samedi 20 février 2021

Commencement du ministère de Jésus (Marc 2:1-12)


 Marc 2

1 Quelques jours après, Jésus rentra à Capharnaüm et l'on apprit qu'il était à la maison. 2 Et tant de monde s'y rassembla qu'il n'y avait plus de place, pas même devant la porte. Et il leur annonçait la Parole.

3 Arrivent des gens qui lui amènent un paralysé porté par quatre hommes. 4 Et comme ils ne pouvaient l'amener jusqu'à lui à cause de la foule, ils ont découvert le toit au-dessus de l'endroit où il était et, faisant une ouverture, ils descendent le brancard sur lequel le paralysé était couché.

5 Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé: «Mon fils, tes péchés sont pardonnés.» 6 Quelques scribes étaient assis là et se disaient en leurs cœurs: 7 «Pourquoi cet homme parle-t-il ainsi? Il blasphème. Qui peut pardonner les péchés sinon Dieu seul?» 8 Connaissant aussitôt en son esprit qu'ils se disaient cela en eux-mêmes, Jésus leur dit: «Pourquoi vous dites-vous cela en vos cœurs? 9 Qu'y a-t-il de plus facile, de dire au paralysé: ‹Tes péchés sont pardonnés›, ou bien de dire: ‹Lève-toi, prends ton brancard et marche›? 10 Eh bien! afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre...» - il dit au paralysé: 11 «Je te dis: lève-toi, prends ton brancard et va dans ta maison.»

12 L'homme se leva, il prit aussitôt son brancard et il sortit devant tout le monde, si bien que tous étaient bouleversés et rendaient gloire à Dieu en disant: «Nous n'avons jamais rien vu de pareil!»

Prédication

               Selon l’évangile de Marc, Jésus, au commencement de son ministère public, se manifesta comme un prédicateur. Il annonçait : « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché : convertissez-vous et croyez à l'Évangile. » Il prêchait avec autorité, avec puissance – c'est-à-dire sa prédication accomplissait ce qu’elle annonçait. Ainsi à Capharnaüm, il y eut une guérison publique. Si bien que Jésus ne fut plus sollicité que pour ça.

            Il quitta donc Capharnaüm pour visiter les autres bourgades de la région, avec le même résultat. Il n’entra plus dans aucune ville et fréquenta les lieux déserts, avec le même résultat. On venait à lui de toute part, avec toujours les mêmes demandes.

            Le ministère public de Jésus allait-il être entièrement absorbé par l’accomplissement de guérisons, répété à l’infini ?

            Le risque était bien là, et pour tâcher de le conjurer, Jésus ayant purifié un lépreux lui ordonna de ne rien dire. Sans succès, évidemment. Car l’intense bonheur lié à une guérison inespérée ne manque jamais de se faire largement connaître.

            Ainsi la situation, à la fin du premier chapitre de Marc, est que Jésus est vu comme un guérisseur surpuissant, sollicité, où qu’il soit, en tant que tel. Et qu’advient-il alors de la prédication de la proximité du Royaume ? Cette prédication de conversion est-elle condamnée à être perdue ?

            Il nous est très difficile de répondre à cette dernière question. Car s’il venait à passer parmi nous, au nom de Dieu, un prédicateur réputé surpuissant guérisseur, que lui demanderions-nous, nous autres, prêcher, ou guérir ?

           C’est peut-être après avoir pris acte de cette dérive de son ministère que Jésus choisit de revenir là d’où il était parti. Retour donc à Capharnaüm, où il avait déjà guéri à peu près tous les malades – ça lui donnait une chance de pouvoir prêcher. Retour aussi dans une maison privée, celle de Simon et André, ce qui lui donnait une certaine liberté, vis-à-vis de la synagogue, et vis-à-vis du sabbat.

            « Tant de monde s'y rassembla qu'il n'y avait plus de place, pas même devant la porte. Mais – au moins – il leur annonçait la Parole. » Enfin, pourrions-nous dire, la Parole est annoncée et le ministère de Jésus est réorienté. Ça ne signifie pas qu’il n’y aura plus de miracles, il y en aura encore, mais plus en masse, et pas sans réflexion, discussion, controverses. Et ça n’est pas le ministère de Jésus seulement qui va se déployer, c’est aussi le texte de l’évangile de Marc. Cessant d’être un simple récit de faits, il commence à donner à son lecteur accès à l’intériorité des personnages, et il devient pour son lecteur l’occasion de réfléchir, d’approfondir… il devient, disent certains spécialistes, un catéchisme.

            Le fragment que nous avons lu aujourd’hui semble appeler trois remarques – qui pourraient justement être de passionnantes questions de catéchisme.

 

            Première remarque : Jésus voyant leur foi (la foi des quatre porteurs) dit à l’homme (le paralysé) "Mon fils, tes péchés sont pardonnés." La foi des quatre hommes, pour ce que nous, lecteurs, nous pouvons constater, c’est d’avoir porté le brancard, de l’avoir hissé sur les toits, d’avoir démonté la toiture et d’avoir fait descendre le brancard et l’homme jusque devant Jésus. Nous pouvons bien entendu imaginer qu’il fallait, pour accomplir cela, une certaine force de conviction, conviction qu’il fallait que le paralytique se trouve devant le prédicateur, mais cela ne nous est pas dit. La foi est ce qu’on entreprend bien plus que ce qu’on ressent, en effet. Mais ça n’est pas le plus intéressant. Le plus intéressant c’est "voyant leur foi, Jésus dit au paralysé…" Et les protestants que nous sommes s’interrogent, sur les œuvres, sur le salut par les œuvres et découvrent ici, exactement dans l’évangile de Marc, que non seulement le paralysé est sauvé par des œuvres, mais qu’en plus les mérites attachés à ces œuvres sont transmissibles. Ce n’est pas cela qui va faire réagir le public de Capharnaüm, comme si cela allait de soi – et il faudrait dire en quoi ça allait de soi – et pourquoi Dieu ne me pardonnerait-il pas ainsi, juste parce que quelqu’un a bien agi en me mettant en sa présence ? et pourquoi la justification par la foi ne pourrait elle pas être la justification d’untel à cause de – ou par – l’agir de tel autre ? Car après tout, si nous sommes sauvés, n’est-ce pas à cause des œuvres du  Christ ?

            Deuxième remarque : ce qui fait réagir certains membres de l’assistance c’est que Jésus dise à l’homme "tes péchés sont pardonnés". Dieu seul peut pardonner les péchés, se disent en eux-mêmes les quelques scribes présents. Soit, mais est-ce bien sûr ? Lorsque Jean le Baptiste baptise "en vue du pardon des péchés", qui pardonne les péchés, et quand ? Dieu ? Soit, c’est Dieu qui pardonne. Mais quand pardonne-t-il ? Si nous disons avant le baptême, alors le baptême de Jean ne rime à rien. Si nous disons après, nous subordonnons le pardon de Dieu à une action humaine. Et si nous disons en même temps, nous faisons de Jean le Baptiste une sorte de coadjuteur de Dieu. Le baptême de Jean le Baptiste n’est pas, en ce temps là, le seul lieu, ni le seul moyen, d’obtenir le pardon de Dieu. Il y a aussi le temple de Jérusalem, et les sacrifices qu’on y pratique. Quand donc Dieu pardonne-t-il, à quel moment du rituel, ou sur quel geste du prêtre ? Et tout cela fonctionne-t-il (pardonnez ici la trivialité du verbe fonctionner) sans une forme de participation spirituelle du demandeur, sans que ce demandeur soit contrit ? Oui, disons-nous. Sauf que, en Marc 2, le paralysé s’entend dire que ses péchés sont pardonnés, alors que lui-même n’a rien dit ni fait qui puisse ressembler à une demande… Et les scribes pensent donc que Jésus est un blasphémateur.

 

            Troisième remarque : celui qui peut le plus difficile peut le plus facile. Avant de dire ce qui est le plus facile et ce qui est le plus difficile, il nous faut repérer qu’il y a pouvoir et pouvoir. Lorsque les scribes pensent en eux-mêmes que Dieu seul peut pardonner les péchés, ils pensent comme des théologiens qui s’intéresseraient seulement à la cohérence d’un discours particulier, leur propre discours. Dieu seul peut signifie alors à peu près Dieu seul a le droit et que c’est ce qui doit être enseigné sur Dieu. Mais lorsque Jésus enseigne avec puissance, il ne s’agit pas de pouvoir ou de permission, mais d’accomplir ce qui est dit. On peut distinguer pouvoir et puissance, le pouvoir s’autorisant d’une tradition, d’une formation et d’un certain grade, alors que la puissance s’autorise d’elle-même en accomplissant ce qu’elle proclame. Que dire à cet homme ? Pour les scribes, pour ceux qui entendent juger de ce qui est permis et de ce qui est défendu s’agissant de Dieu, il n’y a rien à dire et ils ne diront rien. Pour toutes celles et ceux qui choisiraient de faire un bout de chemin avec un grand malade, il est plus facile de dire "tes péchés sont pardonnés" (ou quelque chose de ce genre) que "lève-toi, prends ton grabat et marche". S’il s’agit de la qualité du lecteur, ou du témoin, à proclamer le pardon de Dieu, nous en avons assez dit. Mais il s’agit, pour Marc, de dire brillamment que Jésus, le Fils de l’homme, a le pouvoir – puissance agissante selon ce qu’elle dit – de pardonner les péchés. En accomplissant le plus difficile, guérir, Jésus montre son autorité, sa puissance agissante, sur ce qui était – apparemment – le plus facile, pardonner les péchés. Et l’homme se leva, pris son grabat, et sortit devant une foule stupéfaite. 

Sauvé par les œuvres d'un autre

            Mais tout ceci ayant eu lieu, il y a, dans ce fragment, une absence tout à fait remarquable. Dans cette foule stupéfaite, il n’apparaît personne qui semblerait recevoir pour lui-même la proclamation du pardon des péchés, ni qui semblerait s’interroger sur la transmission de l’autorité pour pardonner les péchés. Pas d’homme qui voudrait devenir disciple, ni même les disciples que Jésus a pourtant déjà appelés. Nous pouvons penser qu’il est juste un peu trop tôt, et que la graine de l’Évangile a besoin de temps pour germer.

            En tous ces gens étonnés, puisse la graine germer.

            Puisse-t-elle germer en nous aussi.

            Amen