samedi 4 février 2023

Sel de la terre, lumière du monde (Matthieu 5,13-16)

 

            Que sont les Béatitudes ? Que sont les enseignements sel de la terre et lumière du monde ? Que sont les enseignements sur la Loi et les Prophètes ? Ce ne sont pas à proprement parler des enseignements. Leur propos commun n’est pas de répondre à des questions ni de poser de puissantes questions. Leur propos est de rendre possible une parole humaine qui soit une parole divine. Avec leur air de ne pas y toucher, avec leur air de simplicité, ces fragments invitent leur lecteur à une profonde méditation des moyens et des fins, méditation sans laquelle aucune parole de Dieu ne saurait être prononcée par un être humain, et si nous l’osions, méditation sans laquelle aucune théologie n’est possible.

xxxxxxxx

Matthieu 5

13 «Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel? Il ne vaut plus rien; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.

 14 «Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.

 15 Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.

 16 De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.

Prédication

            « Vous êtes le sel de la terre. »  C’est tout simple, sujet verbe complément. C’est tout simple, apparemment. Une phrase qui peut être reçue comme un commandement. Ou comme une sorte de compliment. Comme une sorte de déclaration, adressée à ceux qui, disciples de Jésus, auront bien agi, se sont bien tenus, auront fait du bien à leurs contemporains. La phrase donc peut avoir le sens d’une distinction, d’une récompense. Mais aussi comme une invitation à la méfiance, tant il est vrai qu’il faut, parfois, se méfier de soi-même. La phrase alors met le trouble en nous. Cette phrase qui n’est une phrase si simple, sujet, verbe complément.

            Je me souviens vaguement d’un rassemblement de jeunesse organisé par notre Eglise, il y a quelques années parmi les slogans duquel figurait un Matthieu 5,13 un petit peu transformé : « Nous sommes le sel de la terre ». Une recherche sur le net et avec ce genre de transformation du texte s’avère assez féconde – si l’on peut parler pour cela de fécondité. Le « vous êtes » est souvent transformé en « nous sommes ». La déclaration que Jésus adresse à ses disciples devient une sorte de slogan « nous sommes le sel de la terre ! » ; soit, mais, les autres, comment le savent-ils ? qui l’a dit, et qui le montre, et qui le garantit ? qui se dresse pour, ou contre, une aussi belle affirmation, qui est peut-être une vérité, mais qui peut aussi être une folle prétention ? Qui donc va le dire ?

            Et puis, d’abord, sel de la terre, qu’est-ce que ça signifie ? Dans le sens qui est ici employé (Matthieu 5,13), le sel est un exhausteur de goût. Un petit peu de sel rend la nourriture un peu plus savoureuse, et la chose est connue depuis l’antiquité. Sel de la terre doit s’entendre un peu de la même manière, non pas pour une assiette de soupe seulement, mais pour le monde entier et pour la joie de tous ceux qui y vivent. Tous ceux qui y vivent, c’est sans doute un peu beaucoup, mais peuple, ou une foule, oui, pourquoi pas…

            Pourquoi pas. Mais  tout cela étant dit, le sel n’est qu’une chose, il est inerte. Le sel n’a pas conscience de ce qu’il est. Le sel ne dit jamais « je suis le sel de la terre ». Il contente d’être là, offert, et il disparaît totalement dans l’usage qu’on fait de lui.

            Alors, celui qui se réclame de Jésus, celui qui veut se proclamer sel de la terre, est-il toujours d’accord ? Veut-il vraiment être cette chose passive, infiniment offerte, et qui se dissout sans reste, ne laissant là que la satisfaction d’un convive… ? Ce sel, ou ce disciple qui se veut sel de la terre, il semble que plus il y prétend, et moins il l’est. Car ça n’est pas à cause de trop peu de sel que le sel perd sa saveur, mais au contraire la faute à trop de sel.

            Et puis, trop de sel, ou trop peu de sel, est-il possible de distinguer ? Pour ceux qui lisent la Bible, il est certainement possible, Bible en main, de construire un ensemble permettant d’évaluer les paroles et les actes d’untel et de se prononcer sur oui ou non sel de la terre. Mais les paroles et les actes n’ont pas toujours la même portée, la même saveur. Qui donc décidera ? Une suggestion, peut-être, des actes et des paroles peuvent sauver des vies. Paroles et gestes d’êtres humains après coup recevant le titre de Justes parmi les Nations, et dont certains ont à jamais refusé tout honneur ou distinction. Ils disparaissent, l’histoire oublie leur nom comme le sel dont nous avons parlé. Sauf que, dans ce cas, les Justes ne choisissent pas, ne réclament pas les honneurs. Le sel ne choisit pas, il apparaît, fait ce qui doit être fait et puis disparaît, laissant derrière lui un monde à la saveur renouvelée

            Qui donc le dira sel de la terre ? C’est nous, c’est vous. Pensant à celles et ceux auxquels nous devons, nous dirons d’eux, ou nous leur dirons, « Vous êtes le sel de la terre »

 

            « Vous êtes la lumière du monde » Le second énoncé à la même forme que le premier, et la réflexion que nous avons menée jusqu’ici semble pouvoir être assez simplement reprise. A ceci près que la méditation du sel était très terre à terre. La parole était possible, entre deux risques, celui de la rétention et celui de l’extinction. Entre les deux, voire delà de l’une et de l’autre, se trouvait le champ d’une parole à la fois forte et humble, disant ce qui devait l’être, et laissant au temps et aux humains la responsabilité de son accomplissement. Mais qu’en est-il de la lumière ?

            Avec les versets portant sur la lumière, nous avons affaire à des matériaux plus denses, et plus durables. Le sel de la terre n’était rien, dès le début de « vous êtes le sel de la terre », il n’était rien de plus que la buée du premier verset de Qoeleth (l’Ecclésiaste) Sel de la terre, vanité des vanités, poussière de poussière. Mais la pierre, les villes, et les maisons, c’est autre chose. La lumière ne peut rien contre elles. Tout au plus la lumière peut-elle produire des ombres ; elle permet que soient appréciés volumes et reliefs. Mais si la lumière vient de partout en quantité considérable, on n’y voit finalement plus rien, éblouissement garanti, direction défaillante et collision.

            Dans ce deuxième moment de la notre méditation, s’il semble être question d’une petite lampe domestique et d’une simple maison, il est aussi question d’une ville entière, de Dieu lui-même et du ciel. Il est donc question de petites affaires domestiques, et de grandes affaires ; les affaires domestiques peuvent être de grandes affaires. Grandes affaires, ou petites, ce sont des affaires permanentes.

            Et comment cela va-t-il se mettre en place et en évidence ? Un peu comme « le sel de la terre ». Ceux à qui l’on dit « vous êtes lumière du monde » vont pouvoir – vont devoir… vont pouvoir examiner les raisons et les buts de leurs actions, même si finalement c’est avec une certaine spontanéité qu’ils les accompliront. Avec une différence importante puisque le travail, et la méditation s’opèrent sur des matériaux divins, nous voyons la pierre et la lumière. Qui dit matériaux permanents dit empreinte permanente. Avec pierre et lumière, la trace des bonnes actions est ineffaçable, et la trace des mauvaises actions est ineffaçable. En plus, avec pierre et lumière c’est Dieu lui-même qui est en œuvre, et en cause. Si bien que tout ce qui a été dit avec le sel de la terre peut – et doit – impérativement être repris, par le disciple de Jésus Christ, avec prudence mais peut probablement aussi être repris avec joie. Est-on jamais tout à fait certain de ne pas se tromper ? On ne sait. Mais quelqu’un vous dit ceci : « Vous êtes lumière du monde ! » Et ça n’est pas du monde entier, c’est quand même lumière, et si seulement une maison est éclairée, si c’est une seule pièce de la maison, c’est quand même lumière.

             Vous êtes le sel de la terre

            Vous êtes la lumière du monde

            Amen