samedi 17 juillet 2021

Choisir un berger sans se méprendre (Marc 6:30-34, avec Jérémie 23:1-6)

 Jérémie 23

1 Malheur! Des pasteurs qui laissent dépérir à l'abandon le troupeau de mon pâturage - oracle du SEIGNEUR! 2 Eh bien! ainsi parle le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël, au sujet des pasteurs qui font paître mon peuple: C'est vous qui avez laissé à l'abandon mon troupeau, l'avez dispersé; vous ne vous en êtes pas occupés. Or moi, je vais m'occuper de vous en punissant vos agissements pervers - oracle du SEIGNEUR . 3 Moi, je rassemble ceux qui restent de mon troupeau, de tous les pays où je les ai dispersés, et je les ramène dans leurs enclos où ils proliféreront abondamment. 4 J'établirai sur eux des pasteurs qui les feront paître; ils n'auront plus peur, ils ne seront plus accablés, plus aucun d'eux ne manquera à l'appel - oracle du SEIGNEUR. 5 Des jours viennent - oracle du SEIGNEUR - , où je susciterai pour David un rejeton légitime: Un roi règne avec compétence, il défend le droit et la justice dans le pays. 6 En son temps, Juda est sauvée, Israël habite en sécurité. Voici le nom dont on le nomme: «Le SEIGNEUR, c'est lui notre justice.»

Marc 6

30 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus et ils lui rapportèrent tout ce qu'ils avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné. 31 Il leur dit: «Vous autres, venez à l'écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu.» Car il y avait beaucoup de monde qui venait et repartait, et eux n'avaient pas même le temps de manger. 32 Ils partirent en barque vers un lieu désert, à l'écart. 33 Les gens les virent s'éloigner et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux. 34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut pris de pitié pour eux parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.

Prédication

            Jérémie, six siècles avant Jésus Christ, s’exprima, comme nous l’avons lu, avec une certaine violence contre les bergers – les pasteurs – du peuple de Dieu. Motif de cette violence verbale ? Un ennemi surpuissant est aux portes du pays. Que faire ? Se soumettre, payer le tribut et vivre, ou bien lever des armées, conclure des alliances et repousser cet ennemi ? En cas de défaite militaire, mise à sac, massacre, et déportation. Chaque option avait ses partisans, chaque groupe de partisans avait son, ou ses prophètes, c'est-à-dire ses pasteurs, et chacun de ces pasteurs prêchait la victoire pour son propre camp.

            Jérémie était  initialement partisan de la négociation avec l’envahisseur et du paiement du tribut. Il ne fut pas entendu sur ce point ; il dut inventer une autre voie et devint un prophète de l’exil. Nous pouvons appeler Jérémie le pasteur de l’exil. Parole de Dieu par la bouche de Jérémie le prophète : « J’établirai sur eux des pasteurs qui les feront paître, ils n’auront plus peur, ils ne seront plus accablés, plus aucun d’eux ne manquera à l’appel. »

 

            Six siècles plus tard, la question des pasteurs ou bergers se pose aux descendants des Hébreux. Et donc, après la lecture de  quelques versets de l’évangile de Marc, il vient plusieurs questions.

            Jésus, à quoi a-t-il distingué que les gens qui composaient cette foule étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger ?

            Jésus, ayant fait ce premier constat, qu’a-t-il enseigné à ces gens ?

            La semaine dernière déjà, s’agissant de l’envoi en mission des Douze, nous avions vu qu’envoyés par Jésus pour une mission de guérison, ils s’étaient aussi essayé à l’enseignement. Mais quel enseignement, nous ne l’avons pas su. Cette semaine, les apôtres se réunissent auprès de Jésus et lui rapportent tout ce qu’ils ont fait et tout ce qu’ils ont enseigné, sans qu’on sache quoi. On se dit peut-être que tant que le maître est là l’enseignement des disciples est peu important. Pourtant, l’enseignement du maître ne doit pas être si important : on ne nous en dit rien. Et pourquoi ?

            Plus loin, dans l’évangile de Marc, l’enseignement de Jésus sera transcrit. Il sera transcrit par exemple lorsqu’il s’agira d’enseigner ce que sera le sort du Fils de l’Homme, sa Passion. Son enseignement sera aussi transcrit pendant les derniers jours de sa vie, lorsqu’il enseignera dans le Temple, en lien encore avec la Passion. Et il semble alors que les enseignements de Jésus retenus par Marc soient, d’une manière délibérée, les enseignements en lien direct avec la Passion. Et, conséquemment, tout enseignement qui n’est pas en lien direct avec la Passion est laissé de côté par Marc.

            Laissé de côté, cela ne signifie pas que Jésus n’a pas enseigné sur quantité de choses, cela signifie que Marc, l’auteur du premier évangile, a considéré que le seul enseignement de Jésus, ou le seul message de l’évangile est celui de la Passion de Jésus, c'est-à-dire son engagement extrême, ultime, accepté jusqu’à la mort et dans l’ignorance même de la résurrection.

            Et dans cette perspective, nous pouvons penser que même si Jésus a effectivement enseigné quelque part dans les commencements de l’évangile de Marc, ce qui a été dit aura, pour Marc, été sans importance au regard des choix de vie que Jésus aura effectués.

            En somme, le message de Jésus, son Évangile, n’a pas besoin d’un enseignement magistral et rationnel, mais il a besoin d’un engagement conséquent, pour ne pas dire d’un engagement absolu, celui de la Passion, celui de la Croix.

            (J’ai presque envie d’ajouter qu’il n’existe pas de rationalité évangélique, mais que c’est une phrase bien trop rationnelle pour être dire comme en catimini pendant une prédication… ça serait malhonnête.)

            Ceci étant dit, nous pouvons revenir à notre texte du jour et aux questions qu’il pose. Ces gens, venus en foule…  ont très profondément ému Jésus, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger.

            Nous avons une description de la formation de cette foule. Jésus et ses disciples sont vus, reconnus alors qu’ils partent en barque, quelques-uns dans la foule connaissant le littoral devinent la destination de la barque et de là, la nouvelle circule à une vitesse considérable, puis les gens accourent et s’entassent. Cela évoque la description que Zola donne des bousculades de clientèle féminine dans les grands magasins – Au bonheur des dames. Cela a dû évoquer à Marc les mouvements de panique et d’entassement qui peuvent s’emparer de troupeaux d’ovins, et parfois les conduire nulle part, à leur perte… faute de bon berger.

            Ces gens donc, sont comme des brebis sans berger, compressés, sans rien à boire ni à manger, 5000 hommes. Bien sûr, la rumeur annonce qu’un homme aux pouvoirs considérables va passer par là, ce qui justifie peut-être le déplacement. Mais n’oublions pas que les lecteurs que nous sommes sont infiniment mieux renseignés que la foule. Se risque-t-on ainsi sur la foi d’une rumeur ? Et même si, dans notre récit, nous pensons que tous ces gens savent qui est le Monsieur, il n’en reste pas moins que se déplacer ainsi en foule sur un on-dit ressemble bien au comportement des brebis lorsqu’elles sont sans berger.

            Que ces gens fassent ce voyage – course et bousculade – pour Jésus nous suggère qu’ils peuvent faire ce même voyage pour n’importe qui d’autre et sur la foi de n’importe quelle autre rumeur, et c’est cela qui émeut profondément Jésus.

 

            C’est cela qui nous met sur la voie (une voie possible) de ce qui fut enseigné par Jésus ce jour-là, à ces gens-là. Ce jour-là, Jésus leur enseigna ce qu’il faut savoir pour ne pas se tromper lorsqu’on se choisit un berger.

            Une fois encore, les mots que Jésus a employés dans cet enseignement ne nous ont pas été transmis. Mais nous pouvons, une fois encore, simplement, faire référence à ce qu’il avait dit à ses disciples lorsqu’il les envoya en mission.

            Un berger digne de ce nom ne vous convoque pas en foule dans des lieux déserts, il vient vers vous là où vous vivez, et là il s’adresse à chacun. Un berger vient et s’en va, mais ne s’invite nulle part. Il ne réclame rien à personne. Tout ce qu’il donne, il le donne gratuitement. Aucune hospitalité ne lui est due, ni aucun salaire.

            Et puisque la carrière d’un tel berger est une carrière nomade, son enseignement doit, rapidement, rendre celui qui écoute capable de comprendre à qui il a affaire, et capable ainsi de choisir qui il veut suivre.

            Situation étrange toutefois, puisque nous avons parlé de brebis : la brebis pourra-t-elle jamais accéder à la sagesse nécessaire à ce choix ? Certains bergers diront qu’une brebis est une brebis et reste toujours une brebis, et que pour la durée entière de sa vie elle doit être guidée par un berger qu’elle ne choisit pas et que ce berger sait précisément ce qui est bon pour elle.

            D’autres bergers diront qu’une brebis peut apprendre, devenir suffisamment intelligente pour mener sa propre vie, que si elle choisit un berger, ce ne peut pas être pour parcourir un chemin plus sûr mais un chemin plus beau. Un chemin dont le parcours n’a pas besoin d’être vérifié, ni conforme à telle ordonnance, ni même conforme aux Saintes Écritures, car ce chemin s’invente et doit être découvert chaque jour. Cette existence porte un nom qui n’est pas un nom agricole. Cette existence s’appelle vivre par la foi. Nous sommes appelés à cette existence. Amen