dimanche 2 novembre 2014

Le grand commandement dans la Loi... (Matthieu 22,34-40)

Matthieu 22
34 Apprenant qu'il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent.
35 Et l'un d'eux, un légiste, lui demanda pour le tenter :
36 «Maître, quel est le grand commandement dans la Loi?»
37 Jésus lui déclara: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.
38 C'est là le grand, le premier commandement.
39 Un second est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 A ces deux commandements est suspendue toute la Loi, et les Prophètes.»

Prédication :
                «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. 38 C'est là le grand, le premier commandement. 39 Un second est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 40 A ces deux commandements est suspendue toute la Loi, et les Prophètes. » Et que se passa-t-il une fois que Jésus eut donné cette magistrale réponse ? Rien, rien du moins qui fût directement lié à ce qui était en débat, le grand commandement de la Loi. Le petit fragment de récit s’arrête… C’était une tentation, piège et mise à l’épreuve, et Jésus ne s’est pas laissé prendre.
            Reste au lecteur à s’interroger. Le texte parle d’une tentation. En quoi la question posée était-elle une tentation ?

            Tout d’abord, tâchons de comprendre ce que signifie la question posée. Qu’est-ce que le grand commandement ? Le grand commandement, c’est celui auquel sont référés tous les autres commandements et à l’aune duquel s’évaluent toutes les interprétations et toutes les mises en œuvres de tous les autres commandements. Toute la Loi et les prophètes sont, comme on l’a lu, suspendus au grand commandement ; cela signifie tout clairement que sans le grand commandement, toute la parole, toute la pratique religieuse est vaine, morte, tombe et se décompose comme une feuille à l’automne…
            Quel est donc le grand commandement dans la Loi ? La Loi, la Loi juive, n’est pas composée seulement des cinq premiers livres de la Bible que nous connaissons, mais aussi en ce temps-là des milliers de commentaires canoniques, qui se transmettent oralement de maître à disciples, et qui sont autant d’interprétations et d’interprétations d’interprétations, une somme qui représente imprimée plus d’une dizaine de gros volumes. Quel est le grand commandement dans tout cela, demande-t-on à Jésus ?

            La question posée à Jésus est une tentation. Souvenons-nous du 4ème chapitre de Matthieu. « Jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre. » La tentation, c’était proposer de choisir le verset particulier qui répond adéquatement au problème posé…
            Quel est le grand commandement ? On attend un verset et c’est une tentation, un piège, parce que répondre par un verset revient à choisir, à se choisir un verset biblique précis pour une application religieuse précise, dans le but d’obtenir un effet précis. Ce genre de choix est typiquement un choix idolâtre. Et puis choisir un verset revient aussi à délaisser tous les autres, tous les autres que l’Esprit et nos Pères ont jugé bon de nous transmettre ; délaisser, même momentanément, ou abaisser tous les autres commandements, c’est une définition du reniement. Quel est le grand commandement ? La question posée est donc une double tentation, tentation certes du pouvoir, mais au prix de l’idolâtrie et du reniement.
Et puis, pour s’interroger plus simplement, pourquoi un commandement serait-il grand plutôt qu’un autre ? Imaginez la scène : le spécialiste des Saintes Ecritures interroge, Jésus répond, et le spécialiste objecte, et Jésus objecte au spécialiste ; on imagine une discussion d’une durée considérable, insupportable pour ceux qui, pendant ce temps, voudraient juste un sourire ou un peu de considération…
Vous voyez donc que la question posée, celle du grand commandement, est une tentation, dans le sens où elle est un piège : on tombe dedans et l’on ne s’en sort plus…

La question posée, celle du grand commandement, est aussi une tentation dans le sens où elle est une épreuve, une épreuve de la cohérence de la vie de Jésus, une épreuve de la cohérence même de l’évangile de Matthieu, avant d’être, nous y viendrons, une épreuve de la cohérence de la vie du disciple, et du lecteur.
Jésus, dans le 5ème chapitre de Matthieu, déclare qu’il est venu non pas pour abolir, mais pour accomplir. Dans le même chapitre il déclare que pas un i ni un point sur un i ne doit être omis dans la pratique quotidienne de la Loi. Comment donc Jésus serait-il cohérent avec lui-même s’il déclarait que tel commandement, choisi dans la Loi, est le grand commandement ?

Ceci étant dit, la tentation est là : «  Quel est le grand commandement dans la Loi ? »  Et il s’agit d’y faire face : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée, 38 c'est là le grand, le premier commandement, 39 un second est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Nous n’avons aucune hésitation à avoir : c’est bien dans la Loi que tout cela se trouve, et cela fait bien un seul commandement, sous la forme de deux impératifs, qui sont déclarés semblables. Est-ce pourtant dans la Loi qu’on trouve que ces deux impératifs sont semblables ? Oui, si l’on veut bien ne pas limiter la Loi à des collections juridiques, oui, si l’on veut bien la lire en tant que totalité, oui, si l’on prendre en considération aussi les grands récits. L’impératif de l’amour du prochain, semblable à l’impératif de l’amour de Dieu, apparaît par exemple avec une force considérable lorsque Moïse, après l’épisode du veau d’or, intercède pour le peuple, par amour pour le peuple et apaise Dieu, par amour de Dieu, alors que Dieu est au paroxysme de la colère (Exode 32). Le grand commandement dans la Loi existe donc bien, avec ses deux impératifs semblables, aimer Dieu, aimer le prochain.
Mais aimer, qu’est-ce que cela signifie ? Nous sommes au Proche-Orient, et, en culture hébraïque. Ceci pour dire qu’aimer n’est pas un sentiment – pas seulement, et peut-être même pas du tout. Un vassal doit aimer son suzerain, pas en sentiments, mais en pratique. Et Jésus, avec son premier impératif d’aimer, parle d’aimer totalement : tout le cœur (c'est-à-dire les sentiments), toute l’âme (ce qu’on a de vivant, la force vitale qui nous habite), toute la pensée (ce qu’on a d’intelligence et de raison). Alors, aimer Dieu, totalement ? Chacun doit méditer pour lui-même. Est-ce ainsi que j’aime Dieu, totalement : raison, intelligence, forces et sentiments tout entiers consacrés à Lui ? Amour impossible ? Non… amour possible pour certains croyants sincères, nous pouvons même imaginer de braves Pharisiens aimant réellement ainsi Dieu. Mais il faut rajouter qu’il est assez facile de choisir Dieu, mais qu’on ne vit pas tout seul, ni par soi-même. Il y a le prochain… Le prochain, l’autre être humain, le différent, hasard de la vie, pas toujours un cadeau… le prochain, on ne le choisit pas.
Alors, aimer le prochain ? En plus d’aimer Dieu, aimer le prochain, du même amour pourtant tout entier déjà dévoué à Dieu. Aimer le prochain, et comme toi-même, avec autant de considération, d’indulgence, de complaisance pour lui que pour toi-même… ce prochain, pas un cadeau tout le temps, et qu’on ne choisit pas. Que chacun, une fois encore, médite sur son amour du prochain. C’est bien cet amour du prochain, d’un prochain qui peut être un malade, un enfant, un disciple, mais aussi un traitre, un juge, une foule en délire, un bourreau… c’est bien cet amour du prochain qui conduira Jésus à se donner et à souffrir sa passion.

Ainsi, le grand commandement, avec ses deux impératifs identiques, aimer totalement Dieu et aimer le prochain comme soi-même, est là, devant les ennemis  et les amis de Jésus (qui est ami, qui est ennemi ? où sont les gens sincères, ou sont les hypocrites ?). Le grand commandement est devant les lecteurs d’aujourd’hui. Et on est tout petit devant le grand commandement. Tout petit… très petit. Peut-être idolâtre, peut-être apostat. Mais, dans la Loi et les Prophètes, il n’y a pas que le grand commandement. Il y a aussi l’inépuisable miséricorde, le signe sur le front de Caïn, l’attente de la fin de l’exil, et l’espérance…
Aimes-tu, interroge le grand commandement ? Qu’il me soit donné d’aimer, et puisses-tu, mon Dieu, toi qui sais toutes choses, me venir en aide. Amen