jeudi 15 avril 2021

"Bienheureux les miséricordieux..." (Lettre pastorale du 15 avril 2021)

« Bienheureux les miséricordieux, oui, il leur sera fait miséricorde » (Matthieu 5:7)

            Qui sont les miséricordieux ? Le Bon Samaritain de la parabole fut l’un d’entre eux (Luc 10:37). Qu’est-ce que faire miséricorde. C’est éprouver de la pitié envers un affligé, et éprouver le désir de le soulager. Mais on ne peut pas éprouver seulement. Au regard parfois de l’étendue de la misère et de l’affliction humaines, et vu ce que sont nos faibles forces, il se peut qu’on éprouve ce que nous avons dit et, en plus, qu’on éprouve un sentiment d’impuissance. Affirmons que c’est ainsi, impuissants parfois nous sommes, mais cette impuissance, qui n’est liée à aucune complaisance, ni à aucun égoïsme, n’est absolument pas condamnée par Jésus Christ lorsqu’il prononce les Béatitudes. On n’est pas toujours impuissant.

            En poursuivant notre méditation, nous découvrons un lien entre miséricorde et compassion. Exercer la miséricorde, c'est souffrir avec autrui. Et donc prendre sur soi une part de sa souffrance. Cette perspective ne nous est pas étrangère ; il nous arrive de confesser notre foi au Christ qui s’est chargé de nos souffrances.

            Prendre une part de cette souffrance, soit, mais qu’en faire ? D’une langue à l’autre, du grec à l’hébreu, faire miséricorde renvoie (Osée 4:1) à un mot qui peut être traduit par amour de la vie, et pour lequel André Chouraqui (1917-2007), traducteur de la Bible, a inventé le verbe matricier. Faire miséricorde, c’est donc prendre cette part de souffrance d’autrui, la porter – comme une grossesse – en veillant sur son devenir, en ayant confiance que de cela surgira la vie, et, le moment venu, rendre à son autonomie ce qui a été porté. L’exercice de la miséricorde est une gestation. Ainsi le Bon Samaritain porta-t-il l’inconnu laissé pour mort, et supporta-t-il le coût du rétablissement de cet homme.

            A ce point de notre méditation, nous avons suffisamment compris ce qu’il en est de la miséricorde pour essayer de comprendre la cinquième des Béatitudes. Mais avant cette tentative, nous pouvons nous demander si, un jour, nous avons exercé la miséricorde ; si, un jour, il nous a été fait miséricorde ; et s’il y a un lien entre ces deux événements, si la miséricorde a appelé ou appelle encore la miséricorde.

            Pourquoi les miséricordieux sont-ils proclamés heureux ? Ils exercent la miséricorde. Rien n’est plus beau que d’entreprendre de mettre un sujet au monde. Rien n’est plus beau que de soulager autrui d’une part de sa souffrance aux fins de le rendre plus tard à lui-même. La miséricorde vue sous cet angle devrait se suffire à elle-même. Cependant, nous savons aussi que rien n’est plus risqué que d’entreprendre de mettre un sujet au monde. Car un sujet ne va jamais que son propre chemin. Lorsque s’achève le parcours de la miséricorde, lorsque le sujet s’émancipe, l’autre, celui qui fit miséricorde, se trouve seul.

            Nous voyons plusieurs raisons de proclamer bienheureux les miséricordieux. Bienheureux en raison de leur engagement, et aussi en raison de ce qu’engendre leur engagement. Dans cet usage du mot bienheureux nous voyons l’expression d’une reconnaissance. Mais faut-il les proclamer bienheureux parce qu’il leur sera fait miséricorde ? Nous ne pouvons pas changer le texte biblique. Il y a un lien entre la miséricorde que vous prodiguez et celle qu’on vous prodigue ou qu’on vous prodiguera. Nous ne savons absolument rien de la suite de la vie du Bon Samaritain. Mais nous disons, dans la foi, que la miséricorde revient un jour mystérieusement à celui qui l’a prodiguée. Promesse du Seigneur.