Psaume 95
1 Venez! crions de joie
pour le SEIGNEUR, acclamons le rocher qui nous sauve;
2
présentons-nous devant lui en rendant grâce, acclamons-le avec des hymnes.
3
Car le SEIGNEUR est le grand Dieu, le grand roi au-dessus de tous les dieux.
4
Il tient dans sa main les gouffres de la terre; les crêtes des montagnes sont à
lui.
5
À lui la mer, c'est lui qui l'a faite, et les continents que ses mains ont
formés!
6
Entrez! allons nous incliner, nous prosterner; à genoux devant le SEIGNEUR qui
nous a faits!
7
Car il est notre Dieu; nous sommes le peuple qu'il fait paître, le troupeau
qu'il garde. - Aujourd'hui, pourvu que vous obéissiez à sa voix!
8
Ne durcissez pas votre cœur comme à Mériba, comme au jour de Massa dans le
désert,
9
où vos pères m'ont défié et mis à l'épreuve, alors qu'ils m'avaient vu à l'œuvre.
10
Pendant quarante ans cette génération m'a écœuré, et j'ai dit: «C'est un peuple
à l'esprit égaré; ils ne connaissent pas mes chemins.»
11
Alors, dans ma colère, je l'ai juré: «Non, ils n'entreront pas dans mon lieu de
repos!»
1 Jésus étant né à
Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient
arrivèrent à Jérusalem
2
et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son
astre à l'Orient et nous sommes venus nous
prosterner devant lui »
3
À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4
Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit
auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5
«À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le
prophète:
6
Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des
chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître
Israël, mon peuple.»
7
Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux
l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8
et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur
l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi,
j'aille me prosterner devant lui.»
9
Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient
vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de
l'endroit où était l'enfant.
10
À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11
Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, étant tombés à terre, ils se prosternèrent devant lui ;
ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de
la myrrhe.
12
Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se
retirèrent dans leur pays par un autre chemin.
Prédication
Où est le
Roi des Juifs qui vient de naître,
demandent un jour des mages, savants personnages venus d’Orient ? La
suite, vous la connaissez, ce qu’il y a d’écrit dans les Saintes Ecritures,
plus l’histoire d’étoile qui se lève, et qui guide les mages jusqu’au bon
endroit… Tout est beau, tout est bon, le récit fonctionne à merveille.
Mais le
lecteur pourtant va s’interroger car, pour que ce récit puisse commencer, il
faut que quelques conditions initiales soient réunies, trois, au moins. (1) Il
faut que les mages aient observé une étoile. (2) Il faut qu’ils aient déterminé
que cette étoile est bien celle du Roi des Juifs nouvellement né. (3) Il faut
qu’ils aient désiré se prosterner devant ce roi. Nous allons déployer ces trois
conditions.
(1) Les mages ont observé une
étoile. Cet Orient dont ils viennent, ce Moyen-Orient, est un lieu où l’on
observe beaucoup les étoiles, où un savoir astrologique considérable a été
élaboré. Les mages venus d’Orient avaient tout le savoir nécessaire pour mettre
en corrélation un phénomène astrologique remarquable et un événement terrestre remarquable.
Tel était leur savoir, et il n’y a pas lieu de s’en étonner d’avantage.
(2) Ils ont été capables de
mettre en exacte corrélation ce phénomène astrologique et la naissance du Roi
des Juifs. Il fallait pour ce faire qu’ils sachent ce qu’est un Juif, et ce que
peut être le Roi des Juifs. Alors nous nous demandons avec eux ce qu’est un
Juif, non pas un Juif en général – nous ne sommes pas qualifiés pour répondre –
mais un Juif vu par des mages d’Orient.
Si des mages d’Orient connaissent
des Juifs, en ce temps-là, ils connaissent des Juifs de l’exil, des Juifs
d’Orient, descendants d’exilés depuis de nombreuses générations, et jamais
repartis vers le pays de leurs ancêtres. C’est qu’il ne faut pas que nous
imaginions la fin de l’exil tout comme nous imaginons l’Exode : tout un
peuple comme un seul homme et dans une même foi revenant de Babylonie,
reconstruisant sa ville, son temple, et rétablissant son culte. Il est toujours
demeuré en Babylonie des Juifs qui avaient tant épousé la condition de l’exil
qu’ils ne sont jamais rentrés au pays. Ce sont des Juifs qui ont lu la fameuse lettre
adressée par Jérémie aux exilés (Jérémie 29), cette lettre fameuse qui dit que
l’exil dure 70 ans, durée insondable et hautement symbolique ; cette
lettre que les exilés n’ont cessé de lire et de relire pendant des
générations ; cette lettre, qui n’est pas un prospectus contractuel d’agence
de voyage, mais un texte d’espérance. Ce sont ces Juifs-là que les mages
d’Orient peuvent connaître, des Juifs lecteurs et commentateurs d’une Sainte
Ecriture, pour qui l’espérance n’est pas un billet de retour mais une manière
de se comprendre, d’espérer et de vivre.
Si ce sont bien ces Juifs-là que
connaissent les mages d’Orient, le Roi des Juifs n’est pas pour eux le roitelet
jaloux d’une peuplade insignifiante et très sûre d’elle. Le Roi des Juifs, pour
les mages d’Orient, est celui qui s’en tient aux engagements inconditionnels de
sa foi, et aux promesses perpétuelles des Ecritures, quels que soit les succès,
les échecs, les réussites considérables et les tragédies abominables, inscrites
ou pas dans les étoiles. Le Roi des Juifs, pour les mages d’Orient, est celui
qui s’engagera toujours pour le Seigneur Dieu, qui espérera toujours en Lui et
en Lui seul, qui s’attendra toujours à Lui, quoi qu’il soit advenu, et quoi
qu’il advienne.
(3) Devant le Roi des Juifs,
devant ce qu’il représente d’espérance, d’engagement, de désintéressement, d’action
de grâce,… les mages d’Orient choisissent d’aller se prosterner, eux qui sont
consultés plutôt par des princes jaloux de leur puissance, et soucieux avant
tout de tout prévoir afin de toujours garder leur pouvoir.
Ayant donc été capables de voir
l’étoile et de l’identifier, ils se mettent en route. Les Rois séjournant le
plus souvent dans les capitales, c’est à Jérusalem, capitale des Juifs qu’ils
finissent par arriver, imaginant sans doute que ceux qui y vivent sont
exactement tout comme les Juifs de Babylonie…
Dans cette capitale, a-t-on
vraiment besoin du Roi des Juifs qui vient de naître ? Aux trois
conditions qui permettaient l’entrée en scène des mages d’Orient, font écho
trois observations.
(1) A Jérusalem, on n’attend pas
de Roi des Juifs : il y en a déjà un, un roi brutal, sanguinaire, et terrifiant.
Qu’il soit un roi fantoche, on le sait aussi. On sait encore qu’un Messie doit
venir, qu’il doit naître à Bethléem, terre de David, et qu’il sera un chef qui
fera paître Israël, qui lui rendra souveraineté, indépendance et opulence...
Nous ne pouvons pas identifier le
Roi des Juifs que cherchent les mages et
le Messie dont on parle à Jérusalem. Nous ne pouvons pas identifier le prince
de l’espérance et le chef politique. Il y a un hiatus, pour ne pas dire un
abîme. Il y a l’espérance patiente des Juifs de Babylonie, l’espérance
spirituelle qu’ils habitent concrètement en exil, dans le bonheur et dans le
malheur. Il y a ailleurs la bouillonnante et dangereuse attente d’une
messianité politique. Ce n’est absolument pas la même chose.
(2) Ce qu’on espère en exil n’est
donc pas ce qu’on attend sur sa propre terre. Que reste-t-il, au fond, de l’espérance,
lorsque l’exil a pris fin ? Que reste-t-il, en fait d’espérance, au Juif
de Jérusalem, qui a sa ville, sa terre, sa muraille, son Temple et son Dieu
dans son Temple ? La question qui est posée maintenant est celle du
devenir d’une espérance lorsque l’on a enfin été béni. C’est la question du
devenir de la prière lorsqu’on a enfin été exaucé.
Le Psaume 95, que nous avons lu
aussi, pose terriblement bien cette question. Nous sommes le peuple qu’il fait paître, le troupeau qu’il garde,
lit-on et, immédiatement après, on lit – comme parole de Dieu – aujourd’hui, pourvu que vous obéissiez à sa
voix ! Ne durcissez pas votre cœur... Ceux qui se proclament élus de
Dieu, bénis de Dieu, exaucés par Dieu, attendent-ils encore quelque chose de Dieu,
s’attendent-ils encore à Dieu, espèrent-ils encore ?
(3) Pour répondre à cette
question, nous en revenons au texte biblique, et nous repérons qu’à part les
mages venus d’Orient, il n’y a pas eu foule pour se précipiter vers Bethléem et
pour se prosterner devant le Roi des Juifs qui venait de naître. Nous savons
même tout à fait que cette royauté nouvelle contrariait terriblement le roi
Hérode, et qu’elle allait contrarier plus fortement encore les dignitaires
religieux. Cette royauté est si
dérangeante que, dans l’évangile de Matthieu, Jésus n’est littéralement reconnu
comme Roi des Juifs que, à sa naissance, par les mages d’Orient, et, à sa mort,
par Pilate, gouverneur romain, fin connaisseur de la veulerie des dignitaires
des régimes fantoches, qui fera apparaître, ironiquement, Roi des Juifs comme l’unique motif de la condamnation de Jésus.
Qui donc veut du Roi des
Juifs ? Qui donc veut du prince de l’espérance ? Ceux qui sont
suffisamment installés n’en veulent pas, c’est tout à fait clair. Mais nous,
nous ne voulons pas pour autant conclure que l’exil et le malheur sont les seuls
ressorts de l’espérance.
Nous affirmons que l’espérance
n’est pas, pour nous qui avons tant, la promesse de lendemains qui chanteront
encore. Nous affirmons que l’espérance, c’est le regard que nous portons sur
notre petit monde, sur nos bonheurs et nos malheurs, nos fortunes et
infortunes, plaisirs et déplaisirs, un regard étonné, reconnaissant, et lucide.
Nous affirmons que l’espérance c’est les actes que nous osons. Que c’est le
voyage que nous entreprenons lorsque nous célébrons le culte du Seigneur Dieu,
et lorsque nous étudions les Saintes Ecritures.
Nous voulons affirmer enfin que
c’est gratuitement que nous espérons, tout comme c’est gratuitement que les
mages d’Orient s’étaient mis en voyage. Avec eux, nous voulons voyager, voyage
intérieur, voyage au long cours, dans l’espérance de nous prosterner devant le
Roi des Juifs, et voyage au terme duquel, si Dieu veut, nous paraîtrons devant
Lui. Amen