samedi 2 mars 2024

Moïse, entre le don de la Loi et une suite pénible

Voici des versets bien connus, mais c'est au v.18 que notre affaire commence  

DRB  Exode 20  1 Et Dieu prononça toutes ces paroles, disant:

2 Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.

3 Tu n'auras point d'autres dieux devant ma face.

4 Tu ne te feras point d'image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, et de ce qui est sur la terre en bas, et de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre.

5 Tu ne t'inclineras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui visite l'iniquité des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération de ceux qui me haïssent, 6 et qui use de bonté envers des milliers de ceux qui m'aiment et qui gardent mes commandements.

7 Tu ne prendras point le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain; car l'Éternel ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris son nom en vain.

8 Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier. 9 six jours tu travailleras, et tu feras toute ton œuvre; 10 mais le septième jour est le sabbat consacré à l'Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucune œuvre, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ta bête, ni ton étranger qui est dans tes portes. 11 Car en six jours l'Éternel a fait les cieux, et la terre, la mer, et tout ce qui est en eux, et il s'est reposé le septième jour; c'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du sabbat, et l'a sanctifié.

12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l'Éternel, ton Dieu, te donne.

13 Tu ne tueras point.

14 Tu ne commettras point adultère.

15 Tu ne déroberas point.

16 Tu ne diras point de faux témoignage contre ton prochain.

17 Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien qui soit à ton prochain.

18 Et tout le peuple vit les tonnerres, et les flammes, et le son de la trompette, et la montagne fumante; et le peuple vit cela, et ils craignirent et se tinrent à distance, et dirent à Moïse:

19 Parle avec nous, toi, et nous écouterons ! Mais que Dieu ne parle point avec nous, sinon c’est la mort.

20 Cependant, Moïse dit au peuple:

Ne craignez pas; car

c'est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient,

et afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux,

 

pour que pécher n’existe plus en vous.

 

21 Mais le peuple se tint à distance; quant à Moïse, il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient.

            Prédication

        Commençons avec ces gens qui ont laissé dans la Bible une trace pénible. Pour toutes les transgressions possibles des commandements, ils n’ont envisagé qu’une seule peine, toujours la même peine, la mort. Ainsi avons-nous des pages entières qui commandent l’effacement de vies…

            Sinaï, le peuple craint, il a peur. Il s’adresse à Moïse pour lui dire : « Parle avec nous, toi, et nous écouterons. Mais que Dieu ne parle pas avec nous, sinon c’est la mort. »

            Et le lecteur de s’étonner. Juste après que Dieu ait parlé, juste après qu’il ait donné dix commandements essentiels, viatiques, voici que le peuple ne veut pas entendre directement la divine parole, sous peine de mourir, ou du moins le croit-il, et opte pour une parole humaine. Le peuple de Dieu a peur de Dieu. Et nous savons que, dans peu de temps, il va préférer se fabriquer un dieu d’or, une idole morte, qu’il va préférer s’asservir à une statue fabriquée et qu’il voit, plutôt qu’être libéré par Dieu qu’il ne voit pas. Mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, le peuple a peur de Dieu qui parle et préfèrerait entendre une parole dite par un être humain… Parle avec nous, toi, dit le peuple à Moïse, et nous écouterons ! (Comme si ça devait changer quelque chose)

 

            Nous nous intéressons à ce que Moïse répond. Moïse bien évidemment va tenter de conjurer cette crainte. Sera-t-il écouté, tout comme le peuple semble le lui promettre ?

            1.

            Péril réel, péril imaginaire ? Moïse, lui n’a pas peur. Il prend le risque de dialoguer avec Dieu, et il n’en meurt pas. Est-il le seul que Dieu épargne, parce qu’il est Moïse ? Lorsque, dans les chapitres qui précèdent notre lecture, on se prépare au don de la Loi, on balise le pied de la montagne, et on recommande que le peuple ne s’en approche pas, de peur que certains ne meurent. Certains, mais pas tous. Ce qui signifie qu’au sein du peuple, il y a des personnes, anonymes complets, qui pourraient bien s’approcher, entendre et ne pas mourir. Il y a des risques qu’il faut prendre, parfois… Le péril avec Dieu n’est peut-être pas si grand. On peut entendre la parole de Dieu et ne pas mourir. Cela ne signifie pas pour autant qu’entendre la parole de Dieu laisse indemne. Nous y venons.

           2.

            Moïse parle de nouveau : « C’est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient. »

            Ce n’est pas du tout par hasard que ce propos vient juste après que les dix commandements aient été donnés.

Les dix commandements sont parole de Dieu, ils éprouvent l’auditeur, et le lecteur. Qui tient debout devant les dix commandements ? Est-ce que quelqu’un peut dire qu’il n’a jamais transgressé aucun des commandements ? Les commandements interrogent l’être humain tout entier. Ils interrogent ses pensées et ses intentions ; ils interrogent les paroles prononcées, et celles aussi qui sont tues ; ils interrogent les actes, et même ceux qui n’ont pas été commis. En cela, les commandements nous mettent à l’épreuve. Et en cela ils sont, littéralement, parole de Dieu.

Personne ne tient debout devant les dix commandements. Faut-il craindre de ne pas tenir debout ? Moïse affirme que non, il affirme que Dieu vient, que Dieu parle, pour qu’on en passe par l’épreuve et par la tentation. La parole de Dieu nous démasque, elle sonde les reins et les cœurs, interroge radicalement les actes et les pensées, mais la vérité de ce qu’est un être humain n’est pas mortelle devant Dieu. On peut prendre le risque de ne pas fuir cette vérité-là.

            3.

            Il y a pourtant quelque chose de la crainte, et Moïse rajoute donc : « Dieu vient afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux. » Il y a plusieurs sortes de crainte. Ici, la crainte du peuple, c’est celle qui fait redouter la parole de Dieu. C’est la crainte du menteur, la crainte de celui qui se ment à lui-même et ne veut rien savoir de son mensonge. Elle est une crainte qui fige.

La crainte qui fait désirer la parole de Dieu, celle que Moïse recommande, est au contraire l’espérance confiante de la vérité. Elle est l’espérance que cette parole nous traverse, nous dépouille, nous renouvelle et nous fasse choisir la vie, une vie dont les contours demeurent à bâtir et les chemins à découvrir.

            4.

            Et Moïse ajoute une chose encore : Dieu vient et parle afin que pécher  n’existe plus en vous. Qu’est-ce que pécher, dans ce contexte ? Pécher, dans le contexte de l’Exode, c’est se tenir mordicus à ce qui fut, sans rien vouloir mettre en question, ni en jeu. Pécher, c’est préférer mourir en Egypte et en esclave, plutôt que vivre une liberté confiante, et toujours interrogée. Pécher, c’est enfin préférer la parole extérieure d’un homme à qui l’on peut toujours dire « Tais-toi ! » ou « Cause toujours… » à la parole intérieure de Dieu qui met à nu devant soi-même et devant lui. Pécher, c’est ainsi préférer le soi-disant silence de Dieu à sa parole.

 

Et que fait le peuple, une fois que Moïse lui a expliqué pourquoi la crainte est sans fondement et sans objet ? Le peuple l’écoute-il, tout comme il s’y est engagé ? Les gens du peuple s’approchent-ils ? Lisons : « 21 Mais le peuple se tint à distance (…) » 

Le peuple, collectivement, choisit la crainte, l’illusion, le mutisme… la servitude. Quant à Moïse, résolument, en témoin de la bonté et de la vérité de la parole de Dieu, ayant dit ce qu’il avait à dire, choisit de ne rien faire d’autre que ce qu’il a déjà fait : s’approcher de Dieu et s’en remettre à Lui : « (…) il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient. »

 

Dieu se tient dans l’obscurité profonde, et il n’est pas un Dieu obscur, c’est même tout le contraire.

Dieu se tient dans l’obscurité profonde, c’est une confession de foi :

 

Mon Dieu se tient dans l’obscurité profonde,

Il m’attend dans l’obscurité profonde,

Là où – et lorsque – ayant délibéré, choisi, et agi,

Après avoir fait tout ce qu’il est possible de faire,

Je ne peux plus qu’attendre.

C’est l’obscurité profonde, ce qui adviendra.

Je crois que Dieu se tient là, et m’attend.

C’est donc sans crainte que je m’approche.

Il est dans l’obscurité profonde et connait mes chemins,

Amen.