samedi 18 décembre 2021

Marie et Elisabeth, lorsque deux espérances différentes se rencontrent

On doit parfois faire très vite...

Aujourd'hui donc, juste du texte, pas d'images 

Luc 1

39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.

 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.

 41 Or, lorsqu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint Esprit.

 42 Elle poussa un grand cri et dit: «Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein!

 43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur?

 44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.

 45 Bienheureuse celle qui a cru: ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira!»

 

Michée 5

1 Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent à l'antiquité, aux jours d'autrefois.

 2 C'est pourquoi, Dieu les abandonnera jusqu'aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera des ses frères rejoindra les fils d'Israël.

 3 Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du Nom du SEIGNEUR son Dieu. Ils s'installeront, car il sera grand jusqu'aux confins de la terre.

 4 Lui-même, il sera la paix. Au cas où Assour entrerait sur notre terre et foulerait nos palais, nous dresserons contre lui sept bergers, huit princes humains.

Prédication : Vincennes 19 décembre 2021 – d’après Le Creusot, 20 décembre 2005 (espérance, foi, engagement)

            Ainsi donc, Marie, enceinte, se rendit un jour chez Élisabeth, sa parente, qui était enceinte, elle aussi, et en était au sixième mois. Dans cet épisode, ce ne sont pas seulement deux femmes qui se rencontrèrent, mais deux visages de l’espérance. Nous allons méditer ces deux visages de l’espérance. Et nous verrons comment ils se rencontrent.

Nous avons le souvenir de plusieurs vieux couples bibliques, dont ceux formés par Sarah et Abraham, par Manoah (Juges 13) et sa femme, et par Élisabeth et Zacharie, son mari, qui était prêtre. Pour une femme de ces temps-là, ne pas mettre d’enfants au monde était une honte. Concevoir était donc son espérance et enfanter l’accomplissement suprême de cette espérance. Élisabeth, en son sixième mois, est donc sur le point de voir s’accomplir de son vivant ce qu’elle a espéré. L’accomplissement de cette espérance de femme, de cette espérance de vieux couple, même si l’ange l’avait prédite, requerrait une œuvre de ce vieux couple… on ne devient pas enceinte comme ça. Quel visage de l’espérance est donc celui que représente Élisabeth ? Celui d’une espérance qu’un être humain peut voir s’accomplir au cours de sa vie, pourvu qu’il se consacre à cet accomplissement. C’est ainsi. Il y a une certaine forme d’espérance qui ne peut s’accomplir qu’à la condition que ceux qui espèrent s’engagent concrètement, et qui ne s’accomplira jamais s’ils ne s’y engagent pas. Ainsi l’espérance de la moisson requiert la tâche de labourer, et la tâche de semer. Et c’est à la fin de la saison que vient le temps de la récolte. L’enfant de Zacharie et d’Élisabeth arrivera en son temps. L’espérance s’accomplit donc dans une perspective laborieuse, temporelle, et personnelle. Peut-être est-il possible d’appeler ces espérances-là du nom d’espérance laborieuse…

            En face de cette forme d’espérance que représente Élisabeth, il y a une autre forme, que représente Marie. Marie est aussi une femme enceinte. Mais l’origine de la grossesse de Marie, nous l’avons tous souvent lu et souvent confessé, est d’une toute autre nature que l’origine de la grossesse d’Élisabeth. Marie n’a en rien œuvré pour cette grossesse. Aussi peut-on dire que le visage de l’accomplissement de l’espérance de Marie se situe hors de la chaîne des causes et des effets. « Il la connut, elle conçut et elle enfanta », trois verbes inséparables, et qui sont les causes et les effets, Adam et Ève sont les premiers dans la Bible au sujet desquels cela est dit… mais s’agissant de Marie ? « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. » L’accomplissement de l’espérance relève alors uniquement de la grâce divine : Marie n’a aucun projet et n’accomplit aucune œuvre. Et celui qui apparaît fait brèche dans le cours trop continu de l’histoire. Ce n’est pas un enfant qui naît mais « le Fils du Très-Haut » qui recevra « le trône de David son père » et dont le « règne n’aura pas de fin ». Et cet enfant, le fruit de cette divine espérance, ne sera en aucun cas enfant de Marie, puisqu’elle se déclare sans détour « esclave du Seigneur » (les enfants des esclaves n’appartenaient pas à leur parents mais à leur maître). Le fruit de l’accomplissement d’une espérance comme celle de Marie advient donc par pure grâce, et est offert à celui à qui il advient comme à tous ceux qui l’attendent. Ainsi pouvons-nous conclure qu’une espérance comme celle de Marie s’accomplit d’une manière gratuite, intemporelle et collective.

            En face de l’espérance laborieuse d’Élisabeth, il y a la divine espérance de Marie.

            Pour essayer mieux distinguer encore ces deux visages de l’espérance, nous pouvons nous souvenir un instant de la chanson des Restos du cœur : « Je te promets pas le grand soir, mais juste à manger et à boire, un peu de pain et de chaleur… » Il appartient aux êtres humains de donner un peu de pain et de chaleur, et ils peuvent le faire. Ils le voient s’accomplir, parce qu’ils le font s’accomplir… et c’est le visage de l’espérance selon Élisabeth. Quant au grand soir, à ce grand soir qui verra s’accomplir toute justice et toute paix, cela n’appartient pas aux humains... A Dieu seul, pour qui croit en Dieu, en revient l’initiative et la gloire.

 

            Et maintenant, interrogeons-nous. Lorsque quelque chose que nous avons espéré s’accomplit pour nous, est-ce le visage de la divine espérance que représente Marie, ou est-ce celui de l’espérance laborieuse que représente Élisabeth ? Est-ce la grâce, est-ce le labeur ?

            Dans le récit de la Visitation, Marie se met en route vers Élisabeth – et pas le contraire. Cela nous suggère que la grâce vient à la rencontre du labeur. Pour revenir à une métaphore agricole, labourer et semer n’aboutit à une récolte que si grâce est faite d’une saison favorable… Si l’on veut même donner du poids au récit de la Visitation, on dira que l’espérance de toute œuvre humaine ne peut se réaliser sans une participation de la divine grâce. Ce qui aura pour conséquence que le fruit d’une œuvre, le profit, le produit d’une œuvre, n’appartiendra jamais totalement à celui qui l’aura entreprise. Il devrait être partagé, tout comme le « Fils du Très-Haut », pur fruit de la grâce, est partagé entre toute l’humanité. La grâce donc vient à la rencontre du labeur, et de cette rencontre l’exigence du partage jaillit comme une évidence.

            Mais Élisabeth n’a pas attendu la visite de Marie pour entreprendre ce que son espérance appelait. Lorsque Marie lui rend visite, Élisabeth en est à son sixième mois. Ce qui nous suggère que l’espérance appelle l’engagement, et que la grâce vient par surcroît. Ce que nous espérons, il nous faut le mettre en œuvre, nous y consacrer, résolument. Le labeur précède donc la grâce, dans notre récit. Celui qui se consacre à la mise en œuvre de son espérance peut bien s’il le veut demander l’assistance de la grâce, mais celle-ci pourra aussi se manifester, comme Marie, sans  y avoir été invitée.

            Ne pensons surtout pas que sans l’engagement et sans l’invocation, rien n’adviendrait et que tout serait voué à l’échec. Il y a, dans chaque vie humaine, un événement essentiel qui advient par pure grâce et sans engagement aucun de celui qui en bénéficie : naître ! Et certaines rencontres, certains beaux moments de la vie, adviennent aussi de la même manière, sans qu’on s’y soit engagé, sans même qu’on les ait espérés. Puissions-nous les reconnaître, les accueillir et, comme Marie, en partager infiniment le fruit.

            Au bilan, nul n’est jamais entièrement propriétaire des fruits de ses œuvres, car nulle œuvre ne porte du fruit qu’elle n’ait été visitée par la grâce. Mais la grâce peut aussi parfois se passer de nos œuvres et choisir de nous visiter.

 

            Ceci étant dit, il reste que certains prient, espèrent, s’engagent au nom de leur espérance, et rien n’advient, que l’échec, que le malheur, sans accomplissement aucun, ni visitation. Dieu parfois ignore les engagements et les espérances des humains, se tait sur leurs malheurs, et ne soutient même en rien ceux qui espèreraient soulager ces malheurs. Que dire ? Murmurons qu’il relève du mystère de Dieu que grâce nous soit faite et que nos espérances s’accomplissent ; murmurons qu’il relève aussi du mystère de Dieu que tout se dérobe parfois, que tout nous échappe et que nous soyons éprouvés. Murmurons cela, puis, taisons-nous sur le mystère de Dieu.

Il ne reste alors qu’une seule chose à faire : partager les mots de l’espérance, relire les prophètes. Pensons aux générations qui ont lu le prophète Michée, comme nous l’avons fait aujourd’hui, sans que jamais elles ne voient enfanter celle qui doit enfanter. Faisons aussi mémoire de ces anciennes visitations, de ces anciennes manifestations de la grâce, qui ont été infiniment partagées et qui sont ainsi toujours actuelles. Il reste possible de lire, méditer, prier, chanter le Magnificat, comme nous l’avons fait, célébrer le repas du Seigneur… La liturgie est parfois l’ultime reste de l’espérance. Et là, dans l’impuissance la plus avérée, l’on peut s’en remettre totalement à Dieu.

Je crois qu’à cette ultime prière Dieu n’est jamais indifférent. Amen

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