Le verbe sortir est un verbe très
fréquent dans l’Ancien Testament : il y apparaît 990 fois. Dans son sens
le plus archaïque, ce verbe décrit la plante qui sort du sol, et l’eau de
source qui sort de terre. Il décrit Noé qui sort de l’Arche après le Déluge, et
ce que font les patriarches qui, obéissant à l’ordre de Dieu, sortent de la
terre de leur naissance et se mettent en route vers la terre promise. Ils
sortent aussi de leur tente, la nuit, pour regarder les étoiles, et Dieu leur
promet que d’eux sortira une descendance nombreuse… Faire sortir les Hébreux
hors d’Égypte, c’est l’ordre que Dieu adresse un jour Moïse. Nous nous
souvenons tous que cette sortie ne se fit pas sans douleur. Dieu s’était fait
connaître en révélant son nom à Moïse, il se fit connaître en donnant sa Loi
aux Hébreux. Ainsi commencent les dix commandements : « Je suis l’Éternel
ton Dieu qui t’a fait sortir de la terre d’Égypte, de la maison de l’esclavage »
(Exode 20,2).
Ainsi traduit, nous pouvons penser
que cette sortie a eu un commencement et une fin. Mais nous nous souvenons de
révoltes et de murmures dans le camp des Hébreux. Nous nous souvenons que
certains protestèrent contre cette existence ascétique dans le désert. Nous
nous souvenons que certains furent prêts à retourner en Égypte (Nombres 14:3,
par exemple). Redoutable liberté, exigeante liberté, qui fait à certains préférer
la servitude, à un tel point que même l’amour divin semble peiner. Il fallut
bien du temps, 40 années, durée hautement symbolique, pour que le peuple, enfin sorti d’Égypte dans sa tête, soit prêt à sortir
du désert pour entrer dans la terre promise.
La toute première phrase du Décalogue
est en fait bien plus riche que nous ne l’avons envisagé jusqu’ici. En voici
une autre traduction : « Je suis l’Éternel ton Dieu qui te fais
(verbe au présent) sortir de la terre d’Égypte, de la maison des esclavages (au
pluriel) (ou encore, de la maison des esclaves. » Le verbe sortir est au
présent, ce qui indique que la sortie, la libération, est en train d’avoir lieu :
Dieu est en train de faire sortir. Et plus encore, avec ce verbe au présent, ce
n’est plus seulement le peuple hébreu qui est concerné, mais le lecteur, auquel
l’Éternel s’adresse personnellement. Mais ces esclavages, ou ces autres
esclaves que le lecteur côtoie, quels sont-ils ? Nous risquons ici d’entrer
dans le secret des consciences… chacun dispose de sa propre intimité avec Dieu.
Chacun suit son propre chemin avec Dieu.
Mais s’agissant de sortir, il y a
quelque chose qui nous concerne tous ensemble. Nous étions, ces derniers mois,
assez empêchés de sortir. Mais, maintenant, la plus grande part de notre
liberté nous a été rendue. Quelques contraintes demeurent, il est vrai, mais
nous pouvons de nouveau sortir. Nos activités ont repris et, parmi elles, le
culte dominical. Nous pouvons de nouveau aussi nous arrêter à la terrasse d’un
café, fréquenter les cinémas, et les restaurants. Pour cela, nous rendons grâce
à Dieu. Mais nous n’oublions pas que, parmi les plus anciens d’entre nous,
certains ne sortent plus de chez eux et attendent nos appels et nos visites.