samedi 29 mai 2021

Trinité - Liberté (Deutéronome 4:32-40)

Deutéronome 4

32 Interroge donc les jours du début, ceux d'avant toi, depuis le jour où Dieu créa l'humanité sur la terre, interroge d'un bout à l'autre du monde: Est-il rien arrivé d'aussi grand? A-t-on rien entendu de pareil?

 33 Est-il arrivé à un peuple d'entendre comme toi la voix d'un dieu parlant du milieu du feu, et de rester en vie?  34 Ou bien est-ce qu'un dieu a tenté de venir prendre pour lui une nation au milieu d'une autre par des épreuves, des signes et des prodiges, par des combats, par sa main forte et son bras étendu, par de grandes terreurs, à la manière de tout ce que le SEIGNEUR votre Dieu a fait pour vous en Égypte sous tes yeux?  35 À toi, il t'a été donné de voir, pour que tu saches que c'est le SEIGNEUR qui est Dieu: il n'y en a pas d'autre que lui.

 36 Du ciel, il t'a fait entendre sa voix pour faire ton éducation; sur la terre, il t'a fait voir son grand feu, et du milieu du feu tu as entendu ses paroles.  37 Parce qu'il aimait tes pères, il a choisi leur descendance après eux et il t'a fait sortir d'Égypte devant lui par sa grande force,  38 pour déposséder devant toi des nations plus grandes et plus puissantes que toi, pour te faire entrer dans leur pays et te le donner comme patrimoine, ce qui arrive aujourd'hui.

 39 Reconnais-le aujourd'hui, et réfléchis: c'est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre; il n'y en a pas d'autre.  40 Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd'hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours.

Prédication :

            Une semaine après Pentecôte, dans l’année liturgique, c’est le dimanche de la Trinité. Et pour cette raison, les trois textes qui sont proposés à la lecture et à la méditation des fidèles, portent l’un sur le Père, l’autre sur le Fils, et le troisième sur le Saint Esprit. Choix de cette année, Matthieu 28 pour le Fils, Romains 8 pour le Saint Esprit, et Deutéronome 4 pour le Père, et là dedans la seule formule explicitement trinitaire de toute la Bible, au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit (Matthieu 28:19). Ces trois textes forment l’une des nombreuses bases bibliques possibles de la doctrine de la Trinité.

            Ainsi donc, dans la lecture de ces trois fragments bien choisis, nous verrons apparaître quelque chose de trinitaire, c’est certain. Mais est-ce nécessaire ? Est-il nécessaire, était-il nécessaire d’unifier Dieu ? Au IVe siècle, cela sembla nécessaire à l’unification de l’Église, mais peut-être bien cela sembla-t-il nécessaire à une réunification de l’Empire romain (Constantin 1er). Mais ces nécessités politiques pouvaient-elles être des contraintes théologiques ? Autrement dit, ce que les humains, ce que des évêques assemblés en synode, disent de Dieu, est-ce que cela contraint Dieu ? Plus profondément encore, Dieu est-il une créature de la parole humaine, ou l’homme est-il une créature de la parole divine ?

            Nous n’allons pas chercher à répondre à cette question. Nous allons bien plutôt la laisser là. Pouvoir la laisser là est l’expression d’une liberté…

             

            Cette liberté, pouvons-nous la trouver dans les textes bibliques ? Nous allons examiner les 9 versets du Deutéronome qui nous sont proposés.

            Il s’agit en peu de mots d’une histoire des Hébreux, depuis la fondation du monde jusqu’à l’entrée en Terre Promise. C’est extrêmement soigné, extrêmement compact.

            Tout un vocabulaire très spécifique figure dans ces versets. Le vocabulaire de la création, avec le mot commencement, et le verbe créer. Le vocabulaire spécifique à l’évocation de la mémoire des Patriarches. Puis le vocabulaire de l’esclavage et de la sortie d’Égypte : par sa main forte et son bras étendu. Puis le vocabulaire de l’entrée en Canaan : te faire entrer dans le pays et te le donner comme patrimoine.

            Cette histoire en quatre parties, commence par un impératif : interroge… Le lecteur, le fidèle, est exhorté à s’interroger, sur Dieu qui crée l’humanité sur la terre, sur une présence de Dieu dans le feu, présence qui, contre toute attente, épargne les humains, sur une force de Dieu, qui libère son peuple de l’esclavage, et sur une bienveillance de Dieu qui donne lois et commandements à son peuple.

            Nous pouvons nous demander ici à qui ce texte s’adresse. Et nous serons bien entendu tentés, il s’agit du Deutéronome, le 5ème livre de la Torah, de penser que ce texte s’adresse au peuple hébreu... Et après tout ils sont les premiers engagés par ce texte, tant s’agissant de la mémoire des origines qui est la leur que par les commandements qui leur ont été donnés. Mais est-ce si simple ? 

            Et surtout, si c’est si simple, où est la liberté sur laquelle nous méditons aujourd’hui.

            Voici quelques remarques, toujours sur ces mêmes versets :

Ce que Dieu crée n’est pas un peuple particulier, mais l’humanité, une humanité une sur une terre une.

            Il est affirmé, deux fois, que c’est le SEIGNEUR-IHVH qui est Dieu, et qu’il n’y en a pas d’autre. Comprenons bien ici qu’il ne s’agit pas que le dieu IHVH soit plus fort, soit plus beau, ou plus on ne sais quoi que les autres dieux. Il n’y en a pas d’autre, cela signifie que ces quatre lettres imprononçables sont au principe même de toute pensée théologique possible, pensée théologique qu’elles nourrissent et qu’elles désagrègent. Et l’important d’ailleurs n’est même pas que ce soit ces quatre lettres – ce pourraient en être d’autres – mais qu’elles soient imprononçables.

            Et ce que cela signifie c’est que ce Dieu ne peut pas être le dieu d’un peuple exclusivement. Bien sûr, c’est par un peuple que ce Dieu est arrivé au langage dans l’histoire humaine. Ça ne peut pas se produire autrement, et c’est toujours dans une forme particulière que cela advient. Mais pourtant cela concerne l’humanité tout entière. Même si les formes religieuses sont infiniment diversifiées, si elles parviennent à être fidèles à ce que l’imprononçable IHVH signifie, leurs différences ne devraient jamais être séparatrices. L’unité de IHVH est à la fois un principe de liberté et un principe de reconnaissance.

            Ce qui va nous faire déborder le cadre religieux : les lois et les commandements que le Seigneur donne concernent évidemment les enfants d’Israël, mais aussi tous ceux qui séjournent parmi eux. C’est une indication, une possibilité que l’éthique qui découle de cette construction religieuse soit une éthique universalisable.

            Ici, nous pouvons nous réjouir. Bible en main, nous avons esquissé, un projet religieux, et un projet de société, dont la liberté est le principe.

            Mais est-ce qu’un projet de ce genre a jamais vu le jour ? Toute ma vie je me souviendrai de cette question, posée par un enfant : « Est-ce qu’à ta connaissance des religieux sont un jour arrivés au pouvoir sans que ça tourne à la dictature ? » Des années après, cette question me laisse encore préoccupé.

            En plus, soyons honnêtes, nous devons avoir vu que d’autres choix de lectures sont possibles, avec ces 9 versets, et avec d’autres versets. D’autres choix de lecture qui auraient laissé émerger tout autre chose que la liberté. Choix qui auraient pu laisser émerger des contraintes indépassables,  et des inégalités irréductibles.

            Dans les versets d’aujourd’hui, il a été question des Hébreux, de leur captivité égyptienne et de leur libération par de grandes terreurs – et vous savez quel fut le prix de cette libération… Dans nos versets il a été question aussi de déposséder devant toi des nations (…) pour te faire entrer dans leurs pays et te le donner comme patrimoine – vous connaissez le prix de la conquête de Canaan par les Hébreux sortis du désert. Quant à  garder ses lois et ses commandements que le SEIGNEUR lui donne, l’observance peut tout aussi bien être comprise comme une promesse que comme une menace, surtout lorsqu’est écrit afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne. Ce sont les mêmes versets, avec un contenu tout différent.

            Et ainsi sont tissées une fraternelle liberté et une servitude vaniteuse. L’auteur des versets que nous lisons n’a pas fait le tri entre l’une et l’autre. Peut-être parce que, fin théologien, il se refusait à trancher dans la complexité de Dieu. Peut-être devait-il se montrer prudent devant des censeurs. Mais peut-être aussi parce que son projet était moins théologique que politique, et qu’il a voulu que chaque lecteur examine, s’examine lui-même, et choisisse librement la forme de la société humaine à laquelle il souhaitait appartenir avec ses semblables. Nous ne savons pas – nous ne savons presque jamais – pourquoi les auteurs de la Bible ont fait tel ou tel choix. Mais ce que nous savons, pour ces quelques versets du Deutéronome, c’est qu’en se refusant à trier entre servitude et liberté, celui qui les a écrits a écrit pour la liberté. Puisse cette liberté demeurer : tant que le monde durera, et tant que le texte sera tenu en l’état à la disposition du plus grand nombre, la liberté de choisir demeurera elle aussi. Amen