vendredi 25 décembre 2015

Le Prologue de Noël - et la tentation (Jean 1,1-18 et Luc 2, récit de nativité)

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Joyeux Noël !
Jean 1
1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était intime de Dieu, et le Verbe était Dieu.
2 Il était au commencement intime de Dieu.
3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.
4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,
5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise.
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.
9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.
10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu.
11 Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli.
12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (il a donné la splendeur d’être enfants de Dieu - autre traduction possible et, on le verra, plus conforme à ma compréhension du texte).
13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.
14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, unique engendré, plein de grâce et de vérité, il tient du Père.
15 Jean lui rend témoignage et proclame: «Voici celui dont j'ai dit: après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était.»
16 De sa plénitude en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce.
17 Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18 Personne n'a jamais vu Dieu; Dieu unique engendré, qui est dans le sein du Père, s’en est fait l’interprète.
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... et Luc 2, récit de nativité, avons-nous ajouté dans le titre de cette page.
Voici : (en créole haïtien, pour la joie de mes lecteurs !)
Lè sa a, Seza Ogis te bay lòd pou yo te konte dènye moun ki nan peyi l'ap gouvènen yo.
 2 Premye travay sa a te fèt nan tan Kireniyis t'ap kòmande nan peyi yo rele Siri a.
 3 Tout moun te al fè pran non yo nan lavil kote fanmi yo te soti.
 4 Jozèf te rete nan peyi Galile, nan yon bouk yo rele Nazarèt. Men, paske li te moun nan fanmi ak ras David, li moute, li ale nan Jide, nan lavil David yo rele Betleyèm lan.
 5 Jozèf tapral fè yo pran non l' ansanm ak non Mari, fiyanse li, ki te ansent.
 6 Antan yo te la, jou pou Mari te akouche a rive.
 7 Li fè premye pitit li a, yon ti gason. Mari vlope pitit la nan kouchèt, li mete l' kouche nan yon kay kote yo bay bèt manje, paske pa t' gen plas pou yo nan lotèl la.
 8 Nan menm zòn sa a, te gen gadò mouton ki t'ap pase nwit la deyò ap veye mouton yo.
 9 Lè sa a, yon zanj Bondye parèt devan yo, bèl limyè Bondye a klere tout kote yo te ye a. Yo te pè anpil.
 10 Men zanj lan di yo konsa: Pa pè. N'ap anonse nou yon bon nouvèl ki pral fè tout pèp la kontan anpil.
 11 Jòdi a, nan lavil David la, nou gen yon Sovè ki fenk fèt: se Kris la, Seyè a.
 12 Men remak ki va fè nou rekonèt li: n'a jwenn yon tibebe vlope nan kouchèt, kouche nan yon kay kote yo bay bèt manje.
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Jesus is black !
 13 Menm lè a, yon foul lòt zanj nan syèl la vin jwenn zanj lan; yo t'ap fè lwanj Bondye, yo t'ap di konsa:
 14 Lwanj pou Bondye anwo nan syèl la, kè poze sou latè pou tout moun li renmen.
 15 Zanj yo kite gadò mouton yo, yo tounen al nan syèl la. Lè sa a, gadò mouton yo yonn di lòt: Ann al jouk Betleyèm, ann al wè sa ki rive, sa Bondye fè nou konnen an.
 16 Yo prese ale, yo jwenn Mari ak Jozèf, ansanm ak tipitit la kouche kote yo bay bèt yo manje a.
 17 Lè yo wè l', yo tanmen rakonte sa zanj lan te di yo sou pitit la.
 18 Tout moun ki t'ap koute yo te sezi tande sa yo t'ap rakonte a.
 19 Mari menm te kenbe tout pawòl sa yo nan kè l', li t'ap repase yo nan tèt li.
 20 Apre sa, gadò mouton yo al fè wout yo; yo t'ap di jan Bondye gen pouvwa, yo t'ap fè lwanj li, paske tou sa yo te tande ak tou sa yo te wè a te dakò ak sa zanj lan te fè yo konnen.

Prédication :
            L’ouverture du culte de ce matin s’est faite en lisant le récit de la nativité (Luc). C’est Noël. Et si nous faisions veillée le soir du Noël et culte le matin de Noël, nous lirions le soir le récit de la nativité, et le matin le prologue de Jean. Nous avons lu, ce matin, les deux textes. Nous sommes bien armés pour nous demander en quoi ils sont différents l’un de l’autre. Luc fut écrit le premier… Jean vint ensuite, dans un contexte particulier, pour des lecteurs particuliers. Mais pour dire quoi d’autre, ou quoi de plus ?
            C’est que, pour l’évangile de Jean, la question de l’existence de Jésus Christ va de soi ; c’est énoncé d’un seul coup par une petite phrase : « …il a habité parmi nous » ; cette phrase suffit à elle seule à régler la question de la scène de la nativité. Quant à la question de ce qu’il a fait et dit, et de comment cela s’est fini, elle est tout aussi rapidement réglée : « le monde ne l’a pas reconnu (et) les siens ne l’ont pas reçu » ; ce n’est guère différent des autres évangiles. Que certains l’aient reçu et aient cru en lui, cela est  aussi clairement affirmé par l’évangile de Jean.
            Alors, quoi de spécifique à l’évangile de Jean ?   
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            Cela saute aux yeux, dès les premiers mots : le Verbe. Vous avez lu la Bible depuis le livre de la Genèse, plus les trois premiers évangiles et, tout à coup, apparaît le Verbe. On ne l’avait jamais vu et on n’en avait jamais entendu parler jusque là. Pourquoi un nouveau nom pour Dieu ? Dieu étant Dieu, et étant déjà doté de nombreux noms, un nom de plus n’est a priori pas un problème… Et ce n’en serait pas un si, dans le prologue de Jean, plusieurs (3) thèmes importants n’étaient pas mentionnés avec une étrange insistance.
1.      Celui de la manière dont les humains entrent en relation (avec le divin).
L’entrée en relation de l’humain et du divin se fait-elle par un mouvement de l’humain vers le divin, ou par un mouvement du divin vers l’humain ? Et le prologue de Jean d’insister, presque à chaque verset, sur le fait que c’est le divin qui vient à l’humain. Et cette insistance tellement massive nous pousse à nous demander si, par hasard, ceux qui se sont réclamés du Verbe n’auraient pas affirmé que c’est à l’humain d’aller vers le divin.
2.      Celui de l’adoption filiale des humains (par le divin).
Second thème, corollaire du premier, le divin prend-il l’humain en estime, voire en amitié, parce que l’humain le veut et s’efforce de le mériter, ou simplement parce lui, le divin, en décide ainsi ? La dignité d’enfant de Dieu doit-elle être conquise, ou reçue ? L’insistance du prologue de Jean notamment sur le verbe recevoir, laisse à penser que ceux qui se sont réclamés du Verbe ont affirmé que devenir enfant de Dieu se conquiert.
3.      Celui de la contemplation (du divin).
Troisième thème, corollaire des deux premiers, la nature, la connaissance, voire la contemplation du divin sont-elles accessibles à l’humain ? Le divin peut-il être possédé, maîtrisé ? L’être humain peut-il en être le gardien ? « Dieu, personne ne l’a jamais vu », rappelle le prologue de Jean avec une certaine insistance. Ce qui suggère que ceux qui se sont réclamés du Verbe ont affirmé qu’il est possible de le contempler et de le posséder.
Ce qui se dessine donc, en lisant le prologue de Jean,  c’est qu’un mouvement religieux particulier a émergé, se réclamant de la filiation qui passe par Jean le Baptiste et par Jésus Christ – qu’ils nomment « unique engendré » ; au sein de ce mouvement on professe qu’il est possible de contempler et de posséder le divin – qu’on appelle le Verbe – ; on professe aussi que la dignité devant le divin peut être obtenue – doit être obtenue – à force d’efforts et de discipline ; et encore et que cela est la tâche à laquelle les croyants doivent s’astreindre pour atteindre un état supérieur de savoir, de pouvoir, de conscience et d’illumination. Vouloir et savoir, tels peuvent être les deux verbes qui caractérisent ce mouvement. Il est vraisemblable que ce mouvement a rencontré un certain succès ; et cela a conduit des communautés à se déchirer, des gens à se méfier les uns des autres, à se défier les uns les autres, puis à se rejeter les uns les autres, le tout au nom de leurs conceptions respectives du divin, au nom de leurs approches, de leurs mérites réels ou supposés…

Ainsi présenté, le prologue de l’évangile de Jean – puis l’évangile de Jean tout entier – pourrait être vu comme un traité contre l’hérésie. Mais si tel était le cas, cela serait sans grande portée, et ne mériterait guère d’être lu, surtout le matin de Noël. Mais Jean est un grand auteur ; il reprend un à un les mots de ceux qui se réclament du Verbe. Il assume que ce Verbe puisse être l’une des manières de nommer Dieu. Et de le nommer ainsi non pas parce qu’on a voulu et pu le voir, ni parce qu’on sait que tel est son nom, ni parce qu’on le possède… Jean reconnaît qu’il est possible de nommer Dieu le Verbe parce qu’on l’a reçu celui qui a témoigné de lui, parce qu’on croit en ce Jésus Christ qui s’en est fait l’interprète. On peut nommer Dieu le Verbe, tant qu’on en parle dans le cadre de l’histoire chaotique et ininterrompue d’une miséricorde faite à un peuple, faite aux humains, et dont les deux verbes essentiels sont « recevoir » et « croire ». Recevoir, chaque jour, croire, chaque jour… l’initiative de tout cela n’appartenant qu’à Dieu, et l’accomplissement de tout cela n’advenant qu’en Dieu, que par pure grâce. Ainsi en fut-il au temps où fut écrit l’évangile de Jean.
Et nous, nous disons que chaque fois que la grâce de Dieu, l’initiative de Dieu, la miséricorde de Dieu sont mises de côté, chaque fois qu’éclate une dispute sur les manières de lire, de dire et de prier, chaque fois que ces manières acquièrent force de loi plutôt que n’être que de modestes moyens de rendre gloire à Dieu, chaque fois que des individus se prétendent être les seuls vrais croyants, et en regardent d’autres de haut, et leur font honte ou violence, il est urgent de relire très sérieusement le prologue de l’évangile de Jean.
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            Pourquoi lire le prologue de l’évangile de Jean à Noël, et juste après avoir lu le récit de la nativité ?  L’incarnation de Dieu, idée chrétienne par excellence, suppose une conception, une naissance, un bébé vulnérable. Toute personne normalement constituée éprouve, devant un berceau, devant un nouveau-né, un sentiment protecteur… car si l’on ne prend pas objectivement soin d’un nouveau-né, il mourra. Ce nouveau-né, c’est Dieu ! C’est à la crèche que le sentiment protecteur et parfois possessif des êtres humains peut trouver le terrain le plus propice à sa mise en œuvre. C’est à la crèche que Dieu risque le plus d’être capturé, maîtrisé, objectivé… C’est devant la crèche que l’unique véritable tentation, celle dont parle le Notre Père, est la plus forte. Il faut affirmer que même à la crèche, Dieu ne cesse d’être Dieu, c’est nous qui avons besoin de Lui, et non pas Lui qui a besoin de nous. Ainsi si l’on ne s’approprie pas Dieu à la crèche où il est nouveau-né et sans défense, il est fort possible qu’on ne se l’appropriera jamais.
            Lire le prologue de Jean, le matin de Noël, cela nous permet d’affirmer que dès la crèche, c’est nous qui avons besoin de Dieu, et que c’est chaque jour qu’il nous faut apprendre à recevoir ce qu’il nous donne, chaque jour qu’il nous faut apprendre à croire en ce qu’il nous promet. Amen
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dimanche 20 décembre 2015

Marie, Elisabeth, deux visages de l'espérance (Luc 1,39-45)

Michée 5
1 Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent à l'antiquité, aux jours d'autrefois.
2 C'est pourquoi, Dieu les abandonnera jusqu'aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera des ses frères rejoindra les fils d'Israël.
3 Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du Nom du SEIGNEUR son Dieu. Ils s'installeront, car il sera grand jusqu'aux confins de la terre.
4 Lui-même, il sera la paix. Au cas où Assour entrerait sur notre terre et foulerait nos palais, nous dresserons contre lui sept bergers, huit princes humains.
 Luc 1
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth.
41 Or, lorsque Elisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Elisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit: «Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein!
43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.

45 Bienheureuse celle qui a cru: ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira!»
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Prédication : 
            Ainsi donc, Marie, enceinte, se rend un jour chez Elisabeth, sa parente, qui est enceinte, elle aussi. Ce ne sont pas seulement deux femmes qui se rencontrent. Mais deux visages de l’espérance. Nous allons étudier ces deux visages de l’espérance. Et nous verrons comment ils se rencontrent.
Commençons par Elisabeth. Nous avons le souvenir du vieux couple stérile formé par Elisabeth et Zacharie, son mari, qui était prêtre. Nous savons que, pour une femme de ce temps, ne pas donner d’enfant était une honte. Concevoir était donc son espérance et enfanter l’accomplissement suprême de cette espérance. Elisabeth, qui en est à son sixième mois, est donc sur le point de voir s’accomplir de son vivant ce qu’elle a espéré. Cette espérance de femme, cette espérance de vieux couple, même si l’ange l’avait prédite, requerrait une œuvre de ce vieux couple… on ne devient pas enceinte comme ça. 
Quel visage de l’espérance est donc celui que représente Elisabeth ? Celui d’une espérance qu’un être humain peut voir s’accomplir au cours de sa vie, pourvu qu’il se consacre à cet accomplissement. C’est ainsi. Il y a une certaine forme de l’espérance qui peut s’accomplir à la condition que les humains s’y engagent concrètement, et qui ne peut s’accomplir s’ils ne s’y engagent pas. L’espérance de la moisson requiert la tâche de labourer, et la tâche de semer. Et lorsqu’à la fin vient le temps de la récolte, cette récolte appartient à qui a labouré et semé. L’enfant  à naître de Zacharie et d’Elisabeth sera leur enfant. Et leur espérance s’accomplit donc dans une perspective laborieuse, temporelle, et personnelle. Que leurs noms soient bénis !
            En face de ce visage de l’espérance que représente Elisabeth, il y a celui que représente Marie. Marie est aussi une femme enceinte. Mais l’origine de la grossesse de Marie est, nous l’avons tous lu et confessé, d’une toute autre nature que l’origine de la grossesse d’Elisabeth. Marie n’a en rien œuvré pour cette grossesse. Aussi peut-on dire que le visage de l’accomplissement de l’espérance de Marie se situe hors de la chaîne des causes et des effets. « Il la connut, elle conçut et elle enfanta », ce sont les causes et les effets… mais pas s’agissant de Marie. « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. » 
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            L’accomplissement de l’espérance relève alors seulement de la grâce divine. Ce n’est pas un enfant qui naît mais « le Fils du Très-Haut » qui recevra « le trône de David son père » et dont le « règne n’aura pas de fin ». Et cet enfant, le fruit de cette espérance, ne sera en aucun cas enfant de Marie au sens de la famille, puisqu’elle se déclare sans détour « esclave du Seigneur ». Le fruit de l’accomplissement d’une espérance comme celle de Marie advient donc par pure grâce, et est offert à celui à qui il advient comme à tous ceux qui l’attendent. Ainsi pouvons-nous conclure qu’une espérance comme celle de Marie s’accomplit d’une manière gratuite, intemporelle et collective. A Dieu seul en revient la gloire !

            Pour essayer mieux distinguer encore ces deux visages de l’espérance, nous pouvons nous souvenir un instant de la chanson des Restos du cœur : « Je te promets pas le grand soir, mais juste à manger et à boire, un peu de pain et de chaleur… » Il appartient aux êtres humains de donner un peu de pain et de chaleur, et ils peuvent le faire. Ils le voient s’accomplir, parce qu’ils le font s’accomplir… et c’est le visage de l’espérance selon Elisabeth. Quant au grand soir, à ce grand soir qui verra s’accomplir toute justice et toute paix, cela n’appartient pas aux humains... A Dieu seul, pour qui croit en Dieu, en revient l’initiative et la gloire.
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            Et maintenant, interrogeons-nous. Lorsque quelque chose que nous avons espéré s’accomplit pour nous, est-ce le visage de l’espérance que représente Marie, ou est-ce celui que représente Elisabeth ? Est-ce la grâce, est-ce le labeur ?
            Dans le récit de la visitation, Marie se met en route vers Elisabeth – et pas le contraire. Cela nous suggère que la grâce vient à la rencontre du labeur. Pour revenir à une métaphore agricole, labourer et semer n’aboutit à une récolte que si grâce est faite d’une saison favorable… Si l’on veut même donner du poids au récit de la visitation, on dira que l’espérance de toute œuvre humaine ne peut se réaliser sans une participation de la divine grâce. Ce qui aura pour conséquence que le fruit d’une œuvre, le profit, le produit d’une œuvre, n’appartiendra jamais totalement à celui qui l’aura entreprise. Il doit être partagé, tout comme le « Fils du Très-Haut », pur fruit de la grâce, est partagé, et même entièrement donné à l’humanité. La grâce donc vient à la rencontre du labeur, et de cette rencontre jaillit comme une évidence l’exigence du partage.
            Mais Elisabeth n’a pas attendu la visite de Marie pour entreprendre ce que son espérance appelait. Lorsque Marie lui rend visite, Elisabeth en est à son sixième mois. Ce qui nous suggère que l’espérance appelle l’engagement, et que la grâce vient par surcroît. Ce que nous espérons, il nous faut le mettre en œuvre, nous y consacrer, résolument. Le labeur précède donc la grâce, dans notre récit. Celui qui se consacre à la mise en œuvre de son espérance peut bien s’il le veut demander l’assistance de la grâce, mais celle-ci pourra aussi se manifester, comme Marie, sans  y avoir été invitée.
            Ne pensons surtout pas que sans l’engagement et sans l’invocation, rien n’adviendrait et que tout serait voué à l’échec. Il y a, dans chaque vie humaine, un événement essentiel qui advient par pure grâce et sans engagement aucun de celui qui en bénéficie : naître ! Et certaines rencontres, certains beaux moments de la vie, adviennent aussi de la même manière, sans qu’on s’y soit engagé, sans même qu’on les ait espérés. Puissions-nous les reconnaître, les accueillir et, comme Marie, en partager infiniment le fruit.
            Au bilan, nul n’est jamais entièrement propriétaire des fruits de ses œuvres, car nulle œuvre ne porte du fruit qu’elle n’ait été visitée par la grâce. Mais la grâce peut aussi parfois se passer de nos œuvres et choisir de nous visiter.
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Dieu, enfant, pensant à l'incarnation
            Ceci étant dit, il reste que certains prient, espèrent, s’engagent au nom de leur espérance, et rien n’advient, que l’échec, que le malheur, sans accomplissement aucun, ni visitation. Dieu parfois ignore les engagements et les espérances des humains, se tait sur leurs malheurs, et ne soutient même en rien ceux qui espéreraient soulager ces malheurs. Que dire ? Murmurons qu’il relève du mystère de Dieu que grâce nous soit faite et que nos espérances s’accomplissent ; murmurons qu’il relève aussi du mystère de Dieu que tout se dérobe parfois, que tout nous échappe et que nous soyons éprouvés. Murmurons cela, puis, taisons-nous sur le mystère de Dieu.
Il ne reste alors qu’une seule chose à faire : partager les mots de l’espérance, relire les prophètes. Pensons aux générations qui ont lu le prophète Michée, comme nous l’avons fait aujourd’hui, sans que jamais elles ne voient enfanter celle qui doit enfanter. Faisons aussi mémoire de ces anciennes visitations, de ces anciennes manifestations de la grâce, qui ont été infiniment partagées et qui sont ainsi toujours actuelles. Il reste possible de lire, méditer, prier, chanter le Magnificat, comme nous l’avons fait, célébrer le repas du Seigneur… La liturgie est parfois l’ultime reste de l’espérance. Et là, dans l’impuissance la plus avérée, l’on peut s’en remettre totalement à Dieu.
Je crois qu’à cette ultime prière Dieu n’est jamais indifférent. Amen

dimanche 13 décembre 2015

Au-delà de la peur de l'au-delà (Luc 3,1-17)

Au-delà de la peur de l'au-delà... mais peut-être pas d'elle seulement. Peut-être pas seulement au-delà de la peur de l'au-delà. Au-delà de la peur tout court. Ou, mieux, au-delà de tout sentiment qui vous rendrait perméable à une prédication de la peur et à la prédication de solutions simplissimes, séduisantes, radicales... pas seulement en matière de religion d'ailleurs.

Encore que cet au-delà de la peur ne devrait pas effacer les motifs de la peur. Car la peur n'est pas forcément un sentiment négatif. Elle peut donner à évaluer en imagination les conséquences d'actes non encore accomplis et peut, parfois, amener à renoncer à les accomplir. J'y reviens plus loin.
Luc 3
1 L'an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d'Abilène,
2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,
4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis;
6 et tous verront le salut de Dieu.

7 Jean disait alors aux foules qui venaient se faire baptiser par lui: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion; et n'allez pas dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.»
10 Les foules demandaient à Jean: «Que nous faut-il donc faire?»
11 Il leur répondait: «Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même.»
12 Des collecteurs d'impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent: «Maître, que nous faut-il faire?»
13 Il leur dit: «N'exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé.»
14 Des militaires lui demandaient: «Et nous, que nous faut-il faire?» Il leur dit: «Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde.»

15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie?
16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu;
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»

18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

Prédication :
« Il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier ; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas » La bale, c’est l’espèce de pellicule solide qui enveloppe l’épi de blé. Autrement dit, si nous comprenons bien Jean le Baptiste, une grande conflagration est toute proche, un grand jugement s’ensuivra, certains étant pour toujours réprouvés, jetés pour toujours au feu, et d’autres, pour toujours, élus, mis en réserve, choyés, abrités… Et l’évangile de Luc appelle ça la Bonne Nouvelle… Bonne Nouvelle pour qui ? Pas pour la bale…

            C’est que la perspective du feu qui ne s’éteint jamais n’est guère réjouissante… Peut-être que vous n’avez pas peur. Et alors un prédicateur apparemment comme Jean le Baptiste n’aura pas de prise sur vous. Vous allez le laisser vociférer, menacer, et vous allez hausser les épaules… Mais peut-être qu’à un moment de votre vie vous serez inquiet, angoissé, que vous aurez le sentiment d’une menace, ou d’un péril imminents ; vous serez fragilisé. Peut-être alors un prédicateur de la peur pourra vous convaincre que oui, qu’il faut avoir peur, et que vous devriez avoir encore plus peur, parce que le jugement est imminent. Il y a ainsi des prédicateurs qui font peur. Et qui apportent le remède à la peur… Il y a alors parfois des gens pour les croire… Ce n’est pas seulement en religion d’ailleurs que ça peut parfois se passer comme ça. Ça peut se passer comme ça aussi parfois en politique.
Quel remède proposent-ils contre la peur ? Par exemple, un rite religieux. On peut, disaient certains prédicateurs, donner de son argent, acheter l’indulgence de Dieu… les protestants savent ça par cœur, mais c’était il y a longtemps. Tout récemment, en étant manifestement au-delà de toute peur possible, et pensant que Dieu les honorerait et les admettrait dans son paradis, il y en a qui ont ouvert le feu sur des gens qui étaient au concert, ou au café, et ils se sont fait exploser après. Gagne-t-on son paradis en tuant des humains ? Vous dites que non, que c’est monstrueux, et vous avez complètement raison. Mais pour qu’ils fassent cela, il a fallu qu’il y ait des prédicateurs pour le leur prêcher, et que, eux, ils y croient. Quant à savoir dans quelles conditions mentales ils étaient pour finir par arriver à y croire, faut-il penser au dépit, ou à la peur ? Un total affaissement du sens critique, en tout cas.

Dans le texte de l’évangile de Luc, il y en a qui pensent que le baptême de Jean le Baptiste est un remède contre la peur de l’enfer, un moyen pour échapper au chaos et au jugement qui doit venir… On peut bien entendu demander sincèrement le baptême, mais ceux qui le voient comme un moyen, Jean les vilipende.
Première leçon donc : le baptême de Jean le Baptiste  ne peut pas être considéré comme un remède contre la peur. Et c’est Jean le Baptiste lui-même qui le dit.
 Certains semblent alors l’admettre, et demandent « que devons-nous faire ? » Si les rites ne sont pas un remède contre la peur, que reste-t-il ? Et bien, répond apparemment Jean, il reste le partage, il reste à être honnête, il reste à ne pas abuser du pouvoir qu’on a…Certes. Mais ce que dit Jean le Baptiste est bien au-delà de cela : celui qui mettrait en œuvre ce que Jean préconise ne pourrait simplement pas vivre. Les soldats qui viennent rencontrer Jean sont sans doute des mercenaires, ces supplétifs de l’armée romaine ; ces gens étaient très irrégulièrement payés. Comment renoncer à une solde qu’on ne vous verse pas, et comment dans ces conditions renoncer à la violence du pillage ? Le collecteur d’impôts, lui, achetait sa charge à l’administration romaine, au prix exact de l’impôt et n’était aucunement rétribué. Il engageait son propre argent pour obtenir le droit de collecter l’impôt ! Collecter l’impôt, cela a un coût. Comment pouvait-il faire autrement que prélever plus que ce qui était fixé par l’administration romaine ?
Deuxième leçon : les actions que préconise Jean le Baptiste sont des actions impossibles. Aucune d’elles n’est donc à même de soulager la peur… au contraire même, la peur est redoublée.

Au bilan, la tranquillité de l’âme ne s’obtient ni par des actions, même bonnes, ni par des rites, même religieux. 
La prédication de Jean le Baptiste passe par la préconisation d’actes, non pour disqualifier socialement un agir juste, mais pour montrer, s’agissant de salut, l’impasse de tous les actes et pour pointer « plus loin » que les actes. Or, le « plus loin », le peuple le connaît : la rédemption, le salut, la conjuration de la peur, passent par le Messie. Ce que les humains n’obtiendront jamais de Dieu par leurs propres forces, le Messie le leur donnera…
Jean ne serait-il donc pas le Messie ? Et le reconnaître comme tel ne serait-il pas ce qu’il faut faire pour que soit conjurée la peur ? D’un côté, Jean précise que ce n’est pas lui le Messie qui vient. Et d’un autre côté, il faut bien se garder d’affirmer que nous savons, nous, que c’est Jésus et que le reconnaître comme Messie serait l’unique moyen de conjurer la peur. Car si nous l’affirmions ainsi, reconnaître le Messie ce serait encore une fois faire œuvre humaine.

L’impasse est-elle totale ? Non ! Nous ne sommes pas dans l’impasse. Ecoutons sérieusement ce que dit Jean le Baptiste. Il dit du Messie : « Il vient ! » En se proclamant lui-même indigne de délier la courroie des sandales de celui qui vient, Jean affirme que le Messie est un homme, et infiniment plus qu’un homme. Jean affirme aussi que ce que fait cet homme qui est infiniment plus qu’un homme n’est pas un geste matériel fait par les hommes pour leur propre profit, mais un geste immatériel que les hommes peuvent seulement recevoir… Le nom de ce geste immatériel ? « Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
Qu’est-ce à dire ? Reprenons l’image par laquelle nous commencions. Le grain, et la bale. Est-on pour les uns juste de la bale bonne à jeter au feu, et pour les autres seulement grain à conserver pour la vie ? Que je sache, le blé, lorsqu’il pousse, c’est du grain, enveloppé dans de la bale. Bale et grain sont produits par la même plante. Mais si le grain n’est pas séparé de la bale, il est impropre à nourrir, il est impropre à vivre. La bale c’est ce qui l’enveloppe, l’enserre, empêche de vivre… un peu comme la peur dont nous parlions tout à l’heure. Or, le grain ne peut pas se débarrasser tout seul de la bale… il ne peut pas parvenir seul se débarrasser de sa peur. Et ce que dit Jean le Baptiste, ce n’est finalement pas une menace, mais c’est vraiment une bonne nouvelle, la Bonne Nouvelle. Vous allez être libres de vos peurs, de vos poids, de vos remords ou ressentiments. Pas à l’abri du malheur, mais libres ! Non pas parce que vous aurez fait ce qu’il faut pour l’être – vous ne le pouvez pas – mais parce que Lui, Celui qui vient, le fera pour vous.

Sœurs et frères, il est venu et il vient. En nous baptisant dans l’Esprit Saint et le feu, il a commencé et il continue de nous libérer. Nous nous en réjouissons, nous lui disons merci, et nous lui demandons qu’il poursuive chaque jour son œuvre en nous. Amen
N'empêche, reste la question de cette peur - de l'au-delà - qui, si elle n'avait pas fait défaut aux assassins du 13 novembre, aurait peut-être pu les empêcher de ... Comment peut-on en être certain ? On ne peut être certain que d'une chose en l'espèce : le mélange de la certitude du salut et de la théologie de la rétribution, c'est à dire l'éviction pure et simple de l'idée d'un jugement divin, c'est la porte ouverte, le boulevard de la violence religieuse irresponsable. Seule une dynamique équilibrée du jugement et de la grâce peuvent conduire à une éthique concrète de l'acte et de la responsabilité. Mais ces propos sont si extraordinairement abstraits...