Proverbes 3
13 Heureux qui a trouvé la sagesse, qui s'est procuré la raison!
14 Car sa possession vaut
mieux que possession d'argent et son revenu est meilleur que l'or.
15 Elle est plus
estimable que le corail, et rien de ce que l'on peut désirer ne l'égale.
16 Dans sa droite,
longueur de jours, dans sa gauche, richesse et gloire.
17 Ses voies sont des
voies délicieuses et ses sentiers sont paisibles.
18 L'arbre de vie c'est
elle pour ceux qui la saisissent, et bienheureux ceux qui la tiennent!
19 Le SEIGNEUR a fondé la
terre par la sagesse, affermissant les cieux par la raison.
20 C'est par sa science
que se sont ouverts les abîmes et que les nuages ont distillé la pluie.
Hébreux 4
12 Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante
qu'aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu'à diviser âme et esprit,
articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du
coeur.
13 Il n'est pas de
créature qui échappe à sa vue; tout est nu à ses yeux, tout est subjugué par
son regard. Et c'est à elle que nous devons rendre compte.
Marc 10
17 Comme il se mettait en route, quelqu'un vint en courant et se jeta à
genoux devant lui; il lui demandait: «Bon Maître, que dois-je faire pour
recevoir la vie éternelle en partage?»
18 Jésus lui dit: «Pourquoi m'appelles-tu bon? Nul n'est
bon que Dieu seul.
19 Tu connais les commandements: Tu ne commettras pas de
meurtre, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas
de faux témoignage, tu ne feras de tort à personne, honore ton père et ta
mère.»
20 L'homme lui dit: «Maître, tout cela, je l'ai observé dès
ma jeunesse.»
21 Jésus le regarda et se prit à l'aimer; il lui
dit: «Une seule chose te manque; va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux
pauvres et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens, suis-moi.»
Jésus le regarda et se prit à l'aimer; il lui dit : «Après (tout cela) il reste une chose ;
va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le
ciel; puis viens, suis-moi.»
22 Mais à cette parole, il s'assombrit et il s'en alla tout
triste, car il avait de grands biens.
23 Regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples:
«Qu'il sera difficile à ceux qui ont les richesses d'entrer dans le Royaume de
Dieu!»
24 Les disciples étaient déconcertés par ces paroles. Mais
Jésus leur répète: «Mes enfants, qu'il est difficile d'entrer dans le Royaume
de Dieu!
25 Il est plus facile à un chameau de passer par le trou
d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu.»
26 Ils étaient de plus en plus impressionnés; ils se
disaient entre eux: «Alors qui peut être sauvé?»
27 Fixant sur eux son regard, Jésus dit: «Aux hommes, c'est
impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu.»
28 Pierre se mit à lui dire: «Eh bien! nous, nous avons
tout laissé pour te suivre.»
29 Jésus lui dit: «En vérité, je vous le déclare, personne
n'aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de
moi et à cause de l'Évangile,
30 sans recevoir au centuple maintenant, en ce temps-ci,
maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec bien des poursuites, et dans le monde à venir la vie
éternelle.
31 Beaucoup de premiers seront derniers et les derniers
seront premiers.»
Dialogue des Carmélites Bernanos (1888-1948) (Poulenc 1899-1963)
(La Prieure et Blanche se parlent de part et
d’autre de la double grille. Madame de Croissy, la Prieure, est une vieille
femme, visiblement malade. Au lever du rideau, elle essaie maladroitement de
rapprocher son fauteuil de la grille.)
LA PRIEURE
N’allez pas croire que ce fauteuil soit un privilège de ma charge,
comme le tabouret des duchesses ! Hélas ! par charité pour mes chères filles
qui en prennent si grand soin, je voudrais m’y sentir à mon aise. Mais il n’est
pas facile de retrouver d’anciennes habitudes depuis trop longtemps perdues, et
je vois bien que ce qui devrait être un agrément ne sera jamais plus pour moi
qu’une humiliante nécessité.
BLANCHE
Il doit être doux, ma Mère, de se sentir si avancée dans la voie du
détachement qu’on ne saurait plus retourner en arrière.
LA PRIEURE
Ma pauvre enfant, l’habitude finit par détacher de tout. Mais à quoi
bon, pour une religieuse, être détachée de tout, si elle n’est pas détachée de
soi-même, c’est-à-dire de son propre détachement ?
prédication : Autun, 11 octobre 2015 – Vincennes 13
octobre 2024
Pierre a tout quitté, et l’homme
riche n’a rien quitté. De ce point de vue, ils semblent tout à fait différents
l’un de l’autre. Pourtant, il y a quelque chose qui fait que l’un et l’autre
sont extraordinairement ressemblants. Nous allons nous mettre en quête de cette
chose.
Nous nous intéressons au 21ème verset. Jésus dévisagea
l’homme qui était venu pour l’interroger, et l’aima ; il lui dit
« Une seule chose te manque… » Sans doute avons-nous toujours lu que
quelque c hose manquait à cet
homme ; presque tous les traducteurs le comprennent ainsi. Manquer, cela
signifie qu’il y a quelque chose en moins, un vide, et une autre chose qu’on
ajouterait viendrait combler ce vide. Et nous savons ce qu’il conviendrait que
cet homme ajoute à sa vie.
Si cet homme, dont la liste des
bonnes actions est déjà considérablement longue, ajoutait à cette liste le fait
de tout vendre, de tout donner aux pauvres, et de suivre Jésus, il atteindrait
dès ici-bas cette forme de béatitude à laquelle il n’aspire pourtant que pour
l’au-delà. Cet homme deviendrait alors le modèle parfait du disciple de Jésus
Christ, un modèle qu’il nous faudrait suivre, qu’il nous faut suivre, pour
notre bonheur, présent, et à venir.
C’est assez tentant, n’est-ce pas,
de le prendre ainsi. Mais cela pose deux problèmes.
Le premier, c’est que ce modèle de pauvreté volontaire n’est pas celui
que nous avons suivi. Nous ne sommes pas devenus pauvres, pèlerins et vagabonds
sur la terre à cause de Jésus Christ Fils de Dieu ; nous sommes restés
propriétaires de nos maisons, de nos autos, nous touchons nos salaires et nos
pensions et nous sommes sédentaires. Pour la vie éternelle, nous sommes déjà
fichus…
Le second problème, c’est que les disciples de Jésus, et Pierre, l’ont
fait, ils ont tout laissé et que, s’agissant au moins de Pierre, cela produit
une sorte de « Nous nous l’avons fait-euh, nananère ! » qui est
du plus mauvais aloi. Il laisse à présager un « nous nous l’avons
fait » qui servira tôt ou tard de fondement à des exigences considérables,
« vous, vous devez le faire, sinon vous ne serez jamais sauvés, ni
estimés, ni reconnus… ».
L’homme qui interroge Jésus en a encore trop, c’est bien ce qu’on
entend dire, mais rien ne dit que s’il laissait tout il n’en aurait pas encore
de trop ; nous voyons bien que Pierre qui a tout laissé, en a manifestement
encore beaucoup trop en trop. Pierre et l’homme riche en sont, de ce point de
vue, exactement au même point.
Est-il approprié de parler de manque
lorsqu’on en a encore tant en trop ? Peut-on parler de manque, lorsque
ceux qui accomplissent toutes les prescriptions, même les plus abrasives, ont
encore manifestement quelque chose en trop ? Peut-on parler de manque si
chaque bonne action accomplie charge son auteur d’un poids supplémentaire de
satisfaction orgueilleuse ? Si l’homme qui interroge Jésus accomplissait
ce que Jésus lui commande, vendre, donner, partir, il en aurait certes beaucoup
moins, mais il en aurait encore de reste, de ce même reste qui encombre Pierre.
Que faut-il conclure ? En nous
appuyant sur ce qui précède, en nous appuyant aussi sur la langue grecque de
l’évangile, nous relisons le 21ème verset, celui par lequel nous
avons commencé. Jésus le dévisagea et l’aima ; il lui dit :
« Une chose te reste… » Et nous allons méditer sur ce reste.
Quel est ce reste, qui concerne finalement autant Pierre que l’homme
qui interrogeait Jésus ? Quel est ce reste dont la disparition du bagage
de cet homme, serait le commencement réel si ce n’est de la vie éternelle du
moins d’une certaine félicité (celle que Jésus appelle Royaume de Dieu) ?
S’agissant de cet homme, le reste est assez évident, et même colossal :
ses biens ! Mais nous avons vu que, même après avoir laissé ses biens,
s’agissant de Pierre, il y a encore du reste, un reste sans doute immatériel,
puisque Pierre et les autres disciples ont déjà tout laissé, mais un reste tout
de même.
Ce qui caractérise ce reste, c’est que Pierre se met en avant ; il
se met en avant comme quelqu’un qui a fait quelque chose, commandé par Jésus,
quelque chose que les autres, l’homme riche, les riches, auraient dû faire, et
n’ont pas fait. Cette chose ? Souvenons-nous de l’appel des disciples…
oui, sur un appel de Jésus, ils ont laissé leurs filets, tout ce qu’ils
avaient, et l’ont suivi. Mais ce choix, et la manière de vivre qui va avec ce
choix, peut-il être mis en avant, par celui qui l’a fait, comme un choix
supérieur, voire le seul choix possible ? L’appel à une vie particulière,
que Jésus adresse à tel ou tel, peut-il être mis en avant par celui qui
l’entend et y répond, comme seul appel possible à la seule vie bénie
possible ?
L’appel du Christ est adressé à chacun par le Christ, et il appartient
à chacun d’y répondre, ou de ne pas y répondre. S’agissant de Pierre, c’est un
appel au détachement, à un détachement radical. Jusqu’où ce détachement doit-il
aller ? Lorsque Pierre met en avant son détachement, il rend évident qu’il
est détaché de tout, sauf de son détachement. Son détachement est encore ce
qu’on pourrait appeler une œuvre, quelque chose dont il se prévaut. Alors nous
nous disons au sujet de Pierre : A quoi bon être détaché de tout, si l’on
met ainsi en avant son propre détachement ? Oui, en reprenant Bernanos,
« à quoi bon, pour un disciple de Jésus Christ, être détaché de tout, s’il
n’est pas détaché de soi-même, c’est-à-dire de son propre détachement ? »
Ce qui apparaît clairement, c’est que ce détachement parfait porte,
dans le texte que nous méditons, les superbes noms de « trésor dans le
ciel », et de « vie ».
Mais est-il possible aux êtres humains de gagner eux-mêmes ce trésor, d’atteindre
ce détachement par leurs propres forces ? Pour Pierre, à l’évidence, ça
n’est pas gagné. Pour Jacques et Jean, qui vont, quelques instants plus tard,
réclamer à Jésus des places de faveur, ça n’est pas gagné non plus. Tant qu’un
disciple de Jésus Christ accomplit quoi que ce soi, au titre de sa foi, en
espérant de ce qu’il accomplit une certaine rétribution personnelle, ça n’est
pas gagné. Tant qu’il ne remet pas entièrement et totalement à Dieu le fruit de
ses actes, ça n’est pas gagné.
Est-ce jamais gagné ? En a-t-on jamais fini avec ce reste ?
Lorsque le crucifié crie vers le ciel son désespoir et son abandon, ça n’est
pas gagné. Jésus Christ est un homme et, comme nous le lisons, aux hommes cela
est impossible… aux hommes cela est impossible et pourtant cela est possible,
car à Dieu cela est possible.
Qu’est-ce donc que ce reste dont nous parlons, qui reste à Pierre et
qui semble bien devoir toujours rester ? C’est le contraire de la foi, ce
que parfois les textes bibliques appellent la « non-foi », dont nous
lisons ici que cela colle si fort à la pâte humaine qu’il est impossible à un
être humain de s’en débarrasser par ses propres forces. « Aie pitié de ma
non-foi ! », criera à Jésus l’homme dont le fils allait si mal, ce
fils que nul n’avait pu soulager.
Nous n’allons pas dire que seule la mort délivrera un être humain de ce
reste. L’on ne sait rien de la suite de la vie de l’homme riche. Et presque
rien de la suite de la vie de Pierre. Car qui un jour a refusé de suivre Jésus
Christ choisira peut-être de le suivre demain. Qui a un jour mis en avant sa
personne et ses mérites, demain peut-être n’en fera plus aucun cas. Le Dieu qui
peut tout ne laissera pas sans soutien un cœur qui, dans un élan, un moment, ne
fut-ce qu’un instant, de foi, se tournera vers lui. Et il se peut, le Seigneur
venant à notre secours, nous prenant en pitié, il se peut qu’il nous soit
donné, de notre vivant, de nous en remettre totalement à lui.
Que le Seigneur nous fasse cette grâce. Amen
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