dimanche 25 décembre 2016

La foi seule (Luc 2, et Jean 1) ou prenez soin du Sauveur !

Luc 2
1 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier.
2 Ce premier recensement eut lieu à l'époque où Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville;
4 Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s'appelle Bethléem en Judée, parce qu'il était de la famille et de la descendance de David,
5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.
6 Or, pendant qu'ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva;
7 elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans la salle d'hôtes.
8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau.
9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d'une grande crainte.
10 L'ange leur dit: «Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple:
11 Il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur;
12 et voici le signe qui vous est donné: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.»
13 Tout à coup il y eut avec l'ange l'armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait:
14 «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés.»
15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux: «Allons donc jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.»
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
17 Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers.
19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens.

20 Puis les bergers s'en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.

Jean 1
1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était dans l’intimité de Dieu,
et le Verbe était Dieu.  2 Il était au commencement dans l’intimité de Dieu.

3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.
4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,
5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise.
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.
9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.
10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu.
11 Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas pleinement reçu.
C'est mon dernier post de l'année 2016. In memoriam.
12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné possibilité de devenir enfants de Dieu.
13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, unique engendré, plein de grâce et de vérité, il tient du Père.
15 Jean lui rend témoignage et proclame: «Voici celui dont j'ai dit: après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était.»
16 De sa plénitude en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce.
17 Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18 Personne n'a jamais vu Dieu; Dieu unique engendré, qui est dans le sein du Père, s’en est fait l’interprète.

Prédication
Dans l’évangile de Luc, comme nous l’avons lu, merveilleusement, le ciel s’ouvre, apparaissent l’ange, puis la foule des armées célestes et, une fois qu’a été annoncé ce qui devait être annoncé, le ciel se referme sur son propre mystère.
Alors les humains sont ici-bas, le ciel et Dieu sont tout là-haut, éloignés infiniment l’un de l’autre, et chacun ne peut être que là où il est, et nulle part ailleurs. Pourtant, dans cette configuration, le ciel qui s’est un jour ouvert pourrait bien s’ouvrir encore…
L’espérance prend ici une forme merveilleuse : dans une situation compromise, le ciel peut de nouveau s’ouvrir et les anges intervenir une fois encore.

Différente est la perspective de l’évangile de Jean : le Verbe se fait chair. Entendons bien ceci d’une manière radicale. S’étant fait chair, il n’est plus Verbe, mais chair ; il n’est plus là-haut, mais ici-bas. Le Verbe s’est anéanti en tant que Verbe et il n’y a plus que la chair, que de l’humain.
Alors l’espérance ne peut plus être celle d’un ciel qui s’ouvre. L’espérance ne tient plus qu’à la vertu des humains : probité, vérité et amour.

On peut se demander alors qui accepte ce cadre si particulier de l’évangile de Jean, ou encore qui veut de cette forme radicalement incarnée de l’espérance ? Qui surtout parmi les croyants ? On en entend bien souvent affirmer par des croyants que l’incroyance est l’autoroute du chaos et du désespoir. Ou encore affirmer que si finalement Dieu n’existe pas, ce que font les croyants – prier, étudier, servir – n’a aucun sens… A ceci nous avons à répondre que la foi dont ont parlé les Prophètes, dont a parlé Jésus lorsqu’il parlait en tant que prophète, est bien la foi seule, celle-là même dont a parlé aussi Martin Luther.
Et il faut bien entendre ici que le propre de la foi seule est qu’elle est seule. C'est-à-dire que celui qui croit authentiquement est seul à croire. Ainsi celui qui croit, lorsque sa foi est réellement foi seule, croit, ne peut que croire ici-bas, dans la chair, sans aucunement présupposer l’existence de Dieu, et sans présupposer non plus – et encore moins – que Dieu s’intéresse à lui. Si l’on a bien compris ce qu’a voulu dire l’évangile de Jean en disant que le Verbe s’est fait chair, c’est justement lorsque la foi est seule qu’elle est foi en Dieu.

Qui veut, qui voudra de cette radicalité de la foi ? L’évangile de Jean, qui parle si bien de la foi seule, énonce clairement que les humains ne veulent pas, ne veulent absolument pas de cette foi seule. Nous lisons : « Il est venu chez lui… et les siens ne l’ont pas pleinement reçu ». Le recevoir pleinement, c’eût été croire, comme nous l’avons dit, croire seulement, vivre de la foi et de la foi seule. Et cela n’advint pas… quelques-uns le reçurent, disons, ses disciples. On peut dire qu’ils le reçurent un peu, ils crurent pour ce dont ils étaient capables de croire. Ils commencèrent ce qu’on peut appeler l’apprentissage de la foi. Et lorsqu’au sujet de ceux-ci l’évangile de Jean écrit qu’il leur a été donnée la possibilité de devenir enfants de Dieu, nous devons entendre que c’est le verbe devenir qui porte l’essentiel du message. Il n’est d’enfant de Dieu qu’en devenir, et il n’est de foi qu’apprentissage de la foi.

Ainsi, de cet apprentissage, et du chemin qu’il a déjà parcouru,  celui qui croit ne saurait se prévaloir sans que sa foi ne soit plus apprentissage de la foi seule. C’est pour bien marquer cela que Jean précise encore que ce n’est jamais d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme que cela est issu, mais seulement de Dieu.

Aujourd’hui c’est Noël. En revenant à l’évangile de Luc, nous nous penchons sur un nouveau né. Un nouveau né serait le Christ Seigneur ? Car c’est bien un nouveau né que nous voyons. Il est Sauveur aussi. Il apporte le salut… quel salut ? Il s’agit d’être sauvé de l’idée qu’on peut soit même faire son propre salut. Devant la crèche, ce qui saute aux yeux, c’est que le salut d’autrui importe toujours d’avantage au croyant que le sien propre. Pour l’heure le sauveur est un nouveau né et, parce que c’est un nouveau né, c’est lui qui a besoin de nous, sinon, comme tout nouveau né, il périra. Ainsi, Noël est porteur d’un message particulièrement précieux : si vous ne prêtez pas attention au sauveur, si vous ne prenez pas soin de lui, et disons, si vous ne sauvez pas le sauveur, il n’y aura de salut pour personne. Noël requiert ici du croyant un engagement fort, voire essentiel. Et cet engagement ressort encore de la foi seule. Le Sauveur c’est lui, c’était et ce sera toujours lui, et ce n’est pas nous. Prendre soin de celui dont on a tout à recevoir, c’est notre lot, et c’est notre grâce. La grâce faite à ceux qui apprennent à croire.

Puissions-nous apprendre à croire. Puissions-nous être trouvés croyants. Amen

dimanche 18 décembre 2016

Les justes et la divine providence (Matthieu 1,18-25)




Matthieu 1
1 Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham:
2 Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères,
3 Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram,
(…)
15 Elioud engendra Eléazar, Eléazar engendra Mathan, Mathan engendra Jacob,
16 Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l'on appelle Christ.
17 Le nombre total des générations est donc: quatorze d'Abraham à David, quatorze de David à la déportation de Babylone, quatorze de la déportation de Babylone au Christ. 

18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ.
Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète:
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu avec nous».
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,

25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

Prédication :
            Parler des justes, et de la divine providence, c’est ce que je souhaite faire en méditant ce texte. Mais, pour commencer, je vous demande un certain effort : oublier ce que nous savons de cette femme, de cet homme, et de cet enfant à naître, de l’ange et de Dieu qui est derrière tout ça…        Une fois cet effort accompli, de quoi parle ce texte ?

Une jeune femme, promise à un homme, est trouvée enceinte, avant d'avoir officiellement été donnée à cet homme, et cela se passe dans un village palestinien il y a deux mille ans. L’homme, bien qu’en droit de rompre l’engagement, bien qu’en droit aussi de se plaindre et d’exiger une sanction contre cette jeune femme, sanction qui pourrait être la lapidation, la prend chez lui et, au terme de la grossesse, donne un prénom à l’enfant, c'est-à-dire le reconnait comme sien. La jeune femme s’appelle Marie, et elle a eu une chance incroyable ; l’homme s’appelle Joseph.

            De l’homme qui agit ainsi, de ce Joseph, il est dit qu’il était juste. Qu’est-ce qu’un juste ?            
Le texte nous aide. Un juste est quelqu’un qui a le droit pour lui ; et qui peut se servir du droit pour condamner autrui ; mais qui choisit pourtant de ne pas appliquer la Loi, et de sauver autrui, sans aucune considération de ce que sa décision peut lui coûter.
C’est exactement ce qu’ont fait ces gens qui, au mépris de la loi, et au mépris de leur propre vie, ont sauvé des Juifs en les soustrayant à la barbarie nazie ; ces gens sont des justes, et les noms de ceux qui sont connus sont conservés et honorés au mémorial de Yad Vashem.
Cela, c’est ce qui se voit. Mais en lisant le récit que nous propose Matthieu, nous pouvons envisager comment se construit cette « justice » de Joseph…
            Tout d’abord, il y a une situation, et nous allons dire que c’est en situation seulement que cette « justice » se déploie.
            Ayant connaissance de la situation (Marie enceinte), le juste a aussi connaissance de la Loi et de ce que la Loi exige. L’accusation publique mènerait la jeune femme à la mort… La rupture discrète ménage la vie de jeune femme – ce qui est indiscutablement un moindre mal... Combien de temps faut-il à Joseph pour en arriver là ? C’est en tout cas dans le fil de cette réflexion que Joseph rêve.
            Nous retenons que le juste délibère, et que le juste rêve. Ne nous y trompons pas et n’allons pas trop vite dire que c’est un ange qui vient… même si c’est écrit. De quoi Joseph rêve-t-il ? Il rêve endormi, comme nous tous, de ce dont il rêve aussi éveillé, et, dans son rêve, se retrouve ce qu’il a lu et entendu. Joseph, qui connaît la Loi connaît aussi les Prophètes et, parmi les prophètes, Esaïe : « voici que la jeune femme conçoit et enfante un fils – et elle lui donne le nom d'Im-anou-El (Dieu avec nous) ; de crème et de miel il se nourrit, sachant rejeter le mal et choisir le bien ».
Le rêve a ceci de divin qu’il permet parfois l’association libre d’idées qui sans lui n’auraient rien à faire ensemble. Qui est cette jeune femme de la prophétie ? Et qui est cette jeune femme que Joseph se prépare à défendre ? Le rêve en fait une seule et même personne et suggère au rêveur qu’il y a peut-être mieux à faire que rompre secrètement… Pensons-y… si Joseph rompt secrètement, lui sera indemne en cette affaire, certes, la jeune fille ne sera pas accusée publiquement, mais n’y a-t-il pas une autre voie ? Le rêve suggère une autre voie. Le rêve est un « … et si… ? » : et si Marie et la jeune femme de la prophétie étaient une seule et même jeune femme, et si l’enfant était cet Emmanuel ? Le rêve opère comme une sorte de rappel à la foi, à la foi d’Israël, à la foi en Dieu : le chemin le plus étroit, le plus étonnant pour les humains, est peut-être celui que Dieu attend qu’on prenne, est peut-être le chemin de l’accomplissement de la promesse. Ce chemin, il faut bien oser le prendre si l’on veut qu’il soit un chemin. Le rêve est aussi un « pourquoi pas ? » qui attend la décision du rêveur.

            Joseph se souvient-il de son rêve ? Prenons garde, en tant que lecteurs, de ne pas en savoir trop. Nous en savons beaucoup… Nous le voyons rêver, nous savons qui est dans son rêve, et qui est l’enfant que Marie porte. C’est bien, en un sens, car c’est le motif de l’action de grâce, de la joie d’une attente dont nous savons un peu la fin, c’est Noël par anticipation, c’est peut-être même un pilier essentiel de notre foi. Mais notre foi, si elle est reconnaissance, action de grâce, peut et doit aussi être engagement, chemin vers un inconnu, connu de Dieu seul. Joseph ne se souvient pas de son rêve et nous l’oublions avec lui.
            Et nous revenons à ce qui s’observe, à ce qui se voit, à ce que les contemporains de Joseph ont réellement vu : l’acte de Joseph qui prend chez lui et comme femme cette Marie, contre la rumeur, contre la Loi, contre le qu’en-dira-t-on… Et lorsque cette jeune femme trouvée enceinte d’on ne sait qui met au monde son enfant, il lui donne un nom plein d’espérance : Jeoshoua, Jésus, ce qui signifie « Dieu sauve ».

Ce n’est pas rien, ce prénom, car qu’est-ce qui peut certifier à Joseph, qu’est-ce qui peut assurer à un juste, qu’il a raison d’agir ainsi qu’il agit ? Rien. Le juste vit et agit par la foi, dit le prophète Habacuc. Et Dieu sauve ; même l’acte du juste doit être sauvé ; on doit même dire que le propre de l’acte du juste est qu’il ne peut être sauvé que par Dieu seulement, justement parce que cet acte est un acte de foi.

Nous annoncions au commencement de cette prédication que nous entendions parler de la justice et de la divine providence.
De Joseph le juste nous savons donc qu’il lit et médite les Saintes Ecritures, qu’il a foi en Dieu, qu’il attend la réalisation de la promesse et qu’il décide, contre vents et marée, humblement mais résolument, de prendre personnellement le risque que cette promesse devienne réalité. Puissions-nous, nous aussi, être trouvés justes…
Quant à la divine providence, envisageons-la du point de vue de Marie. La divine providence est, pour elle, l’acte d’un homme. Puissions-nous, si un jour notre situation vient à être compromise, être au bénéfice de la divine providence. Et puissions-nous surtout être de ceux qui la mettent en œuvre.
Amen

dimanche 11 décembre 2016

Changer le monde (Matthieu 3,1-12 et Matthieu 11,1-6)

Alep....

Matthieu 3
1 En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée:
2 «Convertissez-vous: le Règne des cieux s'est approché!»
3 C'est lui dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait: «Une voix crie dans le désert: ‹Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.› »
4 Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
5 Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui;
6 ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion;
9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10 Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.
11 «Moi, je vous baptise dans l'eau en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi: je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales; lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu.
12 Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»

Matthieu 11
1 Or, quand Jésus eut achevé de donner ces instructions à ses douze disciples, il partit de là enseigner et prêcher dans leurs villes.
2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples:
3 «Es-tu ‹Celui qui doit venir› ou devons-nous en attendre un autre?»
4 Jésus leur répondit: «Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez:

5 des aveugles retrouvent la vue et des boiteux marchent droit, des lépreux sont purifiés et des sourds entendent, des morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres;

Prédication :
            Lorsque Jean le Baptiste commence à prêcher, il dit « Convertissez-vous, le règne des cieux s’est approché… » Dans ce simple message, on peut repérer deux idées de changement.
Première idée de changement : « le règne des cieux s’est approché ». Quelque chose – le règne des cieux – était loin, est devenu proche, même très proche, voire imminent… Jean le Baptiste avait l’intuition que le monde dans lequel il vivait était proche de sa fin, qu’un événement décisif allait arriver, et qu’un autre monde, une autre époque, allaient commencer.
La seconde idée de changement qu’on peut repérer dans le message de Jean le Baptiste, c’est le changement des gens, comme il leur dit : « Convertissez-vous… ». Se convertir, c’est changer, changer sa manière de penser, et en même temps, changer aussi sa manière de vivre.

Lorsque Jean le Baptiste vivait, son pays connaissait une domination brutale, était en état de révolte permanente, contre l’occupant, mais aussi faction contre faction, les richesses y étaient très inégalement partagées, misère noire pour le plus grand nombre, et une religion puissante s’arrangeait très bien de tout cela…
Avec autant de brutalité et de souffrance, le  message de Jean le Baptiste pouvait être compris comme l’annonce d’une intervention de Dieu, sous la forme d’un chef providentiel, qui mettrait fin à tout cela, punirait les uns, soulagerait les autres, et instaurerait un règne de paix et de justice. Jean le Baptiste avait l’intuition que cela était imminent.
C’était il y a plus de 2000 ans. Le monde a-t-il changé ? Pour nous, le monde est meilleur, infiniment meilleur que celui que connaissait Jean le Baptiste. Pour d’autres que nous, le monde n’a pas changé, il va même effroyablement mal.
En plus, depuis 2000 ans, quelqu’un est-il venu juger les uns, consoler les autres, établir le règne des cieux ? Nous pourrions répondre que non… que le message de Jean le Baptiste n’était qu’illusion, et qu’il est totalement sans portée.
Cependant, nous n’allons pas conclure ainsi. Notre conviction est que Jean le Baptiste ne s’est pas trompé et que son message nous concerne : « Convertissez-vous, le règne des cieux s’est approché… » Nous disons en plus que quelqu’un est venu : Jésus, venu de Galilée. C’est à cause de ce quelqu’un que nous avons eu connaissance du message, nous, qui ne sommes pas de ce pays-là. Ce message a été porté jusqu’aux extrémités de la terre et c’est en cela, au moins, que le monde a changé, même s’il reste encore à changer.

Le règne des cieux est toujours tout proche, nous le croyons. Quand viendra-t-il ? Est-ce imminent ? L’espérance du règne des cieux n’a pas de délai. L’espérance, c’est bien entendu ce qu’on attend, mais c’est aussi ce qu’on décide de faire.
Et que peut-on faire ? Il y a ce qu’on ne peut pas changer. Ce qu’on peut un peu changer. Et il y a ce qu’on peut franchement changer. Or, dans les textes que nous avons choisis de lire aujourd’hui, nous avons des exemples des trois.

Il y a ce à quoi l’on ne peut rien changer
            « Et ne dites surtout pas en vous-mêmes “Nous avons pour père Abraham” ». C’est vrai qu’ils avaient pour père Abraham. Et, effectivement, à cela, on ne peut rien changer. Pour toujours on est né quelque part, dans cette famille et dans aucune autre, dans ce temps et dans aucun autre, ici, et nulle part ailleurs. Chance, voire privilège pour certains ; handicap, voire malédiction pour d’autres. On ne peut rien changer à cela. Lorsque Jean le Baptiste se met à insulter certaines personnes, il insulte des gens qui avaient eu la chance de naître dans des familles riches et influentes, privilégiées… qui trouvaient cela très bien, et qui pensaient qu’il n’y avait rien à changer à rien.

Il y a ce qu’on peut un peu changer un peu.
            On ne peut pas changer sa généalogie, mais on peut changer sa manière de penser le monde et de l’habiter. La vie que mène Jean le Baptiste relève d’un choix de vie. Sa prise de parole relève d’une réflexion et d’une décision. Sa réflexion, sa décision, sa parole et ses engagements ont quelque chose d’extrême, comme ce sera extrême aussi pour Jésus : ces deux hommes ont renoncé à tout, richesse, famille, pouvoir, image... et ils ont payé au prix le plus fort leur liberté de parole.
Maintenant, il est vrai que nous ne sommes pas tous appelés à un tel dépouillement et à une telle radicalité. Mais chacun peut, là où il est, considérer où et quand il est né, observer le monde, réfléchir, et choisir la vie qu’il veut mener : défense de privilèges et rapacité, ou partage… Chacun peut, un peu au moins, changer sa manière de voir le monde, de voir la vie, et de vivre…

Il y a enfin ce qu’on peut totalement changer.
            On peut enfin, parfois, totalement changer quelque chose au monde. Un jour, Jean le Baptiste a fait demander à Jésus s’il était bien celui qui devait venir, ou s’il fallait attendre quelqu’un d’autre. Et bien Jésus a répondu très simplement que, par lui, par son engagement, son action, à la mesure de puissance qui lui avait été donnée, quelques vies avaient été changées : « des aveugles retrouvent la vue et des boiteux marchent droit, des lépreux sont purifiés et des sourds entendent, des morts ressuscitent ». Est-ce que cela changea le monde ? Cela changea totalement le monde de ceux qui avaient eu la chance de croiser le chemin de Jésus.

Mais, reconnaissons-le, le monde, dans sa globalité, dans sa misère, ne fut pas totalement changé par Jésus. Après le passage de Jésus, et là ou il n’était pas passé, il resta des aveugles, de boiteux, des lépreux, des mourants… Ceci dit, ça n’est pas parce qu’on ne peut pas changer le monde dans toute sa globalité qu’il ne faut pas le changer pour ce qu’on a le pouvoir de faire.
Nous n’avons pas le pouvoir de faire du monde un monde de joie et de paix, mais ça n’est pas une raison pour ne pas tâcher d’y mettre un peu de paix et de joie.



Le Seigneur nous appelle à cela, à une conversion – toujours – de nos manières de penser et de vivre. Il nous appelle à partager simplement et concrètement notre espérance pour ce monde. Et Lui, celui qui est déjà venu et qui doit encore venir, il nous accompagne. Amen



dimanche 4 décembre 2016

La menace et la promesse (Matthieu 3,1-12)


Matthieu 3
1 En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée:
2 "Convertissez-vous: le Règne des cieux s’est approché!"
3  C’est lui dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait: "Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
4  Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
5  Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui;
6  ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit: "Engeance de vipères, qui vous a montré qu’on peut échapper à la colère qui vient?
8 Produisez plutôt du fruit qui témoigne de votre conversion;
9  et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10 Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.
11 "Moi, je vous baptise dans l’eau en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi: je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales; lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.


12 Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas."

Prédication :
            Ce texte est-il un texte menaçant ? On imagine assez Jean le Baptiste vociférant contre les Pharisiens et les Sadducéens, tout comme on le verra plus loin dans l’évangile de Matthieu (chapitre 14) aller interpeller vigoureusement le roi Hérode… et payer cette interpellation du prix de sa liberté.
On imagine donc bien Jean le Baptiste vociférer face aux Pharisiens (champions de l’observance) et aux Sadducéens (maîtres du Temple de Jérusalem) et leur annoncer prophétiquement l’effondrement de la Judée, la destruction du Temple de Jérusalem, la guerre des Juifs et leur anéantissement…
Il n’est certainement pas erroné d’imaginer ainsi Jean le Baptiste en prophète. Mais il faut aussi l’imaginer en prédicateur de la proximité du Royaume des cieux, et en confesseur. Ceux qui viennent vers Jean le Baptiste confessent leurs péchés.
           
Quels péchés ? En parcourant de nouveau le texte, il ne semble pas apparaître de liste de péchés que Jean le Baptiste pouvait entendre en confession… Relisons encore. Bien entendu, si l’on cherche des listes de transgressions des dix commandements, ça ne saute pas aux yeux. Disons-nous donc tout simplement que ce que les gens de cette époque avaient à confesser n’est pas très différent de ce qu’on a à confesser aujourd’hui, ni bien plus intéressant d’ailleurs. Il y a néanmoins quelque chose d’assez net qui apparaît, rapport aux dix commandements, justement lorsque Jean le Baptiste s’en prend aux Pharisiens et aux Sadducéens.
            Ce qui apparaît ? Qui vous a montré comment échapper à la colère qui vient, tonne le Baptiste ? Et il les insulte, en les traitant d’engeance de serpents, de tentateurs, de manipulateurs, de diables…

Echapper à cette colère, à telle catastrophe, ou au jugement de Dieu, cela serait possible ? Par la confession des péchés et le baptême de Jean le Baptiste ? Par l’observance scrupuleuse des commandements de la Loi de Moïse, avec les Pharisiens ? Par la pratique assidue du culte au Temple de Jérusalem, avec les Sadducéens ? Les trois ?
Considérer qu’une pratique religieuse, quelle qu’elle soit – et nous en avons ici trois différentes au sein même du judaïsme – a pour finalité de s’attirer l’indulgence ou le secours de Dieu, c’est pécher, et très gravement. Car cela revient à négliger le tout premier commandement, qui est le sommaire de toute la Loi : « Je suis le Seigneur ton Dieu qui te fais sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves. » C’est Dieu qui libère ; il libère des esclaves, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui n’ont strictement rien à faire valoir. Et Dieu ne libère pas seulement son peuple une fois, de la servitude d’Egypte ; il veut le libérer chaque fois qu’il est esclave, chaque jour, de tous les esclavages possibles et, en particulier, des esclavages religieux.
Dans ce sens, considérer qu’une pratique religieuse est nécessaire pour s’obtenir les grâces de Dieu c’est se rendre esclave, et enseigner qu’une pratique religieuse est nécessaire pour obtenir les grâces de Dieu, c’est rendre autrui esclave, et Dieu esclavagiste.

Nous demandions à l’instant si le texte que nous méditons maintenant est un texte de menace. Et il l’est, il le fut, et il le demeure. Il est une menace, et tant mieux, pour tous ceux qui font de la religion un fonds de commerce et un instrument de domination. Pour eux, c'est-à-dire contre eux, le règne de Dieu s’approche, sa colère vient et, contre eux, la colère de Dieu porte le nom de Jésus Christ.

Mais revenons à l’histoire. S’agissant de la Judée, la colère de Dieu – si on veut le prendre ainsi – put avoir la forme du saccage de la ville et du Temple – les Sadducéens ne s’en remirent jamais ; quant aux Pharisiens, après le saccage de la ville et, surtout, une génération plus tard, après la fin de la guerre des Juifs, ils ne purent survivre qu’en transformant radicalement, en l’intériorisant, leur manière de vivre la Loi et la foi en Dieu. Ceci dit, nous arrivons longtemps après cette histoire, et nous avons à être extrêmement prudents, extrêmement prudents, si nous identifions les convulsions de l’histoire à la colère de Dieu… surtout lorsque les convulsions de l’histoire ont atteint d’autres gens que nous. Il n’est pas nécessaire d’insister sur ce que fut le XXè siècle européen, ni sur ce qu’est en ce moment l’agonie de la ville d’Alep… Seul celui que le mal atteint est fondé à y voir, peut-être, pour lui-même, et pour lui-même seulement, la colère de Dieu.

Alors nous ne pouvons pas envisager plus longtemps ce texte comme un texte de menace. Nous allons l’envisager comme un texte de promesse au-delà de toute catastrophe possible.

A ceux qui auront perdu leur Temple et qui ne  pourront plus rendre leur culte à Dieu, à ceux qui auront vu se disloquer la communauté au sein de laquelle ils pouvaient observer les commandements divins, à ceux qui auront vu, à cause de la guerre, leurs familles décimées, leurs lignées anéanties et qui penseront que Dieu les a abandonnés… à ceux donc qui auront perdu ce à quoi ils tenaient le plus, il reste ici une promesse.
Le souffle prophétique saisit Jean le Baptiste et le fait parler. On peut entendre, on peut lire et entendre ceci : « De ces pierres Dieu peut faire lever des fils à Abraham. » Menace pour certains, car Dieu est assez fort pour libérer son peuple en dépit de toutes les résistances qu’on lui oppose, et promesse pour les autres.
« De ces pierres – de ces ruines – de ce qui est réputé détruit, inerte, mort – de ce qui n’a apparemment ni sens ni but – Dieu peut faire lever des fils à Abraham. » Aucune catastrophe ne peut être attribuée à un épuisement de la fidélité de Dieu, et son dynamisme créateur ne faiblit jamais. C’est une incroyable et merveilleuse promesse. Et nous voudrions que toutes celles et ceux qui sont éprouvés puissent non seulement la croire, mais aussi la voir s’accomplir.

Faut-il pourtant en passer par là, par la catastrophe, par le néant, par la mort… pour que cette promesse soit reçue et vécue ? La promesse est là, et nul ne peut jamais souhaiter un malheur.
Il doit être possible de vivre cette promesse comme “par anticipation”. C’est peut-être bien ce que Jean le Baptiste veut exprimer lorsqu’il appelle à la conversion. A ces gens sans doute tous très religieux, à ces gens sans doute prêts à bien des sacrifices sophistiqués et coûteux pour mériter la félicité, Jean le Baptiste propose quelque chose d’inouï : il est inutile de chercher à s’approcher du royaume des cieux, car c’est le royaume des cieux qui s’est approché, non pas un peu seulement, mais tellement approché qu’on peut comprendre qu’il est là, simplement là. Alors, puisque le royaume des cieux s’est ainsi approché, il n’est plus nécessaire d’avoir recours à des spéculations coûteuses ni à des pratiques complexes. L’approche du royaume des cieux appelle à des simplifications, même si l’on conserve des rites et des cérémonies ; il faut ici comprendre qu’on peut pratiquer avec une grande simplicité de cœur. « Heureux les cœurs purs, dira Jésus, car ils verront Dieu. »
Et cela, bien enseigné, et bien compris, devrait transformer radicalement – donc convertir – toute pratique religieuse. D’obligation elle devrait devenir engagement libre. De corvée elle devrait devenir joie. De marchandage ou d’expiation elle devrait devenir pure action de grâce.
Et bien, lorsque c’est bien ainsi qu’évolue une pratique religieuse, lorsque c’est ainsi qu’évolue une vie, lorsqu’elle devient libre engagement, joie et action de grâce, on peut dire qu’elle est alors anticipation de la promesse.

Sœurs et frères, écoutons Jean le Baptiste. Préparons les chemins du Seigneur, et rendons droits ses sentiers. Que Dieu nous soit en aide. Amen