samedi 24 avril 2021


Jean 10

11 «Je suis le bon berger: le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis. 12 Le mercenaire, qui n'est pas vraiment un berger et à qui les brebis n'appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite; et le loup s'en empare et les disperse.  13 C'est qu'il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.  14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,  15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.  16 J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger.  17 Le Père m'aime parce que je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite.  18 Personne ne me l'enlève mais je m'en dessaisis de moi-même; j'ai le pouvoir de m'en dessaisir et j'ai le pouvoir de la reprendre: tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père.»

Actes 4

8 Rempli d'Esprit Saint, Pierre leur dit alors:  9 «Chefs du peuple et anciens, on nous somme aujourd'hui, pour avoir fait du bien à un infirme, de dire par quel moyen cet homme se trouve sauvé.  10 Sachez-le donc, vous tous et tout le peuple d'Israël, c'est par le nom de Jésus Christ, le Nazôréen, crucifié par vous, ressuscité des morts par Dieu, c'est grâce à lui que cet homme se trouve là, devant vous, guéri.  11 C'est lui, la pierre que vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut: elle est devenue la pierre angulaire.  12 Il n'y a aucun salut ailleurs qu'en lui; car aucun autre nom sous le ciel n'est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut.» 

Prédication

             Il se dit parfois, dans les cercles spécialisés, qu’assez tôt, la nuée des groupes ayant reconnu en Jésus le Christ leur Seigneur et leur Sauveur fut suffisamment homogène pour être appelée, para usage, Grande Église. Tous ces groupes n’étaient probablement pas tout à fait semblables entre eux, mais un certain nombre de marques pouvaient les réunir : vie et enseignement du Seigneur, le repas du Seigneur, sa mort et sa résurrection, le témoignage des Apôtres et une certaine primauté de Pierre, ce qu’on peut apprécier dans la ressemblance et les différences entre les trois premiers évangiles, plus les actes des Apôtres. L’évangile de Jean est, rapport à cela, un texte à part, celui d’un groupe à part.

           Certains des versets que nous venons de lire ont une couleur très Grande Église, comme ce propos mis dans la bouche de Pierre, et parlant de Jésus Christ : « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en Lui ; car aucun nom sous le ciel n’est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut. »

            Ce propos est adressé aux gens influents qui gouvernaient le Temple de Jérusalem, lieu lui aussi réputé pour être le seul lieu de salut en Dieu. Il est adressé aussi à tout lecteur des Actes des Apôtres, dès que ce texte commença à circuler… « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en Lui… » L’Apôtre Pierre, tout récemment oint d’Esprit Saint, a un certain toupet, c’est le moins qu’on puisse dire.

            Tous les groupes se réclamant du Christ Jésus Fils de Dieu n’ont pas eu la même destinée. Il existe un groupe, traditionnellement rattaché au nom de Jean – ou au "disciple que Jésus aimait" – qui avait développé un langage particulier, un programme théologique spéculatif original, qui ne pratiquait pas la Cène et ne retenait que sept miracles de Jésus… L’évolution propre de ce groupe fit que certains de ses membres finirent par vouloir se rapprocher de la Grande Église. Les traces de cette entreprise de rapprochement sont repérables ici et là dans l’évangile de Jean.

           C’est dans l’évangile de Jean que nous venons de lire ceci, dans la bouche de Jésus : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi il faut que je les mène. », et encore, « il y aura un seul troupeau et un seul berger. »          À l’horizon de l’absorption du mouvement de Jean par la Grande Église, cette phrase est tout à fait claire, tout est simple : les autres brebis sont ceux de la Grande Église, Jésus les mène tout comme il mène ceux de l’Église de Jean, et l’unification est leur destinée commune. Ainsi tout est simple, tout est clair, et tout est en ordre. L’affirmation de Pierre selon laquelle il n’y a aucun salut ailleurs qu’en Jésus trouve même en cette unification comme un surcroît de portée et de valeur.

            Mais n’est-ce tout de même pas un peu fort qu’un être humain ose s’exprimer ainsi que le fait Pierre ? Même s’il est rempli d’Esprit Saint, un homme peut-il se prononcer, d’un coup d’un seul et infailliblement, sur ce qui concerne la puissance de Dieu, la volonté de Dieu et la bonté de Dieu ? N’est-ce pas aller un peu vite en besogne que de disqualifier tous les moyens de salut qui furent, qui sont et qui seront, tous sauf, évidemment, celui que, soi-même, on propose ? Oui, c’est un peu fort, c’est aller un peu vite en besogne. Nous pouvons bien entendu parler de l’audace de Pierre, mais il nous faut aussi examiner sa prétention.

            La Bible, à cet égard, nous donne au moins deux leçons :

  1. La première de ces deux leçons figure dans le tout dernier chapitre de l’évangile de Jean, et c’est d’ailleurs la dernière parole du Ressuscité dans cet  évangile. Souvenons-nous. Il y a une apparition, avec pèche miraculeuse et repas. Puis Jésus interroge Pierre – m’aimes-tu ? – puis il confie à Pierre le soin de ses brebis, confirmation en somme de la primauté de Pierre. Mais Pierre se tourne vers l’autre disciple, celui que Jésus aimait, Jean semble-t-il, et Pierre interroge Jésus : « qu’en sera-t-il de lui ? » Et Jésus répond : « Et alors ? Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, ça t’dérange ? Alors toi, suis-moi ! » Cette première leçon scripturaire inscrit l’unité sur un horizon extrêmement lointain. Tant que le monde sera monde, tant que les humains prieront Dieu au nom de son Fils, il n’y a pas d’unification, pas d’uniformité possible. Même si Pierre brille devant tous, Jean demeure à jamais.  
  2. La deuxième leçon, très proche en fait de la première, tient à ce que même si le mouvement de Jean a été finalement absorbé pas la Grande Église, il demeure un face à face entre les deux traditions, un face à face scripturaire : les deux textes sont là, face à face, celui qui dit exclusivité, et celui qui dit diversité. Ils sont là dans la Bible avec égale légitimité et égale autorité. Et même si, comme ce matin, les extraits qui nous sont proposés cherchent à accréditer la leçon suivant laquelle le berger est unique, le moyen de salut est unique, le peuple est unique, et que tout ça s’attache à Pierre, il reste en face de cette leçon l’autre leçon : « J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène… ».

 

            Ainsi donc, quand bien même toutes les Églises chrétiennes auraient un jour été unies en une seule Église, par consensus, par ruse, ou par force, quand bien même auraient été produits un catéchisme unique et obligatoire et une liturgie unique et obligatoire, et quand bien même les dirigeants de cette Église seraient bouffis d’orgueil et portés sur l’autorité, il resterait cette affirmation biblique, affirmation du Seigneur : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos… » Où, qui, comment ? Et il ne viendrait pas de réponse.

            Il en est de ces autres brebis en christianisme comme il en est en judaïsme du reste d’Israël ou des justes cachés. Il n’est pas possible de les connaître mais la foi en leur existence est comme une promesse. Même si le pire venait à arriver, l’humanité ne serait pas finie et l’aventure humaine pourrait recommencer.

            Cette foi est aussi comme une marque, comme un sceau apposé sur la pensée, le sceau de l’unité qui n’appartient qu’à Dieu et qui n’existe qu’en Dieu, unité dont l’évangile de Jean a parlé, pour les chrétiens, d’une manière indépassable, en parlant d’aimer.

             A ce point de notre réflexion, nous sommes tentés de ratifier ce que dit Jésus dans l’évangile de Jean, et tentés de presque récuser ce qu’avance Pierre dans les Actes des Apôtres. J’espère que nous n’allons pas faire cela. Je voudrais partager avec vous une remarque faite par un professeur de l’Institut Protestant de Théologie (Paris), en parlant de Dietrich Bonhoeffer : « Une théologie extrême pour une période extrême. » Et peut-être faut-il dire la même chose de Pierre dans ses confrontations avec les gens du Temple : prédication extrême pour une période extrême. Période extrême parce que le Temple était de fait un monopole et que ce monopole se défendit parfois avec une grande brutalité contre cette nouvelle secte qui se réclamait de Jésus de Nazareth.

            Nous vivons quant à nous dans un période bénie, dans un lieu béni. Nous pouvons penser notre foi, méditer, et célébrer librement. Grâces en soient rendues à Dieu. Amen



samedi 17 avril 2021

Liberté de l'homme, souveraineté de Dieu (Luc 24:35-48 ; Actes 3:13-19 ; 1Jean 2:1-5)

Luc 24 

35 Et eux racontèrent ce qui s'était passé sur la route et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.

36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut présent au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.» 37 Effrayés et remplis de crainte, ils pensaient voir un esprit. 38 Et il leur dit: «Quel est ce trouble et pourquoi ces objections s'élèvent-elles dans vos cœurs? 39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi. Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai.» 40 À ces mots, il leur montra ses mains et ses pieds. 41 Comme, sous l'effet de la joie, ils restaient encore incrédules et comme ils s'étonnaient, il leur dit: «Avez-vous ici de quoi manger?» 42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé. 43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.

44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.» 45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures, 46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour, 47 et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.

48 C'est vous qui en êtes les témoins.

 1 Jean 2

1Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu'un vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père, Jésus Christ, qui est juste; 2 car il est, lui, victime d'expiation pour nos péchés; et pas seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier. 3 Et à ceci nous savons que nous le connaissons: si nous gardons ses commandements. 4 Celui qui dit: «Je le connais», mais ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n'est pas en lui. 5 Mais celui qui garde sa parole, en lui, vraiment, l'amour de Dieu est accompli; à cela nous reconnaissons que nous sommes en lui.

Actes 3 

13 «Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son Serviteur Jésus que vous, vous aviez livré et que vous aviez refusé en présence de Pilate décidé, quant à lui, à le relâcher. 14 Vous avez refusé le Saint et le Juste, et vous avez réclamé pour vous la grâce d'un meurtrier. 15 Le Prince de la vie que vous aviez fait mourir, Dieu l'a ressuscité des morts - nous en sommes les témoins. 16 Grâce à la foi au nom de Jésus, ce Nom vient d'affermir cet homme que vous regardez et que vous connaissez; et la foi qui vient de Jésus a rendu à cet homme toute sa santé, en votre présence à tous. 17 «Cela dit, frères, c'est dans l'ignorance, je le sais, que vous avez agi, tout comme vos chefs. 18 Dieu, lui, avait d'avance annoncé par la bouche de tous les prophètes que son Messie souffrirait et c'est ce qu'il a accompli. 19 Convertissez-vous donc et revenez à Dieu, afin que vos péchés soient effacés:

Prédication

            Aujourd’hui, de nouveau, le choix des textes du lectionnaire dimanches et fêtes nous propose un récit d’apparition du Ressuscité, et un discours d’Apôtre.

            Le discours, c’est une partie du discours tenu par Pierre au Temple de Jérusalem, après Pentecôte, et après la guérison accomplie par Pierre sur le chemin du Temple.

            L’apparition, c’est celle qui advient dans l’évangile de Luc juste après que deux disciples soient revenus d’Emmaüs à Jérusalem pour annoncer aux Onze leur rencontre avec le Ressuscité. Au sujet d’ailleurs de cette apparition, lorsque les deux disciples retrouvent les Onze, avant même qu’ils fassent leur récit, on leur dit : « C’est vrai, le Seigneur est ressuscité, et il a été vu par Pierre » (ici, je ne peux pas suivre la traduction de la TOB qui propose il s’est montré à Pierre, traduction qui fait de Pierre quasiment l’élu du Seigneur).

            Pourquoi ces choix de textes ? Le Ressuscité ne cesse d’apparaître aux Onze, et l’on parvient à distinguer qu’il apparaît préférentiellement à Pierre. Quant aux discours de Pierre, qui dans les Actes des Apôtres trouvent leur place après la Pentecôte, ils sont ici ramenés dans le temps des apparitions du Ressuscité. Le tout pour marquer que, dès l’origine, c'est-à-dire dès la résurrection, le Seigneur ressuscité voulait que son Eglise soit apostolique, et que Pierre joue le rôle prééminent dans cette Eglise. L’insistance sur le nom de Pierre prend quasiment l’allure d’un commandement, et le petit fragment de la première épître de Jean précise, d’une manière impérieuse, ce que nous devons faire de ce commandement : l’observer, le garder, le mettre en pratique, sous peine d’être déclaré menteur.

            Tout choix de texte est porteur de son intention propre. Et s’agissant des évangiles et des Actes des Apôtres, la primauté de Pierre apparaît clairement. Est-ce pour proclamer sa primauté, sans autre forme de discussion ? Ou est-ce pour la constater et pour la mettre en perspective ? Ou encore est-ce pour en montrer les failles et aider les générations à répondre à la question de la succession de Pierre ?

            Nous affirmons que nous sommes tous successeurs de Pierre et témoins du Ressuscité. Et nous allons maintenant méditer sur certains éléments de ce témoignage. 

            Nous commençons par revenir au Temple de Jérusalem, là où Pierre tient le discours dont nous avons lu un fragment. Le Temple de Jérusalem était un lieu où l’on sacrifiait à Dieu pour toutes sortes de raisons dont une, le pardon des péchés. Si le Temple de Jérusalem était le seul lieu où, moyennant un sacrifice, on pouvait obtenir de Dieu le pardon des péchés, c’était déjà discuté en ce temps-là. Ça l’était au moins depuis le temps de l’Exil, au moins quatre siècles plus tôt. Nous pouvons même penser que, dès qu’il y a eu quelque part un Temple dédié à Dieu, la question de savoir si ce lieu était, ou pas, le seul lieu… a été posée et discutée. Une discussion intéressante déjà, puisqu’elle revient un peu à poser la question du lieu où Dieu est présent. Mais ce n’est pas encore le plus important. Car le plus important est de savoir si Dieu pardonne, et pourquoi il le fait. Dieu a-t-il besoin d’un sacrifice accompli parfaitement selon les règles pour pardonner ? La première réponse que nous donnons, c’est oui. La forme des sacrifices est inscrite dans la Loi, elle a été donnée par Moïse et procède donc de Dieu. Le sacrifice doit avoir lieu afin que Dieu efface les péchés.

            Évidemment, il s’est toujours trouvé des prophètes, pour interroger la probité des prêtres, la sincérité des fidèles et la souveraineté divine. Et pour affirmer donc, que Dieu ne subordonne jamais son pardon à la réalisation d’une action humaine, et que ce qui compte de manière suréminente c’est ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Mais qui sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme ? Il reste donc que pour l’homme, pour le fidèle, Dieu pardonne comme et quant il veut ; ce qui ne signifie absolument pas que le fidèle soit dispensé de s’interroger. Le Temple et ses traditions ont bien sûr une fonction… mais pas un pouvoir – pas ce pouvoir là en tout cas. Si pardon il y a, il relève de la seule volonté de Dieu.

            (1) Dans son rapport au Temple de Jérusalem, Jésus aura été du côté des prophètes, il aura discuté la nécessité du Temple, la probité de ceux qui en vivaient. Une fois ressuscité, et après avoir mangé, il leur dit « Voici les paroles que je vous ai adressées lorsque j’étais encore avec vous : "il faut que soit accompli tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes." » Quoi donc ? Où est-il dit ceci, et cela ? Et sans doute les disciples, comme nous probablement, de rechercher le nom de Jésus dans les écrits anciens, de rechercher des chaînes de correspondances, des listes de versets qui seraient, en somme, contraignantes comme peut l’être une démonstration, contraignantes pour les fidèles, pour le Messie, et pour Dieu.

            (2) « Alors il ouvrit leur esprit à l’intelligence des Écritures » (Bible de Jérusalem). Nous aimerions, bien entendu, connaître les propos qui sont sous cette expression. Mais nous ne les connaitrons jamais. Ce qui est en question ici ne relève pas d’une science des Écritures mais de l’intelligence des Écritures, de l’appréhension au long fil du texte du grand projet divin dont parlent les Écritures, d’une humanité destinée à être libérée des servitudes religieuses, d’un messager toujours vivant de cette promesse toujours actuelle, promesse pour les peuples et pour les personnes…

            (3) Et nous continuons la lecture : « C’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour, et, en son nom, sera proclamée la conversion en vue du pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem (…). » Ici, nous devons être prudents. Dans ce que Jésus dit, nous risquons de retrouver un lien de nécessité entre conversion et pardon des péchés. Jésus, envoyant en mission ses disciples, n’aurait-il rien d’autre à leur dire que ce qui est dit déjà par le Temple ? Non. La conversion dont parle Jésus, conversion qui vient avec l’intelligence des Écritures, ne peut pas être une conversion à l’arithmétique du Temple, et le pardon dont il parle ne peut pas non plus être le pardon des fidèles offrant des sacrifices. L’objet de la conversion n’est pas un pardon personnel, mais un pardon universel et personnel. Un pardon qui ne peut pas être expliqué sans contradiction ruineuse ; un pardon dont il est possible de témoigner pour autant qu’on vive librement, et qui ne peut être que proclamé, et jamais démontré. 

            Avec ceci, nous revenons à Pierre, Actes 3, parlant aux fidèles du Temple de Jérusalem. Pierre y accumule les titres divins et christologiques, il parle de la puissance du Nom comme on le fait encore aujourd’hui en Judaïsme, pour éviter de prononcer à tort le nom de Dieu… Il explique à ces gens que c’est par ignorance qu’ils sont rejeté Jésus. Et les appelle à la conversion et à revenir à Dieu, afin que leurs péchés soient effacés.

            Après tout ce que nous avons dit sur les effets, les causes, et le bon vouloir de Dieu, nous nous retrouvons, avec le discours de Pierre, comme au point de départ. Et en consultant quelques traducteurs, nous trouvons même que la conversion et le retour à Dieu sont nécessaires pour que Dieu puisse pardonner… Le discours de Pierre aux fidèles du Temple, même s’il supprime les sacrifices nécessaires pour apporter le pardon divin, maintient en l’état l’arithmétique du Temple. Pierre, c’est le Temple moins les sacrifices. Mais où est l’Évangile ? Où sont la liberté de Dieu et la liberté de l’homme, qui sont si proches de l’Évangile ? Ce qui arrive à Pierre, est-ce propre à Pierre, ou est-ce le signe que l’Évangile est fragile, qu’il est toujours menacé d’être repris par des formes contraignantes de pensée et de religion ?

            Arrivés à ce point de notre méditation, il nous faudrait reprendre, un à un, les discours de Pierre, et regarder si les discours de Pierre évoluent, si la question de la liberté de Dieu et de la liberté de l’homme est traitée d’une manière différente lorsque du temps aura passé.

            Il y a une chose aussi que nous pouvons faire, mais pas maintenant, en tout cas pas pendant ce sermon, et pas publiquement, c’est réfléchir à cette liberté, la nôtre vis-à-vis de Dieu et ce qu’on dit de lui, et la sienne dans notre relation avec lui.

Amen.

jeudi 15 avril 2021

"Bienheureux les miséricordieux..." (Lettre pastorale du 15 avril 2021)

« Bienheureux les miséricordieux, oui, il leur sera fait miséricorde » (Matthieu 5:7)

            Qui sont les miséricordieux ? Le Bon Samaritain de la parabole fut l’un d’entre eux (Luc 10:37). Qu’est-ce que faire miséricorde. C’est éprouver de la pitié envers un affligé, et éprouver le désir de le soulager. Mais on ne peut pas éprouver seulement. Au regard parfois de l’étendue de la misère et de l’affliction humaines, et vu ce que sont nos faibles forces, il se peut qu’on éprouve ce que nous avons dit et, en plus, qu’on éprouve un sentiment d’impuissance. Affirmons que c’est ainsi, impuissants parfois nous sommes, mais cette impuissance, qui n’est liée à aucune complaisance, ni à aucun égoïsme, n’est absolument pas condamnée par Jésus Christ lorsqu’il prononce les Béatitudes. On n’est pas toujours impuissant.

            En poursuivant notre méditation, nous découvrons un lien entre miséricorde et compassion. Exercer la miséricorde, c'est souffrir avec autrui. Et donc prendre sur soi une part de sa souffrance. Cette perspective ne nous est pas étrangère ; il nous arrive de confesser notre foi au Christ qui s’est chargé de nos souffrances.

            Prendre une part de cette souffrance, soit, mais qu’en faire ? D’une langue à l’autre, du grec à l’hébreu, faire miséricorde renvoie (Osée 4:1) à un mot qui peut être traduit par amour de la vie, et pour lequel André Chouraqui (1917-2007), traducteur de la Bible, a inventé le verbe matricier. Faire miséricorde, c’est donc prendre cette part de souffrance d’autrui, la porter – comme une grossesse – en veillant sur son devenir, en ayant confiance que de cela surgira la vie, et, le moment venu, rendre à son autonomie ce qui a été porté. L’exercice de la miséricorde est une gestation. Ainsi le Bon Samaritain porta-t-il l’inconnu laissé pour mort, et supporta-t-il le coût du rétablissement de cet homme.

            A ce point de notre méditation, nous avons suffisamment compris ce qu’il en est de la miséricorde pour essayer de comprendre la cinquième des Béatitudes. Mais avant cette tentative, nous pouvons nous demander si, un jour, nous avons exercé la miséricorde ; si, un jour, il nous a été fait miséricorde ; et s’il y a un lien entre ces deux événements, si la miséricorde a appelé ou appelle encore la miséricorde.

            Pourquoi les miséricordieux sont-ils proclamés heureux ? Ils exercent la miséricorde. Rien n’est plus beau que d’entreprendre de mettre un sujet au monde. Rien n’est plus beau que de soulager autrui d’une part de sa souffrance aux fins de le rendre plus tard à lui-même. La miséricorde vue sous cet angle devrait se suffire à elle-même. Cependant, nous savons aussi que rien n’est plus risqué que d’entreprendre de mettre un sujet au monde. Car un sujet ne va jamais que son propre chemin. Lorsque s’achève le parcours de la miséricorde, lorsque le sujet s’émancipe, l’autre, celui qui fit miséricorde, se trouve seul.

            Nous voyons plusieurs raisons de proclamer bienheureux les miséricordieux. Bienheureux en raison de leur engagement, et aussi en raison de ce qu’engendre leur engagement. Dans cet usage du mot bienheureux nous voyons l’expression d’une reconnaissance. Mais faut-il les proclamer bienheureux parce qu’il leur sera fait miséricorde ? Nous ne pouvons pas changer le texte biblique. Il y a un lien entre la miséricorde que vous prodiguez et celle qu’on vous prodigue ou qu’on vous prodiguera. Nous ne savons absolument rien de la suite de la vie du Bon Samaritain. Mais nous disons, dans la foi, que la miséricorde revient un jour mystérieusement à celui qui l’a prodiguée. Promesse du Seigneur.

samedi 10 avril 2021

Quelques minutes avec Thomas (Jean 20,19-31) sur la fin de l'ère des miracles et la clôture de la révélation

Jean 20

19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.» 20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. 21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: «La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie.» 22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: «Recevez l'Esprit Saint; 23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.»

24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. 25 Les autres disciples lui dirent donc: «Nous avons vu le Seigneur!» Mais il leur répondit: «Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas!» 26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: «La paix soit avec vous.» 27 Ensuite il dit à Thomas: «Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi.» 28 Thomas lui répondit: «Mon Seigneur et mon Dieu.» 29 Jésus lui dit: «Parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru.»

30 Jésus a fait sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. 31 Ceux-ci ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.

Prédication

            L’histoire de Thomas est principalement connue par une expression qu’on rencontre dans le langage courant : « Je suis comme Thomas, je ne crois que ce que je vois. » Cette expression, chacun en comprend le sens. Mais qui connaît l’histoire biblique de Thomas ?

            Thomas, qui exigeait, pour croire en la résurrection de Jésus, de le voir vivant et portant les stigmates de son supplice, vit son exigence satisfaite : il vit Jésus vivant, s’inclina devant Lui et crut. Mais il y a quelque chose que Thomas ne vit pas. Il ne vit pas que la satisfaction de son exigence le dispensait de croire, tant il est vrai que ce dont la preuve a été établie n’appelle aucunement qu’on croie, mais appelle au contraire qu’on se soumette et qu’on accepte. Ce qui nous amène à poser quelques questions.

            Est-ce que la résurrection de Jésus Christ a pour but, pour finalité, d’amener les humains à accepter – entendons sans réflexion, sans pensée, sans doute, etc. – et à se soumettre ? Comment nommerait-on un groupe qui, appelant des gens à rejoindre ses rangs, exigerait d’eux l’acceptation et la soumission ?

            Et bien, Thomas, avec son exigence, et avec la satisfaction de son exigence, est sur une bien mauvaise pente. Une pente sur laquelle la proclamation de la résurrection, espérance pour l’humanité pour les siècles des siècles, devient un point de doctrine auquel il est obligatoire de se soumettre sous peine de toutes sortes de pressions et autres formes de tracas… 

            Mais ne brûlons pas Thomas tout de suite. Son histoire n’est pas finie. L’histoire de Thomas a deux prolongements extra bibliques, un Évangile de Thomas, et des Actes de Thomas, qui le font devenir l’évangéliste de l’Orient, jusqu’en Inde et peut-être au-delà encore. Ne brûlons pas Thomas, disais-je, car l’histoire biblique de Thomas n’est pas finie. Jésus apparut et Thomas crut, mais ça n’est pas la fin.

            Parole de Jésus adressée à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. » Cette déclaration de Jésus ne cadre pas vraiment bien avec ce que nous avons dit jusqu’ici. Tout ce qui relève de la preuve visuelle n’a que bien peu à voir avec le croire, avons-nous dit. Or, s’agissant de Thomas au moins, Jésus ne récuse pas la consécution  entre voir et croire. En effet, dès le récit de Pâques de l’évangile de Jean, Pierre et Jean courent vers le tombeau, étrange course au terme de laquelle il nous est dit de Jean – l’autre disciple – qu’entré dans le tombeau, il vit et il crut. Le lien entre voir et croire, même s’il est sérieusement mis en question dans l’histoire de Thomas, n’est pas récusé dans le reste de l’évangile. Et entre ce que Thomas vit, et ce que Pierre et Jean virent, il peut être nécessaire d’opérer une distinction, distinction entre une vision donnée et une vision  exigée. La vision exigée oblige, mais la vision donnée n’oblige pas. Lorsque Jésus, s’adressant précisément à Thomas, lui dit Parce que tu as vu, tu as cru, il transforme la vision exigée en une vision donnée. Comprenons bien que Thomas, et Thomas seul, est contraint par l’exaucement de sa propre demande. C’est donc que, dans l’évangile de Jean, ce qui est vu ne prouve rien. Même avoir vu le Ressuscité ne prouve rien.

            Par contre, ce qui est vu peut être à l’origine du croire, à l’origine, au fondement, de cette très particulière manière de vivre et d’être en relation avec ses semblables et avec Dieu, qui s’appelle croire.

            A ce qu’il a dit à Thomas, parce que tu as vu, tu as cru, Jésus ajoute, à l’attention de tous, Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. Ultime parole de Jésus dans le chapitre 20 de l’évangile de Jean. Qu’est-ce à dire ?

            Nous pouvons ainsi comprendre ces dernières paroles : c’est la dernière fois que vous me voyez. Jésus clôt à cet endroit la série de ses apparitions en ressuscité. Considérées comme des preuves de la résurrection, ou considérées comme apportant le déclic qui initie le croire, les apparitions ne se produiront plus. Elles ne seront plus l’objet d’une exigence pour personne, parce qu’il n’y en aura plus. Et quiconque osera se réclamer d’une apparition nouvelle sera regardé avec méfiance, par l’évangile de Jean et surtout par sa communauté de lecteurs.

            Pourquoi cette clôture ? Il faut imaginer ce que fut la fin du premier siècle après Jésus Christ. Les témoins oculaires et les premiers disciples de Jésus avaient disparu ; à Jérusalem, la ville et le temple avaient été détruits ; les Judéens avaient perdu leur guerre sainte contre Rome. Suite à tout cela il y avait dans le judaïsme renaissant, et dans le christianisme naissant, une effervescence spirituelle considérable, avec inflation de messagers, inflation de révélations, de messages et d’apparitions…

            Devant cette pagaille et impliqué dans cette pagaille, que fallait-il faire, ou penser, ou croire ? Et bien, au moment où les écluses du ciel semblent grandes ouvertes, l’évangile de Jean les déclare fermées.

            Fermées d’abord par Jésus Christ lui-même, déclarant en substance à tous ses disciples, comme nous l’avons vu, c’est la dernière fois que vous me voyez.

            Et fermées aussi par le narrateur de l’évangile de Jean. Nous lisons : « Devant les yeux de ses disciples, Jésus a fait bien d’autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre ; ceux-ci ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ le Fils de Dieu, et afin que, en croyant, vous ayez la vie en son nom. »

            Quels sont ces signes ? En plus des apparitions du ressuscité, on trouve 7 signes dans l’évangile de Jean. Il y a toujours un élément miraculeux dans ces signes, Jésus y réalise toujours un acte de puissance. Souvenons-nous, il change de l’eau en vin, il guérit le fils d’un officier du roi, il guérit un paralysé à la piscine de Bethesda, il nourrit une foule, il marche sur la mer déchaînée, guérit un aveugle de naissance et ressuscite son ami Lazare. Il est ainsi assez simple de se souvenir de l’élément miraculeux, mais se souvient-on ainsi du signe ? Chacun des actes de puissance est associé à des propos qui méritent d’être médités, voire mémorisés et qui ont, devant le temps de l’histoire, devant le temps du récit, bien plus de valeur que n’importe quel acte ponctuel, même miraculeux. Ainsi en est-il de la question posée par les disciples de Jésus, « Qui donc a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » et ainsi en est-il de la réponse que Jésus fait. Ainsi en est-il aussi du moment où Jésus se retire dans les montagnes, parce que la foule ayant goûté aux pains et aux poissons multipliés veut faire de lui un roi. Ainsi enfin du « Je suis la résurrection et la vie… » et aussi des pleurs de Jésus lui-même, qui devant l’éternité ont plus de valeur même que la résurrection de Lazare. Chacun pourra retourner à l’évangile de Jean, identifier les 7 signes, et méditer les propos qui ont été transmis.

            7 signes donc, plus quelques-uns après la résurrection et, selon l’évangile de Jean, la révélation est close. Tout ce qui est nécessaire a été définitivement donné, se trouve définitivement écrit, et suffira jusqu’à la fin des temps (je vous laisse imaginer ce qu’on dirait d’un auteur qui, aujourd’hui, affirmerait cela de son propre travail). Suffira selon ce que Jésus dit, Heureux ceux qui n’ayant pas vu, ont cru, ce que l’évangéliste Jean traduit à sa manière, Heureux ceux qui ayant lu auront cru. Ils recevront la vie en son nom, vie inspirée par ces signes, et par ce qui est si important dans l’évangile de Jean, l’amour. 

            La semaine dernière, en méditant le chapitre 4 des Actes des Apôtres, nous avons vu comment les Apôtres – et Pierre parmi les Apôtres – avaient construit leur supériorité et leur légitimité sur le privilège qu’ils avaient eu d’être seuls témoins des apparitions du ressuscité. Nous voyons cette semaine, dans l’évangile de Jean, comment cette légitimité est discutée, et si l’on veut même défaite.

            En clôturant la révélation et en l’inscrivant dans son livre qu’il veut définitif, Jean l’évangéliste met tous les croyants à égalité, et à tous, parfaitement égaux devant le livre, il fait cette seule proposition : prends, lis, et crois. Qu'il en soit ainsi.

 

samedi 3 avril 2021

Pâques, Christ est ressuscité, une annonce bien difficile à annoncer (Marc 16,1-8)

Marc 16

1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer. 2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles allèrent à la tombe, le soleil étant levé. 3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau?»

4 Mais levant les yeux, elles virent que la pierre est roulée; or, elle était très grande. 5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur. 6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité, il n'est pas ici; voyez l'endroit où on l'avait déposé. 7 Et allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »

8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.

Prédication

            Tout d’abord, les femmes vinrent, virent, entendirent, s’enfuirent au loin et ne dirent jamais rien à personne, car elles avaient peur. Et là s’arrêtait aujourd’hui notre lecture de l’évangile de Pâques, et là s’arrêtait aussi l’évangile de Marc dans sa plus ancienne version, nous disent les spécialistes des textes anciens. Marc donc, auteur du premier évangile, laisse son lecteur devant une question : qu’est-ce que la résurrection, si l’on ne voit pas le ressuscité, et si les seules personnes qui en ont reçu la proclamation se taisent à tout jamais ?

            Au lecteur qui est devant ce texte le plus ancien et devant cette question-là, il reste à revenir au texte, à relire à partir de « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ… » (Marc 1:1), et à chercher ce qui, dans le texte, évoque une nouvelle vie possible, une vie profondément transformée, après que le pire soit advenu. Le lecteur qui accomplit cette recherche se trouve, à la fin, devant un reste. La résurrection est ce reste. A ce lecteur il appartient de faire sien ce reste, de faire sienne la résurrection, d’en vivre et de la vivre. Et on dira alors que la résurrection c’est la suite. Retenons cela, en peu de mots : avec cette finale ancienne de l’évangile de Marc, la résurrection de Jésus de Nazareth est, pour le lecteur, le reste et la suite de l’Évangile.

            Cette formulation de la bonne nouvelle de la résurrection, si simple à mémoriser, qui ne suppose aucune tractation avec le divin, et qui fait du croyant un simple sujet lecteur et acteur autonome de sa propre existence, n’a manifestement pas été reçue telle qu’elle était.

            La résurrection serait plus compréhensible, évidemment, si le Ressuscité apparaissait et donnait lui-même des instructions… Et donc nous avons dans l’évangile de Marc quelques ajouts canoniques. Jésus ressuscité apparaît à Marie de Magdala qui va le raconter aux disciples, mais on ne la croit pas : c’est une femme et son passé est douteux. Jésus ressuscité apparaît à deux d’entre eux, mais on ne les croit pas non plus. Est-ce parce qu’ils sont deux et qu’ils devraient être trois pour que leur témoignage soit crédible ? Ou bien est-ce parce qu’on ne sait pas trop qui ils sont ? Pour clore l’évangile de Marc dans ses développements les plus récents, Jésus ressuscité se montre – enfin – au collège des Onze Disciples et là, nous allons le dire un peu cavalièrement, et là, ça marche.

            Les derniers rédacteurs de l’évangile de Marc n’envisagent une compréhension, et une transmission de la foi en la résurrection qu’à partir d’une apparition au collège des Apôtres – les Apôtres et personne d’autre, apparition augmentée de l’institution divine d’un rite – le baptême. Comment alors la résurrection est-elle attestée ? Par la prédication apostolique, adressée au peuple, ratifiée par le baptême. On ne lit pas cela seulement dans l’évangile de Marc. Voici quelque chose dans les Actes des Apôtres (Actes 10) et dans la bouche de Pierre, s’adressant à des païens, et parlant de Jésus : « Dieu l'a ressuscité le troisième jour, et il lui a donné de manifester sa présence, non pas au peuple en général, mais bien à des témoins nommés d'avance par Dieu… » Pierre est là en train de parler des Onze, dont lui-même (Je moi Pierre, témoin nommé d’avance par Dieu), et Pierre poursuit « à nous qui avons mangé avec lui et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts… » La résurrection donc, c’est la prédication apostolique adressée par un Apôtre – si c’est Pierre, c’est mieux – à une assemblée pieuse, constituée et organisée, qui adhèrera à cette prédication, adhésion confirmée par une existence moralement irréprochable (Colossiens 3, par exemple). Privilège exorbitant des Apôtres sur des Églises à peine naissantes et déjà dotées d’une structure plutôt épiscopale.

            Individualisation extrême de la résurrection, d’une part, et collectivisation extrême de la résurrection, d’autre part. Doit-on choisir et éliminer ?

            Nous devons plutôt repérer que le privilège des Apôtres, privilège d’ancienneté et d’autorité, va disparaître avec eux, si bien que la deuxième génération – disons plutôt la troisième – devra s’interroger elle-même sur la prédication de la résurrection, et devra penser, discerner, et tâcher de reconnaître la résurrection. Bien sûr, on inventera très tôt la succession apostolique. Mais même cette invention n’empêchera pas qu’il faudra des hommes et des femmes reconnaissables par leur propos, et par leurs actes, comme des témoins de la résurrection. Et nous voyons à ce point que la prédication apostolique, ecclésiale et groupale, ne peut faire l’impasse sur l’adhésion individuelle dont nous avons déjà parlé. En même temps et symétriquement, même l’adhésion personnelle, profonde, et intime… emploie pour se comprendre et pour se dire le langage de la vie et de la résurrection, langage qu’il emprunte aux textes reçus et aux discours de l’Église. Si bien que le collectif interroge et féconde l’individuel, et que l’individuel interroge et stimule le collectif...

 

            A ce point de notre méditation, il nous faut revenir à Marc, et plus précisément à ces femmes, à ces pieuses femmes qui, espérant pouvoir embaumer le corps de leur défunt Seigneur, se sont trouvées devant et dans un tombeau vide… et qui, sollicitées par un ange, finalement, ne dirent jamais rien à personne.

            Leur présence finalement silencieuse, et leur disparition du champ du récit a une autre signification encore que celles que nous avons évoquées. La résurrection de Jésus Christ Fils de Dieu est un événement si bouleversant et si profondément intime que ceux qui l’expérimentent n’en parlent pas. Ça n’est pas mauvaise volonté de leur part. Ils ne peuvent absolument pas en parler. Au fond, personne ne peut en parler. Il n’y a pas de mots pour ça. « Elles étaient effrayées », dit Marc. Mais ça n’est peut-être pas l’effroi, mais plutôt ce qui arrive lorsque, devant une situation inédite, on éprouve un sentiment qu’on ne connaît pas. Donc les femmes ne dirent jamais rien à personne parce qu’elles n’étaient pas équipées pour dire ça. Mais ce constat ne dit absolument rien de la foi qu’elles eurent en la résurrection. Pour en avoir une idée, peut-être, il faudrait les voir vivre. Mais Marc l’évangéliste, à qui nous devons beaucoup, ne nous a pas fait ce cadeau-là.

            Par contre il nous a fait un autre cadeau. Son récit de la révélation faite aux femmes propose un modèle de foi en la résurrection qui est profondément discret, parce que profondément intime, si intime qu’il n’éprouve pas le besoin de se répandre en témoignages brûlants, et qui prendra vie dans des propos responsables et des actions conséquentes, et il n’est parfois nul besoin de les repérer ni de les identifier pour en être au bénéfice. Et il en est alors de ceux qui croient en la résurrection tout comme il en est des sages cachés en judaïsme. Il y en a toujours eu, quelque part, et il y en aura toujours. Et pour cette raison l’espérance en l’humanité peut donc être maintenue.

            C’est avec cette espérance que nous laissons notre méditation. Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Amen



« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Lettre pastorale du 17 mars 2021 - avec mes excuses

« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, le royaume des cieux est à eux »

 

Dans notre précédente lettre, nous avons évoqué ceux qui ont faim et soit de la justice et qui, promesse de Jésus, seront rassasiés. Quand donc le seront-ils ? A la fin des temps sans doute, lors de l’avènement du Christ en gloire, quand Dieu, établissant sa divine justice, fera toutes choses nouvelles.

Mais l’avènement du Christ en gloire ne se produit pas avant l’avènement du Christ en croix. La croix commence à l’Annonciation, selon l’évangile de Luc ; selon l’évangile de Jean, elle commence bien plus tôt encore. Renonçant à sa condition divine, renonçant à tout savoir et à tout pouvoir divins, Il choisit de vivre dans le monde concret, monde de dominants et de dominés, monde d’exploitants et d’exploités, d’hommes libres et d’esclaves, monde dans lequel certains rendent grâces à Dieu d’être aussi bien nés, et d’autres, n’osant pas même lever la tête, implorent la pitié de Dieu. Dans le monde où vivait Jésus, où était la justice ? Elle fut au moins là où Jésus la rendit, là où il guérit, là où il nourrit, là où il ne s’arrêta ni à la condition ni au faciès ; elle fut là où il contesta activement tout ce qui était réputé divin et inamovible. Et nous savons le prix qu’il paya pour cette justice. Nous pouvons dire : « Heureux Celui qui fut persécuté pour la justice, le royaume des cieux est à lui. »

Pour l’avoir vu en croix, nous le voyons aussi en gloire, même si, un jour, nous l’avons vu maudire un malheureux figuier qui, hors saison, ne portait pas de fruits (Marc 11). Nous voulons nous en souvenir, ne pas oublier que le monde de la croix, le monde dans lequel vivait Jésus et dans lequel nous vivons, est un monde complexe. Celui qui fait œuvre de justice peut aussi maudire. Que Jésus ait maudit le figuier, et les pharisiens, cela l’exclut-il du champ de la huitième Béatitude ? Nous pouvons prolonger cette réflexion en pensant à Martin Luther, à qui nous devons le Traité de la liberté du Chrétien, et l’opuscule Contre les meurtriers et les hordes de paysans voleurs ; en pensant au pasteur Martin Niemöller, figure majeure de la résistance au nazisme, et capitaine de sous-marin pendant la guerre de 14-18 ; à Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix et à la défense des Rohingyas. En poursuivant dans cette veine, trouverions un seul persécuté pour la justice dont l’existence aurait été sans ombres ni détours ?

Que dit la huitième Béatitude ? Elle proclame bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Nous ne pensons pas que la béatitude soit la récompense de la persécution. Nous pensons plutôt que la quête de la justice correspond à la sanctification du nom de Dieu (première demande du Notre Père). La quête de la justice est, sur la terre comme au ciel, inséparablement associées à la béatitude. Il faut certainement de l’endurance et de la pugnacité pour œuvrer pour la justice, mais le cœur demeure en paix. A ces bienheureux il n’est pas fait promesse que le royaume des cieux sera à eux, un jour, plus tard, au moment du grand jugement, en reconnaissance de leurs mérites ; il est affirmé qu’ici et maintenant, le royaume des cieux est à eux, dans leur quête et dans leur action.

Le royaume des cieux, unité du cœur, de l’engagement et de l’action, peut-il être perdu ? Nous pensons que lorsque le combat se poursuit, il arrive que certains faiblissent. Mais en associant comme elle le fait des choses d’en bas et des choses d’en haut, la huitième des Béatitudes nous propose de considérer que la justice est créable et indestructible. La justice appelle la justice, même lorsque les mouvements de l’histoire semblent tout détruire et emporter les plus faibles dans la tourmente, la justice demeure.

    

Pasteur Jean DIETZ, 12 mars 2021