dimanche 10 novembre 2019

Les gens de Jérusalem (Luc 20,27-40) Sauver la résurrection


Ces ossements inconnus, vont-ils revivre ? Y a-t-il une résurrection ?

Luc 20
27 Alors s'approchèrent quelques Sadducéens. Les Sadducéens contestent qu'il y ait une résurrection. Ils lui posèrent cette question:
28 «Maître, Moïse a écrit pour nous: Si un homme a un frère marié qui, ayant pris une femme, meurt sans enfants, qu'il prenne la veuve et donne une descendance à son frère.
29 Or il y avait sept frères. Le premier prit une femme et mourut sans enfant.
30 Le second, 31 puis le troisième prirent la femme, et ainsi tous les sept: ils moururent sans laisser d'enfant.
32 Finalement la femme mourut aussi.
33 Eh bien! Cette femme, à la résurrection, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l'ont eue pour femme?»
34 Jésus leur dit: «Ceux qui appartiennent à ce monde-ci prennent une femme ou sont prises par un mari.
35 Mais ceux qui ont eu l’honneur d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent pas de femme ni ne sont prises par un mari.
36 C'est qu'ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges : ils sont fils de Dieu puisqu'ils sont fils de la résurrection.
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l'a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants en lui.»
39 Quelques scribes, prenant la parole, dirent: «Maître, tu as bien parlé.»
40 Car ils n'osaient plus l'interroger sur rien.

Prédication : 
Je vous propose de commencer notre méditation d'aujourd'hui avec le dernier verset du texte qui nous était offert dimanche dernier : « Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19,10) Notez bien qu’il s'agit de sauver quelque chose, et non pas quelqu'un. Quelque chose était en effet perdu dans la riche ville de Jéricho. « Immédiatement, Zachée descendit (de l'arbre où il s'était perché pour voir passer Jésus) et, tout joyeux, il accueillit chez lui Jésus. » Hospitalité : décision d'accueillir chez soi, sans raison' et sans but, une personne dont les vues sont inconnues de vous. Chercher et sauver I 'hospitalité perdue, c'est ce que fait Jésus à Jéricho.
Nous pourrions poursuivre la lecture de l'évangile de Luc, un épisode après l'autre, jusqu'à la croix, en nous demandant, à la fin de chaque épisode, ce que Jésus cherche et ce qu'il sauve. Contentons-nous aujourd'hui d'interroger la rencontre entre Jésus et quelques Sadducéens. Jésus, que cherche-t-il qui était perdu ? Et que sauve-t-il ?

Pour ce faire, parlons des Sadducéens, qui niaient qu'il y ait une résurrection. Ces gens se déclaraient descendants d'un prêtre, Sadoq, qui, pour s'être rangé aux côtés de Salomon — c'est-à-dire du bon côté — dans la fratricide guerre de succession du roi David son père, avait été élevé au rang de Grand Prêtre, dignité héréditaire et perpétuelle. C'était 9 siècles — autant dire une éternité — avant Jésus. Les Sadducéens se présentaient aussi comme des héros de l'exil babylonien, pour avoir su maintenir intact, puis remettre en place à l'identique, après l'exil, dans le second Temple, le culte sacrificiel à IHVH. Ils avaient donc un millénaire d'ancienneté dans la fonction, étaient foncièrement conservateur, et assez bien vus — justement à cause de l'ancienneté de leur tradition — par les autorités romaines, et ils le leur rendaient bien. Ces gens s'en tenaient rigoureusement à la loi écrite et à sa description méticuleuse de l’ordonnancement du culte (les cinq premiers livres de la Bible), écartaient les prophètes et les autres écrits, et rejetaient toutes les interprétations de la loi orale... Ils niaient qu'il y ait une résurrection. C'est que, dans les cinq premiers livres de la Bible, personne ne se relève d'entre les morts (il n'y a pas de séjour des morts dont les morts pourraient revenir, et, une fois mort, le premier mort de l’histoire je se relève pas) ; et puis, lorsqu'on se réclame d'une continuité plus que millénaire, lorsqu'on se comprend comme gardiens perpétuels de l'intégrité du culte, la question de la résurrection ne peut même pas être posée, elle n'a pas de sens, parce que la question de la mort n'a pas de sens non plus.
Parmi les interlocuteurs — voire les ennemis — des Sadducéens, il y a les Pharisiens. Connus pour la finesse de leurs enseignements, ils, pensent qu'il y a une résurrection dans le monde à venir, et que le monde à venir est ordonné comme le monde d'ici-bas. L'histoire de la femme sept fois veuve sans enfants serait embarrassante, voire disqualifiante, pour des Pharisiens ; à vrai dire, nous ne le savons pas vraiment. Mais ce que nous savons, c’est que Jésus n'est pas d'avantage Pharisien que Sadducéen, voici ce qui arrive (nous ne faisons que lire et déployer le texte) :
1. La raison pour laquelle on prend une femme, raison pour laquelle on est prise pour femme, ici bas, est la procréation, ce qu'indique ici clairement le vocabulaire employé (c'est une affaire de gamètes). Le sens de la famille, du clan et de la tribu, le sens de la lignée, est, en ce temps-là, dans ce bien plus fort qu'il n'est aujourd'hui et chez nous. L'idée d'un individu autonome n'est guère répandue dans le monde ancien de culture sémite. Donner la vie, faire advenir la génération suivante, c'est l'assurance que la lignée ne sera pas interrompue, et donc que, s’agissant de soi-même, on ne mourra pas. C'est l'état des lieux, sur lequel Jésus ne revient pas. Et sur ce point précis, la pensée des Sadducéens et la pensée des Pharisiens ont un point commun : la continuité des générations. Ces deux pensées, l'une sans monde à venir et sans mort, et l'autre avec mort et monde à venir, sont des pensées de la continuité...
2. Or, Jésus rompt avec ces deux pensées. Il évoque un monde à venir (rupture avec les Sadducéens), et il affirme que ce monde à venir est peuplé d'individus qui ne représentent qu'eux-mêmes (qui ne représentent ni une famille, ni un clan, ni une tribu — rupture avec les Pharisiens et avec les Sadducéens). Ainsi, ceux qui auront eu l'honneur de faire l'expérience du monde à venir seront affranchis de toutes les contraintes de la vie dans ce monde-ci, celle de la mortalité des corps, et celles des structures de la parenté. Ainsi libérés, pourquoi les hommes prendraient-ils une femme, ou les femmes seraient-elles prises pour femme ?
3. Mais Jésus ne rompt pas pour autant avec les Saintes Écritures, et surtout pas avec les cinq premiers livres de la Bible. Il en donne même une interprétation nouvelle et audacieuse. Dans l'épisode du buisson ardent, Moïse — tenu pour l'auteur du texte — appelle le Seigneur-IHVH le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. Ceci signifie que même s’il est transmis par des voies familiales, Dieu est toujours le dieu de quelqu'un. Ce même Dieu est celui qui se révèle à Moïse, des générations d’oubli plus tard, en étant toujours le Dieu de quelqu'un, mais en étant aussi toujours le même Dieu.
Dieu ainsi se révèle à être humain comme son propre Dieu, et demeurant Dieu. Et Dieu ne s'épuise pas dans l'alliance perpétuelle, car Dieu est celui qui brûle sans se consumer, sans s'épuiser jamais. Dieu toujours le même ne cesse de grandir en tant que Dieu de chacun de ceux qu’il appelle.
4. Il nous faut imaginer que cette interprétation de la Torah est, en son temps, totalement nouvelle et d'une audace considérable. Il nous faut imaginer qu'elle est le signe que Jésus — alias Luc — a compris qu'avec le brassage des populations dans l'Empire romain, avec l'ouverture progressive de l'ancienne foi des hébreux à tous les humains, il fallait que la pensée de la résurrection soit reprise, et pas elle seulement...
Lorsqu'entrent dans l'Alliance, à titre individuel, des gens dont aucun ancêtre n'a jamais appartenu au peuple élu, c'est la pensée toute entière de la révélation, de l'alliance, et de la résurrection, des relations à l’empire romain... qui doit faire son aggiornamento, qui doit s'ouvrir, s'ouvrir sans se trahir.
5. C'est ainsi qu'il est possible de comprendre l'affirmation finale de Jésus, à la fois synthèse inspirée de sa pensée et provocation face à ses détracteurs : Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, des individus vivants de ce temps-ci et des individus vivant en Lui dans l’attente du monde à venir.

Je pense que nous pouvons maintenant revenir à l'observation que nous faisions à l'ouverture de notre méditation. « Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Dans cette rencontre avec les Sadducéens, ce que Jésus cherche, et sauve, c'est la résurrection, une résurrection perdue, enfouie sous des montagnes de mérites transmissibles, entravée par tous les liens du sang, contrainte par l'élection, et donc résurrection inaccessible aux nations... Avec Jésus et en Jésus, la résurrection devient pensable pour tous, y compris tous les nouveaux venus dans l'Alliance, tous ces vivants d'aujourd'hui, quelles que soient leurs origines, aussi nombreux que le Seigneur les appellera.
Nous sommes de ces vivants-là. Et ces vivants en Dieu pour toujours, c’est ce que nous sommes. Il y a quelques jours, nous parlions de sauver l’hospitalité, et aujourd’hui, nous parlons de sauver la résurrection. Telle pourrait, un jour, être notre mission. Prions que les temps ne deviennent jamais trop durs. Et pour celles et ceux que, si cela devenait nécessaire, nous répondions alors sur nos vies des promesses de Dieu. Amen