Marc 4
26 Il disait: «Il en est
du Royaume de Dieu comme d'un homme qui jette la semence en terre:
27
qu'il dorme ou qu'il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et
grandit, il ne sait comment.
28
D'elle-même la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, enfin du blé plein
l'épi.
29
Et dès que le blé est mûr, on y met la faucille, car c'est le temps de la
moisson.»
30
Il disait: «À quoi allons-nous comparer le Royaume de Dieu, ou par quelle parabole
allons-nous le représenter?
32
mais quand on l'a semée, elle monte et devient plus grande que toutes les
plantes potagères, et elle pousse de grandes branches, si bien que les oiseaux
du ciel peuvent faire leurs nids à son ombre.»
33
Par de nombreuses paraboles de ce genre, il leur annonçait la Parole, dans la
mesure où ils pouvaient la comprendre.
34 Il ne leur parlait pas sans parabole, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.
Prédication
Ainsi donc, Jésus
parlait de deux manières différentes. Il annonçait la Parole publiquement, et
toujours avec des paraboles. Mais, en particulier, à ses propres disciples, il
expliquait tout. Et nous allons méditer sur cette seconde situation : il
expliquait tout.
Tout d’abord, nous pouvons nous
interroger sur ces explications. Mais nous risquons de nous interroger
longtemps. Car, dans l’Évangiles de Marc, nous trouvons les paraboles, mais pas
les explications. Les disciples, qui ont parlé, puis, plus tard, ceux qui ont
écrit les Évangiles, ont laissé de côté ces explications, et ils ont transmis
les paraboles.
Nous pouvons regretter de n’avoir
que des paraboles. Nous pouvons même déplorer le manque d’explications. Parce
que, faute d’explications, nous ne savons pas vraiment ce qu’est le Royaume de
Dieu. Mais pourquoi nous faudrait-il des explications ?
Nous appartenons à une société qui a
remplacé d’abord ses chamans par des prêtres
puis par des tragédiens, puis par des romanciers par des experts. Nous
appartenons à une culture du pourquoi et
du comment, une culture qui a espéré, et espère encore, que la raison pourrait
tout prévoir et tout résoudre. Alors nous voulons des modes d’emploi, des
certitudes et des preuves établies. Tout cela est à notre disposition. Mais
quelque chose semble manquer.
Ce qui semble manquer, c’est les
explications dont parle l’évangéliste, source de justice et de sagesse,
peut-être. Ces explications des paraboles du Royaume de Dieu auraient-elles été
les modes d’emploi de la vie bonne et heureuse ? Nous pouvons l’imaginer.
Mais nous n’avons pas ces explications. Alors il nous est seulement possible de
lire ce que nous avons, et de le méditer sérieusement.
Ces paraboles, si jolies, ne
correspondent pas à la vraie vie. La vraie vie, parfois, se moque bien de nos
plans et de nos explications. Nous savons qu’en matière d’agriculture, il n’y a
pas de récoltes si personne ne sème, la parabole dit là-dessus la vérité. Mais
nous savons aussi qu’il ne suffit pas toujours d’avoir semé pour récolter en
fin de saison, et la parabole ne le dit pas... Est-ce pour nous mentir qu’elle
ne le dit pas ? Est-ce pour nous endormir, pour nous donner l’ivresse et
l’oubli ?
Il ne suffit pas toujours d’avoir
semé pour récolter en fin de saison, nous le savons tous. Et ce que nous
faisons avec application et avec amour est parfois balayé par l’orage,
l’accident ou la maladie. Est-il nécessaire de raconter une parabole pour
exprimer cela ? La dureté de la vie n’a pas besoin de paraboles. La dureté
de la vie est sans paraboles et elle est sans pourquoi.
Mais alors, pourquoi les
paraboles ? Et pourquoi ces deux-là, justement, la semence en terre, la
moindre des semences. Qu’y a-t-il de commun entre elles ? Il y a de commun
entre ces paraboles l’acte de semer, ou plutôt la situation d’avoir semé. A la
racine commune de ces deux paraboles, il y a le fait d’avoir semé, et le fait
que sans ce geste inaugural, il n’y a rien, mais rien d’autre qui soit
possible. Alors, s’il y a une vérité possible de ces paraboles du Royaume de
Dieu, une vérité qui soit aussi une vérité de la vie, c’est bien d’avantage
dans les semailles qu’elle se lit plutôt que dans la moisson. Le geste de semer
n’est jamais annulé, même si la récolte ne revient pas finalement au semeur
mais à l’oiseau, même si elle est finalement dévastée par l’orage ou ravagée
par les criquets…
Ceci étant dit, nous lisons bien
qu’à ses propres disciples, en privé, il expliquait tout. Nous n’allons rien
supputer sur ces explications : Nous n’avons en guise d’explications qu’un
simple verbe : expliquer. Les traducteurs de la Bible ont choisi ce verbe
or, en langue grecque, ce verbe désigne d’abord l’action de délier, comme on
délie un animal captif, comme on relâche un prisonnier. Ainsi, lorsque Jésus
explique les paraboles à ses disciples, il délie ses disciples, il les libère
comme on libère un prisonnier. Mais de quoi les libère-t-ils ?
Pour répondre à cette question, il
nous faut bien nous souvenir que les explications des paraboles n’ont pas été
transmises. Il n’y a qu’une explication possible. Jésus n’expliquait pas les
paraboles, mais il libérait ses disciples du besoin d’expliquer toute la vie,
de maîtriser, de contrôler ceux à qui l’on parle. Il libérait ses disciples de
l’idée que la parole d’un maître, ou d’un livre saint, est le secret de la vie
heureuse. A ses disciples il désapprenait l’illusion du pouvoir, il leur
apprenait l’ouverture. En privé donc, il leur transmettait tout
Mais n’aurait-il pas pu faire cela
publiquement ? Et bien, non. Parce que ce qui lie quelqu’un ne lie pas
forcément un autre. Et ce qui délie quelqu’un ne délie pas forcément quelqu’un
d’autre. Alors il faut qu’alors on soit en petit comité, voire en tête à tête
pour que cela advienne. L’explication que le maître donnera à tel disciple
vaudra pour ce disciple, à cet instant. Et ce disciple trouvera dans
l’explication reçue du maître un surcroît de liberté, de vie, par quoi il vivra
plus librement, plus largement Nous savons aussi que les explications
collectives – sur la liturgie – livrées au public, peuvent elles aussi devenir
un lieu, un modèle, une aliénation
Même des explications personnelles,
de la bouche du maître, si on les livre à certain public, risquent de
dégénérer. Raison pour lesquelles, en public, Jésus ne parle qu’en paraboles,
jamais sans paraboles, pour préserver la liberté de ses auditeurs.
Car il s’agit bien de cela, de
libération, et de liberté. L’Évangile, bonne nouvelle, enseignement de
Jésus-Christ, n’apporte rien de nouveau s’il se contente de remplacer une
aliénation par une autre aliénation. La parole du maître, tant publique que
privée, n’a donc d’autre but que de laisser à son auditeur la possibilité de
faire un chemin de liberté qui soit le sien propre tout en n’aliénant le moins
possible ses semblables. Que le disciple fasse savoir quel maître il sert, mais
qu’il ne contraigne en rien ceux auxquels il prêchera. C’est pourquoi, lorsque
les disciples seront envoyés en mission, ils le seront dans l’extrême
dépouillement qui sera le leur.
Quant
au maître, vous savez quelle sera l’ultime de ses paraboles. Lorsque vous confessez sa
résurrection, vous affirmez que rien de ce qu’il a entrepris ne l’a été en
vain. Lorsque vous confessez la résurrection de la chair, vous affirmez, contre
les pourquoi, les comment, contre la dureté de la vie, contre l’absurde, contre
la sottise des humains, qu’il faut semer, et qu’il faut vivre, tant qu’on est
vivant.
Le royaume de Dieu est ainsi plus qu’une
espérance, infiniment plus. Il est votre vie. Amen