Marc 16
1 Quand le sabbat fut
passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des
aromates pour aller l'embaumer.
2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine,
elles vont à la tombe, le soleil étant levé.
3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera
la pierre de l'entrée du tombeau?»
4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre
est roulée; or, elle était très grande.
5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à
droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de
frayeur.
6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous
cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité,
il n'est pas ici; voyez l'endroit où on l'avait déposé.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il
vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »
8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau,
car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à
personne, car elles avaient peur.
Prédication :
Pâques !
Jésus est ressuscité ! Nous ne pouvons
pas commencer une prédication de Pâques autrement que par cette proclamation.
C’est cette proclamation que l’ange fait aux femmes. Jésus de Nazareth, celui qui
avait été crucifié, cloué, immobilisé pour toujours… est ressuscité et il n’est
pas là où on l’avait déposé. L’ange le dit aux femmes ; il le dit dans un
tombeau situé aux portes de Jérusalem ; Jésus le ressuscité n’est pas
ici ; il n’est pas ici où on l’avait enfermé et d’où il n’aurait jamais dû
sortir. Il vous précède en Galilée, et c’est là, affirme l’ange, que vous le
verrez, comme il vous l’a dit. Donc, rendez-vous en Galilée ! Où est la
Galilée ? La Galilée, 120 km au nord de Jérusalem. Rendez-vous en
Galilée ? Mais où, en Galilée ?
L’évangile
de Marc ne donne aucune indication. Il ne donne d’ailleurs aucune indication
non plus qui permettrait de localiser précisément le tombeau. La localisation précise du tombeau du ressuscité n’a strictement aucun
intérêt : c’est un tombeau vide et le ressuscité est ailleurs. Le
ressuscité est toujours ailleurs. Et même si quelqu’un vient à nous dire
« J’ai vu le ressuscité à tel endroit ! », nous pouvons le
croire, mais sachons bien le ressuscité est ailleurs. Jésus est en Galilée, et
la Galilée est ailleurs, toujours ailleurs ! Alors nous n’avons pas à nous
demander où est la Galilée, mais qu’est-ce que la Galilée. Elle n’est plus un
lieu géographique… pas d’avantage que Jérusalem. Dès lors que le rideau du sanctuaire
du Temple se déchire (Marc 15,38) il n’y a plus de lieu géographique sacré qui
tienne. Si bien que nous devons nous poser la question : « Qu’est-ce
que Galilée ? ». Mais nous devons aussi, et d’abord nous poser la
question : « Qu’est-ce que Jérusalem ? »
Qu’est-ce que
Jérusalem ? Jérusalem est un lieu où l’on bâtit un Temple, un Temple dont
on dit qu’il est le lieu de la divine présence. Jérusalem c’est un haut lieu de
l’inspiration religieuse, mais c’est aussi un haut lieu de l’aliénation
religieuse. C’est là où se concentrent la dévotion la plus sincère, le service
religieux le plus humble, la servitude la plus totale et le pouvoir le plus
cynique. A Jérusalem on espère la présence divine, on la décrète même, mais
lorsque des hommes incarnent cette présence, on les assassine. On y érige des
temples qui deviennent des bunkers, des lieux d’adorations qui deviennent des
lieux d’idolâtrie, des maisons de prière pour les nations qui deviennent des
symboles de haine et des officines de vilain commerce. Jérusalem, ce n’est pas
un point sur l’atlas géographique, c’est là où la présence de Dieu, sa
puissance, son existence même sont en même temps les plus avérées et les plus
démenties, les plus indiscutables et les plus discutées. Nous ne nous demandons
pas où est Jérusalem. Tout lieu que les humains sacralisent, chaque endroit où un être humain prétend que c’est ici et nulle part
ailleurs peut se nommer Jérusalem.
Plus profondément que tout cela,
qu’est-ce que Jérusalem ? Jérusalem est le cœur de l’homme, là où ses
sentiments se forment, les plus vils, les plus violents, les plus ambigus, mais
aussi les plus généreux, les plus nobles et les plus purs. Le cœur de l’homme
est le lieu où la présence de Jésus Christ Fils de Dieu est la plus désirable,
la plus nécessaire, mais c’est aussi l’endroit que l’homme défend le mieux
contre cette présence…
Or, c’est à Jérusalem, dans le
cœur de l’homme, ce cœur mis à nu par la passion, c’est à
Jérusalem-le-cœur-de-l’homme que la première proclamation de la résurrection est donnée, mais Jérusalem-le-cœur-de-l’homme est
aussi le lieu de la peur et du silence.
Puisse l’heureuse nouvelle de la
résurrection de Jésus Christ Fils de Dieu entrer dans Jérusalem, entrer dans
les cœurs, n’y point trouver son tombeau, et en sortir…
Rendez-vous en Galilée, dit
l’ange, c’est là que vous le verrez.
Mais qu’est-ce que la
Galilée ? Souvenons-nous, maintenant, du commencement – selon Marc – de
l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu. C’est en Galilée que ça se passe.
C’est là que Jésus grandira, sera éduqué et instruit. C’est en Galilée que
Jésus, qui était Galiléen, appellera ses premiers disciples ; deux d’entre
eux étaient pêcheurs, un autre collecteur d’impôts… C’est là qu’ils auront tous
mené l’ordinaire de leur vie. Et c’est là aussi que tout le ministère ordinaire
de Jésus se déroulera. Certes, on le voit circuler, mais d’est en ouest, de
part et d’autre du lac de Tibériade, ou parfois, vers le nord, autour de
Césarée de Philippe, mais toujours dans le même périmètre, celui de l’ordinaire
de sa vie de prédicateur galiléen. Il mène cette vie jusqu’à sa soudaine et
fatale montée à Jérusalem.
Que feront les disciples de
Jésus, après la mort de leur maître ? Que feront ces Galiléens ? Le
bon sens permet de répondre : ils retourneront en Galilée. Ils
retourneront à l’ordinaire des jours, à leurs vies vie de pêcheurs, de
collecteur d’impôts, de cultivateur ou de berger, simples vies d’hommes et de
femmes de leur temps. Ils retourneront à leur agir quotidien.
Qu’est-ce que la Galilée lorsque
ce n’est plus un territoire du nord de la Palestine ? La Galilée, c’est
l’agir humain dans l’ordinaire des ses jours. Et la promesse de l’ange, conforme
à la parole du Christ, c’est que c’est là qu’ils le verront, sur leurs lieux de
vie, dans leur agir ordinaire.
Pourtant, le retour à la Galilée
n’est pas un retour ordinaire. Il y eut la Galilée avant Jérusalem ; il y
aura la Galilée après Jérusalem. Le retour en Galilée sous la simple pression
de la nécessité et de l’habitude, c’est un retour à l’agir ordinaire, mais après
que la vérité du cœur a été mise à nu, après que les yeux ont été décillés, en
portant la blessure de ce qu’on est, mais en portant aussi les souvenirs de
l’enseignement du maître et la promesse qu’il a faite.
Oui… Ce qu’il y a dans le cœur de
l’homme, la Passion le révèle car elle déchire le cœur, puis la première
proclamation de la résurrection féconde ce cœur déchiré, et toute la suite de
la vie dans l’ordinaire des jours est donnée pour que ce cœur mûrisse.
Ainsi, au matin de Pâques,
l’intuition fondamentale du prophète Jérémie se vérifie. L’alliance n’est plus
inscrite dans les livres, dans les bâtiments, dans les traditions et les rites,
l’alliance n’est plus inscrite dans tout ça que les humains inventent et dont
si souvent ils mésusent, mais l’alliance s’inscrit dans les cœurs, des cœurs
brisés, vaincus, mais aussi fécondés et promis à la joie. Ceci, le matin de
Pâques, c’est, comme Marc le dit dès le premier verset de son évangile, le
commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu.
Pâques, c’est le commencement de
l’évangile – de la bonne nouvelle – de Jésus Christ Fils de Dieu : il est
ressuscité, il est vivant pour les siècles des siècles ! Amen