dimanche 3 novembre 2019

Les gens de Jéricho (Luc 19,1-10) Sauver l'hospitalité

Luc 10
C'est ici la traduction de la TOB ; pour apprécier certaines différences, vous pouvez lire en parallèle la traduction Parole de Vie...

1 Entré dans Jéricho, Jésus traversait la ville.
2 Survint un homme appelé Zachée; c'était un chef des collecteurs d'impôts et il était riche.
3 Il cherchait à voir qui était Jésus, et il ne pouvait y parvenir à cause de la foule, parce qu'il était de petite taille.
4 Il courut en avant et monta sur un sycomore afin de voir Jésus qui allait passer par là.
5 Quand Jésus arriva à cet endroit, levant les yeux, il lui dit: «Zachée, descends vite: il me faut aujourd'hui demeurer dans ta maison.»
6 Vite Zachée descendit et l'accueillit tout joyeux.
7 Voyant cela, tous murmuraient; ils disaient: «C'est chez un pécheur qu'il est allé loger.»
8 Mais Zachée, s'avançant, dit au Seigneur: «Eh bien! Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple.»
9 Alors Jésus dit à son propos: «Aujourd'hui, le salut est venu pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham.
10 En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.»
Possiblement Zachée, mais d'une autre époque..
Prédication

Avant que nous ne parlions de Zachée le collecteur d’impôts, souvenons-nous d’une parabole : « Deux hommes montèrent au temple pour prier, l’un était Pharisien et l’autre collecteur d’impôts (…) Le collecteur d’impôts, se tenant à l’écart, n’osait même pas lever les yeux mais, se frappant la poitrine, disait “Prends pitié du pécheur que je suis”. » (Luc 18,14) Quel était le péché de ce collecteur d’impôts anonyme ? Ne réfléchissons pas trop longtemps : nous ne le savons pas, nous ne le savons pas parce que rien ne nous en est dit et nous ne le saurons jamais.
Ce que nous savons des collecteurs d’impôts, c’est qu’ils étaient détestés par leurs contemporains. Les historiens de l’époque romaine impériale, grands lecteurs d’archives – bénis soient-ils – ont appris et nous ont appris comment fonctionnait l’impôt dans l’Empire. La puissance occupante ne collectait pas l’impôt elle-même, et elle ne rétribuait personne pour collecter l’impôt. Elle vendait, fort cher, à des autochtones, le droit de collecter de l’argent. Libre ensuite à celui qui avait acheté la charge de faire de cette charge une sorte de service de la pax romana – la paix romaine – ou de faire de cette charge une occasion de s’enrichir plus encore. C’est qu’il fallait être déjà riche pour devenir collecteur d’impôts… et la vindicte, qui déteste les riches, détestait deux fois les collecteurs d’impôts, deux fois, voire trois fois, parce que sur les monnaies romaines apparaissait la face d’un Empereur qu’on appelait Seigneur, titre théophore, et auquel un culte était rendu, etc.. D’où une équation, collecteur d’impôts = pécheur. Mais cette équation ne nous dit rien du péché du collecteur d’impôts de cette parabole.
Dans cette parabole, le collecteur d’impôts anonyme fut justifié, car « qui s’élève lui-même sera abaissé, et qui s’abaisse soi-même sera élevé ». Mais quand donc le collecteur d’impôts s’est-il abaissé ? La parabole nous nous propose que deux réponses (1) Il s’est abaissé dans sa prière. (2) Il s’est abaissé en acceptant de faire le sale et nécessaire boulot de collecteur d’impôts. Mais en fait, si à l’ouverture de cette première étape de notre méditation nous ignorions quel était le péché de ce collecteur d’impôts, nous avons seulement appris que, dans la bouche de Jésus, un collecteur d’impôts peut parfaitement être justifié, nous ne savons pas d’avantage de quoi, mais nous savons que sa fonction de collecteurs d’impôts n’y fait aucunement obstacle. L’équation collecteur d’impôts = pécheur est, pour Jésus, sans valeur et sans portée.
Si les collecteurs d’impôts étaient haïs par leurs contemporains, les chefs de collecteurs d’impôts devaient être encore plus haïs. Si, pour être collecteur d’impôts il fallait être riche, pour être chef des collecteurs d’impôts, il fallait être plus riche que les riches. Zachée était cela.
Ceci étant posé, la scène de la rencontre entre Zachée et Jésus est pleine d’éléments incongrus, voire comiques. La toute petite taille de Zachée, rapportée à la densité de la foule, est le prétexte à cette course en avant, suivie de l’ascension d’un arbre, qui nous font sourire, de la part d’un homme qui, s’il voulait rencontrer Jésus, avait tous les moyens de s’offrir une escorte. Mais Zachée ne veut pas rencontrer Jésus, il veut juste le voir. Si entre eux deux apparaît une demande, le demandeur n’est pas Zachée, c’est une demande de Jésus à Zachée, une demande apparemment toute simple : « je dois aujourd’hui demeurer dans ta maison. »
C’est très simple, mais demeurer est un verbe qui a trois sens. Le premier sens, c’est venir loger ; Jésus souhaite, ce jour-là, à Jéricho, venir loger chez Zachée. Le second sens de demeurer indique que Jésus souhaite y faire un séjour d’une certaine durée. Le troisième sens, plus fort encore suggère que Jésus y est déjà depuis un certain temps et entend bien ne pas en partir ce jour-là. Et comme Jésus emploie le verbe devoir, c’est presque à comprendre qu’à Jéricho aucune mais n’est à même de le recevoir, ni ce jour-là ni tous les autres jours.
Jésus veut demeurer chez Zachée et Zachée tout joyeux le reçoit. Réaction des gens : tous, sans exception, tous murmurent, grommellent, condamnent. « Il est allé se souiller, se perdre, s’avilir, se prostituer, se polluer… chez un pécheur. » Et revoilà notre équation, l’équation des bien-pensants : collecteur d’impôts = pécheur. Cette équation, nous l’avons déjà rencontrée et méditée. Et nous n’allons pas revenir sur ce que nous avons dit déjà : pour Jésus cette équation ne tient pas. Nous ne savons rien – personne ne sait rien – du péché de Zachée. Et donc de Zachée nous ne pouvons pas, nous ne devons pas affirmer qu’il est pécheur avant d’avoir entendu ce qu’il dit de lui-même.
« Se tenant devant le Seigneur, Zachée lui dit – il faut lire ce que Zachée dit, le lire sérieusement, sans préjuger de rien : “Seigneur, voilà, je fais don aux pauvres de la moitié de tout ce qui m’appartient, et si j’ai floué quelqu’un, je lui rends le quadruple.” Et il apparaît que l’homme sans doute le plus riche de Jéricho, accusé par les gens de Jéricho d’être le plus grand pécheur de Jéricho, est en fait le plus gros pourvoyeur de charité de Jéricho… Cette extraordinaire charité, personne à Jéricho ne peut l’ignorer. Et pourtant, tous murmurent, et tous dénigrent, accréditant toujours la même équation : collecteur d’impôts = pécheur.
Cette équation, nous la retrouvons jusque chez certains traducteurs, annotateurs et commentateurs (et pas des moindres) des Saintes Ecritures. Nous la retrouvons en combinaison avec une autre équation : riche = malhonnête. Et les commentateurs parlent du « salut d’un riche », pérorent sur la conversion de Zachée au contact de Jésus, expliquent que c’est de sa conversion que vient sa décision soudaine de mieux utiliser ses richesses. Mais cette interprétation est pour le moins étonnante, parce que quelques versets auparavant (Luc 18,22) c’est le don de la totalité des richesses d’un riche qui est exigé par Jésus, et non pas la moitié… Bien étrange interprétation, alors que Luc met précisément ceci dans la bouche de Zachée « Seigneur, voilà, je donne… » et non pas « A partir de maintenant, je donnerai… » Oui, au risque d’insister, ce que Jésus entend de la bouche de Zachée, ce sont des états de service, et non pas une bonne résolution de début d’année. Pourquoi, pourquoi des traducteurs, des annotateurs, et des commentateurs s’en prennent-ils ainsi à Zachée ? Et pourquoi ne voient-ils pas que Zachée est quelqu’un qui s’abaisse, et que les habitants de Jéricho se la jouent très très haut, comme le Pharisien de la parabole de Luc 18 ?
Un visage de l'étonnement...
Ceci étant dit, l’histoire de la rencontre entre Jésus et Zachée a bien pour thème la conversion. Mais la conversion de qui ?
La conversion des gens de Jéricho. Le nom de Zachée est la prononciation francisée du nom Zakkaï. Avec ce nom, vous êtes membre du peuple de l’Alliance, vous êtes fils d’Abraham. Vous l’êtes de manière inamovible, ce qui signifie que, dans la première compréhension de la mission messianique de Jésus, Jésus est venu pour vous en tant que fils d’Abraham. C’est ce qu’annonce, ou plutôt rappelle, Jésus aux gens de Jéricho : la qualité de fils d’Abraham est généalogique et ne se perd jamais, car rien ne peut épuiser la patience et la miséricorde de Dieu, même envers un fils d’Abraham devenu collecteur d’impôts, et surtout s’il apparaît qu’il est droit et généreux. Mais cela, bien des contemporains de Jésus ne voudront jamais l’entendre, parce qu’il est plus facile, toujours, d’en rester à ce que tout le monde dit d’untel plutôt que d’aller à la rencontre d’untel ; et aussi parce que ce que cela annonce une compréhension de l’élection ouverte à l’universel, élection comprise en lien avec certains choix de vie dont ceux de Zachée sont un exemple. Jésus, donc, parle et agit pour la conversion des gens de Jéricho. Et lorsque Jésus annonce que le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu, ça n’est pas à Zachée qu’il s’adresse, mais à tous ceux de Jéricho, égarés dans leurs appréciations trop simples, leurs connivences envieuses et leurs opinions trop étroites.
Au-delà des gens de Jéricho, Luc interroge les communautés et les chrétiens de son propre temps. Peut-on être chrétien et collecteur d’impôts ? Peut-on être chrétien et simple soldat, ou chrétien et centurion ? Peut-on être chrétien et Romain ? Nous avons tout le livre des Actes pour penser à la multitude des nations pour lesquelles la messianité de Jésus le Nazaréen va devenir un motif d’engagement et un principe d’espérance… Luc parle donc pour la conversion des cœurs des humains. Non, Zachée n’est pas un homme perdu : il est un arbre et un arbre se reconnaît à ses fruits.
Et c’est en cela que Luc nous interroge, interroge nos cœurs humains, nos états de service, bien sûr, mais surtout – par-dessus tout – notre joie, paisible récollection de nous-mêmes, et par là notre foi.
Sœurs et frères, nous sommes à Jéricho, Jésus passe, et il s’en va demeurer chez l’un d’entre nous, le moins estimé de tous. Allons-nous nous élever nous-mêmes et dénigrer, ou bien, nous abaissant nous-mêmes, nous en réjouir ?
Puissions-nous nous en réjouir. Amen 
Et si quelqu'un, dans la foule de Jéricho, venait à s'en réjouir ?