samedi 28 septembre 2024

Marc 9,38-48 (la liberté de Dieu)

 Marc 9

38 Jean lui dit: «Maître, nous avons vu quelqu'un qui chassait les démons en ton nom et nous l’en avons empêché parce qu'il ne nous suivait pas.»

39 Mais Jésus dit: «Ne l'empêchez pas, car il n'y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi.

40 Celui qui n'est pas contre nous est pour nous.

41 Quiconque vous donnera à boire un verre d'eau parce que vous appartenez au Christ, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense.

42 «Quiconque entraîne la chute d'un seul de ces petits qui croient, il vaut mieux pour lui qu'on lui attache au cou une grosse meule, et qu'on le jette à la mer.

43 Si ta main entraîne ta chute, coupe-la ; il vaut mieux que tu entres manchot dans la vie que d'aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas

45 Si ton pied entraîne ta chute, coupe-le ; il vaut mieux que tu entres estropié dans la vie que d'être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne

47 Et si ton œil entraîne ta chute, arrache-le; il vaut mieux que tu entres borgne dans le Royaume de Dieu que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne,

48 où le ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas.

Prédication :

            Y a-t-il quelqu’un qui, dans l’histoire de la chrétienté, serait resté dans les mémoires pour s’être infligé de telles mutilations ? Nous pouvons penser à certains auteurs chrétiens (Tatien le Syrien, 120-173) qui, dans le 2ème siècle de notre ère, avaient prôné et pratiqué un ascétisme extrême. Mais nous ne savons pas – je ne sais pas – quelles mutilations ils s’infligèrent… S’ils s’en infligèrent, ce ne fut pas dans une perspective judiciaire, perspective qui existe quelque part dans plusieurs textes sacrés, et qui est mise en œuvre encore aujourd’hui ici ou là dans notre pauvre monde. Si les ascètes du 2ème siècle s’infligèrent de cruelles mutilations, ce fut, semble-t-il, afin de lutter contre leur concupiscence. Pourtant on sait depuis toujours que ça n’est pas en châtiant le corps qu’on supprime le fantasme… Et ajoutons que si quelqu’un s’infligeait quelque mortification que ce soit afin d’entrer, comme on dit, dans le règne de Dieu, et qu’à cette mortification, ou à lui-même, il trouverait quelque mérite ou quelque gloire, mais se serait mortifié en pure perte. C’est un peu ce qui arriva au jeune Martin Luther, qui découvrit, pendant toute la première partie de sa vie, la vanité des douleurs qu’il s’infligeait.

            Tout ce que nous venons de dire pourrait nous conduire à mettre de côté, voire à rejeter, les versets de Marc que nous tâchons de méditer maintenant… trop d’exigence, trop de douleur, bénéfice nul.

 

            Mais avant de rejeter ces versets, observons-les encore un peu : il y avait quelqu’un qui chassait les démons au nom de Jésus, et que les disciples de Jésus empêchèrent d’agir, parce que ce quelqu'un ne les accompagnait pas.

            Quelle est donc cette raison que les disciples invoquent ? Accompagner le groupe constitué par Jésus et ses disciples, cela vous confère-t-il une sorte de permis de guérir ? Existe-t-il un salut en dehors de ce groupe ? S’exprimer au nom de Jésus est-ce réservé à ses seuls disciples, au Douze, ou à Jean ? Et la guérison accomplie par "quelqu’un qui ne nous suit pas" est-elle une guérison valide ? Ces questions sont aussi vieilles que l’Évangile. Et probablement plus vieilles encore… questions de légitimité… question de légitimité à faire du bien aux gens.

            Pourquoi les disciples de Jésus en veulent-ils à ce guérisseur inconnu au point de mettre fin à son ministère ? Lisons seulement, pour commencer : …car il ne nous suivait pas. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les disciples de Jésus – tout ou partie – considèrent que pour guérir au nom de Jésus, il faut suivre – physiquement – Jésus. Mais si nous lisons avec plus de précision, nous pouvons penser que le nous, de parce qu’il ne nous suit pas, est le même que le nous de nous l’avons empêché. Ce qui signifie que les disciples considèrent qu’il leur appartient de décider qui peut, et qui ne peut pas, guérir au nom de Jésus. Les disciples (Jean, et qui d’autre ?) s’octroient ce pouvoir. Et ils le font du vivant de Jésus ; ils le font dans son dos.

            Pense-t-on un peu à ceux qui attendaient une guérison de la part de Jésus, ou de la part d’un autre ? De pauvres gens étaient dans l’espérance, une forme simplement merveilleuse de l’espérance, et les voilà déçus, et les voilà condamnés…

            Peut-on rapprocher cela de ce que dit Jésus : « Si quelqu’un fait chuter un de ces petits qui croient… » ? Oui, les disciples font chuter, déçoivent, certains de ces simples qui croient. Et la suite, c’est dans le lac avec une grosse pierre attachée au cou, ou, moins définitif mais tout aussi radical, les diverses amputations dont nous avons déjà parlé. Mais alors, pour avoir mis fin à un beau ministère de guérison, et pour avoir déçu le petit peuple, quelle partie de leur anatomie les disciples devraient-ils se trancher ? L’œil ? Mais un seul œil n’aurait pas suffi, ni une main, ni un pied. Considérons la partie du corps qui pense, parfois vrai, et qui pense parfois faux. Cette partie du corps, on ne peut pas la couper, ni la diviser. Donc on ne voit pas trop quelle mutilation serait appropriée. Mais puisqu’il s’agit de méditer sur ce qu’on a peut-être de trop, nous pouvons essayer, par métaphore, de nous demander ce que les disciples de Jésus – Jean et quelques autres – avaient de trop.

 

            Ce qu’ils avaient de trop ? Ils avaient été appelés les premiers par Jésus, ils avaient entendu tous ses enseignements, et avaient assisté à tous ses miracles. Certains d’entre eux avaient même assisté à sa transfiguration… Cela fait beaucoup de choses à leur actif. Mais il y a l’un des enseignements de Jésus qu’ils ne comprenaient absolument pas, c’était celui sur la résurrection. Au fond, ce qu’ils n’avaient pas compris, mais alors pas compris du tout, c’était que Jésus Christ Fils de Dieu était totalement, absolument et invinciblement libre, libre dans la vie, et libre dans la mort.

            Pressentant cette liberté, ressentant comme un vertige, et ne comprenant pas ce qui se passe – mais au fond, qui peut le comprendre, et qui peut le vouloir – ils agissent et parlent dans le but de tout contenir.

            En somme, ils se figurent que "ça" ne doit passer que par eux, qu’ils en sont garants, que le nom de Jésus Christ Fils de Dieu doit faire l’objet d’un label et d’une labellisation, et qu’ils sont compétents en la matière. Pourquoi compétents ? Parce qu’ils ont suivi Jésus depuis le début, sans doute, mais aussi parce qu’ils ont peur de le perdre... (Tout cela peut se dire avec quantité de nuances. En utilisant le vocabulaire de Moïse dans le 11ème chapitre du livre des Nombres, ils sont jaloux. Et en utilisant le vocabulaire du 5ème chapitre de l’épître de Jacques, ils sont riches). Ils se voient en quelque manière protecteurs – on pourrait dire propriétaire – de la personne et du nom de Jésus Christ Fils de Dieu.

 

            Mais est-on jamais propriétaire ou protecteur de ce nom-là ? Jésus Christ et ses disciples sont des Israélites, et l’on peut penser qu’ils ont été avisés de ce que signifiait l’imprononçable nom de Dieu. Le nom de Dieu est composé de quatre lettres imprononçables. Est-on jamais propriétaire de ce nom-là ? Ou du nom de Jésus Christ Fils de Dieu ? Nous allons répondre non…personne n’en est propriétaire, mais chacun doit bien le prononcer, d’une manière ou d’une autre. Quelle que soit cette manière, elle fait référence directement à l’imprononçable, et dit donc ce qu’elle ne devrait pas dire.

            Que faudra-t-il faire alors ? Que faudra-t-il donc faire pour ne pas usurper le nom de Dieu ? Il faudra se souvenir, encore, et toujours, que Dieu est vivant et que le Fils de Dieu est ressuscité. Le Père et le Fils sont libres, absolument et totalement libres.

samedi 21 septembre 2024

Traversées (Marc 9,30-37)



Marc 9,30-37 

30 Ils partirent de là, et traversèrent la Galilée. Jésus ne voulait pas qu'on le sache.

 31 Car il enseignait ses disciples, et il leur dit: Le Fils de l'homme sera livré entre les mains des hommes; ils le feront mourir, et, trois jours après qu'il aura été mis à mort, il ressuscitera.

 32 Mais les disciples ne comprenaient pas cette parole, et ils craignaient de l'interroger.

 33 Ils arrivèrent à Capernaüm. Lorsqu'il fut dans la maison, Jésus leur demanda: De quoi discutiez-vous en chemin?

 34 Mais ils gardèrent le silence, car en chemin ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand.

 35 Alors il s'assit, appela les douze, et leur dit: Si quelqu'un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous.

 36 Et il prit un petit enfant, le plaça au milieu d'eux, et l'ayant pris dans ses bras, il leur dit:

 37 Quiconque reçoit en mon nom un de ces petits enfants me reçoit moi-même; et quiconque me reçoit, reçoit non pas moi, mais celui qui m'a envoyé

de part et d’autre

de part et d’autre de ce récit, il y a de l’impossible...

d’une part, une sorte de démon qu’il semble impossible de chasser autrement que par la prière...

d’autre part, un homme qui semble ne pas être du clan des disciples de Jésus et qui ose pourtant chasser les démons au nom de Jésus...

 

d’une part, un démon qui jette enfant - sourd et muet - dans le feu...

d’autre part, un homme est réduit au silence au motif qu’il n’appartient pas à la bonne école...

 

d’une part, cette sorte d’excès de parole d’un père - et des disciples de Jésus -  qui condamne son enfant au silence...

d’autre part, l’excès de parole des disciples du Jésus - encore eux - qui condamne un homme au silence...

 

de ces deux épisodes qui encadrent la petite séquence que nous lisons, on peut trouver un point commun, celui d’une prééminence de la réponse sur la question, de l’affirmation sur l’interrogation...

lorsque les hommes parlent, c’est pour empêcher leur vis à vis de parler...

ainsi en est-on réduit, toujours, aux images qu’on a de nous, ou, pour le dire autrement, à un symptôme...

 

toutes ces observations sont des préliminaires, auxquels il faut ajouter que, dans l’évangile de Marc, le Jésus ne cesse de commander qu’on garde le silence et qu’on soit discret, il ne cesse d’expliquer qu’il faut marcher plutôt que causer, et, au contraire, tous ceux qui le côtoient ne cesse de faire de la pub pour lui, ou, peut-être bien, de faire de la pub pour eux-mêmes...

petite herméneutique du silence

qu’en est-il de notre petite séquence de ce soir ?

deux temps :

Jésus annonce sa mort et sa résurrection...

Jésus parle des enfants...

deux temps, avec un point commun : le silence... deux silences insoutenables, dont un, en particulier, accompagné de peur...

 

Jésus, donc, parle de sa mort et de sa résurrection, et les autres « avaient peur de l’interroger »... et c’est exactement le même mot, le mot peur, qui est employé lorsque les femmes, venues au tombeau, le trouveront vide et s’enfuiront ;

« peur d’interroger »... on croit rêver... peur d’interroger, ça fait un peu peur du gendarme, le chauffeur, le chauffard qui sait toujours bien comme il conduit, et qui arrive vers le monsieur au képi avec le plus beau sourire du monde, tout prêt à dire, j’ai rien fait Monsieur l’Agent... ou, encore, nos enfants, d’autant plus inquiétants qu’ils s’adressent parfois à nous avec des gentillesses suspectes...

« peur d’interroger », cette peur est la trace, toujours, d’une réponse, d’une vérité déjà là et qu’on se refuse à reconnaître, ou à formuler...

mais quelle peut bien être cette réponse avec laquelle on triche ?

 

dans notre petite affaire, nous pouvons penser que nous connaissons cette vérité : mort et résurrection de Jésus... elle fait partie, si l’on peut dire, de ce qu’on a en stock au fond du magasin

mais pensez à l’effet qu’a pu avoir cette annonce... dans l’euphorie langagière, dans le fait de se réjouir d’être le disciple d’un si grand maître, dans la jouissance d’être à côté du puissant...

l’annonce de la mort et de la résurrection perfore le discours, de part en part...

alors, on se tait... et ce silence a une figure de déni... on est atterré par une espèce de révélation inconsciente de ce qu’on est, révélation que précieusement on laisse perdre, qu’on laisse couler dans l’océan des belles paroles

est-on jugé pour ça par le Jésus ?

non, parce qu’il est trop fin connaisseur de la condition humaine pour s’offusquer de ça... il sait, il sait bien, et c’est pour ça qu’il se tait, en chemin, que c’est en chemin que les choses se passent, et que la révélation à l’homme de sa propre condition, de sa propre vérité, n’advient que lorsqu’elle advient, et que nul, fut-il fils de Dieu, ne peut pour cela se substituer à un autre...

parler de mort et de résurrection n’a de sens que lorsqu’il s’agit de la disparition de la personne dont j’aime qu’elle m’aime, et de cette traversée de la souffrance, infiniment longue, qui me ramènera à une autre vie... tout le reste du temps, il ne peut s’agir que d’un baratin

la vie ou le baratin, le silence ou le bavardage, voici quelle est l’équation de ce premier moment... un moment bien insuffisant...

 

ça semble pourtant simple, littérairement simple, qu’il ne s’agit pas tant de parler que de donner la parole : l’enfant du miracle qui précède nos fragments, tout le monde parle de lui, personne ne lui parle, tout le monde est au spectacle, personne ne prie, tout le monde a quelque chose à dire, personne n’est en lui-même assez silencieux pour entendre cette espèce de détresse qui se nourrit de la détresse qu’elle provoque... chacun croit qu’il sait, ou croit qu’il croit, mais personne ne va jusqu'à crier de toute la force de sa foi qu’il croit peu, ou qu’il ne croit pas... premier cri qui est le premier point d’appui sur lequel construire une relation conduisant à mieux vivre...

peut-être faut-il être le père d’un enfant malade... et rencontrer le bon thérapeute...

peut-être faut-il que meure le meilleur de nos maîtres pour qu’on cesse de jouer au grand...

en attendant, le récit, et la vie, se poursuivent... il n’y a pas de temps perdu...

 

du naturel

on continue la route... et puisqu’on craint d’interroger ce maître qui vous a déjà dit tout ce que vous ne voulez pas entendre, on va se livrer à ses petits penchants...

lequel est le plus grand ?

et, si je puis me permettre en ces lieux, un allusion aux conversations des messieurs entre eux, cette discussion évangélique est une variante de lequel a la plus grande... ( je ne sais pas de quoi parlent les femmes entre elles) ou, encore, pour revenir à nos comportements routiers, lequel est le plus malin, lequel roule le plus vite et évitant le mieux les gendarmes... il y a là dessous une espèce de roublardise, de surenchère du baratin, qui ne vise qu’à réduire l’autre au silence : celui que j’ai contraint à se taire est toujours forcément de mon avis...

et quand il est de mon avis, il n’a plus qu’à me servir, ou moi à me servir de lui...

 

une fois encore, ceux que le Jésus interroge ainsi seront forcés de se taire... c’est que la préoccupation de savoir qui est le plus grand est une préoccupation minuscule, et terriblement envahissante : elle fait peut-être sentir la route courte, mais elle est une querelle qui empêche de jouir du paysage qu’on traverse... elle est toute centrée sur soi, et ne s’ouvre ni vers l’autre, ni vers le ciel... elle ramène le question de la grandeur au niveau de l’ombilic, au lieu de la laisser se déployer... dans le silence...

et une fois encore, ça n’est pas une condamnation, mais une manifestation ordinaire d’un naturel ordinaire... lequel, à être en chemin, chemine, et revient au galop...

s’asseoir !

il n’est alors pas question une seule seconde de laisser nier ce qu’on est... on n’aurait plus en face de nous un bon maître... ce serait un mauvais gourou...

il n’est pas non plus question de souhaiter être précipité dans un malheur qui serait salutaire... on a trop peiné à sortir du Moyen âge, puis du 19ième siècle...

 

il est seulement question, comme le suggère notre texte, de s’asseoir : « Jésus s’assit et il appela les douze... »

il se peut bien que la course infernale qu’on croit mener derrière un bon lièvre ne soit qu’un processus de crétinisation...

on s’arrête, on s’arrête de changer d’angle de fuite...

on se demande qui l’on sert : le tiroir caisse ou la parole de l’autre ? on se demande quel accueil on réserve à l’enfant qui est au milieu de nous, la gifle ou le baiser, la caresse ou l’enlacement constricteur, l’explication rationnelle ou la main tendue...

on se demande quelle place on laisse en nous à l’enfant, en nous, en moi : le silence, l’interrogation, ou bien cette obligation détestable et inscrite on ne sait où d’être grand, toujours plus grand, toujours plus vite, et toujours plus fort... gagner la course, la gloire et les ‘pèpètes’, le droit de s’exprimer à la télé, de construire son pathos en système de pensée et son caprice en morale... exiger qu’on vous accueille...

 

Jésus est à cet instant celui qui s’assied...

et à cet enfant qui passe, qui n’y est pour rien, qui n’a pas choisi de naître en Palestine il y a deux mille ans, pas plus que vous au 20ième siècle, il fait l’improbable cadeau qu’on peut faire à un enfant, lui donner une place, une place qui n’existe que si on travaille en soi à son creusement...

en cessant, lentement, de parler pour parler, de parler pour que semble moins longue la route, de parler pour que soit moins lourde la présence d’autrui, de parler pour occuper l’espace...

en se souvenant, lentement, que la parole, un jour, un peu, nous fut tout simplement donnée, tout simplement rendue...



samedi 14 septembre 2024

Perdre et gagner sa vie (Marc 8,27-35)

 Marc 8,27-35

27 Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe. En chemin, il interrogeait ses disciples: «Qui suis-je, au dire des hommes?»

 28 Ils lui dirent: «Jean le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres, l'un des prophètes.»

 29 Et lui leur demandait: «Et vous, qui dites-vous que je suis?» Prenant la parole, Pierre lui répond: «Tu es le Christ.»

 30 Et il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne.

 31 Puis il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite.

 32 Il tenait ouvertement ce langage. Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander.

 33 Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre; il lui dit: «Retire-toi! Derrière moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.»

 34 Puis il fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit: «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il me suive.

 35 En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera.

Prédication

         Petit retour en arrière. Dans un texte que nous avons lu l’une des semaines dernières, Jésus, ayant accompli un miracle, interdisait formellement qu’on fasse quelque publicité que ce soit autour de ce miracle.

Et nous avions compris qu’on ne fait guère avancer la cause de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu en faisant une publicité effrénée au sujet de miracles accomplis par lui, mais que nous sommes incapables de réitérer. C’est à nous plutôt, au nom du Christ, d’accomplir simplement ce que nous sommes capables d’accomplir. Plaise à Dieu que cela porte du fruit et à Lui soit la gloire.

         Le texte que nous venons de lire aujourd’hui met en place une autre interdiction, plus fermement exprimée encore que la précédente.

« Tu es le Christ ! », affirme Pierre. Et Jésus lui-même de répliquer en interdisant à tous ses disciples de dire quoi que ce soit de lui à quiconque.

Mais comment l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu va-t-il être continué s’il est s’interdit de dire publiquement que Jésus est le Christ et s’il est même interdit de parler de lui ?

 

Laissons un  instant en suspens le défi que constitue, en elle-même, cette interdiction. Et revenons au texte et aux contextes.

         Jésus est un prédicateur brillant, un guérisseur performant, il a une notoriété considérable dans son petit pays. Et dans son petit pays, sous brutale domination romaine, l’attente d’un puissant libérateur est une réalité. La notoriété de Jésus, la publicité faite autour de lui, risquent à chaque instant de faire se lever derrière lui une petite armée, motivée religieusement et politiquement, qui pourrait certes donner du fil à retordre aux légions romaines, mais que Rome saurait assurément écraser. Lorsqu’il commande à ses disciples de ne rien dire, Jésus tenterait-il de prévenir la violence ?

        

         Mais personne n’a jamais respecté vraiment l’interdiction, formulée par Jésus, ni jadis, ni maintenant. Si bien que la question qui nous intéresse ne peut pas être celle du respect de cette interdiction, mais bien plutôt celle de son interprétation.

Il en va de cette interdiction comme du commandement du Décalogue qui dit : « Tu ne prononceras pas mon nom en vain ! », c’est ce qui est commandé. Mais n’abuse-t-on pas de ce commandement si l’on vient à en faire une interdiction absolue. Que les quatre lettres du nom divin soient imprononçables, cela ne dispense jamais de parler de Dieu. Et comment parlera-t-on de Lui, de Dieu, sans jamais le nommer ?

Ce commandement nous invite à nous demander de quoi nous parlons lorsque nous parlons de Dieu. Il nous signale même que lorsque nous parlons de Dieu, ce n’est jamais de Dieu que nous parlons. Cela signifie que ce commandement ne vise pas à établir, à signifier ou à maintenir que Dieu est Dieu.

Que Dieu soit Dieu n’est jamais établi ni jamais réfuté par aucun propos ni par aucun agir humain. Nous ne pouvons pas établir ou réfuter que Dieu soit Dieu. C’est une affaire qui nous dépasse. Mais le commandement interpelle profondément celui qui se réclame de Dieu. « Est-ce bien Dieu qui est ton Dieu ? » Ou encore : « Ton Dieu, est-ce Dieu ? Ou bien est-ce le texte dont tu te réclames ? »

        

De même, l’interdiction de jamais parler de lui à personne, que Jésus adresse à ses disciples, est destinée à les interpeller. Que Pierre dise à Jésus, devant les autres disciples : « Tu es le Christ ! » n’établit ni n’établira jamais en aucun cas que Jésus est le Christ. Ce qui peut établir que Jésus est le Christ, c’est ce que Jésus dit et fait : son ministère public, sa Passion, sa Résurrection. Mais ne soyons pas naïfs, car son ministère public, sa Passion, sa Résurrection, ne nous sont accessibles que par un texte. « C’est écrit dans la Bible… » Et alors ? Rien ne peut indiquer que Jésus est le Christ, si ce n’est la réception de ce texte. C'est-à-dire que rien ne peut indiquer que Jésus est le Christ si ce n’est ce que les lecteurs ont fait, font, et feront de ce texte. Amen

samedi 7 septembre 2024

La parole et l'espérance

 



Esaïe 35

1 Qu'ils se réjouissent, le désert et la terre aride, que la steppe exulte et fleurisse,

2  qu'elle se couvre de fleurs des champs, qu'elle saute et danse et crie de joie! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sharôn, et on verra la gloire du SEIGNEUR, la splendeur de notre Dieu.

3  Rendez fortes les mains fatiguées, rendez fermes les genoux chancelants.

4  Dites à ceux qui s'affolent: Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu: c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver.

5 Alors, les yeux des aveugles voient et les oreilles des sourds s'ouvrent.

6  Alors, le boiteux bondit comme un cerf et la bouche du muet crie de joie. Des eaux jaillissent dans le désert, des torrents dans la steppe.

7  La terre brûlante se change en lac, la région de la soif en sources jaillissantes. Dans le repaire où gîte le chacal, l'herbe devient roseau et papyrus.

8  Là on construit une route qu'on appelle chemin de sainteté. Le prédateur n'y passe pas - car le Seigneur lui-même l'ouvre - et les faibles d’esprit ne s’y égarent pas.

9  On n'y rencontre pas de lion, aucune bête féroce n'y accède- on n'en trouve pas. Ceux que le Seigneur a rachetés vont par là.

10  Ils reviennent, ceux dont le SEIGNEUR a payé la rançon, ils arrivent à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages, une joie sans limite! Allégresse et joie viennent à leur rencontre, tristesse et plainte s'enfuient.

 Marc 7

31 ¶ Jésus quitta le territoire de Tyr et revint par Sidon vers la mer de Galilée en traversant le territoire de la Décapole.

32  On lui amène un sourd qui, de plus, parlait difficilement et on le supplie de lui imposer la main.

33  Le prenant loin de la foule, à l'écart, Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue.

34  Puis, levant son regard vers le ciel, il soupira. Et il lui dit: "Ephphata", c'est-à-dire: "Ouvre-toi."

35  Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait correctement.

36  Jésus leur recommanda de n'en parler à personne: mais plus il le leur recommandait, plus ceux-ci le proclamaient.

37  Ils étaient très impressionnés et ils disaient: "Il a bien fait toutes choses; il fait entendre les sourds et parler les muets."

 James 

2:1 Mes frères, ne mêlez pas des cas de partialité à votre foi en notre glorieux Seigneur Jésus Christ.
 2 En effet, s'il entre dans votre assemblée un homme aux bagues d'or, magnifiquement vêtu; s'il entre aussi un pauvre vêtu de haillons;
 3 si vous vous intéressez à l'homme qui porte des vêtements magnifiques et lui dites: «Toi, assieds-toi à cette bonne place»; si au pauvre vous dites: «Toi, tiens-toi debout» ou «Assieds-toi là-bas, au pied de mon escabeau»,
 4 n'avez-vous pas fait en vous-mêmes une discrimination? N'êtes-vous pas devenus des juges aux raisonnements criminels?
 5 Écoutez, mes frères bien-aimés! N'est-ce pas Dieu qui a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment?
 

Méditation

·                Il vient lui-même vous sauver, dit le prophète. Et de quoi ? Et comment ? Il faut bien vous dire d’emblée que le salut qui est en question ici est un salut tout à fait concret. Il ne s’agit pas d’un salut pour l’au-delà de la mort, mais d’un salut maintenant, un salut qui serait comme un extincteur devant un début d’incendie… Mais qu’est-ce que sera ce salut concret pour celui qui est incapable de tout, impuissant, dominé, esclave ? L’espérance est le salut concret de l’impuissant, pourrait-on dire. L’espérance ne change pas le réel et son implacable rudesse. Mais que change-t-elle donc ? L’espérance sauve, concrètement elle sauve. Elle sauve de quoi ?

·                Nous laissons cette question, provisoirement, et nous allons continuer notre lecture.

 

·                Il faut que nous continuions sérieusement cette lecture parce que, dans notre texte, il est question de vengeance et de rétribution. Vous savez, lorsqu’on tombe sur ce genre de mots, si l’on connaît un peu d’hébreu, on peut toujours tenter d’expliquer que bon oui, que ce sont les mots par lesquels on a traduit, mais que ça veut dire autre chose, qui n’est pas si violent. Ici, on ne le peut pas : vengeance, rétribution. Ce qu’attendent les uns et les autres en réparation, en compensation de ce qu’ils ont souffert et souffrent encore. Et si ça n’est pas pour eux – parce que le temps passe – il en vient d’autres après eux qui, au motif de ce qu’on subi leurs pères, leurs ancêtres, revendiquent terres et lieux saints, prophétie à la bouche et armes à la main. Quelle espérance ? On n’a jamais vu que la vengeance, on n’a jamais vu que la vengeance rétablissait la paix ou qu’un jugement extrême parachevait un deuil. Frères et sœurs, devant Dieu, aucun traumatisme subi n’exonère jamais personne de sa responsabilité envers ses semblables ni ne l’absout de sa propre sauvagerie. Et c’est bien faute de pratique et de culture religieuses, que notre pays est en quête d’une justice qui tient plus de la rétribution et de la vengeance que de la … justice, c'est-à-dire de l’espérance.

·                Deuxième fois que nous laissons là l’espérance, nous la laissons là encore, et nous avançons.

 

·                Mais qu’en est-il, dans notre texte, de la vengeance et de la rétribution de Dieu ?

·                D’une manière totalement étonnante, la vengeance et la rétribution de Dieu se manifestent par un excès de bonté. Elle concerne les boiteux, les muets, les aveugles et les sourds. Cette prophétie est adressée à des exilés qui attendent réparation, sous la forme de la ruine de leurs oppresseurs et d’un ticket retour. Pourtant, elle ne les concerne pas, eux, au premier chef. Aux exilés qui ont des yeux, des oreilles, de bouches et des jambes en état de fonctionner, et des intelligences capables d’imaginer et de réclamer vengeance et rétribution, il est fait promesse d’un salut concret pour ceux qui sont sans exigences, sans force et sans voix. Il est fait promesse de la pluie à la terre ; la terre n’exige jamais la pluie, elle l’attend seulement. La terre ne crie jamais après la pluie, elle l’espère seulement. Et pour appuyer encore cette idée, repérons que l’homme guéri dans l’évangile ne pouvait de lui-même ni savoir ce qui pourrait lui arriver, ni le réclamer… sourd et muet.

·                Ce qui est indiqué ici, c’est que l’excès de bonté qui caractérise la vengeance et la rétribution de Dieu appartient à ceux qui n’exigent rien ni n’attendent rien, comme il est écrit : il vient lui-même vous sauver.

 

·                Nous ne pouvons pas en rester à ce que nous venons de dire. Honte sur nous si nous maintenons maintenant que le salut de Dieu appartient aux estropiés tout à la fois de corps et d’esprit. L’infortune n’appelle nulle bonne fortune, ni devant les humains, ni devant Dieu. Et la bonne fortune devant les humains n’appelle pas de catastrophe ou de ruine qui devraient valoir l’attention de Dieu. Tout ce que nous colorons de vengeance ou de rétribution, dans un sens comme dans l’autre, est là d’emblée caduc.

·                Il y a seulement devant Dieu un chemin de sainteté, nous dit le texte. C’est un chemin qu’il ouvre et ouvrira devant les pas de qui s’y engage. C’est un chemin dont il est le guide et le défricheur. Il y a un choix de vie qui est possible et qui tient en peu de mots : le prédateur n’y passe pas. Chemine sur ce chemin celui qui, sans rien réclamer pour lui-même, dans la condition qui est la sienne et selon les forces qui lui sont données, se fait force et voix de ceux qui sont auprès de lui sans forces ni voix. L’espérance est ainsi ce qui reste de la vengeance et de la rétribution de Dieu lorsque Dieu lui-même a payé la rançon.

·                Il la paye, et vous qui êtes de tradition chrétienne vous savez bien comment et en qui lorsque vous confessez Jésus-Christ-Fils-de-Dieu. Il la paye dès lors qu’il suscite des humains pour dire sa parole, et cela est bien connu aussi en-dehors des traditions chrétiennes. Et dès lors que l’être humain s’avise de cela, il est libre – c'est-à-dire capable – de choisir ce chemin-là : le propre du renoncement à la prédation qui caractérise le chemin de la sainteté est qu’il ne peut être imposé à personne. Il ne peut être choisi que librement. Et bien cela est, il me semble, le premier et unique acte de l’espérance. Tout le reste est donné par surcroît.