennent rien ; il leur annonce son prochain départ, sa mort, et ils n’y comprennent rien, et pourtant tous les hommes sont mortels ; il leur donne un commandement nouveau, celui de s’aimer les uns les autres, et ils ne pipent pas mot ; enfin il annonce que leurs engagements sont du vent, qu’ils vont le renier, et pas seulement Pierre. Ce qui frappe, là-dedans, c’est que les disciples de Jésus ne saisissent rien ce qui est en train de se tramer et qui pourtant est là dans leurs consciences.
            Qu’est-ce qui trouble donc le cœur des disciples de Jésus ? En un seul mot : la vérité.

Seule la vérité peut troubler ainsi le cœur d’un être humain, la vérité de ce qui est dans ce cœur, et qu’on préfère bien ignorer.
La vérité qui est dans le cœur des disciples de Jésus, c’est que leur maître va être mis à mort par la méchanceté et par la lâcheté des humains, et qu’ils n’en veulent rien savoir, parce qu’ils sont des humains. Lorsque cette vérité leur apparaît, la leur, qui est une vérité de profiteurs et de lâches, leurs cœurs se troublent.
La vérité aussi qui est dans le cœur des disciples de Jésus, c’est que s’il y a au monde une puissance invincible, c’est la toute faible puissance de l’amour, dont ils ne veulent rien connaître parce qu’ils rêvent de puissance. Cette vérité aussi leur apparaît, et leurs cœurs se troublent.
            Seule une vérité niée peut troubler le cœur de l’homme, lorsque cette vérité lui apparaît.

            Mais là-dessus, il y a une affirmation de Jésus : « Que votre cœur ne se trouble pas… » Comment un cœur troublé comme nous l’avons dit pourrait-il ne pas être troublé ? Une seule possibilité, une seule : que cette vérité qu’il a niée, il choisisse de l’affronter, de l’assumer. Ah, bien sûr, ça ne se fait pas comme d’un coup de baguette magique. On avance, on renâcle, on refuse l’obstacle comme un cheval obstiné… On fait du Thomas, le genre qui ne veut pas savoir que la mort est au bout de l’engagement de Jésus. On fait du Philippe, qui fait semblant de n’avoir encore rien vu alors que tout est déjà sous ses yeux. On fait le gros fumeur qui déclare que le tabac n’est pas mortel et qu’il en est la preuve vivante, ou le gros alcoolique qui déclare qu’il n’a rien au foie et que ça s’arrose.
Assumer la vérité de ce qu’on est, avide de puissance et de certitudes, lâche, cupide, intéressé, manipulateur, volage, menteur, vieux, mortel, laid… que chacun complète la liste pour son propre compte. Assumer la vérité, ça ne se fait pas comme ça, magiquement. Notre cœur se trouble. Non, disons-nous ; jusqu’à ce que nous disions oui, c'est-à-dire la vérité.
            Alors à cet instant, à cet instant seulement, il y en a un qui dit, qui peut dire : « Que votre cœur ne se trouble pas … » Jésus peut le dire, lui, parce que la vérité ne lui fait pas peur, la vérité de l’impuissance de l’amour, la vérité de la haine que suscite son engagement, la vérité de ce que sont ses disciples, la vérité même de la Passion qu’il va bientôt souffrir, la vérité de sa mort, et de l’absolue solitude à quoi son engagement l’a condamné. Le cœur de Jésus n’est pas troublé parce que la vérité, toute cette vérité, il la connaît, pour ce qu’elle est, il l’accepte, il la vit, il vit avec elle ; il n’a rien d’autre qu’elle.
Ainsi, Jésus dans ce récit, à cet instant, est vérité et vie. Parce que son cœur n’est pas troublé il peut dire à ses disciples : « Que votre cœur ne se trouble pas… » Il leur montre même le chemin à suivre, il se montre, en tant que vérité et vie, comme chemin : Je suis, dit-il, le chemin, la vérité, et la vie. Alors nous comprenons que, dans le récit, pour les disciples de Jésus, le chemin est tracé. Pas une recette ni une méthode, mais la vérité qui, à cet instant, ne porte pas d’autre nom que celui de leur maître.
Puissions-nous lire, et bien comprendre ce que nous lisons. Car à bien lire et à bien comprendre ce que nous lisons, notamment aujourd’hui, il se peut que notre vérité ne nous fasse plus peur, que nous l’affrontions, et que nous vivions… enfin.
           
Celui qui fait ce choix de croire, d’une croyance toujours incarnée, pourra dire, pour lui-même, que Jésus est le chemin, la vérité, et la vie. Il se peut même qu’il puisse le montrer par sa vie à tel ou tel de ses contemporains.

            Mais il reste encore un pas à franchir pour ce matin. « Nul ne va auprès du Père si ce n’est par moi », ajoute Jésus. Ce que Jésus dit et montre, c’est ce que signifie être « près du Père ». Etre près du  Père, dans l’évangile de Jean, ce n’est pas de la haute mystique ni de la haute théologie. Etre auprès du Père, c’est, dès les premiers versets de cet évangile, devenir chair, c’est être un être humain, dans la vérité de sa condition, dans l’entièreté de son engagement, dans la vie, en plénitude. C’est ainsi qu’on peut simplement entendre ce que Jésus dit à ses disciples : « nul ne vient auprès du Père que par moi », nul ne vient à la vie en plénitude qu’en suivant le chemin de la vérité, chemin de la vérité qui n’est pas un chemin de laideur seulement. Il se peut qu’il soit un chemin de beauté, de bonté, de joie. L’Esprit, le consolateur, nous est envoyé pour que nous cheminions dans toute la vérité. Et c’est sur ce chemin que nous œuvrerons de sorte que la vie sera belle, riche, et vraie. Le Père, par nous, accomplira ses propres œuvres.

dimanche 11 mai 2014

Evangéliser (Romains 1,8-17)

Romains 1
8 Tout d'abord, je rends grâce à mon Dieu par Jésus Christ pour vous tous: dans le monde entier on proclame que vous croyez.
9 Car Dieu m'en est témoin, lui à qui je rends un culte en mon esprit en annonçant l'Évangile de son Fils: je fais sans relâche mention de vous,
10 demandant continuellement dans mes prières d'avoir enfin, par sa volonté, l'occasion de me rendre chez vous.
11 J'ai en effet un très vif désir de vous voir, afin de vous communiquer quelque don spirituel pour que vous en soyez affermis,
12 ou plutôt pour être réconforté avec vous et chez vous par la foi qui nous est commune à vous et à moi.
13 Je ne veux pas vous laisser ignorer, frères, que j'ai souvent projeté de me rendre chez vous - jusqu'ici j'en ai été empêché - , afin de recueillir quelque fruit chez vous, comme chez les autres peuples païens.
14 Je me dois aux Grecs comme aux barbares, aux gens cultivés comme aux ignorants;
15 de là, mon désir de vous annoncer l'Évangile, à vous aussi qui êtes à Rome.
16 Car je n'ai pas honte de l'Évangile: il est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif d'abord, puis du Grec.

17 C'est en lui en effet que la justice de Dieu est révélée, par la foi et pour la foi, selon qu'il est écrit: Celui qui est juste par la foi vivra.

Prédication
            Paul aux Romains. Paul, qui n’est jamais allé à Rome, écrit aux Romains. Il nous faut imaginer ce que c’est que Rome, lorsque Paul écrit aux Romains : la capitale de l’Empire le plus grand, le plus stable, le plus homogène et durable – dit-on – qui ait jamais existé dans cette partie du monde. Adresser alors cet écrit aux Romains c’est, du temps de Paul, l’adresser à ceux qui sont tout en haut, qui sont le haut de l’Empire, et d’un empire à l’apogée de son histoire.
Un Romain, en ce temps, c’est un maître, un propriétaire, un dominateur : ça regarde le monde de haut, avec l’arrogance de ceux à qui l’on doit tout et qui ne doivent rien à personne… Comment peut-on s’adresser aux Romains qui sont tout en haut ? Faut-il être plus haut encore qu’eux ? Faut-il un super apôtre, pour annoncer l’Evangile à de super paroissiens ?
            L’unique question de cette prédication pourrait bien être celle-ci : d’où est-ce que je parle ? Même question : comment est-ce que je regarde autrui lorsque j’évoque le Christ, lorsque je parle de lui, lorsque je témoigne ? Est-ce que je le regarde d’en-haut, moi qui ai l’Evangile à lui annoncer ? Nous réfléchissons là-dessus…
           
Et bien après les salutations d’usage, au début de l’Epître, viennent les quelques versets que nous avons lus, et que nous allons reprendre.
1.      v.10 : « Je demande à Dieu dans mes prières d’avoir enfin, par sa volonté, l’occasion de me rendre chez vous. » Paul, c’est entendu, est Apôtre. Mais il n’a pas de plan précis, pas le plan d’aller à Rome parce qu’il a envie d’aller u sommet, ce qui ferait bien dans son CV et à son ego. Il attend patiemment l’occasion, il attend le bon vouloir de Dieu. Autrement dit, même s’il désire toujours le faire, celui qui évangélise le fait parce que l’occasion s’en présente. Provoquer sans ménagement une occasion de le faire serait considérer qu’il y a là des gens dont nous savons qu’ils ont tel besoin ; ça serait les regarder de haut. En matière d’Evangile, on ne choisit pas les gens à qui l’on va s’adresser… on les accueille, on les reçoit lorsque vient le moment de le faire.
2.      v.11 : « J’ai un très vif désir de vous voir… » ; et ce désir n’est pas d’apporter quelque chose qu’on a, c’est un désir de vous voir, juste de vous voir, vous, comme vous êtes. Ceci implique de supposer qu’il ne vous manque rien. Ceci dit, si l’on parle de désirer se voir, c’est qu’il manque « vous », comme on dit « vous me manquez ». Le manque est de mon côté, dit celui qui évangélise, mais ce manque n’est pas un manque qui exigerait de votre part un assouvissement, je veux juste vous voir, dit l’apôtre ; je me languis de vous voir, dit-il même, c’est lui donc qui manque d’eux, et certainement pas le contraire.
3.      v.11 : « de vous voir afin de vous communiquer quelque don spirituel… » ; mais ici, il faut corriger la traduction, car il ne s’agit pas du tout de communiquer à ces gens quelque chose que j’ai et qu’ils n’ont pas et qu’ils devraient avoir, mais de partage. Paul, l’apôtre, celui qui témoigne, vient dans la perspective de partager, non pas ce qu’il a en supposant que les autres n’ont pas, mais dans l’idée que les dons spirituel, ce que l’Esprit donne, n’existe que partagé.

Comme vous le voyez, si nous avons pensé que Paul, celui qui évangélise, est au-dessus de ceux auxquels il s’adresse, c’était faux. Son positionnement est tout à fait ouvert, et pas du tout dominateur… Un certain mouvement d’abaissement est déjà repérable, mais il va aller beaucoup plus loin. L’idée de partager les a tous mis à la même hauteur. Poursuivons :

4.      v.11 et 12 : « pour que vous en soyez affermis ou plutôt pour être réconforté avec vous et chez vous… » Le mouvement d’abaissement s’accentue. Paul, celui qui évangélise, n’est pas le pompier de service, mais le nécessiteux. Il éprouve certes le besoin d’évangéliser ; quel chrétien ne l’éprouve pas, ce besoin ? Mais si l’on affine la traduction, il ne s’agit pas d’un réconfort qu’il recevrait, mais d’une défense, d’une consolation, que l’on met en œuvre l’un pour l’autre, mutuellement. La consolation, la justification de celui qui évangélise, vient de ceux à qui il s’adresse ; et cette consolation, cette justification – comme une bénédiction – il ne la reçoit que pour autant qu’il la proclame, qu’elle est reçue et rendue… Et peut-être même que cette évangélisation a largement précédé celui qui évangélise. On est ici totalement en vis-à-vis. Evangéliser, c’est d’égal à égal, ou bien cela n’est pas. C’est consolation mutuelle, ou bien cela n’est pas. C’est supposition de la valeur de l’autre, ou bien ça n’est pas. Mais nous ne sommes pas au bout.
5.      v.13 : « …afin de recueillir quelque fruit chez vous… » ; si bien que force nous est de reconnaître que celui qui évangélise reçoit ; c’est donc qu’il n’avait pas et, voyez-vous, évangéliser, s’il s’agit vraiment de foi, c’est aller vers autrui pour partager avec lui une certitude qu’on n’a pas, qu’on découvrira peut-être bien ensemble, et dont on suppose que lui en est déjà porteur, le tout sans l’obliger en aucune manière. Mais ça  n’est pas encore fini.
6.      v.14 : « Je me dois aux Grecs comme aux barbares, aux gens cultivés comme aux ignorants…. » Ici, encore une précision de traduction, pour qu’il soit bien clair que celui qui évangélise ne se doit pas à ses interlocuteurs comme le docteur, tout équipé par sa science, se doit à ses patients. Il ne se doit pas à, mais il est l’obligé de. Le mouvement d’abaissement se poursuit, il ne pourra guère aller plus bas. Celui qui évangélise est l’obligé de ceux à qui il s’adresse ; il est par eux, il n’est rien sans eux, il leur doit tout. Il doit tout aux, imbéciles comme aux savants, il doit tout aux Juifs avec leur fichue Ecriture comme aux Grecs avec leur maudite intelligence…

Il est ainsi du désir de Paul, de son désir et de son zèle. Le zèle de celui qui évangélise est un zèle aux mains vides, un zèle d’ouverture et de reconnaissance. Un zèle d’accueil, d’accueil infini.
Mais lorsqu’on a bien compris de quoi il s’agit, lorsqu’on a bien saisi que les mains sont ouvertes mais vides et que si le cœur est rempli il ne le sera que par ce qu’un autre donnera, un autre humain, concret… alors évangéliser est indéfendable à Rome, capitale de l’Empire, indéfendable partout ailleurs, car nulle part on n’aime les gens aux mains vides et aux arguments désarmés. Personne n’aime cette impuissance, cette faiblesse évangélique. On veut plutôt avoir tout, mériter tout, juger de tout…
Et bien de cette situation de précarité, d’ouverture et de reconnaissance, qui est l’essence même de l’Evangile, on devrait avoir honte. Mais Paul n’a pas honte, car cette situation est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit.

Frères et sœurs, il en va de la foi, de l’authenticité de la foi chrétienne que la puissance de Dieu soit parfaitement désarmée. Sinon elle n’est qu’arrogance et vaine doctrine.

Ainsi, au terme de cette prédication, je vous invite à considérer que les versets que nous venons de méditer caractérisent non seulement la position du témoin, du chrétien, de l’apôtre… mais commandent aussi l’attitude qu’il convient d’adopter lorsqu’on lit la suite de l’Epître aux Romains, ses grands exposés doctrinaux et aussi les listes de condamnations qui suivent les versets que nous méditons et dont d’aucuns font leurs gorges chaudes et leur saintes condamnations. Désarmer ceux qui ont les armes, et mêmes les armes bibliques, c’est l’Evangile. Juger ceux qui jugent, même Bible en main, c’est l’Evangile.
Evangéliser est infinie ouverture, ou bien n’est rien. Et tant qu’à l’appel et à la réception de la grâce il manque un seul des enfants des hommes, tant qu’un seul est condamné, mis de côté, ignoré, exclu, l’Evangile et le salut manquent à tous.
Mais même s’il manque à tous, il demeure, et Paul le dit à merveille, « Puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit… », inépuisable puissance, patiente puissance. Amen

samedi 10 mai 2014

La terre de la promesse (Genèse 15,7-21)

Genèse 15
7 Il lui dit: «C'est moi le SEIGNEUR qui t'ai fait sortir d'Our des Chaldéens pour te donner ce pays en possession.» -
8 «Seigneur DIEU, répondit-il, comment saurai-je que je le posséderai?»
9 Il lui dit: «Procure-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et un pigeonneau.»
10 Abram lui procura tous ces animaux, les partagea par le milieu et plaça chaque partie en face de l'autre; il ne partagea pas les oiseaux.
11 Des rapaces fondirent sur les cadavres, mais Abram les chassa.
12 Au coucher du soleil, une torpeur saisit Abram. Voici qu'une terreur et une épaisse ténèbre tombèrent sur lui.
13 Il dit à Abram: «Sache bien que ta descendance résidera dans un pays qu'elle ne possédera pas. On en fera des esclaves, qu'on opprimera pendant quatre cents ans.
14 Je serai juge aussi de la nation qu'ils serviront, ils sortiront alors avec de grands biens.
15 Toi, en paix, tu rejoindras tes pères et tu seras enseveli après une heureuse vieillesse.
16 À la quatrième génération, ta descendance reviendra ici car l'iniquité de l'Amorite n'a pas atteint son comble.»
17 Le soleil se coucha, et dans l'obscurité voici qu'un four fumant et une torche de feu passèrent entre les morceaux.
18 En ce jour, le SEIGNEUR conclut une alliance avec Abram en ces termes: «C'est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d'Égypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate -
19 les Qénites, les Qenizzites, les Qadmonites,
20 les Hittites, les Perizzites, les Refaïtes,
21 les Amorites, les Cananéens, les Guirgashites et les Jébusites.

Méditation :

1. sur la terre promise
            Une lecture simplement géographique de ce texte nous amène à repérer que la définition de la terre promise est pour le moins une définition complexe. Simplement le lieu où Abram se tient, c’est le premier lieu, le lieu où il est, une notion simple, là où mon regard porte, là où paissent mes troupeaux.
            Mais la définition de cette terre peut être aussi une définition beaucoup plus large, politique en quelque manière, puisque, dans la fin de l’extrait, cette terre englobe tout le Proche Orient plus au moins la Basse Egypte.
            Et il se trouve des gens aujourd’hui encore en Israël pour réclamer un extension de l’Etat – au titre de la Bible – qui corresponde à cette vision politique mais aussi religieuse. Le Seigneur me l’a donné, c’est à moi, c’est chez moi. Affirmation qui ouvre toutes grandes les portes de la répression, de l’exclusion, voire de l’extermination.

2. la terre promise, est-ce chez moi ?
            Le problème d’une terre promise ainsi envisagée c’est que ça ne laisse guère de place à autrui, ni d’ailleurs à aucune promesse. La terre promise est, si l’on veut bien l’entendre, la terre toujours promise, ou la terre de la promesse. Ce que le texte – complexe – que nous méditons énonce ainsi : « Sache bien que ta descendance résidera dans un pays qu'elle ne possédera pas. »
[יָדֹ֙עַ תֵּדַ֜ע כִּי־גֵ֣ר יִהְיֶ֣ה זַרְעֲךָ֗ בְּאֶ֙רֶץ֙ לֹ֣א לָהֶ֔ם]
            Immédiatement après on vous évoque l’Egypte puis l’Exode… mais c’est déjà une interprétation. Sache et sache bien que ta descendance sera [גֵ֣ר] étrangère – ou convertie – ou nouvelle venue – ou habitant temporairement – ou n’ayant pas de droits – dans une terre (qui n’est) pas la sienne, ni maintenant, ni jamais.
            Ce qui a pour conséquence que si je suis – politiquement – religieusement – juridiquement – chez moi, sur ma terre promise, cette terre promise et par là la promesse elle-même qui me concerne doit aussi concerner ceux qui passent, ou qui sont différents. Le chez moi de la terre promise ne peut être terre de la promesse que s’il est aussi un chez toi.

3.  la manière de se tenir
            Ce qui caractérise donc l’habitant de la terre promise c’est qu’il habite d’avantage la promesse que la terre.
Ça n’est pas vrai seulement en judaïsme, ces choses-là, aussi loin que nous sommes lourdement héritiers de cette promesse. Devenir chrétien ainsi n’est pas défendre un territoire ni une doctrine, mais faire entendre la promesse, et la donner à vivre.
Ainsi j’envisage l’Eglise comme terre promise des chrétiens, terre d’accueil. Je n’en suis pas propriétaire. Ainsi je considère l’Ecriture Sainte comme terre promise. Je n’en suis ni propriétaire, ni dispensateur, ni défenseur.
Je n’y suis chez moi que pour autant que je travaille à l’accueil de celui qui ne fait que passer, à l’accueil de celui que je ne connais pas, qui est différent…

Tout le reste est de trop.