dimanche 17 juin 2018

Le Règne de Dieu (Marc 1,14-15 et Marc 4, 26-34)


Marc 1
14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Évangile de Dieu et disait:
15 «Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché: convertissez-vous et croyez à l'Évangile.»

Marc 4
26 Il disait: «Il en est du Règne de Dieu comme d'un homme qui jette la semence sur la terre:
27 qu'il dorme ou qu'il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment.
28 D'elle-même la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, enfin du blé plein l'épi.
29 Et dès que le blé est mûr, on y met la faucille, car c'est le temps de la moisson.»

30 Il disait: «À quoi allons-nous comparer le Règne de Dieu, ou dans quelle parabole allons-nous le poser?
31 C'est comme une graine de moutarde: quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences du monde;
32 mais quand on l'a semée, elle monte et devient plus grande que toutes les plantes potagères, et elle pousse de grandes branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leurs nids à son ombre.»

33 Par de nombreuses paraboles de ce genre, il leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l'entendre.
34 Il ne leur parlait pas sans parabole, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.

Prédication

            Le Règne de Dieu s’est approché, proclame Jésus. Qu’est-ce que le Règne de Dieu ? Chaque groupe religieux existant en ce temps-là en Palestine avait sa propre idée du Règne de Dieu. Pour certains, le départ des Romains et la restauration d’une souveraineté autochtone sur Israël, avec un descendant de David sur un trône unifié. Pour d’autre, la conquête du Grand Israël, de la rive orientale du delta du Nil à la rive droite de l’Euphrate, pour d’autres encore le retour au Pays de tous les Juifs dispersés… Mais il y avait aussi ceux qui attendaient une nouvelle création, nouveaux cieux, nouvelle terre où il n’y aurait plus de sang, ni de sueur, ni de larmes, d’autres une paix universelle sous domination fraternelle – mais domination tout de même – d’Israël, pour d’autres ce pouvait être la purification de tout le peuple et la recentralisation au Temple de tous les cultes rendus à IHVH. Pour d’autre, une espèce de transport mystique obtenu à force de prière et de privations. Mais pour d’autres, c’était plutôt un jugement qui aurait condamné tout ce qui était impur et n’aurait laissé survivre qu’un petit groupe de champions de la pureté.
Cela nous fait une petite dizaine de Règnes de Dieu, tous différents entre eux, soutenus chacun par un groupe, soutenus et parfois déjà plus ou moins mis en œuvre chacun par son groupe.
Des Règnes de Dieu donc différents, des espérances différentes, et pas forcément compatibles les unes avec les autres ; dans le meilleur des cas, chaque groupe prône sa propre vision de la chose en ignorant les autres ; dans le pire des cas, il y a des affrontements qui ne sont pas que des affrontements verbaux.      
Or à tout cela, Jésus ajoute quelque chose, en quatre points : «(1) Le temps est accompli, et (2) le Règne de Dieu s'est approché : (3) convertissez-vous et (4) croyez à l'Évangile.» 
Avant d’explorer ces quatre points, une mise en garde : il y a un piège. Ce piège serait de considérer que ces énoncés sont l’énoncé d’une espérance de plus, de la vraie espérance vraie du vrai Règne de Dieu, le nôtre. Piège… tâchons de ne pas tomber dans ce piège. Que dit Jésus ?



  1. Le temps est accompli (temps)
Il y a une différence considérable entre les Règnes de Dieu par lesquels nous avons commencé et celui que Jésus annonce. Toutes ces Règnes doivent advenir un jour ; ils sont inscrits dans une histoire dont la durée n’est pas mesurable, mais qui est tout de même une durée : un jour, tout changera… Et même si des hommes mettent tout en œuvre, la force des armes ou celle de la piété, pour que cela advienne, c’est tout de même un accomplissement  pour un jour qui doit venir, ou encore, un jour viendra
Rien de cela dans le Règne de Dieu que Jésus annonce. Jésus dit le temps est accompli. Jésus ne parle pas du temps linéaire de l’histoire, mais du temps instantané des grandes décisions et des grands engagements. En substance, Jésus dit : c’est maintenant. Jésus ne parle pas d’une éventualité pour le futur, mais d’une possibilité tout de suite.

  1. Le Règne de Dieu s’est approché (espace)
Cela semble d’abord signifier que le Règne de Dieu était lointain et qu’il est désormais plus proche. Ça n’est pas faux, mais seulement très insuffisant. La langue grecque nous indique que le Règne de Dieu ne s’est pas approché de sorte qu’il soit plus proche maintenant que tout à l’heure et qu’il sera encore plus proche demain… Ce que signifie Jésus, c’est que le Règne de Dieu est proche, tout proche, tellement proche qu’il ne sera jamais encore plus proche.
En somme, si la première phrase qui dit le temps est accompli signifie que c’est maintenant, la seconde phrase dit que c’est ici.
Nous allons même nous montrer audacieux en énonçant que puisque le texte est porteur du message qui dit que le Règne de Dieu est maintenant et  ici, cela vaut non seulement pour les premiers auditeurs de la prédication chrétienne, mais aussi pour les auditeurs que nous sommes aujourd’hui.

  1. Convertissez-vous (disposition d’esprit)
Cela n’a plus grand-chose à voir avec ce que les gens attendaient. Nous avons fait tout à l’heure la liste de ce qui pouvait être attendu. Le monde que ces gens espéraient était pour un jour lointain, et supposait d’abord une disqualification du monde, puis sa transformation matérielle. Contrairement à tout cela, Jésus dit maintenant et ici. Pour ses contemporains – et pour nous aussi – il est extrêmement difficile de comprendre que le Règne de Dieu soit dans ce monde, celui exactement dans lequel nous vivons, et il n’y en a pas d’autre. Pour que cela soit compris, il faut un changement profond de compréhension, cela précisément que suggère la parole de Jésus, mot à mot, changez votre faculté de penser, il faut ce que Karl Barth appelait une illumination de la raison, cela qu’on appelle une conversion.
Mais si Karl Barth pour cela parle d’illumination de la raison, c’est qu’en bon calviniste, il ne peut guère penser que l’être humain soit capable par ses propres forces de changer sa faculté de penser. Or, cette capacité, dans l’évangile de Marc, Jésus la suppose. Alors l’impératif d’une conversion est adressé par Jésus à ses auditeurs, par l’évangile de Marc à ses lecteurs.
Puisque donc le Règne de Dieu n’a jamais été aussi proche, plus imminent, et ne le sera jamais d’avantage, c’est à l’être humain de faire le reste du chemin, maintenant et ici. Ce chemin, dans la bouche de Jésus, n’est pas un long chemin de changement personnel, mais plutôt une prise de décision soudaine et irréversible. Convertissez-vous ! Oui, mais à quoi ?

  1. Croyez à l’Evangile, ou, plus littéralement, croyez dans l’Evangile (action)
Prenons bien garde ici, car nous devons imaginer un règne de Dieu totalement différent de ceux que nous avons évoqués au début de notre méditation. Croyez à l’Evangile, c’est le moyen et le but de la conversion que l’être humain doit accomplir, et c’est l’ici et maintenant du Règne de Dieu. Qu’est-ce à dire ? Il nous faut revenir très attentivement à nos paraboles. Marc, le plus ancien des évangiles, ne donne que deux paraboles du Règne de Dieu. Le Règne de Dieu, il est comme quoi ?


Première parabole, une affaire de semence, un projet de moisson. Mais le Règne de Dieu, ce n’est pas l’accomplissement final de ce projet. Ce que nous avons lu, c’est que le Règne de Dieu est comme l’homme, l’être humain, l’être humain non pas du commencement à la fin du projet, mais l’être humain tout court, dans son ici et maintenant tout le temps d’une saison qui annonce une autre saison, qui sera meilleure, ou pire, il ne le sait pas, il ne sait ni comment ni pourquoi. Alors, qu’est-ce que croire à l’Evangile – ou, plus littéralement, croire dans l’Evangile ? Demeurer à chaque instant dans la disposition de ce semeur qui sème comme on apporte une offrande à la terre, comme on apporte une offrande au Culte, dans la beauté du geste, dans la gratuité du geste, et dans l’action de grâce et la confiante ignorance de la suite.
Deuxième parabole, une affaire de semence, encore. Mais le Règne de Dieu n’est pas l’accomplissement final du processus de croissance de ce végétal. Le Règne de Dieu, c’est la graine. La graine inconsciente d’elle-même, incapable même d’un projet, qui meurt en tant que graine et renait arbre, sans comment, sans pourquoi, et une fois encore sans projet, mue seulement par une considérable puissance de vie que vous pourrez bien, si vous le voulez, appeler grâce. Alors qu’est-ce que croire dans l’Evangile ? Demeurer obstinément en vie, pleinement dans l’activité, et en même temps dans une sorte d’infiniment confiante passivité, sans savoir ce qu’on deviendra.


Qu’en est-il donc finalement du Règne de Dieu pour Jésus ? Vivre, pleinement, vivre sans rien posséder et surtout sans un but qu’on s’assigne – autre que la plénitude. Cette vie en plénitude relève d’une décision de chaque instant, en somme, d’un apprentissage, ou, comme Jésus le dit, d’une conversion.
Jésus – et donc Marc – croit que c’est possible, que les forces d’un être humain lui permettent de mener cette vie, la vie du Règne de Dieu. Et nous pouvons dire oui… oui pour Jésus qui va et vient sans jamais rien posséder, oui pour ses disciples, oui pour eux qui ont choisi une vie de dépouillement presque absolu. A leur manière, Jésus et ses disciples sont des radicaux…
Mais pour nous qui sommes des sédentaires, qui possédons nos maisons, nos voitures, nos meubles, le Règne de Dieu est-il à notre portée ?
Oui, je le crois. Ce regard intérieur légèrement distant porté sur nous-mêmes, et ce regard extérieur plein d’étonnement, de reconnaissance et de joie peuvent être les nôtres. Vivons ainsi, que le Règne de Dieu soit la réalité de nos vies. Amen