samedi 2 décembre 2023

Le premier dimanche de l'Avent, et Dieu lui-même tout à fait en moi (Marc 13,33-37)

Marc 13

33 «Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment.

 34 C'est comme un homme qui part en voyage: il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller.

 35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin,

 36 de peur qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve en train de dormir.

 37 Ce que je vous dis, je le dis à tous: veillez.»

 Prédication

            Je voudrais, pour commencer ce sermon, me demander combien de temps il faut aux humains pour considérer que ce qu’ils reçoivent par pure grâce leur est en fait tout simplement dû. C’est une drôle de question, l’une de celles qui me sont familières. Et qui est assez bien documentée dans la Bible, avec David, avec Gédéon.

            David et Gédéon, avec un accessoire vestimentaire appelé ephod. Nous ne savons pas très bien ce qu’était l’éphod. Un petit pagne de lin, ou un gros pendentif pectoral. Les deux ayant à voir avec le culte, plutôt louange action de grâce.

 

            David tournoyait de toutes ses forces devant le SEIGNEUR - David était ceint d'un éphod de lin. (2Sa 6:14) L’occasion de cette danse est l’entrée de l’arche dans Jérusalem. Quelque chose d’extrêmement joyeux, indubitablement. Mais pas pour tout le monde. La femme de David, Mikal, fille du roi Saül, vient adresser de vives remontrances à David parce qu’elle pense qu’il s’est exhibé devant le peuple… car l’éphod était un petit vêtement de hanche qui, si le danseur dansait de toute sa force, ne laissait rien ignorer de son anatomie.

            Mais ça n’est pas ce qui nous intéresse. Combien de temps entre la grâce divine comprise pour ce qu’elle et la récrimination agressive ? Quelques instants dans le cœur de Mikal.

            Autre personnage. Gédéon, dans le livre des Juges. Gédéon était le plus petit garçon de la plus petite famille de la plus petite tribu de son peuple. Mais c’est lui qui fut choisi par Dieu pour libérer son peuple. Et il le libéra, gloire soit rendue à Dieu. Gédéon n’accepta jamais la moindre gratification.

            Sauf que, sur le tard, il demanda à ses compagnons d’armes qu’ils donnent chacun un anneau d’or pur pris sur le butin qu’ils avaient saisi sur leurs ennemis vaincus. Et avec cet or, Gédéon [en] se fit un éphod, gros pendentif pectoral métallique, qu'il installa dans sa ville, à Ofra. Tout Israël vint se prostituer là, devant cet éphod, qui devint un piège pour Gédéon et pour sa maison (Juges 8:27). Se prostituer, dans ce contexte c’est implorer la chose plutôt que rendre grâce à Dieu.

            Combien de temps entre la bénédiction divine et la dégénérescence idolâtre ? Quelques décennies, tout au plus.

 

            Ces exemples bibliques nous ont bien montré que les événements sont solubles dans le temps. Et que parfois – ne disons pas toujours – la génération de la libération peut bien être celle de la ré-aliénation. Gédéon, David, la succession infernale des rois de Juda et l’épopée spirituelle de la sortie d’Égypte. C’est parfois si tristement répétitif que nous pouvons douter que jamais l’homme, avec ou sans Dieu, soit capable de garder comme un bien précieux et durable ce qui, un jour, lui advint comme par miracle.

            En ruminant cette question, me vient une autre question : à quoi sert l’année liturgique ? A quoi cela sert-il de répéter chaque année dans le même ordre toute une série de fêtes ? La liste de ces fêtes n’est pas la même pour toutes les confessions chrétiennes – parlons seulement de ce christianisme que nous connaissons un peu – mais la fréquence est bien la même. Raviver une flamme qui autrement viendrait à passer, telle peut être la fonction de ces fêtes liturgiques, telle peut être la fonction de sermons thématique repris et repensés… Après 25 sermons sur la Pentecôte, le pasteur commence à mieux comprendre. Et nous avons une petite histoire de rabbins, Un jour que Moïse doutait parce que ce que Dieu lui dictait, la Torah, était trop difficile, Dieu montra à Moïse Rabbi Akiba, le plus grand d’entre tous. Moïse vit Rabbi Akiba, puis Dieu montra à Moïse Rabbi Akiba après sa mort. Aucune différence apparente dit Moïse. Mais Dieu répondit : « Maintenant, il comprend. » Et voila le temps qu’il faut pour comprendre, et c’est Rabbi Akiba, un maître distingué entre tous, qui nous en donne la mesure.

            Pourquoi donc la répétition des fêtes ? Il faut toujours raviver la flamme, et il faut toujours sarcler le terrain sur lequel se sème la divine Parole, une fois par fête et par année. Vous connaissez la liste, et la liste connaît de nombreuses variantes. Une seule de ces variantes, l’Ascension, répétée annuellement dans l’EPUdF branche luthérienne, et dans la branche réformée ? pas répétée du tout. Mais pour autant ces réformés ne restent pas en repos, ils tiennent gentiment leur synode national…

 

            Mais il y a une fête importante qui, si nous observons bien, connait chaque année une répétition remarquable : une quadruple répétition préparatoire, suivie par la fête elle-même. Est-ce vous voyez quoi ? Quatre dimanches de l’Avent, puis la célébration de Noël. Ça vous fait cinq cérémonies là où pour toutes les autres fêtes du calendrier une seule suffit.

            Quelqu’un nous dira peut-être que cet ensemble imposant marque le commencement de l’année liturgique, et que c’est de là que vient cette sorte de chargement du calendrier. Bien sûr, nous l’entendons, mais cela revient à dire que la liturgie se commande à elle-même, ce qui est possible mais ce qui n’est pas selon les ambitions des Protestants réformés. Nous cherchons quelque-chose de théologique, quelque-chose de biblique. Or qu’avons-nous sous les yeux ? Un nouveau-né dans une crèche (Luc) – mais cela vient un peu tôt pour aujourd’hui. Nous avons ceci, l’intuition de l’évangile de Jean, qui énonce – attentions, tout cela fonctionne en simultané – que le Verbe est Dieu, et que le Verbe se fait chair. Alors ce qui est vu le soir de Noël, c’est Dieu, en chair et en os c’est Dieu. C’est Dieu dans une extrême fragilité – en ce temps-là, en notre temps aussi, il n’est qu’un enfant – et qui dispose d’une pauvre garde, Joseph, son Père, Marie, sa mère. Et toutes sortes de quadrupèdes, mangeurs de viande et mangeurs d’herbe seront ajoutés à la scène primitive. La notoriété grandit, et le cortège grandit aussi. Mais ça n’est pas ce qui doit nous retenir. Car la flèche du temps qui nous intéresse ne va pas dans le sens descendant. Elle va dans le sens ascendant, et la question qui se pose – pendant les quatre dimanche c’est « Et avant ? »

            Et pendant ces quatre dimanches préparatoires, à la fois l’on s’avance vers Noël et à la fois on se transporte – à rebours – vers des temps plus de plus en plus précaires et de plus en plus incertains. Incertains quant à l’existence physique, mais grands – on l’espère – quant à l’espérance, l’espérance et l’incertitude n’étant pas antagonistes.

            Mais pourquoi quatre plus un ? Et bien parce que c’est là qu’est la fragilité extrême, là où il est le plus facile, voire le plus tentant de la ramener à rien, de le pulvériser, et le vent fait le reste, et Dieu n’y est plus. Quatre méditations donc, pour méditer sur la portée de notre puissance, et l’humble et doux refuge que nous pouvons peut-être être pour Lui.