dimanche 27 avril 2014

Les Saintes Ecritures, la Terre Promise et la vie (Josué 3 et 4)

En préparant ce billet, je suis dans la reconnaissance. La suggestion de lire les deux chapitres bibliques qui suivent est due au pasteur James Woody (EPUdF, Paris, Oratoire du Louvre), qui en a donné une belle prédication le dimanche des Rameaux de cette année.

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Je signale aussi qu'une partie de ma propre prédication est inspirée d'un texte important de Dietrich Bonhoeffer, "Notre chemin selon le témoignage de l'Ecriture", un texte de 1938 dans lequel il examine, dans des circonstances historique particulièrement tendues, ce qu'est la preuve scripturaire, comment il convient de la construire et ce qu'il convient d'en attendre. Ce texte, qu'on peut trouver en traduction dans les Textes choisis, ne cesse de me stimuler depuis... longtemps.

Josué 3 et 4
1 Josué se leva de bon matin; ils partirent de Shittim, lui et tous les fils d'Israël, et arrivèrent au Jourdain; là, ils passèrent la nuit avant de traverser.
2 Or, au bout de trois jours, les scribes passèrent à travers le camp
3 et ils donnèrent cet ordre au peuple: «Lorsque vous verrez l'arche de l'alliance du SEIGNEUR, votre Dieu, et les prêtres lévites qui la portent, alors vous quitterez le lieu où vous êtes et vous la suivrez
4 - toutefois qu'il y ait entre vous et elle une distance d'environ deux mille coudées, ne l'approchez pas - , ainsi vous saurez quel chemin vous devez suivre, car vous n'êtes jamais passés par ce chemin auparavant.»
5 Puis Josué dit au peuple: «Sanctifiez-vous, car demain le SEIGNEUR fera des merveilles au milieu de vous.»
6 Josué dit aux prêtres: «Portez l'arche de l'alliance et passez devant le peuple.» Ils portèrent l'arche de l'alliance et marchèrent devant le peuple.
7 Le SEIGNEUR dit à Josué: «Aujourd'hui, je vais commencer à te grandir aux yeux de tout Israël pour qu'on sache que je serai avec toi comme j'étais avec Moïse.
8 Et toi, tu donneras cet ordre aux prêtres qui portent l'arche de l'alliance: ‹Lorsque vous arriverez au bord des eaux du Jourdain, vous vous arrêterez dans le Jourdain.› »
9 Josué dit aux fils d'Israël: «Avancez ici et écoutez les paroles du SEIGNEUR, votre Dieu.»
10 Puis Josué dit: «À ceci vous saurez que le Dieu vivant est au milieu de vous, et qu'il dépossédera vraiment devant vous le Cananéen, le Hittite, le Hivvite, le Perizzite, le Guirgashite, l'Amorite et le Jébusite:
11 voici que l'arche de l'alliance du Seigneur de toute la terre va passer devant vous dans le Jourdain.
12 Et maintenant, prenez douze hommes parmi les tribus d'Israël, un homme par tribu.
13 Dès que la plante des pieds des prêtres qui portent l'arche du SEIGNEUR, le Seigneur de toute la terre, se posera dans les eaux du Jourdain, alors les eaux du Jourdain, les eaux qui descendent d'amont, seront coupées et elles s'arrêteront en une seule masse.»
14 Lorsque le peuple quitta ses tentes pour traverser le Jourdain, les prêtres qui portaient l'arche de l'alliance étaient devant le peuple.
15 Quand ceux qui portaient l'arche furent arrivés au Jourdain, et que les pieds des prêtres qui portaient l'arche eurent trempé dans l'eau de la berge - en effet, le Jourdain déborde sur toutes ses rives durant tout le temps de la moisson - ,
16 alors les eaux qui descendent d'amont s'arrêtèrent, elles se dressèrent en une seule masse, très loin, à Adam, la ville qui est à côté de Çartân, et celles qui descendent vers la mer de la Araba, la mer du Sel, furent complètement coupées, et le peuple traversa en face de Jéricho.
17 Et les prêtres qui portaient l'arche de l'alliance du SEIGNEUR s'arrêtèrent sur la terre sèche, au milieu du Jourdain, immobiles, tandis que tout Israël traversait à pied sec jusqu'à ce que toute la nation eût achevé de traverser le Jourdain.

4:1 Or, dès que toute la nation eut achevé de passer le Jourdain, le SEIGNEUR dit à Josué:
2 «Prenez douze hommes dans le peuple, un homme pour chaque tribu,
3 et commandez-leur: ‹Emportez d'ici, du milieu du Jourdain, de l'endroit où les pieds des prêtres se sont immobilisés, douze pierres; vous les ferez passer avec vous et vous les déposerez à la halte où vous passerez la nuit.› »
4 Puis Josué appela les douze hommes qu'il avait désignés parmi les fils d'Israël, un homme pour chaque tribu,
5 et Josué leur dit: «Passez devant l'arche du SEIGNEUR, votre Dieu, vers le milieu du Jourdain, et que chacun charge une pierre sur son épaule selon le nombre des tribus des fils d'Israël
6 afin que cela soit un signe au milieu de vous. Lorsque demain vos fils vous demanderont: ‹Que signifient pour vous ces pierres?›,
7 vous leur direz: ‹C'est que les eaux du Jourdain ont été coupées devant l'arche de l'alliance du SEIGNEUR quand elle passa dans le Jourdain! Les eaux du Jourdain ont été coupées, et ces pierres tiendront lieu de mémorial aux fils d'Israël à jamais.› »
8 C'est ainsi que les fils d'Israël firent ce que Josué leur avait commandé: ils emportèrent douze pierres du milieu du Jourdain, comme le SEIGNEUR l'avait dit à Josué, selon le nombre des tribus des fils d'Israël, et ils les firent passer avec eux jusqu'à la halte où ils les déposèrent.
9 Josué fit dresser douze pierres au milieu du Jourdain à l'endroit où les prêtres qui portaient l'arche de l'alliance avaient mis les pieds, et elles y sont jusqu'à ce jour.
10 Les prêtres qui portaient l'arche s'arrêtèrent au milieu du Jourdain jusqu'à ce que fût totalement accomplie la parole que le SEIGNEUR avait prescrit à Josué de dire au peuple, selon tout ce que Moïse avait prescrit à Josué, et le peuple se hâta de passer.
11 Or, quand tout le peuple eut achevé de passer, l'arche du SEIGNEUR passa, ainsi que les prêtres, devant le peuple.
12 Passèrent en avant des fils d'Israël les fils de Ruben, les fils de Gad et la demi-tribu de Manassé, en ordre de bataille, selon ce que leur avait dit Moïse:
13 environ quarante mille hommes d'infanterie légère passèrent devant le SEIGNEUR pour le combat, vers la plaine de Jéricho.
14 En ce jour-là, le SEIGNEUR grandit Josué aux yeux de tout Israël et on le craignit comme on avait craint Moïse tous les jours de sa vie.
15 Alors le SEIGNEUR dit à Josué:
16 «Commande aux prêtres qui portent l'arche de la charte de remonter du Jourdain.»
17 Et Josué commanda aux prêtres: «Remontez du Jourdain.»
18 Or, quand les prêtres qui portaient l'arche de l'alliance du SEIGNEUR remontèrent du milieu du Jourdain - dès que la plante des pieds des prêtres se fut détachée pour gagner la terre sèche - , les eaux du Jourdain revinrent à leur place et coulèrent, comme auparavant, tout au long de ses rives.
19 Le peuple remonta du Jourdain le dix du premier mois et il campa à Guilgal, à l'extrémité est de Jéricho.
20 Quant à ces douze pierres qu'ils avaient prises du Jourdain, Josué les fit dresser à Guilgal.
21 Puis il dit aux fils d'Israël: «Lorsque demain vos fils demanderont à leurs pères: ‹Que signifient ces pierres?›,
22 vous le ferez savoir à vos fils en disant: ‹Israël a passé ici le Jourdain à sec;
23 le SEIGNEUR, votre Dieu, a asséché devant vous les eaux du Jourdain jusqu'à ce que vous ayez passé, comme le SEIGNEUR, votre Dieu, l'avait fait pour la mer des Joncs qu'il assécha devant nous jusqu'à ce que nous ayons passé,
24 afin que tous les peuples de la terre sachent comme est forte la main du SEIGNEUR, afin que vous craigniez le SEIGNEUR, votre Dieu, tous les jours.› »

Prédication :
A la fin du long voyage qui avait tant duré, et pendant lequel ils avaient reçu la Loi, pendant lequel ils avaient été guidés par Moïse, les fils d’Israël s’apprêtaient à entrer en terre promise. Il fallait traverser le Jourdain. Il fallait traverser le Jourdain comme il avait fallu traverser la mer des Roseaux (la mer rouge). Je vous propose ce matin quelques réflexions sur cette seconde traversée, et sur la fin du voyage.

Ce récit n’est pas vraiment un récit de fin de voyage comme pourrait l’être la fin de l’Odyssée. Ulysse, il est vrai, rentre chez lui, et quelqu’un l’y attend. On pourrait se dire que la Terre Promise est le chez soi où les Hébreux reviennent enfin.
Il n’en est rien. Personne n’attend les Hébreux. Et ce récit n’est pas un récit de retour chez soi mais un récit de création. C’est un récit de création parce que des eaux s’écartent, exactement tout comme se sont écartées les eaux dans le premier chapitre de la Genèse.

Pour que le passage vers la vie soit possible, dans ces deux textes bibliques, il faut que les eaux se séparent. Les eaux, dans ces textes, c’est le chaos. Pour que la vie soit possible, pour qu’on vienne au monde,  il faut que, à l’intérieur de l’espace du chaos, une zone sèche soit dégagée. C’est ce que nous avons observé dans la lecture du récit. Le Jourdain devient soudain mieux que guéable. Il devient la terre sèche sur laquelle marcher. Et le passage demeure praticable tant que l’Arche d’Alliance est là posée au milieu. Qu’est-ce que l’Arche d’Alliance ? C’est le Texte, celui de la Loi.
Ainsi donc, ce récit est le récit de la mise au monde des Hébreux dans la Terre Promise. C’est le récit d’une naissance. Or une naissance, pour celui qui  nait, c’est une entrée dans l’inconnu. Ainsi, pour celui qui y entre, la Terre Promise est une terre inconnue, une terre de nouveauté.

La Terre promise, en tant que lieu où naissent les Hébreux, est une terre inconnue. Comment va-t-on vivre en terre inconnue ? On ne le sait pas puisqu’elle est une terre inconnue et que personne ne nous y attend.
Mais ce qui est clair, c’est que l’organisation stricte et disciplinée qui a permis aux Hébreux de survivre dans le désert est désormais périmée. On ne vit pas en milieu hostile comme on vit en milieu accueillant. Il s’agit donc d’inventer un nouveau mode de vie. Or, leur premier mode de vie était, par nécessité, guidé par une lecture stricte du Texte sacré, un Texte donné même au fur et à mesure des besoins du désert. Mais là, en Terre Promise, les besoins changent radicalement, et le Texte est là, en entier. Que va-t-il se passer ?

Pour tenter de répondre, observons les mouvements respectifs de l’Arche d’Alliance – c'est-à-dire du Texte – et du peuple.
Côté désert. L’Arche est avec le peuple. Elle passe devant le peuple et entre dans le Jourdain. AU milieu du Jourdain, l’Arche s’arrête. Le passage est ouvert. Nous l’avons dit, déjà, le Texte ouvre le passage à travers le chaos, fraye un chemin possible, et maintient même ce chemin ouvert pendant le temps nécessaire au passage.
Or lorsque le peuple traverse, lorsqu’il passe, le peuple passe devant l’Arche. Non pas à côté de l’Arche mais au-devant d’elle. A Terre Promise chemins nouveaux. Et des chemins nouveaux le Texte ne dit rien. Si l’on choisit la Terre Promise, on choisit l’inconnu, inconnu existentiel, inconnu biblique…
Et si le peuple ne passait pas en avant du Texte ? Le peuple alors n’irait nulle part. Le Texte biblique ne précède définitivement que ceux qui ne vont nulle part. C'est-à-dire que le Texte biblique ne dispense pas de croire. Car si l’on attend d’être certain qu’un chemin est juste pour daigner s’y engager, on n’ira jamais nulle part et surtout pas en Terre Promise. Mais ceux qui avancent avec foi découvriront en chemin ce que Dieu veut, certainement. Le Texte ne sera jamais muet pour ceux qui avancent dans la foi. Mais, pour un temps, ceux qui choisissent d’avancer doivent choisir la confiance et accepter de ne pas savoir où ils vont.

Pendant que l’Arche, c'est-à-dire le Texte, tient ouvert le passage à travers le chaos, le peuple passe devant. Il passe devant pour faire plus et mieux que ce que la Loi propose, pour inventer son nouveau mode de vie, pour inventer une nouvelle interprétation de la Loi.
Mais, une fois la traversée accomplie, une fois que tout le peuple est devant, le Texte, la Loi, le rejoint, et le chaos se referme. L’ancien monde, le monde du désert, est à jamais derrière. L’interprétation de la Loi qui prévalait au désert est à jamais caduque.

Que va-t-il se passer ? Le peuple arrivé en Terre Promise va-t-il oublier la Loi ? Va-t-il oublier la foi ? L’opulence qui lui est donnée est-elle  nocive pour la foi ? Si le désert vient avant la Terre Promise, le fait qu’on arrive en Terre Promise ne doit pas faire du peuple un peuple oublieux. J’attends tout de Dieu lorsque je suis privé de tout. J’attends tout de Dieu lorsque tout me sourit. Mais bien souvent, qu’ai-je à faire de Dieu lorsque tout me sourit ? Lorsque tout me sourit, si je n’ai plus rien à faire de Dieu, c’est que, de nouveau, je suis captif.
C’est pour cette raison que le Texte doit rejoindre le Peuple une fois arrivé en terre Promise. Non pas pour que le peuple s’y conforme, car la vie ne se conforme jamais à aucun texte, mais pour que le peuple puisse s’évaluer et se comprendre face au Texte.
Notre fidélité de maintenant au Texte, à l’Alliance, et au Dieu qui nous les a donnés, doit être inventée et évaluée maintenant, et à chaque instant.

Les Hébreux sont-ils réellement arrivés à bon port et chez eux, tout comme Ulysse qui était un jour parti de chez lui finit un jour par rentrer chez lui ? Etre Hébreu, cela signifie « être de passage ». Et lorsqu’on regarde un peu finement comment est construit le récit que nous avons lu, on finit par ne plus vraiment savoir si c’est l’Arche d’Alliance – le Texte – qui précède le peuple ou si c’est le peuple qui précède le Texte, si le peuple est devant, derrière, ou autour du Texte. Il y a ainsi des bouclages et des rebouclages du récit qui nous font penser que le peuple ne cesse de précéder le Texte et que le Texte ne cesse de précéder le peuple.
Ainsi l’entrée en Terre Promise est un processus sans fin, comme l’apprentissage de la vie est un processus sans fin. Et il faut dire que si nous cessons de dépasser la Loi, c’est que nous avons cessé de croire, ou que nous avons cessé de vivre. Et qui si nous cessons de nous laisser rejoindre par la Loi, par le Texte, c’est que nous avons cessé de nous souvenir de la miséricorde de Dieu. La Terre Promise n’est atteinte qu’un seul instant ; elle est incessamment devant nous. La Terre promise est la terre de la promesse, et ça n’est que dans vie, une vie ouverte, créative, inventive, accueillante… et par la foi qu’on chemine vers la Terre Promise, jusqu’au bout de la vie.