Matthieu 2
13 Après leur départ, voici que l'ange du Seigneur
apparaît en songe à Joseph et lui dit: «Lève-toi, prends avec toi l'enfant et
sa mère, et fuis en Égypte; restes-y jusqu'à nouvel ordre, car Hérode va
rechercher l'enfant pour le faire périr.»
14 Joseph se leva, prit avec lui
l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte.
15 Il y resta jusqu'à la mort
d'Hérode, pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le Seigneur par le prophète:
D'Égypte, j'ai appelé mon fils.
16 Alors Hérode, se voyant joué par
les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout
son territoire, tous les enfants jusqu'à deux ans, d'après l'époque qu'il
s'était fait préciser par les mages.
17 Alors s'accomplit ce qui avait
été dit par le prophète Jérémie:
18 Une voix dans Rama s'est fait
entendre, des pleurs et une longue plainte: c'est Rachel qui pleure ses enfants
et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus.
19 Après la mort d'Hérode, l'ange
du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Égypte,
20 et lui dit: «Lève-toi, prends
avec toi l'enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d'Israël; en
effet, ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant.»
21 Joseph se leva, prit avec lui
l'enfant et sa mère, et il entra dans la terre d'Israël.
22 Mais, apprenant qu'Archélaüs
régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s'y rendre;
et divinement averti en songe, il se retira dans la région de Galilée
23 et vint habiter une ville
appelée Nazareth, pour que s'accomplisse ce qui avait été dit par les
prophètes: Il sera appelé Nazôréen.
Exode 1
15 Le roi d'Égypte dit aux sages-femmes des Hébreux
dont l'une s'appelait Shifra et l'autre Poua:
16 «Quand vous accouchez les femmes
des Hébreux, regardez le sexe de l'enfant. Si c'est un garçon, faites-le
mourir. Si c'est une fille, qu'elle vive.»
17 Mais les sages-femmes
craignirent Dieu; elles ne firent pas comme leur avait dit le roi d'Égypte et
laissèrent vivre les garçons.
18 Le roi d'Égypte, alors, les
appela et leur dit: «Pourquoi avez-vous fait cela et laissé vivre les garçons?»
19 Les sages-femmes dirent au
Pharaon: «Les femmes des Hébreux ne sont pas comme les Égyptiennes; elles sont
pleines de vie; avant que la sage-femme n'arrive auprès d'elles, elles ont
accouché.»
20 Dieu rendit les sages-femmes efficaces,
et le peuple se multiplia et devint très fort.
21 Or, comme les sages-femmes
avaient craint Dieu et que Dieu leur avait accordé une descendance,
22 le Pharaon ordonna à tout son
peuple: «Tout garçon nouveau-né, jetez-le au Fleuve! Toute fille, laissez-la
vivre!»
Et voilà… la chose a eu lieu, la foudre s’est abattue sur ces pauvres gens, et le solde de l’Épiphanie est massivement négatif. Car même s’agissant de l’enfant sauvé, qui est le Roi des Juifs, sa survie n’est pas opposable à l’immense douleur des jeunes mères, des parents de toute une province, comme nous l’avons lu : Rachel pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus. Car – si nous comprenons bien – c’est la vie qui appelle la vie.
Qu’est-ce qui pourrait
consoler l’inconsolable Rachel, c'est-à-dire toutes ces mères ? Qu’est-ce
que la consolation ? En langue hébraïque nous avons un verbe (מאן) qui signifie refuser,
refuser comme l’on refuse d’abord de croire que tel malheur vous est arrivé à
vous, comme l’on refuse tout contact, toute parole, tant la douleur est forte… en
hébreu, nous avons un autre verbe (אמן), composé des trois mêmes lettres
que le premier, on permute les deux premières lettre de (מאן) qui signifie refuser, et apparaît
le verbe (אמן),
un verbe que vous connaissez, qui signifie amen,
oui, j’ai confiance, oui je crois, oui je vivrai… en somme, c’est le verbe qui manifeste
une consolation avérée. Permuter deux lettres d’un verbe, c’est facile, ce
n’est presque rien… mais pour consoler l’inconsolable, que faut-il faire ?
Matthieu, de fait, ne fait
rien. Il poursuit son récit et ne parle plus de Rachel, ni de ses enfants à
jamais perdus. Serait-ce la solution de consolation, ne rien faire, c'est-à-dire
entre autre ne pas parler, et est-ce que ça vaudrait mieux que de trop parler ?
En fait, Matthieu l’évangéliste
ne fait pas tout à fait rien. Il fait une citation, une citation du prophète
Jérémie. Le contexte si manifestement hébraïque de l’évangile de Matthieu nous
laisse à penser que les premiers lecteurs de cet évangile savent exactement ce
qu’est et ce que signifie cette citation. C’est au 31ème chapitre du
prophète Jérémie, un immense soliloque du prophète devant Dieu, plus la
déclaration de Dieu lui-même, qui affirment que des jours viennent où les
exilés reviendront. Dieu et prophète qui déclarent « ton avenir est plein
d’espérance » (31:17). Dieu parle au cœur des éprouvés.
Oui, dirons-nous, mais, en
attendant que Dieu parle au cœur des éprouvés et des inconsolables, que faut-il
faire ? Que faire pour l’inconsolable Rachel ? Rachel est juste à
côté de nous, en larmes, ou silencieuse, et nous ne savons comment l’atteindre.
Pouvons-nous, comme Dieu, parler au cœur des éprouvés ? Mais comment
atteint-on le cœur des éprouvés inconsolables ?
Vous vous souvenez sans
doute du récit qui rapporte comment le roi David vola Bethsabée, femme du capitaine
Uri, et comment l’enfant qui naquit de ce rapt mourut à peine étant né. Il est
écrit qu’après ces événements, David consola Bethsabée. C’est très clair dans cette
langue, il la consola, et le fruit de cette consolation est qu’un autre enfant
vint au monde, futur roi que vous connaissez sous le nom de Salomon.
Le seul commentaire que
nous pouvons faire de cette consolation-là est que David trouva un moyen de
signifier à Bethsabée, dans les codes de sa culture, sa position et son rang, que
la vie n’était pas finie… Métaphoriquement, cela donne que consoler quelqu’un,
c’est lui signifier concrètement et efficacement que sa vie n’est pas finie.
Mais notre réflexion doit porter plus loin que cette simple consolation, parce
qu’il s’agit pour nous de réfléchir à la consolation de l’inconsolable – qui
sans doute vient avant tout autre consolation, et qui rend possible toute
consolation.
Ça n’est pas pour rien
que, dans le livre du prophète Jérémie, cela se passe entre le prophète et
Dieu. Et ça n’est pas pour rien non plus que, dans le livre de Job, cette
consolation de l’inconsolable se fait en tête à tête avec Dieu. Dieu seul peut .parler
au cœur de l’être humain inconsolable ; le statut – et la définition
opérationnelle de la parole de Dieu – c’est qu’elle parle au cœur de l’homme,
et qu’elle change le cœur de l’homme. Elle fait que l’inconsolable passe du non
au oui, du refus à l’amen. Il se peut que cette parole passe par notre bouche –
elle n’en est pas moins parole de Dieu. Parole de la prédication, ou de la liturgie,
ou de l’étude, de toute autre parole partagée. Elle passera quand elle passera.
Elle parlera quand elle parlera – c’est une promesse divine.
Nous ne pouvons douter
qu’elle passera et parlera. Nous pouvons dans la prière, l’étude et le
recueillement, nous préparer à nous laisser traverser par elle. Mais elle ne le
fera qu’en son temps. Et pendant ce temps, nous devons dire notre foi, rester
proche de l’inconsolable, lui signifier avec tact, avec délicatesse, avec
amitié, qu’il y a de l’espérance pour son avenir. Et il nous faut attendre ;
dire et attendre.
Et jusque là au moins, serviteurs
nous sommes. Serviteurs nous demeurons. Béni soit Dieu. Amen
