dimanche 9 novembre 2025

Vers la résurrection (Luc 20,27-38), ou le Dieu des vivants

 

Luc 20

27 ¶ Alors s'approchèrent quelques Sadducéens. Les Sadducéens contestent qu'il y ait une résurrection. Ils lui posèrent cette question:

28  "Maître, Moïse a écrit pour nous: Si un homme a un frère marié qui meurt sans enfants, qu'il épouse la veuve et donne une descendance à son frère.

29  Or il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans enfant.

30  Le se<cond,

31  puis le troisième épousèrent la femme, et ainsi tous les sept: ils moururent sans laisser d'enfant.

32  Finalement la femme mourut aussi.

33  Eh bien! cette femme, à la résurrection, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l'ont eue pour femme?"

34  Jésus leur dit: "Ceux qui appartiennent à ce monde-ci prennent femme ou mari.

35  Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari.

36  C'est qu'ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges: ils sont fils de Dieu puisqu'ils sont fils de la résurrection.

37  Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l'a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.

38  Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui."

Prédication :  

Alors, la résurrection, c’était comment ? Nous avons dans la Bible une quantité appréciable de récits de rencontres avec le Ressuscité, mais personne n’ose poser à Jésus une question aussi directe. Dommage…

Il m’est arrivé, il y a quelque temps, pendant une visite chez un artiste, de voir un merveilleux tableau que j’ai interprété ainsi : la résurrection, c’est comme ça ! Un homme au réveil et, à son chevet, une merveilleuse coupe de fruits, une carafe d’eau et un verre. L’artiste m’a tout de suite affirmé que son tableau n’avait rien à voir avec la résurrection…

 

Qu’allons-nous en dire, de la résurrection ? Allons-nous la prouver ? Allons-nous la récuser ? Et j’ai trouvé, sur internet, des récits contemporains relatant la résurrection d’une personne tout à fait morte, tête fracassée, thorax écrasé dans un accident de voiture sans ceinture de sécurité (on a même la marque et le modèle du véhicule), soins de conservation effectués depuis trois jours, et l’on revit, hop, sans une égratignure. Allez donc oser douter de quoi que ce soit, après une telle démonstration, on vous donne en plus tellement de noms de tellement de personnes…

 

Pour ce qu’il en est de la récuser la résurrection, nous avons sous les yeux une tentative intéressante, mise à l’actif des « Sadducéens ». Mais qui sont ces gens ? Un historien romain d’origine juive et de langue grecque, Flavius Josèphe (~37-~100) les décrit ainsi : « «Les Pharisiens ont transmis au peuple certaines règles qu'ils tenaient de leurs pères, qui ne sont pas écrites dans les lois de Moïse, et qui pour cette raison ont été rejetées par les saducéens qui considèrent que seules devraient êtres tenues pour valables les règles qui y sont écrites et que celles qui sont reçues par la tradition des pères n'ont pas à être observées.» (Antiquités juives, XIII-297) Que peut-il en être de la résurrection si ne doivent s’imposer que les lois écrites de Moïse ? Elle est impossible et la démonstration de l’impossibilité, vous la connaissez. Cette pauvre femme, sept fois veuve de sept frères, duquel des sept sera-t-elle la femme au moment de la résurrection ? Lequel des sept sera fondé à dire « elle est à moi » ? Car il va de soi qu’une femme doive être à un homme, être sienne et lui appartenir, tout comme il va de soi que, dans le monde à venir, l’ordre sera garanti par les lois de Moïse tout comme l’ordre est garanti par ces mêmes lois dans le monde de maintenant. Et il ira de soi qu’une femme ne peut pas appartenir simultanément à sept hommes – et pas même Blanche Neige – alors, selon les Sadducéens, il n’y a pas de résurrection, CQFD.

 

Alors, y a-t-il, ou n’y a-t-il pas de résurrection ? Allons-nous la prouver ? Allons-nous la récuser ? Il y a bien quelques enfants morts sur le corps desquels se couchent des prophètes, pour lesquels prient des apôtres. Il y a depuis bien plus longtemps encore la question de la mort et d’après la mort, question qui a tourmenté les humains et les écrivains, aussi loin que les humains aient écrit... A quatre ou cinq milliers d’années de nous, quelque part en Mésopotamie, un conteur raconte et un écrivain écrit : le grand Gilgamesh est parti, après la mort de son si cher ami Enkidu, le grand Gilgamesh est partijusqu’au bout du bout du monde pour rencontrer Monsieur Utanapishtim, l’éternel survivant du déluge. Dans son voyage, Gilgamesh n’a pas trouvé la recette d’éternité qu’il cherchait, et son ami n’est pas revenu à la vie, mais il a trouvé à la fin la sagesse qu’il faut pour accepter le grand âge et de disparaître. L’Esprit de Dieu n’a-t-il pas ramené à la vie des squelettes par centaines ? Et n’a-t-il pas fait revenir d’exil son peuple dispersé ? Le fil de l’histoire, long et capricieux, donne à entrapercevoir pour certains peuples des moments de désolation et des moments de renouveau qu’on peut bien appeler résurrection. Mais tout cela n’est pas résurrection des personnes après la mort et après la fin des temps… Comment cela sera-t-il ?

 

Le débat qui oppose Jésus et les Sadducéens repose sur une loi qui figure effectivement dans le livre du Deutéronome (25,5) et qu’on appelle lévirat. Les anciens hébreux n’avaient pas spéculé sur l’au-delà de la vie ni sur l’au-delà de la mort. Leur vie commençait dans leurs ascendants dont ils portaient le nom, et se prolongeait dans leur descendance à laquelle ils donnaient leur nom. Et s’il arrivait que vous mouriez sans descendance, votre propre frère devait prendre votre veuve pour sa femme et vous susciter une descendance qui porterait votre nom. Tant que votre nom n’est pas oublié, vous n’êtes pas mort. Cette loi existe et vous pouvez d’emblée en énoncer les faiblesses. En dépit de cette Loi, le nom peut être perdu et la question de la résurrection fait alors son retour. On spécule sur « après la mort ».

C’est bien le refus d’une telle spéculation qui marque la réponse de Jésus aux Sadducéens. Car si tous sont à la fin vivants en Dieu, à quoi peut bien servir d’entretenir le lignage ? Ni mari, ni femme, ni besoin de posséder, ni souci de se reproduire parce que la vie, à ce moment-là, sera affranchie des servitudes que nous lui connaissons maintenant, toutes celles qui sont liées au devoir de mourir. Mais la résurrection envisagée ainsi est un article de foi, et ne constitue en aucun cas une preuve. Rien ne viendra jamais nous affranchir des servitudes de la vie, tant que nous serons vivants. Et la controverse sur laquelle nous méditons nous suggère seulement que rien de ce que nous estimons connaître ici ne peut être mis en avant pour l’au-delà. Alors, si nous persistons à poser la question de la résurrection, nous ne pouvons pas la poser comme une question sur l’au-delà.

 

Et voici comment nous allons la poser. Alors maintenant, à cet instant, de quoi parles-tu lorsque tu parles de résurrection ? Revenons à Moïse, fugitif devenu berger. De quoi s’agit-il lorsque Moïse, occupé à faire son boulot ordinaire de berger, fait un détour pour voir ce prodige d’un buisson qui brûle sans se consumer ? Le premier geste de celui qui va ressusciter, c’est de se détourner de son chemin ordinaire. Sans étonnement et sans curiosité il n’y a jamais de résurrection. De quoi s’agit-il lorsque la voix énonce « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob » ? Il s’agit d’un être humain qui reconnaît dans la vie qui est la sienne l’agir du Dieu de ses pères. C’est un être humain qui reconnaît, à des dizaines de générations de distance, la même vie, la même volonté de vivre et la même promesse de la vie que celle qui fut proclamée jadis et par la puissance de laquelle il est lui-même en vie. Abraham, Isaac et Jacob sont morts, oui, mais cet être humain-là a reçu une vie et une liberté qu’il ne gardera pas pour lui-même. L’épisode du buisson ardent est à proprement parler résurrection de Moïse. C’est tout à fait par accident qu’il avait survécu étant enfant, tout à fait par accident qu’il avait trouvé la liberté, tout comme c’est tout à fait par accident que nous échoient les circonstances de notre naissance. Devons-nous nous conserver et nous protéger contre ce que la vie invente ? Il n’est pas impossible que nous le fassions, mais à trop bien vouloir le faire nous nous abritons aussi de ce que la vie peut promettre et tenir. Le plus sûr abri contre les déconvenues abrite aussi des divines surprises.

 

Alors, prouver qu’une résurrection aura lieu dans l’au-delà parce qu’elle a lieu ici-bas, parfois ? La récuser dans l’au-delà parce qu’impossible comme ici-bas ? Ces deux attitudes sont sur le fond tout à fait identiques : elles affirment qu’il doit en être toujours conformément à ce qui fut un jour. Nous ne sommes personne pour condamner telle ou telle attitude. Car Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants, car pour lui tous sont vivants. Même Moïse ? Osons une question. « La résurrection, Moïse, c’était comment ? » Et Moïse sourit. Il se raconte peu, cet homme-là. Il ne fait jamais grand cas de cette rencontre. Ses colères sont redoutables, mais sa bonté est infinie.