samedi 28 septembre 2024

Marc 9,38-48 (la liberté de Dieu)

 Marc 9

38 Jean lui dit: «Maître, nous avons vu quelqu'un qui chassait les démons en ton nom et nous l’en avons empêché parce qu'il ne nous suivait pas.»

39 Mais Jésus dit: «Ne l'empêchez pas, car il n'y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi.

40 Celui qui n'est pas contre nous est pour nous.

41 Quiconque vous donnera à boire un verre d'eau parce que vous appartenez au Christ, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense.

42 «Quiconque entraîne la chute d'un seul de ces petits qui croient, il vaut mieux pour lui qu'on lui attache au cou une grosse meule, et qu'on le jette à la mer.

43 Si ta main entraîne ta chute, coupe-la ; il vaut mieux que tu entres manchot dans la vie que d'aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas

45 Si ton pied entraîne ta chute, coupe-le ; il vaut mieux que tu entres estropié dans la vie que d'être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne

47 Et si ton œil entraîne ta chute, arrache-le; il vaut mieux que tu entres borgne dans le Royaume de Dieu que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne,

48 où le ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas.

Prédication :

            Y a-t-il quelqu’un qui, dans l’histoire de la chrétienté, serait resté dans les mémoires pour s’être infligé de telles mutilations ? Nous pouvons penser à certains auteurs chrétiens (Tatien le Syrien, 120-173) qui, dans le 2ème siècle de notre ère, avaient prôné et pratiqué un ascétisme extrême. Mais nous ne savons pas – je ne sais pas – quelles mutilations ils s’infligèrent… S’ils s’en infligèrent, ce ne fut pas dans une perspective judiciaire, perspective qui existe quelque part dans plusieurs textes sacrés, et qui est mise en œuvre encore aujourd’hui ici ou là dans notre pauvre monde. Si les ascètes du 2ème siècle s’infligèrent de cruelles mutilations, ce fut, semble-t-il, afin de lutter contre leur concupiscence. Pourtant on sait depuis toujours que ça n’est pas en châtiant le corps qu’on supprime le fantasme… Et ajoutons que si quelqu’un s’infligeait quelque mortification que ce soit afin d’entrer, comme on dit, dans le règne de Dieu, et qu’à cette mortification, ou à lui-même, il trouverait quelque mérite ou quelque gloire, mais se serait mortifié en pure perte. C’est un peu ce qui arriva au jeune Martin Luther, qui découvrit, pendant toute la première partie de sa vie, la vanité des douleurs qu’il s’infligeait.

            Tout ce que nous venons de dire pourrait nous conduire à mettre de côté, voire à rejeter, les versets de Marc que nous tâchons de méditer maintenant… trop d’exigence, trop de douleur, bénéfice nul.

 

            Mais avant de rejeter ces versets, observons-les encore un peu : il y avait quelqu’un qui chassait les démons au nom de Jésus, et que les disciples de Jésus empêchèrent d’agir, parce que ce quelqu'un ne les accompagnait pas.

            Quelle est donc cette raison que les disciples invoquent ? Accompagner le groupe constitué par Jésus et ses disciples, cela vous confère-t-il une sorte de permis de guérir ? Existe-t-il un salut en dehors de ce groupe ? S’exprimer au nom de Jésus est-ce réservé à ses seuls disciples, au Douze, ou à Jean ? Et la guérison accomplie par "quelqu’un qui ne nous suit pas" est-elle une guérison valide ? Ces questions sont aussi vieilles que l’Évangile. Et probablement plus vieilles encore… questions de légitimité… question de légitimité à faire du bien aux gens.

            Pourquoi les disciples de Jésus en veulent-ils à ce guérisseur inconnu au point de mettre fin à son ministère ? Lisons seulement, pour commencer : …car il ne nous suivait pas. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les disciples de Jésus – tout ou partie – considèrent que pour guérir au nom de Jésus, il faut suivre – physiquement – Jésus. Mais si nous lisons avec plus de précision, nous pouvons penser que le nous, de parce qu’il ne nous suit pas, est le même que le nous de nous l’avons empêché. Ce qui signifie que les disciples considèrent qu’il leur appartient de décider qui peut, et qui ne peut pas, guérir au nom de Jésus. Les disciples (Jean, et qui d’autre ?) s’octroient ce pouvoir. Et ils le font du vivant de Jésus ; ils le font dans son dos.

            Pense-t-on un peu à ceux qui attendaient une guérison de la part de Jésus, ou de la part d’un autre ? De pauvres gens étaient dans l’espérance, une forme simplement merveilleuse de l’espérance, et les voilà déçus, et les voilà condamnés…

            Peut-on rapprocher cela de ce que dit Jésus : « Si quelqu’un fait chuter un de ces petits qui croient… » ? Oui, les disciples font chuter, déçoivent, certains de ces simples qui croient. Et la suite, c’est dans le lac avec une grosse pierre attachée au cou, ou, moins définitif mais tout aussi radical, les diverses amputations dont nous avons déjà parlé. Mais alors, pour avoir mis fin à un beau ministère de guérison, et pour avoir déçu le petit peuple, quelle partie de leur anatomie les disciples devraient-ils se trancher ? L’œil ? Mais un seul œil n’aurait pas suffi, ni une main, ni un pied. Considérons la partie du corps qui pense, parfois vrai, et qui pense parfois faux. Cette partie du corps, on ne peut pas la couper, ni la diviser. Donc on ne voit pas trop quelle mutilation serait appropriée. Mais puisqu’il s’agit de méditer sur ce qu’on a peut-être de trop, nous pouvons essayer, par métaphore, de nous demander ce que les disciples de Jésus – Jean et quelques autres – avaient de trop.

 

            Ce qu’ils avaient de trop ? Ils avaient été appelés les premiers par Jésus, ils avaient entendu tous ses enseignements, et avaient assisté à tous ses miracles. Certains d’entre eux avaient même assisté à sa transfiguration… Cela fait beaucoup de choses à leur actif. Mais il y a l’un des enseignements de Jésus qu’ils ne comprenaient absolument pas, c’était celui sur la résurrection. Au fond, ce qu’ils n’avaient pas compris, mais alors pas compris du tout, c’était que Jésus Christ Fils de Dieu était totalement, absolument et invinciblement libre, libre dans la vie, et libre dans la mort.

            Pressentant cette liberté, ressentant comme un vertige, et ne comprenant pas ce qui se passe – mais au fond, qui peut le comprendre, et qui peut le vouloir – ils agissent et parlent dans le but de tout contenir.

            En somme, ils se figurent que "ça" ne doit passer que par eux, qu’ils en sont garants, que le nom de Jésus Christ Fils de Dieu doit faire l’objet d’un label et d’une labellisation, et qu’ils sont compétents en la matière. Pourquoi compétents ? Parce qu’ils ont suivi Jésus depuis le début, sans doute, mais aussi parce qu’ils ont peur de le perdre... (Tout cela peut se dire avec quantité de nuances. En utilisant le vocabulaire de Moïse dans le 11ème chapitre du livre des Nombres, ils sont jaloux. Et en utilisant le vocabulaire du 5ème chapitre de l’épître de Jacques, ils sont riches). Ils se voient en quelque manière protecteurs – on pourrait dire propriétaire – de la personne et du nom de Jésus Christ Fils de Dieu.

 

            Mais est-on jamais propriétaire ou protecteur de ce nom-là ? Jésus Christ et ses disciples sont des Israélites, et l’on peut penser qu’ils ont été avisés de ce que signifiait l’imprononçable nom de Dieu. Le nom de Dieu est composé de quatre lettres imprononçables. Est-on jamais propriétaire de ce nom-là ? Ou du nom de Jésus Christ Fils de Dieu ? Nous allons répondre non…personne n’en est propriétaire, mais chacun doit bien le prononcer, d’une manière ou d’une autre. Quelle que soit cette manière, elle fait référence directement à l’imprononçable, et dit donc ce qu’elle ne devrait pas dire.

            Que faudra-t-il faire alors ? Que faudra-t-il donc faire pour ne pas usurper le nom de Dieu ? Il faudra se souvenir, encore, et toujours, que Dieu est vivant et que le Fils de Dieu est ressuscité. Le Père et le Fils sont libres, absolument et totalement libres.