samedi 25 mai 2024

Aux limites de la Trinité (Matthieu 28,16-20)

Matthieu 28

16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.

17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.

18 Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces paroles: «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.

19 Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,

20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.»

Prédication

Et voici trois lectures. Ces trois lectures, proposées par le lectionnaire Dimanches et fêtes, sont tout à fait bien choisies pour évoquer d’abord le Père, puis le Saint Esprit, et enfin le Fils, lequel Fils qui, à la toute fin de l’évangile selon Matthieu, institue le baptême et institue avec ce baptême la formule trinitaire « … au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ».

            Le dimanche qui suit la Pentecôte est le dimanche de la Trinité.

 

            La Trinité n’est pas une fête que les protestants réformés de France que nous sommes célèbrent avec une ferveur particulière. Elle pouvait même passer inaperçue dans la liste de lecture que nous fournit la Fédération protestante de France… Il y a encore un petit nombre d’années, les textes proposés étaient bien les mêmes que ceux que lisaient nos sœurs et frères catholiques, c’était et c’est encore le cas, mais la mention Trinité ne figuraient pas en marge de notre propre petit livret…

            On le sait, certains Protestants, nous en sommes peut-être, émettent quelques réserves s’agissant de la Trinité, mot qui ne figure pas explicitement dans la Bible.  Mais ces mêmes Protestants dont nous sommes ne peuvent pas ignorer que pour bien des chrétiens Dieu est (totalement, intégralement et au plein sens du verbe être) Père, Fils et Saint Esprit, une seule essence en trois personnes…

            A-t-on pourtant tout dit de Dieu, de sa nature, de son activité, lorsqu’on a dit qu’il est Trine, ou Trinité ? Nous allons laisser de côté maintenant ces questions ; ce n’est pas le moment de faire un travail sur la doctrine et sur la nature de la doctrine. Car trois textes nous sont proposés, et ils vont servir à une méditation sur ce que nous allons appeler la triple filiation du chrétien, notre triple filiation.

            Dans un premier temps, nous ferons une sorte de description élogieuse de ces filiations. Dans un second temps, nous émettrons des réserves sur chacune des ces filiations. Puis nous parlerons d’espérance

 

            Premier temps, trois courts éloges.

            Première filiation, la filiation du Père, ou des pères. Nous ne sommes pas les premiers à croire. Nous recueillons avec reconnaissance l’héritage, le témoignage, de la tradition. Le texte biblique nous est donné. « Interroge les jours du début, dit le Deutéronome ! » La mémoire nous est donnée. Nous sont données aussi la forme de nos cérémonies et la manière d’organiser nos Églises... Nous ne sommes pas les premiers. Le chemin a été tracé pour nous. Honneur à nos pères, et grâces soient rendues à Dieu.

            Seconde filiation, la filiation du Fils, c'est-à-dire ce qu’on doit aux frères, et sœurs, qui sont nos contemporains. Dans la logique de cette prédication, le Fils n’est pas seulement le Fils du Père au sens où la tradition parlerait de lui. Il est le contemporain, le frère, celui qui partage notre condition, qui nous enseigne et que nous enseignons. Aujourd’hui, nous ne sommes pas tout seul. L’un doute, l’autre parle avec lui. La foi s’élabore, se construit, dans le dialogue, dans la rencontre, de nos contemporains. Ma sœur, mon frère, apportent à ma vie et à ma foi. En quelque manière ils m’engendrent. Qu’ils en soient remerciés, et que Dieu soit loué.

            Troisième filiation, celle de l’Esprit. L’héritage des pères et le partage entre les frères ne doivent pas laisser oublier que chaque personne peut être créative, inspirée. Il y a un Esprit qui peut bien s’adresser à chacun, à chacune, et engendrer en lui cette activité de l’humain qu’on appelle la foi. C’est d’ailleurs ainsi que l’Esprit atteste intimement à chacun qu’il est enfant de Dieu.

 

            Deuxième temps, Nous reprenons chacune de ces trois filiations. Et nous allons méditer sur leurs limites.

            Filiation du Père, des pères, et de la tradition… Ainsi ont fait nos pères dans la foi et nous leur devons beaucoup. Mais, parce que nos pères ont fait ce qu’ils ont fait, devons-nous faire tout comme eux ? La filiation selon la tradition est une filiation qui, si l’on ne considère qu’elle, conduit tout dans l’impasse du traditionalisme qui dit : "Aujourd’hui doit être comme hier". Et l’on voit alors des Églises s’étioler, se rigidifier, s’accrocher orgueilleusement et désespérément à la forme des anciennes cérémonies, ou à de vieux bâtiments, ou à de vieilles sornettes. On les voit peut-être disparaître, mais en tout cas on les voit terriblement s’isoler.

            Filiation du Fils, engendrement entre contemporains… Nous devons infiniment à nos contemporains, sœurs et frères dans la vie et dans la foi, mais cette filiation, lorsqu’on choisit trop bien les gens avec qui l’on partage, conduit tout à une forme close de la foi, une forme dans laquelle la connivence en groupe tient lieu de vérité. Plus personne alors n’apporte rien à  personne parce que tous disent la même chose, croient la même chose... L’on voit ainsi parfois des groupes se refermer sur eux-mêmes, s’uniformiser, rejeter tout ce qui pourrait être original, fécond, puis ça s’éteint.

            Filiation de l’Esprit, personnelle et intime… Nous avons peut-être en mémoire des exemples terribles de personnes qui, au nom de leur inspiration toute personnelle, au nom de l’Esprit, ont récusé leurs contemporains, récusé la tradition, et mené leur propre vie spirituelle au désastre. Parfois même ce désastre a-t-il été tristement contagieux… Quoi qu’il en soit, l’on se dessèche assurément à se dire engendré uniquement par l’Esprit, en se tenant de plus tout à fait seul, sans frères, sans Père... sans Dieu.

 

            Au point où nous en sommes, nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas faire un éloge trop exclusif de nos filiations. Mais nous ne pouvons pas non plus récuser ces filiations.

Nous n’en avons pas d’autres… Il nous faut donc les maintenir, les reconnaître, les éprouver, et les tenir toujours en dialogue.

 

            Par exemple, lorsque Calvin parle du témoignage intérieur du Saint Esprit, c'est-à-dire de la filiation intime, il en parle dans un lien étroit avec la lecture de la Bible. L’Écriture ne devient parole de Dieu en nous que par le témoignage intérieur du Saint Esprit. La première et la troisième de nos filiations sont ici en dialogue. Et le nous qu’il utilise indique pleinement la présence de contemporains.

 

Autre exemple, lorsque Paul parle aux Romains de l’Esprit d’adoption qui parle à notre esprit et nous dit que nous sommes enfants de Dieu, ça n’est pas pour que chacun dise arrogamment « Je suis, moi, enfant de Dieu ! », mais pour que cela soit dit ensemble et réciproquement par un certain groupe de personnes. Ainsi Paul conjugue-t-il explicitement la troisième et la seconde des filiations.

 

« Puisse l’Esprit souffler en chacun et chacune d’entre nous au cours de ce culte. Cette simple phrase si on l’entend, met en dialogue la tradition dont le culte est porteur, les sœurs et frères qui sont présents dans l’assemblée, et l’Esprit que nous espérons pour tous.

 

Aujourd’hui, c’est le dimanche de la Trinité et au début de cette prédication nous avons annoncé qu’il serait question d’abord d’éloge, puis de  réserves, puis d’espérance.

Quelle est notre espérance, après ce que nous venons de dire ? Les grands textes et nos traditions sont là devant nous et offerts : nous ne sommes pas les premiers à vivre, à croire et à espérer. Nos contemporains sont là, pour nous défier, pour nous soutenir : nous ne sommes pas seuls à vivre, à espérer et à croire. Et nous sommes là, chacune, chacun, avec sa vie, avec sa propre histoire, mystérieusement et réellement accompagnés. Espérance.

 

Amen