samedi 11 mai 2024

Critique de la manière de gouverner (Actes 1,15-26)

Actes 1,15-26

15 En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères - il y avait là, réuni, un groupe d'environ cent vingt personnes - et il déclara:

 16 «Frères, il fallait que s'accomplisse ce que l'Esprit Saint avait annoncé dans l'Écriture, par la bouche de David, à propos de Judas devenu le guide de ceux qui ont arrêté Jésus.

 17 Il était de notre nombre et avait reçu sa part de notre service.

 18 Or cet homme, avec le salaire de son iniquité, avait acheté une terre: il est tombé en avant, s'est ouvert par le milieu, et ses entrailles se sont toutes répandues.

 19 Tous les habitants de Jérusalem l'ont appris: aussi cette terre a-t-elle été appelée, dans leur langue, Hakeldama, c'est-à-dire Terre de sang.

 20 Il est de fait écrit dans le livre des Psaumes: Que sa résidence devienne déserte et que personne ne l'habite et encore: Qu'un autre prenne sa charge.

 21 Il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a marché à notre tête,

 22 à commencer par le baptême de Jean jusqu'au jour où il nous a été enlevé: il faut donc que l'un d'entre eux devienne avec nous témoin de sa résurrection.»

 23 On en présenta deux, Joseph appelé Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias.

 24 Et l'on fit alors cette prière: «Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, désigne celui des deux que tu as choisi,

 25 pour prendre, dans le service de l'apostolat, la place que Judas a délaissée pour aller à la place qui est la sienne.»

 26 On les tira au sort et le sort tomba sur Matthias qui fut dès lors adjoint aux onze apôtres.

Prédication : 

            Pourquoi 12 ? 12 disciples ? 10 x 12 frères au milieu desquels Pierre prend la parole ? Il se présente là un nombre de personnes qui aurait à voir avec la perfection, une certaine perfection ? Ou alors ce tout jeune groupe se penserait, ou aurait été pensé comme nouvel Israël nouveau peuple de Dieu – 12 tribus, 12 fils de Jacob) ? (je laisse de côté les 12 petits Prophètes qui, à leur manière, écrivent aussi une histoire)…

            Pourquoi 12 ? Dans ce 12 si massivement répété dans les deux Testaments de la Bible, y a-t-il une nécessité ? De quelle sorte ? Les commentateurs nous parlent d’un chiffre de perfection. Mais quelle nature a ce chiffre pour être décrété parfait. Ni onze ni treize ? Un chiffre juste arithmétique – auquel cas il serait juste indifférent que ce soit 11, ou 13. Mais ce doit être plus sophistiqué, ce doit être plutôt un sorte de code – chiffre – synonymes dans ce cas. 12 serait le code d’une certaine perfection, perfection de l’effectif communautaire. Mais la perfection de l’effectif, s’il y en a une, signifie-t-elle la perfection des personnes ? La perfection de l’effectif induit-elle la perfection de chacune et de chacun (en l’occurrence la perfection de chacun dans les évangiles, où tous les appelés sont des mâles) ?

            A cet endroit il nous est facile de répondre : non, l’effectif – 12 – n’est pas une garantie. Car – nous le savons bien – il y en a un sur 12 qui va, d’une certaine manière, tout flanquer par terre, tout, c'est-à-dire toutes les spéculations sur l’effectif de la perfection. Et depuis que nous lisons dans les évangiles les récits de la trahison de Judas, il vient une question sans fin, la question Pourquoi ? La question vient et viennent avec elle quantité de supputations. Et il est impossible de conclure. Car la trahison de Judas est un trou ; un trou non pas pour passer une vie à tenter à le remplir, mais un trou pour apprendre à le border, pour en apprendre la proximité, pour apprendre à vivre dans sa proximité, et – redoublant le verbe – à apprendre à apprendre à suivre un certain chemin, témoignage chrétien, partage de l’Évangile… vous le direz comme vous l’entendrez.

 

            Ainsi de 12 nous sommes passés à 11, mais nous n’avons pas vu Jésus se précipiter pour que l’effectif remonte de 11 à 12. En lisant notre Luc du jour, en lisant les critères que propose Pierre, les candidats ne manquent pas et s’il ne reste que deux noms, c’est encore un de trop.

            Et pourquoi, une fois encore, faut-il que l’effectif remonte à 12 ? Nous sommes dans Actes – c'est-à-dire Luc – et tout ce qui semble être normalement avancé doit être accueilli avec prudence.

            12 ? Quelle origine à ce 12 apostolique ? C’est dans la Bible ? C’est dans la vie de Jésus, appel de ses disciples ? Et alors ? Un lecteur un peu critique affirmerait qu’un tel usage du chiffre, on ne dira pas du symbole, est tendancieux. Et qu’il vient là détourner à son profit une situation pas très simple, mais aussi pas très compliquée. Passer de 12 à 11, finalement, c’est assez simple, surtout lorsque le 12ème fait le ménage lui-même…

            12 ? Un peu comme précédemment, c’est au fond une question de référence aux Écritures, qui déclarent que si la maison demeure inhabitée, un autre doit en prendre la charge. Bien sûr, ça peut s’appliquer là. (Ici je veux me souvenir pour vous de quelque chose qui m’énervait assez fort, lorsque j’étais enseignant à l’INSA de Lyon, c’était que mes élèves me disent au fil de leur travail « maintenant il faut appliquer une formule ») Et bien, Actes 1,20, Pierre parle comme quelqu’un qui, pour établir sa propre idée, vient appliquer une formule, formule faire de deux versets de Psaumes.

            120 ? Notez bien aussi que Pierre se lève au milieu d’un groupe de 12x10, dans des conditions mal précisées, et avec une idée qui semble n’être que la sienne. Ce groupe a un effectif sur mesure… Est-ce Pierre, ou est-ce Luc qui parle ? Et il se compte là plusieurs hommes – pas de femmes – qui ont pour quartier de noblesse d’avoir suivi Jésus depuis son baptême jusqu’à son ascension. Mais qu’est-ce à dire ? Ces hommes, si nous en croyons l’évangile de Luc, ont suivi Jésus avant même les 12… ils sont plus anciens que Pierre. Et pourquoi donc bénéficient-ils d’une considération  moindre ? Et pourquoi Pierre parle-t-il mal d’eux, en les prenant sous un nous-eux condescendant ?

 

            Et avec tout cela, il s’agit de préciser, de discuter, qu’il devait et qu’il dut y avoir 12 témoins de la résurrection, pas 11, pas 13 mais 12.

            Jésus en appela 12, mais de quelle autorité, 12 n’est pas forcément le seul chiffre possible. En plus, Luc nous montre bien des fois un Jésus suffisamment libre pour s’affranchir même du 12.

            Partant de là, la question des 12 et de leur sélection – seul Matthias a été sélectionné – n’est plus une question évangélique mais une question apostolique. C'est-à-dire qu’il n’y a aucun Esprit Saint dont  l’activité soit à attendre, même pour ceux qui attendent la fête liturgique de Pentecôte, même  pour ceux qui en attendent encore aujourd’hui une effusion personnelle.

            Et partant de là aussi, c’est la réflexion personnelle et communautaire qui compte car ces nouveaux 12 ne vont pas tarder à disparaître, l’âge certainement, la persécution peut-être, tous, et il ne restera… que des hommes, et des femmes, avec des instruments d’êtres humains, qui n’appliquent pas des formules, mais essentiellement lisent, méditent, partagent, leur réflexion, pour partager la vie de la communauté. Et c’est ainsi que l’Évangile – la Parole – traversera les millénaires. Amen