dimanche 22 décembre 2019

Noël et la Trinité (Matthieu 1,18-25 et Matthieu 28,19-20)

Matthieu 1

18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu'ils aient habité ensemble, fut trouvée enceinte du Saint Esprit.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient du Saint Esprit,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète:
23 Voici que la jeune femme concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu avec nous».
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui sa femme,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.


Matthieu 28

19 Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.»

Et vous pourrez aussi lire les 17 premiers versets de Matthieu 1. Alors vous aurez lu deux récits de l'origine de Jésus Christ, la généalogie paternelle, et la généalogie maternelle.

Prédication
            Et voilà, nous avons encadré l’évangile de Matthieu : le premier chapitre, tout entier, et les deux derniers versets. Pourquoi ces deux derniers versets ? A cause du Saint Esprit. Parce que c’est l’avant-dernier verset de l’évangile de Matthieu et que qu’une certaine formule apparaît là sans que rien ne semble l’avoir annoncée. Parce que nous répétons « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » chaque fois que nous baptisons, en étant plus ou moins conscient que c’est une citation de l’évangile de Matthieu, en étant plus ou moins au courant de ce que cela peut signifier. Parce que d’autres plus encore que nous utilisent cette formule plusieurs fois dans chacun de leur office. Parce que c’est pour certains l’inévitable point de départ de toute théologie possible, et que c’en est aussi le point de vérification.

            Nous avons choisi ces textes parce que, pour ce 4ème dimanche de l’Avent, il nous est proposé de lire ce fragment du 1er chapitre de l’évangile de Matthieu où le Saint Esprit occupe une place pour le moins importante : Marie fut trouvée enceinte du Saint Esprit.

            Que signifie être enceinte du Saint Esprit ? Nous pensons d’abord à un autre récit, celui de l’évangile de Luc, qui fait se rencontrer Marie et l’ange Gabriel lequel est chargé de lui annoncer une prochaine grossesse. L’ange, devant la déclaration étonnée de Marie – je n’ai couché avec aucun homme – lui annonce « la puissance du Très-Haut te couvrira d’ombre… ». C’est un peu poétique, peu explicite, et ça n’est pas une explication. C’est en fait une sorte de superlatif de la conception aussi inattendue qu’impossible ; plus impossible encore que les grossesses de femmes trop âgées ou réputées stériles, comme Sarah, ou comme Élisabeth. Car rien n’est impossible à Dieu. Mais, sur le fond, citer Luc pour expliquer Matthieu, cela revient à remplacer une formule théologique par une autre formule théologique, ce qui n’est pas du tout satisfaisant.
            Voici donc une autre piste. En ce temps-là, il arrivait certainement que des femmes soient trouvées enceintes et refusent de répondre à la question : « De qui est cet enfant ? » Ces enfants venaient donc au monde ; comment désignait-on ces enfants ? Est-ce que, parmi les quolibets, ou autres insultes, on les affublait de noms fantastiques (enfants d’Hermès, auraient dit les Grecs) ? J’entends bien que cette piste est un rien scandaleuse : la grossesse de Marie ne devrait rien à priori au surnaturel, mais serait le résultat d’un événement qu’on pourrait éventuellement imaginer violent. Et ainsi Jésus serait l’enfant d’un homme et d’une femme, mais de cette sorte d’enfants qu’à l’époque on qualifiait d’enfant du Saint Esprit, par dérision, ou par mépris. Cet enfant aurait été un pas grand-chose, un moins que rien. Il serait l’un de ces petits dont il plaît à Dieu de se servir pour accomplir ses plus hauts desseins, comme Gédéon le Juge qui ne voulut pas être roi, comme David, le petit berger qui devint roi, comme Amos, comme Elisée, etc. Quant à Joseph, il serait l’homme sage, pieux, un homme prévenant qui sait à quel sort funeste est exposée la jeune fille s’il la diffame publiquement. Et il serait aussi l’homme hésitant auquel l’ange du Seigneur – c'est-à-dire Dieu lui-même – viendrait dire « Ne crains point… car ce qui a été engendré en elle vient du Saint Esprit. » Alors Joseph, fils d’Abraham et fils de David, obéirait. Et ce qui était quolibet ou insulte deviendrait, Dieu voulant, Dieu prenant les humains au mot, salut pour tout un peuple. 

            Est-ce que tout cela tient ? Oui, si nous considérons que les premiers destinataires de l’évangile de Matthieu sont des gens pétris de culture hébraïque, connaisseurs de l’Ancien Testament. Tout ce récit est composé dans un style et avec des éléments qui leur sont familiers. Ils peuvent entrer dans ce récit, ils peuvent le comprendre. Et comme nous avons, nous aussi, lu l’Ancien Testament, nous poursuivons notre lecture.
            Dans l’Ancien Testament, il y a des textes qui racontent une petite aventure d’un personnage important – par exemple l’un des patriarches – petite aventure qui se finit par l’invention d’un nom, nom d’un lieu, ou nom d’une personne, ou par l’invention d’un rite particulier. Un lieu ainsi s’appellera BethEL (maison de Dieu), un autre lieu s’appellera PenouEL (face de Dieu).
            En pensant à ce genre de récit, et en pensant en même temps à l’évangile de Matthieu dans son ensemble, nous pouvons nous dire que tout cet évangile, toute cette histoire de 28 chapitres, est composée dans le but d’introduire et d’expliquer le commandement de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.

            De cette formule, nous avons déjà une explication, dans le rituel de baptême que notre Église a approuvé en 1997 : « Votre enfant va être baptisé au nom du Père, qui lui a donné le souffle de la vie ; au nom du Fils, Jésus Christ, mort et ressuscité pour lui, (qui) l’appelle à son service ; au nom du Saint Esprit, qui fera naître en lui la foi, l’espérance et l’amour. » C’est beau, c’est concis, et facile à mémoriser. C’est aussi un résumé consistant de ce que nos traditions portent de meilleur (Genèse, évangiles, Paul…) ; cela peut aussi donner lieu à quantité de redéploiements. Mais dans cette explication de la formule, nous ne retrouvons pas Matthieu.
Voici donc une autre interprétation de la formule – une esquisse – qui parle de l’être humain, en tâchant d’être fidèle à Matthieu. Baptiser un enfant au nom du Père, c’est signifier qu’il est – provisoirement – le dernier maillon d’une généalogie ; il est fils de… et cela le détermine de bien des manières, et bien au-delà des deux ou trois générations ordinairement connues. Baptiser un enfant au nom du Fils, c’est signifier qu’il est situé, avec ses contemporains, sœurs et frères humains, à l’intersection singulière de toutes sortes d’éléments culturels, qu’il respire avec eux un air du temps qui le détermine aussi en bien des manières. Baptiser un enfant au nom du Saint Esprit, c’est affirmer qu’en plus de ces déterminations, l’être humain reçoit dès sa naissance et jusqu’à sa mort des capacités d’invention qui font qu’en dépit de tout il peut renouveler ce qui lui est donné comme acquis, et qu’il peut aussi inventer, découvrir, créer. Lignée, fratrie, liberté, ce serait une première interprétation de Père, Fils et Saint Esprit.
            Et voici une seconde esquisse, qui parle plutôt de Dieu. Baptiser au nom du Père, c’est affirmer que Dieu est recherché et se révèle dans les traditions que nos anciens ont recueillies et construites. Au nom du Fils, c’est affirmer que Dieu est recherché et se révèle dans les usages qui ont cours au sein d’une même génération. Au nom du Saint Esprit, qu’en dépit de toutes les traditions qui se perdent et des usages qui se figent, Dieu est absolument libre, à n’importe quel instant, de se laisser chercher, trouver, et réinventer. 

            Il nous reste encore un peu à penser, deux choses. D’abord, c’est que chaque fois qu’une nouvelle interprétation sérieuse de cette formule trinitaire va apparaître, il n’est pas loisible à celui qui s’en empare de ne s’emparer que d’un point qui l’arrangerait plus particulièrement, sauf si c’est après avoir bien réfléchi et dans des circonstances bien particulières. Ensuite, notre réflexion et nos esquisses ne portent que sur quelques versets de Matthieu. Il nous reste tout l’évangile de Matthieu, moins le premier chapitre – soit 27 chapitre moins deux versets – pour mettre à l’épreuve nos intuitions de ce matin.
Est-ce que l’année 2020 est une année où nous lisons Matthieu ? Si oui, nous en reparlerons le dimanche. Si non, nous en reparlerons en d’autres occasions.
           
            Sœurs et frères, en ce 4ème dimanche de l’Avent 2019 – et je vais joindre le geste à la parole – que le Dieu Tout Puissant vous bénisse, (+) au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit. Amen