dimanche 5 novembre 2017

Nous et les autres (Matthieu 23,1-11)


C'était le 7 janvier 2015. Ceci n'est donc pas un anniversaire... Je me demande parfois combien de temps il faut à un mouvement qui dure - comme la Réforme - pour avoir à la fin chaque jour un anniversaire à fêter et pour arriver à ne vivre que de commémorations étrangères à son véritable objet. Au train où vont les choses, nous aurons bientôt chaque jour à commémorer un attentat... Les menaces sur Charlie Hebdo sont de retour. 
Matthieu 23
1 Alors Jésus s'adressa aux foules et à ses disciples:
2 «Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse:
3 faites donc et gardez tout ce qu'ils peuvent vous dire, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas.
4 Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes, alors qu'eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.
5 Toutes leurs œuvres, ils les font pour se montrer aux hommes. Ils élargissent leurs phylactères et allongent leurs franges.
6 Ils aiment à occuper les premières places dans les dîners et les premiers sièges dans les synagogues,
7 à être salués sur les places publiques et à s'entendre appeler ‹Maître› par les hommes.
8 Pour vous, ne vous faites pas appeler ‹Maître›, car vous n'avez qu'un seul Maître et vous êtes tous frères.
9 N'appelez personne sur la terre votre ‹Père›, car vous n'en avez qu'un seul, le Père céleste.
10 Ne vous faites pas non plus appeler ‹Guides›, car vous n'avez qu'un seul Guide, le Christ.

11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Prédication :
Dénoncer les agissements et les incohérences des scribes et des Pharisiens, c’est assurément ce que Jésus fait dans ce chapitre, et il ira jusqu’à les maudire. Mais pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette simple perspective. L’objectif de Jésus n’est certainement pas de démontrer à quel point ses détracteurs, scribes et Pharisiens, sont de méchantes gens, ce que tout le monde sait, mais bien plutôt de faire s’interroger l’auditeur sur le croyant qu’il entend être, et ses disciples  sur cette communauté qu’ils entendent constituer. Ainsi, comme nous allons le voir, c’est un paysage assez complet qui est ici dressé.

Il y a une institution, c'est-à-dire des structures plutôt pérennes, et des gens qui habitent ces structures, mis en place par d’autres gens, depuis longtemps. Jésus le rappelle, ne le nie pas, ne cherche même pas à le contester. Il est un être humain auquel d’autres êtres humain, nés avant lui, ont enseigné ce qu’eux-mêmes avaient reçu de ceux qui étaient venus avant eux. Rien n’est jamais pour personne  directement tombé du ciel.
L’institution, du temps de Jésus, prend plusieurs visages. Il y a le Temple de Jérusalem et tout ce qui tourne autour du Temple, mais aussi, dans notre extrait, « la chaire de Moïse », c'est-à-dire un héritage fort ancien – qui remonte à Moïse, dira-t-on pour faire simple – que deux groupes de gens, scribes et Pharisiens, ont pour mission de transmettre. Les scribes ont pour mission de transmettre sans le transformer ce qui est écrit, on appelait cela Torah écrite ;  les Pharisiens ont pour mission de transmettre et d’enrichir un patrimoine non écrit à l’époque, mais tout aussi important, qu’on appelait Torah orale !
Notez bien que Jésus ne conteste en aucun cas la fonction institutionnelle des scribes et des Pharisiens ! 

Cette Torah, orale et écrite, il faut la mettre en œuvre, et il y a de multiples manières de le faire. Jésus ne se prononce aucunement sur telle ou telle manière de faire, c'est-à-dire qu’il ne se prononce aucunement sur la diversité du judaïsme de son temps (qui était fort diversifié !), pas d’avantage qu’il ne se prononce a priori sur la diversité des Eglises chrétienne d’aujourd’hui... Quelle pratique, quelle manière de faire est la bonne ? Il y a, pour un même texte, des milliers de pratiques possibles et toutes évidemment ne se valent pas.
Ce que Jésus reproche  aux scribes et aux Pharisiens n’est pas telle ou telle manière de faire qui leur serait propre ; il leur reproche de ne rien faire.
Tenons donc pour essentiel que l’auditeur, le disciple de Jésus, n’a pas à se demander si ce qu’il fait – ni si ce que font les ‘autres’ – est littéralement conforme au texte – Jésus lui-même ne le fait pas. Le disciple de Jésus a juste à se demander s’il fait quelque chose qui soit en relation avec le texte, avec la Bible.

Nous faisons quelque chose, ne serait-ce qu’en venant au culte ce matin, mais nous n’allons pas en rester à cela. Nous pouvons évaluer cette chose que nous faisons, et toutes les autres, ainsi que notre rapport avec ces choses, en examinant les trois interdictions que Jésus formule dans notre texte.

  1. « Ne vous faites pas appeler Rabbi… » – maître ou professeur
Bien sûr, le titre de Rabbi existe, ceux de professeur ou maître aussi. Ils sont en usage dans les synagogues et autres lieux d’enseignement, marque de politesse et de reconnaissance envers qui, d’un point de vue académique, vous a précédé. Et Jésus n’a rien contre cela… on est toujours à un moment de sa vie le maître, le professeur ou le rabbin de quelqu’un, ne serait-ce que lorsqu’on enseigne à ses propres enfants la bicyclette ou les tables de multiplication. Mais cela ne peut avoir qu’un temps, et cela ne consacre aucunement une dignité supérieure que tout le monde devrait reconnaître et devant laquelle chacun devrait s’incliner.
« Ne vous faites pas appeler Rabbi » pourrait tout aussi bien se dire « Tu n’exigeras pas qu’on se prosterne devant toi », ou encore « Tu ne regarderas pas les gens de haut ».
   
  1. « N’appelez personne sur terre votre ‘Père’ »
Le titre de Père existe aussi, et il n’y a pas de mal à appeler ‘Père’ un prêtre catholique romain. Il faut ici penser plutôt au père proche-oriental et à son autorité familiale et tribale, et aussi au Père du Notre Père, celui dont notre foi nous enseigne que nous dépendons radicalement de Lui pour toutes choses et que c’est de Lui que nous recevons ce qui est essentiel.
Aussi bien, ce que Jésus commande ici aux foules et à ses disciples est en rapport avec la 3ème tentation dans l’évangile de Matthieu : « Tout ce pouvoir et toute cette gloire, tu les auras si tu te prosternes et si tu m’adores… » Et bien ici, comme en écho, Jésus enseigne : « Tu ne te prosterneras devant personne, tu ne t’inclineras devant personne, tu ne regarderas personne de bas en haut avec pour idée d’obtenir un pouvoir ou une gratification... »

  1. « Ne vous faites pas appeler ‘guide’ »
Puisque Jésus n’a pas condamné a priori la diversité des Judaïsmes de son temps, et puisqu’il a enseigné à ne regarder personne de haut, et à ne regarder personne non plus ‘d’en-dessous’, cette dernière recommandation est comme une suite logique.
Qui, sur le chemin qui est le sien, peut prétendre que son propre chemin est le seul chemin ? Et qui peut se poser en guide de ses semblables pour dire à chacun ‘voici le chemin que tu dois suivre’ ? Personne… Il peut arriver que, cheminant, l’on soit appelé à donner une indication à quelqu’un qui sollicite, mais nul ne peut se prétendre guide de ses semblables.
Ainsi le conflit entre Jésus et les scribes et Pharisiens n’est pas intéressant en tant que tel ; il est intéressant parce qu’il permet une réflexion personnelle, une réflexion communautaire, une réflexion œcuménique, et peut-être même une réflexion interreligieuse… Cette réflexion dépasse totalement les questions doctrinales, les questions liées à la manière de faire propre à chaque dénomination, pour se concentrer sur la question de la foi en Dieu et de la fraternité.
Il n’y a pas de foi en Dieu sans une fraternelle et réciproque égalité de dignité, pas de foi en Dieu là où l’on cherche à dominer, pas de foi en Dieu là où l’obéissance est malsaine, pas de foi en Dieu là où l’on prétend qu’il n’y a qu’un seul et unique chemin...
Il y a foi en Dieu là où les uns et les autres sont au service les uns des autres, chacun suivant le Christ selon l’appel qu’il a personnellement reçu, et tous ensemble se reconnaissant enfants du même Père. Puissions choisir de vivre ainsi. Amen