dimanche 19 novembre 2017

Autant que j'y ai part j'annonce l'Evangile (1 Corinthiens 9,13-27)

Paul, apôtre, écrivant. Il ne faut jamais oublier que Paul nous est connu par ses lettres. Et qu'une lettre, on la reçoit, et on en fait ce qu'on veut... La lire, ou pas, la jeter au panier, et, parfois, l'ayant lue, chiffonnée, jetée... on va la rechercher dans le panier, et on la lit... pour de vrai, pour de sûr.
1 Corinthiens 9
13 Ne savez-vous pas que ceux qui assurent le service du culte sont nourris par le temple, que ceux qui servent à l'autel ont part à ce qui est offert sur l'autel?
14 De même, le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l'Évangile de vivre de l'Évangile.
15 Mais moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits et je n'écris pas ces lignes pour les réclamer. Plutôt mourir!... Personne ne me ravira ce motif d'orgueil!
16 Car annoncer l'Évangile n'est pas un motif d'orgueil pour moi, c'est une nécessité qui s'impose à moi: malheur à moi si je n'annonce pas l'Évangile!
17 Si je le faisais de moi-même, j'aurais droit à un salaire; mais si j'y suis contraint, c'est une charge qui m'est confiée.
18 Quel est donc mon salaire? C'est d'offrir gratuitement l'Évangile que j'annonce, sans user des droits que cet Évangile me confère.
19 Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous, pour en gagner le plus grand nombre.
20 J'ai été avec les Juifs comme un Juif, pour gagner les Juifs, avec ceux qui sont assujettis à la loi, comme si je l'étais - alors que moi-même je ne le suis pas - , pour gagner ceux qui sont assujettis à la loi;
21 avec ceux qui sont sans loi, comme si j'étais sans loi - alors que je ne suis pas sans loi de Dieu, puisque Christ est ma loi - , pour gagner ceux qui sont sans loi.
22 J'ai partagé la faiblesse des faibles, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver sûrement quelques-uns.
23 Et tout cela, je le fais à cause de l'Évangile, afin d'y avoir part.
24 Ne savez-vous pas que les coureurs, dans le stade, courent tous, mais qu'un seul gagne le prix? Courez donc de manière à le remporter.
25 Tous les athlètes s'imposent une ascèse rigoureuse; eux, c'est pour une couronne périssable, nous, pour une couronne impérissable.
26 Moi donc, je cours ainsi: je ne vais pas à l'aveuglette; et je boxe ainsi: je ne frappe pas dans le vide.

27 Mais je traite durement mon corps et le tiens assujetti, de peur qu'après avoir proclamé le message aux autres, je ne sois moi-même éliminé.

Prédication :

                Dans ces quelques versets, il y a un petit mot qui ne cesse de revenir – un petit mot grec qui revient sous une forme ou sous une autre – et qui marque – le plus souvent – la finalité de ce qu’on fait. Précisons : je dois passer à la pompe pour que mon véhicule puisse continuer à rouler. Pour que… c’est assez simple, et c’est le commencement de notre méditation.
            Nous lisons, sous la plume de Paul : « Les athlètes s’imposent un entraînement – une ascèse rigoureuse – pour gagner la médaille. » ; la finalité  de l’entraînement des athlètes est clairement définie : gagner la médaille ; « je me suis fait l’esclave de tous, pour en gagner le plus grand nombre. », la finalité de l’action de Paul est d’en gagner le plus grand nombre ; « tout cela je le fais à cause de l’Evangile,  pour y avoir part », dit Paul… mais à ce moment, nous marquons un temps d’arrêt.

            Paul, donc, si nous lisons bien, fait tout ce qu’il fait, certes à cause de l’Evangile – il a été touché par l’Evangile – il entend vivre de l’Evangile – mais aussi pour y avoir part. Pour avoir part à quoi ? A l’Evangile ? Cela semble être le sens de la phrase. Mais avoir part à l’Evangile, qu’est-ce que cela signifie ?
            Puisqu’il apparaît l’image d’athlètes, de compétition, de prix et d’élimination, nous allons imaginer un instant qu’avoir part à l’Evangile, c’est, à la fin du parcours, remporter un prix, et qu’au contraire, ne pas avoir part à l’Evangile, c’est être éliminé... ou exclu. L’idée d’avoir part à l’Evangile et l’idée du salut comme récompense des mérites semblent ici se correspondre parfaitement. Nous annonçons l’Evangile pour – c'est-à-dire dans le but d’ – être sauvé… Mais ceci vient heurter une idée qui est très bien formulée dans l’épître aux Ephésiens – que Luther a redécouverte et magnifiquement défendue – qu’il n’en est pas ainsi. Le salut ne peut pas être un but à atteindre, car « c’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu » (Ephésiens 2,8). Nous ne pouvons donc pas maintenir bien longtemps d’idée que c’est pour obtenir une récompense – qui serait le salut – que Paul annonce l’Evangile, se fait tout à tous, etc..
            Paul le premier a protesté – avant Luther évidemment – contre une théologie des œuvres et des mérites, ce qui n’a pas empêché cette théologie d’avoir un grand succès. L’antiquité tardive, avec Pélage – et Saint Augustin pour le contredire – et le moyen âge européen sont pétris de théologie des œuvres et des mérites. Et il n’est pas discutable que notre temps le soit aussi. D’ailleurs, tant que le monde sera monde, les humains inventeront des dieux qui les sauveront selon leurs mérites, et ils croiront en eux, s’imagineront que par quelque action d’éclat qu’ils appelleront témoignage ou martyre, ils s’en mériteront les faveurs…
Au moyen âge, l’Eglise rassurait les fidèles avec les dévotions, les pèlerinages et les indulgences. Martin Luther et les Réformateurs ont contesté les indulgences et le pouvoir exorbitant de l’Eglise, ce qui a embêté beaucoup d’hommes d’Eglise : leur pouvoir a été considérablement amoindri. Mais cette contestation doit aussi embêter certains traducteurs d’aujourd’hui, dont celui dont nous lisons la traduction : presque toute sa traduction est marquée par le pour, par la finalité, et donc par un puissant fumet de rétribution…
Retenons à la suite de Paul – et de Martin Luther – que nous ne pouvons pas soutenir l’idée qu’avoir part à l’Evangile c’est être rétribué dans l’au-delà pour de bonnes actions.

            Mais qu’est-ce que Paul alors a voulu dire ? Le grec – car Paul s’exprime en langue grecque – connaît un même petit mot pour dire deux choses bien différentes : j’annonce l’Evangile pour (afin de) avoir part à l’Evangile et j’annonce l’Evangile tout autant que j’ai part à l’Evangile.

            Nous avons exploré le pour, explorons maintenant tout autant que. J’annonce l’Evangile, tout autant que j’y ai part. Avoir part à l’Evangile et annoncer l’Evangile se correspondraient donc ? Paul a reçu l’Evangile, et l’Evangile l’a transformé. Lorsque Paul dit « malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile » (v.17), il ne parle pas de l’Evangile comme d’un ensemble de convictions et d’opinions qu’il s’agirait de répandre partout. L’Evangile n’est pas un ensemble de convictions et d’opinions qu’il s’agit de répandre partout. Paul parle bien plutôt de lui-même, saisi et transformé, libéré de toute Loi, libre parce qu’il appartient à Christ, et qui se fait serviteur, se fait tout à tous, dans la perspective justement de leur libération, de leur transformation, avec l’espérance qu’un jour peut-être ils appartiennent eux aussi à Christ. Annoncer l’Evangile, dans ce sens, ce n’est pas une opinion qu’il défend, mais une manière d’être, de vivre et de parler qu’il pratique, qu’il cultive et qu’il promeut. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile », cela signifie que si sa manière d’être n’est pas liberté personnelle et service de tous, ce n’est pas d’Evangile qu’il s’agit. Ainsi Paul annonce l’Evangile tout autant qu’il a part à l’Evangile : il l’a reçu, le partage et le reçoit. Annoncer l’Evangile n’est donc plus pour Paul quelque chose qu’il doit ou devrait faire, mais quelque chose qu’il ne peut pas ne pas faire, qui est pour lui presque comme une nature : sa vie et l’annonce de l’Evangile se correspondent, tout comme il dira, dans une formule limpide – et extraordinairement audacieuse – « ce n’est plus moi qui vit, c’est Christ qui vit en moi » (Galates 2,20)…           

Mais est-ce si facile et si simple ? Paul lui-même semble hésiter sur la portée de ce qu’il avance. Il semble même reprendre un peu ce qu’il a dit. « Moi-même, je tiens mon corps en bride, pour quede peur qu’après avoir proclamé aux autres je ne sois pas, moi-même, indigne » (v.27). Il laisse bien entendre que celui qui annonce l’Evangile pourrait, sous certaines conditions, en être éliminé. Comme si la grâce de Dieu, et le salut gratuit, une fois pour toutes donnés, pouvaient être repris par Dieu lui-même... Paul n’aurait-il pas foi en Dieu ?
Il faudrait beaucoup d’audace pour oser affirmer que Paul n’a pas foi en Dieu. Paul a foi en Dieu et Paul, qui vit de l’Evangile, annonce l’Evangile. Son unique salaire pour l’annonce de l’Evangile est encore l’Evangile. Il envoie une lettre, et il ne sait absolument pas si quelqu’un lira, entendra et répondra. La situation de Paul est celle-ci : à la gratuité absolue de l’annonce de l’Evangile correspond la solitude absolue de l’évangéliste. La foi de Paul est bien la foi seule. Mais vivre ainsi par la foi seule, est-ce supportable, est-ce même possible ? Paul croit, disons-le encore… et Paul aussi espère que sa foi sera une foi partagée. Ainsi pouvons-nous dire – de nouveau mais autrement – que s’il annonce l’Evangile, c’est afin d’y avoir part. Paul espère que d’autres que lui seront saisis et transformés par l’Evangile. Paul espère pour lui-même que sa foi devienne celle d’une communauté.

Mais imposera-t-il  sa foi ? Exigera-t-il – comme tant de gens maintenant – la reconnaissance, l’acquiescement, voire des applaudissements ? Paul n’exigera jamais rien. Paul – ne l’oublions jamais – n’est qu’un épistolier, un homme qui écrit des lettres. Sa lettre nous parvient et, même canonique, elle n’est qu’une lettre, à peine plus qu’un prospectus, elle est une faible proposition, une insistante invitation… Qu’on peut simplement jeter, justement comme un prospectus. Mais on peut aussi la lire, la méditer, et recevoir ce qu’elle enseigne, choisir d’y répondre et d’en répondre, choisir l’Evangile.

Puissions-nous répondre. Puissions-nous laisser l’Evangile nous saisir, puissions-nous avoir part à l’Evangile. Puissions-nous nous faire tout à tous. Que Dieu nous soit en aide.  Amen