dimanche 1 décembre 2019

Soyez prêts (Matthieu 24,37-44)... Prêts à quoi ?


Matthieu 24
37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme;
38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,
39 et on ne savait rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.
40 Alors deux hommes seront aux champs: l'un est pris, l'autre laissé;
41 deux femmes en train de moudre à la meule: l'une est prise, l'autre laissée.
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.
43 Vous le savez : si le maître de maison savait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.

44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.
Prédication :

J’ai en moi quelques souvenirs d’un conférencier chrétien que j’ai pu entendre vers l’été 1975, ou 1976, qui nous avait prédit pour très bientôt une apocalypse nucléaire qui aurait été le prélude au retour de Jésus. C’était assurément pour très bientôt. Cette prédiction n’avait guère effarouché le petit groupe auquel j’appartenais alors. Lorsque nous chantions Jésus revient, Alleluia… Seras-tu prêt quand il viendra, Alleluia… nous étions certains que oui, nous serions prêts, en fait, nous étions certains que nous étions prêts… Et dans le ciel, il te prendra, Et avec lui, tu règneras, Et à ses pieds tu te tiendras… J’ai un peu oublié qui était ce conférencier – j’ai un doute entre deux noms – mais je me souviens d’une extraordinaire accumulation de savoir et de certitudes. Je ne me souviens pas qu’il soit attardé sur le fait que de deux hommes travaillant aux champs, l’un serait pris et l’autre laissé. Ça nous aurait peut-être aidés à réfléchir…
S’agissant de textes de la fin des temps, nous sommes gâtés. La Bible n’est pas pauvre, ancien testament et nouveau testament. Hors la Bible, des dizaines de textes apocalyptiques ont été conservés, qui sont plus riches encore de soi-disant mystères révélés, et d’horreurs bien détaillées. L’imagination des êtres humains est absolument sans limites, autant pour dire que pour faire.
Et voici que nous trouvons ce style de discours dans la bouche même de Jésus. Jésus lui-même, et les auteurs des évangiles, auraient-ils cherché à étaler leur savoir, à impressionner leurs auditeurs, leurs lecteurs… Tâchons de voir ça de plus près. Des huit versets de Matthieu qui nous sont proposés ce matin, faisons trois parties. 
Un certain prédicateur...
Première partie : « tels furent les jours de Noé… ». Nous avons tous des souvenirs précis du récit du Déluge. Nos monitrices d’école biblique ont aimé nous conter, nous faire illustrer… ce récit. C’est un récit à l’arithmétique cruelle : tous périrent sauf un. Nous lisons : « Tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils de l’homme ». A l’avènement du Fils de l’homme, tous vont-ils périr, sauf un ? Et non, un homme sur deux sera pris, mais on ne sait pas lequel, une femme sur deux sera prise, mais on ne sait pas laquelle. Le Fils de l’homme adviendra-t-il comme vint le déluge ? Le mot avènement pourrait être remplacé par le mot de parousie – un mot qui ne traduit rien du tout, puisqu’il recopie le grec parousia ; mais ce mot grec signifie parfaite présence. La parfaite présence du Fils de l’homme ne vient pas comme vient le Déluge, comme les eaux montent pendant quarante jour et quarante nuits, puis descendent pendant quarante jours et quarante nuits. La parfaite présence est là, dans l’instant, inentamée, pleine, entière, et ne cesse plus. Ainsi, les différences entre les jours de Noé et l’avènement du Fils de l’homme s’avèrent massives. Ajoutons qu’il n’est pas écrit qu’aux jours de Noé, « on ne se doutait de rien », nous devons lire qu’aux jours de Noé, on ne savait rien. Et c’est bien là qu’il faut comprendre que « tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils de l’homme » : on ne sait rien, absolument rien ! Le savoir du Déluge ne sait rien, absolument rien, de l’avènement du Fils de l’homme.
Portrait d'un innocent ignorant...
Deuxième partie : « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir. Vous le savez, si le maître de maison savait l’heure de la nuit où le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison. » Trois fois le verbe savoir, deux fois le verbe venir… Bien sûr, il faut veiller, car nous ne savons pas quel jour notre Seigneur va venir. Mais peut-on veiller ainsi, jour et nuit ? Il est extrêmement dangereux de se priver de sommeil. Notre Seigneur, qui a eu tant soin de ses semblables, peut-il leur donner un tel commandement ? S’il donne ce commandement, pourquoi rajoute-t-il, en redoublant le verbe savoir, que « vous savez bien que si le maître de maison savait à quelle heure de la nuit le voleur va venir, il veillerait » ; or le maître de maison ne le sait pas et, conséquemment, il ne veille pas. Alors, dans l’attente de la venue du Fils de l’homme, faut-il veiller, ou ne pas veiller ? La réponse serait plutôt négative, surtout s’agissant de la nuit. Précisons encore que le mot jour ne signifie pas nécessairement la journée calendaire à laquelle nous pensons spontanément, mais bien plutôt la journée, c'est-à-dire le temps pendant lequel il fait jour. Vous pouvez donc vous endormir tranquilles ! Il viendra pendant la journée, pendant qu’il fait clair, pendant que les humains sont à leurs activités. C’est un petit savoir, mais reste à savoir dans quelles dispositions d’esprit ceux qui attendent doivent se trouver.
Troisième partie : « C’est pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c’est à l’heure que vous ignorez que le Fils de l’homme va venir. » Dans cette troisième partie, nous nous intéressons d’abord à l’adjectif prêts. Tenez-vous prêts, ou, mieux, soyez prêts. Apparemment simple, l’adjectif prêt utilisé par l’évangile de Matthieu est en réalité très riche de significations. Il désigne à la fois l’état de préparation dans lequel on est, mais aussi l’état d’avancement de ce à quoi l’on est prêt ; ce à quoi l’on est prêt peut être réalisé déjà, ou être sur le point d’être réalisé, ou doit être réalisé un jour lointain. Autrement dit, la venue du Fils de l’homme, que nous attendons sans en avoir aucun savoir, peut être un jour lointain, ou peut être imminente, ou peut être déjà accomplie. Resterait encore à se demander sous quelle forme. Et bien, ce que nous pouvons comprendre, c’est que tout ce que l’imagination individuelle peut produire et tout ce que la pensée commune peut véhiculer est sans correspondance aucune avec la venue du Fils de l’homme. 
En attendant l'advenue du Fils de l'homme
Voici donc qu’en huit versets, tout ce que nous savions de la venue du Fils de l’homme, de la fin des temps, tout ce qu’ont pu nous en dire des prédicateurs spécialisés, s’effiloche, s’évanouit.
Et pourtant, cette venue, nous l’attendons, sans aucun savoir, nous l’attendons. Notre lecture, notre compréhension de la parole de Jésus, vient contester tous les prétendus savoirs de la fin des temps, de la venue du Fils de l’homme. Mais en même temps, elle ouvre tout en grand une espérance pour chacune et chacun. L’espérance est ce qui se déploie au-delà des savoirs biffés et des illusions perdus.
Peut-être quelqu’un estimera que le Fils de l’homme est déjà advenu ; mais nous attendrons encore le Fils de l’homme. Si nous reconnaissons sa venue dans tel événement passé, nous l’attendrons encore. Car ce que nous avons compris c’est que le point culminant de l’ignorance est aussi le point culminant du concret de l’incarnation. Le point culminant de l’incarnation est aussi le point culminant de l’espérance.

Dans cette espérance, dans cette incarnation, s’agissant de la venue du Fils de l’homme et à la fin de notre méditation, nous n’avons qu’une seule perspective : tenir bon à notre tâche, avec les yeux grands ouverts sur ce monde. Contrairement à certaines apparences, contrairement à ce qu’assènent certains, Dieu ne l’a pas abandonné. Amen