dimanche 3 mai 2015

Dieu aime le monde... et le monde, lui, aime-t-il Dieu ? (1 Jean 3,14-20 ; 1 Jean 4,7-21)

1 Jean 3
14 Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort dans la vie, puisque nous aimons nos frères. Qui n'aime pas demeure dans la mort.
15 Quiconque hait son frère est un meurtrier. Et, vous le savez, aucun meurtrier n'a la vie éternelle demeurant en lui.
16 C'est à ceci que désormais nous connaissons l'amour: lui, Jésus, a donné sa vie pour nous; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères.
17 Si quelqu'un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, et qu'il se ferme à toute compassion, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui?
18 Mes petits enfants, n'aimons pas en paroles et de langue, mais en acte et dans la vérité;
19 à cela nous reconnaîtrons que nous sommes de la vérité, et devant lui nous apaiserons notre cœur,
20 car, si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout.

1 Jean 4
7 Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu.
8 Qui n'aime pas n'a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour.
9 Voici comment s'est manifesté l'amour de Dieu au milieu de nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui.
10 Voici ce qu'est l'amour: ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d'expiation pour nos péchés.
11 Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
12 Dieu, nul ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour, en nous, est accompli.
13 À ceci nous reconnaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous: il nous a donné de son Esprit.
14 Et nous, nous l’avons contemplé, et nous en témoignons : le Père a envoyé son Fils Sauveur du monde.
15 Quiconque confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
16 Et nous, nous connaissons, pour y avoir cru, l'amour que Dieu manifeste au milieu de nous. Dieu est amour: qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.
17 En ceci, l'amour, parmi nous, est accompli, que nous avons pleine assurance pour le jour du jugement, parce que, tel il est, lui, tels nous sommes, nous aussi, dans ce monde.
18 De crainte, il n'y en a pas dans l'amour; mais l’amour parfait rejette la crainte, car la crainte implique un châtiment; et celui qui craint n'est pas parfait dans l'amour.
19 Nous, nous aimons, parce que lui, le premier, nous a aimés.
20 Si quelqu'un dit: «J'aime Dieu», et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur. En effet, celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne peut pas aimer Dieu, qu'il ne voit pas.

21 Et voici le commandement que nous tenons de lui: celui qui aime Dieu, qu'il aime aussi son frère.


Prédication : 
            L’histoire de Dieu avec le monde est une histoire d’amour. C’est ce que les fondateurs de l’Eglise réformée de France ont retenu, en 1938, lorsqu’ils ont considéré que « la révélation centrale de l’Evangile » se trouvait exprimée dans un verset : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils, unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3,16). Ils ont inscrit ce verset au cœur de la déclaration de foi qu’ils ont approuvée tous ensemble.
            Parler de ce verset comme de la révélation centrale de l’Evangile appelle une observation, et une question.
            L’observation, la voici : lorsqu’on dit d’une révélation qu’elle est la révélation centrale de l’Evangile, on dit qu’il n’y en a pas de plus centrale, de plus profonde ni de meilleure. Et s’il advient que quelqu’un ait une autre révélation, que se passe-t-il ? La première épître de Jean, écrite à l’occasion d’une grave crise ecclésiastique, nous permet de méditer sur cette idée de révélation.
            Voici maintenant la question. L’histoire de Dieu avec le monde est une histoire d’amour : Dieu aime le monde. Mais le monde, lui, aime-t-il Dieu ? Tout en méditant ces versets de la première épître de Jean, nous essayerons d’approfondir cette question, et, surtout, de nous la poser à nous-mêmes.

            Commençons par notre observation. La révélation centrale de l’Evangile, telle que la formule la 1ère épître de Jean est énoncée ainsi : « Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au milieu de nous : Dieu a envoyé son fils, unique, dans le monde, afin que nous vivions par lui. » C’est presque exactement ce que l’évangile de Jean affirme. Cette révélation centrale n’est pas mise en mots tout à fait gratuitement ; tout texte est composé dans des circonstances particulières. La 1ère épître de Jean est composée dans des circonstances qui sont déchirantes. Il y avait une communauté rassemblée autour d’une révélation, celle que nous venons de rappeler, puis, certains, au sein de cette communauté, se sont mis à se réclamer d’une autre révélation que la précédente. Ils l’ont prétendue meilleure, plus accomplie, et définitive.
Alors, oui… on ne pourra jamais empêcher quelqu’un d’affirmer qu’il a eu, lui, une révélation meilleure que celle dont vous vous réclamez vous. D’une certaine manière, c’est tant mieux, la divinité de Dieu inclut sa liberté de s’adresser comme il veut, quand il veut, à qui il veut. Mais d’une autre manière, cette liberté est la porte ouverte à toutes sortes d’affirmations d’inégale valeur, à toutes sortes de possibles séductions, à de réelles sottises voire de monstruosités…
            Au moment où la 1ère épître de Jean est rédigée, certains se réclament d’une première révélation, d’autres d’une seconde révélation. Nul n’a jamais vu Dieu, disent les premiers ; nous, nous l’avons vu, affirment les seconds. Jésus Christ est venu en chair, un vrai homme, affirment les premiers ; non, il était un pur esprit, affirment les seconds. C’est Dieu qui nous a aimés le premier et nous l’aimons parce qu’il nous aime, affirment les premiers ; non, c’est nous qui avons aimé Dieu et nous l’aimons pour qu’il nous aime, répondent les seconds… Résumons cette seconde révélation : Jésus était un esprit qui nous a enseigné la connaissance supérieure d’un Dieu qui est lui-même esprit, que nous devons aimer, et auquel un parcours initiatique peut nous faire accéder ; en quoi nous possédons un savoir qui nous rend supérieurs au reste des humains.
            Cette révélation a séduit, nous le lisons en creux, une grande partie de la communauté. Et cela a été l’occasion de tensions, puis de conflits, violences verbales sans doute, physiques peut-être aussi, puis de scissions, puis de haines. Et par-delà les belles convictions et les vilains mots, se pose un problème : un frère, un semblable, dans la misère noire, mais qui ne se réclame plus de la même révélation que vous, doit-on le secourir ? Ce problème est posé aux uns comme aux autres. La vie réelle s’invite dans ces affaires de révélation, de doctrine et d’intime conviction : que professes-tu ? comment agis-tu ? qui est ton frère ? que feras-tu pour lui ?  

            Nous avions annoncé une observation sur la révélation centrale de l’Evangile, et une question. Nous sommes arrivés au moment de nous rappeler cette question : Dieu aime le monde, c’est entendu, mais le monde aime-t-il Dieu ? Avant de tenter de répondre, méditons un peu – avec la première épître de Jean que nous venons de lire – sur l’amour dont Dieu aime le monde.
Ça n’est pas si simple que cela, d’affirmer que Dieu aime le monde, surtout que, comme l’épître le rappelle, Dieu, nul ne l’a jamais contemplé ; nul ne peut se déclarer intime de Dieu et affirmer qu’il sait tout de Lui. Ceci pour introduire que tout ce qu’on professe au sujet de Dieu relève d’une révélation, c'est-à-dire de l’intime conviction.
Dieu aime le monde. Et l’épître déclare qu’en raison de cet amour, Dieu a envoyé son fils unique dans le monde – et l’on sait ce que le monde fit de ce fils... Pour bien saisir la profondeur de l’engagement de Dieu envers le monde, rappelons que le fils est unique : Dieu lui-même n’en a pas deux. Dieu, qui est UN,  aime, et un véritable amour ne se dédouble pas. Il se donne, entièrement. Il est entièrement livré entre les mains de ceux à qui il se donne. Ainsi en est-il de l’amour. Dieu est amour, Dieu aime le monde…
            Et le monde, lui, aime-t-il Dieu ? Il ne s’agit pas de répondre à la place du monde. Il est trop facile de regarder l’état du monde, de regarder ce que les gens font d’eux-mêmes et font à leurs semblables, puis de conclure que le monde n’aime pas Dieu. C’est trop facile de procéder ainsi, parce que la question n’est pas posée au monde. La question est posée à ceux qui croient et professent que Dieu aime le monde. Ce n’est pas une question abstraite sur Dieu, mais une question concrète posée à ceux qui croient en lui.
Selon l’épître de Jean, aimer Dieu que nul n’a jamais vu n’est qu’un mensonge si l’on n’aime pas ce monde que l’on ne cesse jamais de voir. Autrement dit, la proclamation de l’amour de Dieu pour le monde est, pour celui qui la proclame, une brûlante question : toi qui crois et professes que Dieu aime le monde, aimes-tu le monde ? L’aimes-tu, non pas en sentiment seulement, car l’amour de Dieu n’est pas un sentiment seulement mais un engagement, total, définitif ? Ce monde, l’aimes-tu ainsi ?
Mais le monde, c’est encore trop vague, ou trop vaste. L’épître de Jean restreint la question à un champ plus étroit : le proche, le semblable, le frère. Mais pas n’importe quel frère : aimes-tu, toi qui professes que Dieu aime le monde, ce frère qui, depuis qu’il se réclame d’une autre révélation que la tienne, te regarde de haut ? L’aimes-tu – concrètement – c’est à dire en engagement, en solidarité, ou bien, parce qu’il se réclame d’une révélation autre que la tienne, le regardes-tu de haut toi aussi ? Alors, que donnes-tu, que consacres-tu à ce frère, sans certitude qu’il le reçoive, sans espérance même de réciprocité ? Et s’il vient à t’exclure de la communauté, l’aimeras-tu encore ?
L’épître de Jean, au nom même de ce qu’elle professe, l’amour de Dieu pour le monde, ose déclarer caduque toute profession de foi – y compris la sienne propre – qui ne serait pas soutenue par un témoignage d’amour cohérent et concret. Dieu aime le monde n’a de signification réelle que lorsque ceux qui le professent aiment, et concrètement, en actes – pas en sentiments et en paroles seulement – ceux qui se sont éloignés de la communauté, voire ceux qui les excluent de la communauté.

Sœurs et frères, nous professons cet amour, l’amour de Dieu pour le monde. Et notre profession de foi ne peut faire exception de personne. Aimons-nous ainsi ? Notre cœur, peut-être, nous accuse. Mais Dieu, qui aime le monde, est plus grand que notre cœur. Il s’est totalement donné au monde et son amour ne saurait faillir.
Et puis, osons le dire, chaque geste minuscule que nous accomplissons pour notre semblable, pour notre frère, est une esquisse de la révélation tout entière.
Que Dieu nous vienne en aide.