dimanche 21 juillet 2019

Ecouter, ou faire ? Chez Marthe (Luc 10,38-42)

Vous pourrez aussi lire Genèse 18, où Abraham reçoit une étrange visite, et offre à ses visiteurs une hospitalité gigantesque, toute proche-orientale...


Luc 10 :
38 Comme ils étaient en route, il entra dans un village et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison.
39 Elle avait une sœur nommée Marie qui, restant assise aux pieds du Seigneur, écoutait ce qu’il disait.
40 Marthe s’était absorbée à un service bien compliqué. Apparaissant soudain, elle dit: «Seigneur, qu’est-ce que ça te fait que ma sœur m'ait laissée seule à servir ? Dis-lui donc de m'aider ! »
41 Le Seigneur lui répondit: «Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et t'agites pour des choses bien compliquées.
42 Une seule est nécessaire. C'est bien Marie qui a choisi la bonne part; elle ne lui sera pas enlevée.»

Prédication :

            La semaine dernière, dans ce même chapitre de Luc, nous avons médité autour de la question de l’écart qui existe entre ce qui est écrit dans les Écritures et ce qu’il convient de faire. Entre veiller très pieusement à sa propre pureté rituelle et prendre soin d’un inconnu blessé, la réponse allait de soi. Il y a d’ailleurs un commandement, en judaïsme, qui prime sur tous les autres, même sur celui du sabbat, c’est le commandement de la sauvegarde de la vie. Et si l’on s’interroge sur la sauvegarde de la vie de qui, il n’est qu’à se souvenir que l’homme tombé sous les coups des bandits était un parfait inconnu : prendre soin d’un homme c’est prendre soin de tout homme.
            Mais le bord de la route est-il le seul lieu où l’Évangile invite à un déploiement concret ? L’épisode chez Marthe et Marie semble bien revenir sur ces questions de commandements sacrés et de leur observance.
Souvenons-nous d’abord que nous sommes au Proche-Orient, et ça n’est pas peu dire que l’hospitalité y est sacrée. Ne serait-ce que parce que, parfois, l’étranger de passage peut être Dieu lui-même, et qu’il n’existe aucune procédure d’identification qui permette de le reconnaître à coup sûr. A cette enseigne, nous pourrions nous demander en quoi nous pouvons être certain que c’est bien Dieu qui apparaît à Abraham (Genèse 18), Dieu au nom imprononçable et que nul n’a jamais vu…  
Les trois hommes, Dieu ou pas, vont être accueillis par Abraham avec toute la verve et tous les rites des Proche-Orientaux. De plus, Abraham dispose d’une femme et d’un esclave pour que ses visiteurs soient dûment honorés, Dieu ou pas, répétons-nous. 
Chagall, et les trois visiteurs d'Abraham
Comment Marthe, Proche-Orientale, peut-elle savoir qu’elle accueille chez elle celui que nous avons reconnu comme le Seigneur ? Pour nous, la chose est simple : l’évangéliste nous mâche le travail et nous savons d’emblée quelle attitude est la bonne. Nous savons même très rapidement que la bonne part, une part qui ne sera jamais enlevée, c’est de se tenir aux pieds du Seigneur et écouter sa parole. Et nous sommes prompts à louanger Marie et à regarder Marthe un peu de haut.
Pourtant, s’il est quelqu’un qui fait offense à l’hospitalité proche-orientale dans cette parabole, c’est Marie. Car Marie n’est pas à sa place, ni Marthe non plus d’ailleurs. La maison dans laquelle Jésus s’est rendu c’est la maison de Marthe, et dans la maison de Marthe, celle qui doit être dévouée au service, c’est Marie. Or Marie, prenant une inconcevable initiative, s’assied aux pieds du Seigneur, et écoute sa parole… la suite, nous la connaissons.

Mais poursuivons. Supposons que nous disions maintenant que ce qui est nécessaire, la bonne part, c’est s’asseoir aux pieds du Seigneur et écouter. Nous collerions apparemment bien au texte, mais apparemment seulement, car l’hospitalité – peut-être même la politesse – et donc la personne de l’hôte – Jésus – ne serait pas ainsi honorée : un hôte, on le nourrit. Et puis cela reviendrait surtout à remplacer une obligation, celle de l’hospitalité, par une autre  obligation, celle de l’attention portée à la parole…
Que serait alors l’Évangile, et quelle bonne nouvelle apporterait-il s’il n’était que transgressif, ou, pire, s’il érigeait une transgression en nouvelle règle absolue ? Et puis, que resterait-il alors de cette bonne part que, selon Jésus, Marie a choisie, et ne lui sera jamais enlevée ? 
La cuisine de Marthe, après un service vraiment très compliqué...
Revenons au texte. Lorsque Marthe, sortant furieusement de sa cuisine, fait irruption dans la salle à manger, à qui s’adresse-t-elle ? «Seigneur, qu’est-ce que ça te fait que ma sœur m'ait laissée seule à servir ? Dis-lui donc de m'aider ! » Tous les traducteurs que j’ai consultés écrivent ici « m’aider » ; mais le sens est plus fort, bien plus fort, « dis lui donc de me remplacer… en cuisine ».  Marthe s’adresse à Jésus, son invité, qu’elle appelle Seigneur, d’une manière incroyablement impérative, pour qu’il rappelle à Marie, la sœur, les obligations qui sont les siennes. Ce que Marthe ordonne à Jésus, c’est qu’il rappelle à Marie quelle est sa place, d’inférieure, de servante en cuisine, pour qu’elle – Marthe – puisse briller en tant qu’hôtesse dans la salle de réception.
Jésus n’a d’ordre à recevoir de personne… et surtout pas l’ordre de rappeller aux inférieurs qu’ils sont des inférieurs, et surtout pas d’un ordre qui viendrait justifier des supérieurs dans le rang qu’ils pensent occuper de plein droit. Si l’Évangile est bien annonce de la grâce, la grâce est annoncée pour tous, et peut être reçue par tous… et par toutes. La bonne nouvelle ne peut pas être pour Marthe sans être pour Marie aussi. Elle ne peut pas être pour Abraham sans être aussi pour Sarah. Elle ne peut pas être pour Marie sans être aussi pour Marthe… sauf que Marthe, au regard des usages, a beaucoup plus à perdre que Marie, et résiste. 
Assis aux pieds du maître, un élève pas toujours docile...

Marie, dit le Seigneur, a choisi la bonne part. Quelle est cette bonne part ? S’asseoir aux pieds du Seigneur et écouter sa parole ? Privilégier la réflexion sur l’action ? Mieux vaut dire que Marie a fait un choix personnel, un vrai choix personnel en quoi elle n’entend obliger personne, alors qu’elle était maintenue jusqu’ici dans une situation où elle était servante et l’obligée de tous. L’entrée du Seigneur dans cette maison a été vécue par Marie comme un vent de changement, un air de libération, dont Jésus affirme qu’il est impossible à quiconque d’en venir à bout : cette part, la bonne part, libératrice, vivante et concrète de la foi chrétienne, ne peut être arrachée à aucun de ceux qui auront fait le choix de la saisir.
Décision éminemment individuelle, il est vrai. Mais qui est invariablement ordonnée à un engagement conséquent au service du Seigneur, engagement concret au service du prochain, un engagement donc individuel et communautaire.
Rien n’empêchera Marie, le moment venu, de retourner en cuisine avec Marthe. Rien n’empêchera non plus Marthe, le moment venu, de venir s’asseoir aux pieds de Jésus. L’une et l’autre en égales.
Qu’il en soit ainsi, pour elles, et pour nous. Amen

Marthe et Marie, un autre jour...

dimanche 14 juillet 2019

Lire, et faire, ce qui est écrit (Luc 10,25-37)

Le Bon Samaritain - Vincent van Gogh


Luc 10
25 Et voici qu'un légiste se leva et lui dit, pour le tenter : «Maître, que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? »
26 Jésus lui dit: «Dans la Loi qu'a-t-il été écrit ? Comment l’accomplis-tu?»
27 Il lui répondit: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même.»
28 Jésus lui dit: «Tu as bien répondu. Fais cela et tu vivras.»
29 Mais lui, voulant se justifier lui-même, dit à Jésus: «Et qui est mon prochain?»
30 Jésus reprit: «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l'ayant dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Par chance, un prêtre descendait par ce chemin; il vit l'homme mais passa à bonne distance.
32 De la même manière, un lévite arriva sur les lieux ; il vit l'homme mais passa à bonne distance.
33 Or, un Samaritain qui était en voyage arriva près de l'homme: il le vit et fut profondément ému.
34 Il s'approcha, banda ses plaies en y versant de l'huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d'argent, il les donna à l'aubergiste et lui dit: ‹Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c'est moi qui te le redonnerai quand je repasserai.›
36 Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l'homme qui était tombé sur les bandits ? »
37 Le légiste répondit: «C'est celui qui a fait miséricorde envers lui.» Jésus lui dit: «Va et, toi aussi, fais de même.»
Qu'est-il écrit ? Comment lis-tu ?

Prédication :

                Dimanche dernier, nous lisions déjà quelques versets du 10ème chapitre de l’évangile de Luc. Nous avons parlé de 72 disciples envoyés par Jésus en mission de par le vaste monde, avec un double mot d’ordre : prêcher et guérir, ou, pour le dire légèrement autrement, dire et faire. A leur retour, ces disciples étaient dans la joie. «Seigneur, disent-ils, même les démons nous sont soumis en ton nom.» Sur quoi leur joie porte-t-elle ? L’objet de leur joie, c’est plutôt qu’ils ont fait… Jésus leur répond de se réjouir essentiellement de ce que leurs noms ont été écrits dans les cieux. Écrits dans les cieux, mais par qui, et surtout, pour quelles raisons leurs noms auraient-ils été écrits dans les cieux ? En raison de ce qu’ils ont fait ?
           
« Que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? » C’est, toujours dans le 10ème chapitre de Luc, la même question qui revient. Non pas dans la bouche d’un disciple, mais dans la bouche d’un maître de la Loi, qui s’adresse à Jésus. Vous connaissez la réponse de Jésus : « Va et, toi aussi, fais de même. », c'est-à-dire, en trois points, (1) sois reconnaissant envers ceux, même anonymes, qui, un jour, t’ont secouru, (2) ne choisis jamais ceux que tu dois secourir, secours-les seulement, et (3) l’action diaconale est  prioritaire sur l’action cultuelle…
           
Si le légiste avait l’idée que sous ces trois conditions, il hériterait de la vie éternelle, Jésus lui dirait ce qu’il a dit déjà aux 72 : s’agissant de noms inscrits dans les cieux, ou de vie éternelle, ou de salut… quel que soit le nom qu’on donne à ça, il ne s’agit jamais de faire, car il n’y a aucun ‘faire’ personnel qui puisse garantir une divine rétribution.
            Or cela, le maître de la Loi le sait bien. Et il le dit même très précisément. Il le dit de deux manières. (1) En appelant Jésus ‘didas-kalos’, en gros maître de bonté. (2) En utilisant le verbe hériter : « Maître de Vie, que ferai-je pour hériter de la vie éternelle ? » Et bien, nul n’a jamais choisi ceux dont il hérite ; en étymologie grecque, hériter ‘klèro-noméo’ signifie le hasard fait loi.
Ce thème est bien plus qu’une passe d’armes entre un maître de la Loi  et un maître de bonté. Ce thème est familier aux protestants. Il porte même un nom latin – sola gratia – et a ses champions, Paul, Augustin, Martin Luther… et son hérésiarque, Pélage, qui affirmait en son temps (4è-5è siècle), qu’il n’y avait point de péché originel et que la grâce n’était pas nécessaire. Pour rester fidèle à l’esprit de la grâce qui souffla et souffle encore, nous devons apprendre et toujours réapprendre que ni la prédication de la grâce seule, ni la foi en la grâce seule, ni l’anathème jeté sur Pélage et sur ses nombreux descendants, ne sont des œuvres méritoires…
            Et le légiste, maître de la Loi, le sait parfaitement ; il sait parfaitement, en tant que maître de la Loi, que c’est la divine grâce qui sauve et qu’elle n’a besoin de personne pour sauver... C’est parce qu’il le sait parfaitement que la question qu’il pose à Jésus est plus qu’une simple mise à l’épreuve, qu’elle est une tentation, la troisième tentation (Luc 4), celle de faire de Dieu l’obligé des hommes à cause des Écritures.

            Nous pourrions en rester là. Mais il se trouve qu’une certaine double question est dans la bouche de Jésus, posée par lui au maître de la Loi, posée aussi aux autres auditeurs, posée aux lecteurs. « Dans la Loi, qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ? » Autre traduction : « Dans la Loi, qu’a-t-il été écrit ? Comment l’accomplis-tu ? » Cette double question, nous n’allons pas l’éluder, car c’est Jésus lui-même qui la pose. Et dans notre réponse, nous n’allons pas nier non plus qu’il y ait quelque chose à faire, car c’est lui-même qui le dit : « Fais cela et tu vivras. »
            D’abord la double question. Dans la Loi, qu’est-il écrit ? Ou qu’a-t-il été écrit ? C’est écrit aujourd’hui, ça a été écrit, hier, et même avant-hier. Déjà au temps de Jésus, et même bien longtemps auparavant, déjà au temps de Luc, il y a des textes canoniques, sacrés, inamovibles. Très bien, canoniques, sacrés, inamovibles… pour qui ? Pour les Juifs ? Le prêtre et le lévite de la parabole sont des Juifs. Et pour les Samaritains, pour le Samaritain de la parabole, y a-t-il aussi un texte canonique, sacré et inamovible ? C’est que les Samaritains adorent aussi le dieu IHVH, ils lui rendent un culte sacrificiel – sur le mont Garizim – et ils sont lecteurs de leur texte canonique, sacrée, inamovible… Les Samaritains ont cinq livres, Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. On appelle ces cinq livres le Pentateuque samaritain. Des différences avec le texte des Juif ? Une différence, assez notable : les dix commandements du texte samaritain comportent une mention particulière sur le lieu du culte : mont Garizim. Mais pour tout le reste… Autrement dit, le prêtre et le lévite d’un côté, et le Samaritain, de l’autre côté, dans la parabole, sont lecteurs du même texte !

Qu’est-il donc écrit, qu’a-t-il été écrit, jadis et pour toujours ? Pour tous les trois, la même chose ! Comment ont-ils lu, qu’ont-ils fait ? Inutile de le redire. Et surtout n’avançons pas qu’en raison de son acte, le Samaritain connaîtra dans les cieux un sort meilleur que celui des deux autres. Repérons plutôt que ces deux hommes qui redescendent de Jérusalem – après leur temps de service au Temple – ont une foi qui est toute de répétition rituelle, que leur compréhension des Écritures ne laisse subsister aucun espace d’improvisation, ni aucune initiative devant l’urgence d’une situation, devant l’imprévu, devant un drame ; ils ne peuvent pas s’approcher du blessé, ils ne peuvent pas devenir le prochain de cet homme. Quant au Samaritain, lecteur du même texte, il dispose d’un espace de compréhension des Écritures suffisamment ouvert pour accomplir quelque chose, au présent, dans le présent d’une situation particulière ; il accomplit une action appropriée, anonyme, conséquente, et sans mesure. Le Samaritain sauve une vie, il rend un être humain à la vie. C’est une bonne action, au sens biblique, dans le sens où « Dieu vit que cela était bon », cadeau de la vie, de la part de la vie, et pour la vie. C’est « choisis la vie afin que tu vives… » Juifs et Samaritains lisent ici exactement le même texte, et c’est le même texte que nous lisons nous aussi… 

Fais cela et tu vivras, commandement et promesse de Jésus. Tu vivras, en plénitude de vie et donc sans te préoccuper de l’inscription de ton nom dans les cieux, ni d’une rétribution post mortem. La vie en plénitude se suffit à elle-même.
Revenons, une dernière fois, à cette inépuisable parabole. Le prêtre et le lévite reviennent du Temple et rentrent chez eux : ils se déplacent en somme entre deux espaces de propriété, entre chez soi et chez soi. Le Samaritain est en voyage, plus qu’en voyage, car il est prêt à une action bonne, il est en pèlerinage, prêt à la rencontre d’un homme, à la rencontre de Dieu. Non pas cette fois-là, mais chaque fois.
Pèlerin bon courage
Ton chant brave l’orage
Mon Dieu plus près de Toi
Plus près de Toi
           
            Amen

dimanche 7 juillet 2019

Les AA (Apôtres Anonymes) Luc 10,1-20

Les Apôtres de Notre Dame de Paris
Luc 10
1 Après cela, le Seigneur désigna soixante-douze autres et les envoya deux par deux en avant de lui dans toute ville et tout endroit où lui-même devait aller.
2 Et il leur disait : " La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson.
3 Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu de loups.
4 N'emportez pas de bourse, pas de besace, pas de sandales, et ne saluez personne en chemin.
5 En quelque maison que vous entriez, dites d'abord : "Paix à cette maison ! "
6 Et s'il y a là un fils de paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle vous reviendra.
7 Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce qu'il y aura chez eux ; car l'ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
8 Et en toute ville où vous entrez et où l'on vous accueille, mangez ce qu'on vous sert ;  9 guérissez ses malades et dites aux gens : "Le Royaume de Dieu est tout proche de vous. "
10 Mais en quelque ville que vous entriez, si l'on ne vous accueille pas, sortez sur ses places et dites : 11 "Même la poussière de votre ville qui s'est collée à nos pieds, nous l'essuyons pour vous la laisser. Pourtant, sachez-le, le Royaume de Dieu est tout proche. "
12 Je vous dis que pour Sodome, en ce Jour-là, il y aura moins de rigueur que pour cette ville-là.
13 " Malheur à toi, Chorazeïn ! Malheur à toi, Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et assises dans la cendre, elles se seraient repenties.
14 Aussi bien, pour Tyr et Sidon il y aura moins de rigueur, lors du Jugement, que pour vous.
15 Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusqu'au ciel ? Jusqu'à l'Hadès tu descendras !
16 " Qui vous écoute m'écoute, qui vous rejette me rejette, et qui me rejette rejette Celui qui m'a envoyé. "
17 Les soixante-douze revinrent tout joyeux, disant : " Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! "
18 Il leur dit : " Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair !
19 Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents, scorpions, et toute la puissance de l'Ennemi, et rien ne pourra vous nuire.
20 Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. "



Prédication : 
            Je crois en l’Église, Une, Sainte, Catholique et Apostolique.
            Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés.
            J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.

            Vous avez reconnu je pense la fin d’une très ancienne confession de foi. Le Symbole de Nicée Constantinople – 4ème siècle après Jésus Christ. Qui est l’une des confessions de foi dont nos pères réformateurs se sont unanimement réclamés. Il faut dire que leur intention profonde n’était pas de tout chambouler, mais de tout restaurer, re-former, dans l’état des tout premiers temps… Aussi nos pères se sont-ils fondés sur les témoignages les plus anciens, ceux des Saintes Écritures, ceux des Pères de l’Église, et ceux  des synodes œcuménique, dont ils ont été d’infatigables commentateurs.
            A vrai dire, dans les trois phrases que nous venons de citer, chaque mot mérite un commentaire ; une fois les commentaires mot à mot bien formulés, des commentaires croisé (deux mots) seraient les bienvenus, etc., jusqu’à un commentaire d’ensemble qui, il me semble, devrait porter sur le ‘je crois’ et le ‘nous croyons’. Tout cela qui en ferait autant d’occasions d’interroger, et aussi d’encourager, nos vies et la vie de notre Église.
            Vous imaginez l’entreprise ; nous commençons ici et aujourd’hui ce parcours. Jusqu’où irons-nous ? Restons prudents et modestes. Le texte de l’évangile de Luc qui nous est proposé nous invite à une réflexion sur le mot apostolique.                       
Des apôtres tous prêts au départ
L’Église est apostolique. Apostolique, cela nous fait penser au mot apôtre, et, en fait d’apôtres, notre pensée s’oriente naturellement vers ceux qu’on appelle les 12, les Apôtres ‘avec un grand A’.
De ces 12-là, nous avons les noms, sous la forme de plusieurs listes de 12 noms, pas les mêmes suivant les évangiles,  12 hommes que Jésus appela, forma à grand-peine, envoya (Luc 9), et qui, après la Passion, et après la Pentecôte, reçurent, ou plutôt prirent, peut-être s’octroyèrent, la responsabilité de l’enseignement et de l’organisation de la toute première Église (Actes), une organisation très pyramidale, exactement sur le modèle de l’Empire romain (allez imaginer ce qu’auraient été les structures de l’Église si cela s’était passé sous domination parthe…).
La tradition rapporte qu’ensuite, lorsqu’ils durent tous quitter Jérusalem, chacun des 12 prit une direction particulière et s’en alla annoncer l’Évangile et fonder des Églises là où il n’y en avait pas encore. C’est ainsi donc que l’histoire ancienne de la fondation de bien des Églises commence par le récit d’une première évangélisation par tel Apôtre. Cette histoire permet à telle Église de se dire apostolique.
Un second critère est ainsi ajouté au premier, un critère successoral ; après ce premier Apôtre, l’Église connaît la succession ininterrompue de ses chefs, successeurs de l’Apôtre. L’Église de Rome est ainsi apostolique parce que fondée en tant que telle par Pierre, disciple du Christ, Apôtre du Christ ; François est le 266ème évêque de Rome, le 265ème après Pierre, les noms de tous les autres sont connus…
Fondation, succession, deux critères pour examiner si une Église particulière est apostolique. Autant se demander tout de suite si l’Église protestante unie de France passe l’examen avec succès. Autant se demander aussi tout de suite si ces deux critères suffisent… je vous laisse quelques instants pour vous interroger.

Depuis le commencement de notre méditation, nous avons parlé d’apôtres. Mais de quels apôtres ? Les 12 ? En effet, dans les évangiles, lorsque Jésus envoie des apôtres en mission, il s’agit des 12.  Les évangiles sont unanimes, presque. Dans l’évangile de Luc, au chapitre 9, Jésus envoie bien les 12 en mission, ce qu’il fait aussi dans Marc et Matthieu. Mais, au chapitre 10 de l’évangile de Luc, Jésus en envoie encore d’autres, il en envoie 72. Luc – qui est aussi l’auteur des Actes des Apôtres – est le seul à rapporter cet épisode. Pour quelle raison ? Et pour dire quoi ? Nous allons essayer de le comprendre, et de l’interpréter.

1. Jésus les désigne, Jésus les envoie. Ce sont donc des envoyés, des apôtres, exactement tout comme les 12.
2. Là où les 12 sont 12, ce qui est un symbole de plénitude du peuple de Dieu, le nombre de 72 n’est pas du tout choisi par hasard : c’est le nombre exact de toutes les nations de la terre tel qu’énumérées en Genèse 10. La mission de ces 72 est donc d’emblée – immédiatement – une mission universelle, avant la Passion, avant l’Ascension et la Pentecôte. C’est donc une mission apostolique avant toutes les missions des Apôtres avec un grand A. Luc rapporte ainsi qu’une mission d’inspiration chrétienne ancienne et œcuménique a existé, plus ancienne que celle rapportée dans les Actes des Apôtres, et qu’elle a été partout…
3. Les 72 sont envoyés « en avant de lui (Jésus), dans toute ville et tout endroit où lui-même était sur le point d’aller ». En avant de lui (Jésus) ne signifie pas seulement lui, monsieur Jésus, mais aussi lui, le crucifié, ressuscité, ascensionné… C'est-à-dire – nous insistons – la mission des 72 précède Jésus vivant, mais aussi Jésus ressuscité proclamé (le Christ de la foi), qui sera proclamé ultérieurement par d’autres missions, celle des 12 notamment.
4. La manière d’être apôtre, le code de bonne conduite, est donné à ces 72. Ce code est même plus complet que celui donné aux 12. Ce code va être communiqué par ces 72 aux populations qu’ils rencontreront de par le monde. Ce code de bonne conduite permettra ensuite à ces populations d’opérer un discernement entre ceux qui suivront : simplicité, frugalité, fugacité, pureté...
En partant en mission...
5. L’objet de la mission des 72 est aussi donné : guérir, et annoncer l’immense proximité du règne de Dieu. Là encore, cela vise à une sorte de préparation de ces populations, aux fins de les aider dans leur discernement, notamment en les préparant à s’intéresser aux actes autant et même plus qu’aux paroles qui leur seront adressées.
6. Ces 72 apôtres reviennent, pleins de joie. Ils sont allés même plus loin que simplement guérir, puisque les démons leurs sont soumis… dans l’évangile de Luc – et dans les Actes des Apôtres – tout envoyé va toujours au-delà de la mission à lui confiée par telle autorité, et cela est, pour le meilleur, un signe de plus de l’authenticité de son ministère.
7. Et enfin, les 72 sont anonymes. Ils sont anonymes, ce qui signifie que peu importe l’identité du premier envoyé, pourvu qu’après son passage demeure l’actualité de son message : l’acte gratuit de guérir, celui d’enseigner sans se faire payer, celui d’accompagner sans être pressé, et la certitude de l’extrême proximité du règne de Dieu. Il semble même que cette qualité d’engagement corresponde presque exactement au règne de Dieu…

Ainsi, les 72 partent en mission à la fin du verset 16, et reviennent de mission au début du verset 17. Entre temps, anonymement, humblement, efficacement… les 72 sont allés jusqu’au bout du monde.
Que conclure ? Nul ne peut jamais dire qu’il est quelque part le premier ou le seul annonciateur de l’Évangile. Toujours, il a été précédé. Et toujours par quelqu’un qui avait reçu mission du Christ lui-même, par quelqu’un dont la probité, la simplicité, et finalement l’anonymat… attestaient de l’authenticité de sa mission.
Puisse le Christ toujours susciter et envoyer de tels apôtres. Amen