dimanche 1 octobre 2017

Changer de préoccupation (Matthieu 21,23-41)

Matthieu 21
23 Quand il fut entré dans le temple, les grands prêtres et les anciens du peuple s'avancèrent vers lui pendant qu'il enseignait, et ils lui dirent: «En vertu de quelle autorité fais-tu cela? Et qui t'a donné cette autorité?»
24 Jésus leur répondit: «Moi aussi, je vais vous poser une question, une seule; si vous me répondez, je vous dirai à mon tour en vertu de quelle autorité je fais cela.
25 Le baptême de Jean, d'où venait-il? Du ciel ou des hommes?» Ils raisonnèrent en eux-mêmes: «Si nous disons: ‹Du ciel›, il nous dira: ‹Pourquoi donc n'avez-vous pas cru en lui?›
26 Et si nous disons: ‹Des hommes›, nous devons redouter la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète.»
27 Alors ils répondirent à Jésus: «Nous ne savons pas.» Et lui aussi leur dit: «Moi non plus, je ne vous dis pas en vertu de quelle autorité je fais cela.»

28 «Quel est votre avis? Un homme avait deux fils. S'avançant vers le premier, il lui dit: ‹Mon enfant, va donc aujourd'hui travailler à la vigne.›
29 Celui-ci lui répondit: ‹Je veux pas›; un peu plus tard, ayant changé de préoccupation, il y alla.
30 S'avançant vers le second, il lui dit la même chose. Celui-ci lui répondit: ‹J'y vais, Seigneur›; mais il n'y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté de son père?» - «Le premier», répondent-ils. Jésus leur dit: «En vérité, je vous le déclare, collecteurs d'impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu.
32 En effet, Jean est venu à vous dans le chemin de la justice, et vous ne l'avez pas cru; collecteurs d'impôts et prostituées, au contraire, l'ont cru. Et vous, voyant cela, vous n’avez pas d’avantage changé de préoccupation pour le croire.»

33 «Écoutez une autre parabole. Il y avait un propriétaire qui planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour; puis il la donna à des fermiers et partit en voyage.
34 Quand le temps des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux fermiers pour recevoir les fruits qui lui revenaient.
35 Mais les fermiers saisirent ces serviteurs; l'un, ils le rouèrent de coups; un autre, ils le tuèrent; un autre, ils le lapidèrent.
36 Il envoya encore d'autres serviteurs, plus nombreux que les premiers; ils les traitèrent de même.
37 Finalement, il leur envoya son fils, en se disant: ‹Ils respecteront mon fils.›
38 Mais les fermiers, voyant le fils, se dirent entre eux: ‹C'est l'héritier. Venez! Tuons-le et emparons-nous de l'héritage.›
39 Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
40 Eh bien! lorsque viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces fermiers -là?»

41 Ils lui répondirent: «Il fera périr misérablement ces misérables, et il donnera à d'autres fermiers, qui donneront des fruits en leur temps.»

Prédication : 
            Dans le fil de l’histoire que Matthieu raconte, nous en sommes, après l’entrée triomphante de Jésus dans Jérusalem (Rameaux), à cette confrontation verbale entre Lui et les autorités du Temple, confrontation qui, nous le savons,  va aboutir à un assassinat.
            Qui est responsable de cet assassinat ? S’il faut pointer quelqu’un du doigt, les hauts dignitaires de la religion à Jérusalem sont des cibles évidentes. Avec les textes que nous venons de lire, on aura tôt fait de les identifier à ce fils appelé à aller travailler à la vigne, qui répondit par un oui sans nuances et qui se déroba à sa tâche et à sa parole. De même, les dignitaires du Temple et les anciens du Peuple, appelés à travailler à la vigne du Seigneur Dieu… qui réclameront la mort de Jésus et vociféreront : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants. » On aura tôt fait aussi de les reconnaître aussi dans les fermiers meurtriers de la parabole suivante. Et conséquemment, l’allégorie étant facile, l’occident chrétien ne s’est pas privé de nourrir contre ces gens, leurs enfants, et ce peuple déicide, une haine vengeresse dont il n’est pas certain qu’elle soit aujourd’hui tout à fait éteinte… il ne faut jamais hésiter à la dénoncer.
            Ce même occident chrétien n’a-t-il pas su repérer qu’en agissant ainsi il agissait très exactement comme ceux que dénonçaient les paraboles et diatribes de Jésus ? Non, ou du moins rarement, parce que lorsque c’est dans certaine disposition d’esprit qu’on se trouve, le blasphémateur et l’infidèle, c’est toujours forcément l’autre. Quelle est cette disposition d’esprit ?

            L’homme qui est entré glorieusement à Jérusalem et qui a commis des actions d’éclat dans le Temple (bousculer les tables, chasser les marchands, et qui y polémique avec brio…) est « le prophète Jésus, de Nazareth, en Galilée » (Matthieu 21,11). Le Temple est à Jérusalem, en Judée. Autour de sa localisation et de son unicité en tant que lieu de culte, il y a plusieurs siècles – disons 6 – de discussions, de rivalités, voire de haine… entre les tribus hébraïques, entre Galilée et Judée, entre Judée et Samarie, entre Judée et le reste du monde juif, et le reste du monde païen... La centralisation du culte à Jérusalem, qui semble tellement aller de soi, qui est célébrée comme sainte réforme en 2 Rois 22, est la chose sans doute la moins évidente qui soit, et la plus âprement discutée de tout le premier Testament. Les Judéens, et surtout les dignitaires de Jérusalem, du temps de Jésus, gèrent cela avec un zèle jaloux.
            Cette place cultuelle est aussi un lieu où diverses oligarchies – le plus souvent héréditaires – se distribuent le prestige, et se partagent les énormes profits générés par le culte.

            Manifestement, le Galiléen Jésus n’aime guère ces Judéens maîtres du Temple, et ceux-ci le lui rendent bien. Légitime, un Galiléen ? Jamais !  « Par quelle autorité fais-tu cela ? Et qui t’a donné cette autorité ? » Question de légitimité dans un sens très humain. Légitimes, eux, qui sont Judéens, issus des bonnes familles, légitimes dans le contrôle exercé sur le Temple, ce qui s’y achète, ce qui s’y vend et ce qui s’y dit, comme si le Temple était au fond leur affaire plutôt que… celle de Dieu. La question n’est pas neuve, nous l’avons dit : maison de prière pour tous les peuples (Esaïe 56,7) ou caverne de voleurs (Jérémie7,11) ?
            Dans quelles dispositions d’esprit sont les maîtres du Temple ? Pour essayer d’approcher cette disposition d’esprit, nous revenons à la parabole des deux fils. Réponse du premier à son père : « Je veux pas ! » Mais, un peu plus tard, ayant changé de préoccupation, il y alla. « Je veux pas… », dit-il. Tous ceux qui ont élevé des enfants savent sur quel ton cela est dit. Le second que le père approche ne dit pas oui – il y a un petit mot grec très précis pour dire oui, et ce mot n’y est pas ;  il répond en disant « Moi (ἐγώ - égo), Seigneur… », un oui emphatique et boursouflé qui n’est suivi d’aucune action.  L’un des deux fils de la parabole n’a manifestement pas changé de préoccupation, et cette préoccupation, c’est son égo , c’est lui-même.
Cette même et unique préoccupation est aussi celle des dignitaires du Temple. Jésus le leur dit, sans nuance : « Jean est venu dans le chemin de la justice et vous ne l’avez pas cru ; collecteurs d’impôts et prostituées, au contraire, l’ont cru. Et vous, voyant cela, vous n’avez pas d’avantage changé de préoccupation… » C’est une violente attaque. En substance : vous êtes pires que des collecteurs d’impôt, et pire que des prostituées. Toute la violence de la tradition prophétique est ici mise en branle contre ces gens qui n’ont pas d’autre préoccupation qu’eux-mêmes... autrui ne les intéresse aucunement, la foi ne les intéresse aucunement, et Dieu pas d’avantage...
Croire, par contraste, cela apparaît ici comme une dé-préoccupation de soi-même ; croire leur est parfaitement étranger.           

            D’où une question : qu’est-ce qui peut amener une personne préoccupée uniquement d’elle-même à changer de préoccupation, et à croire ? Il y a, sous nos yeux, dans le texte, quatre réponses possibles : (1) le temps, (2) voir quelqu’un marcher dans le chemin de la justice, (3) voire quelqu’un commencer à croire, (4) rien.
            (1) Qu’est-ce qui fait que le premier fils de la parabole change de préoccupation ? Pauvre réponse : le temps… Peut-être pas un temps très long, mais peut-être aussi un temps très long. Certaines personnes ainsi cessent un jour de n’être préoccupées que d’elles-mêmes. Et l’on ne sait pas pourquoi. Mais c’est tant mieux…
            (2) Deuxième réponse possible : voir quelqu’un marcher dans le chemin de la justice. Mais, le chemin de la justice, qu’est-ce que c’est ? Jean le Baptiste a prêché la proximité et la possibilité du règne de Dieu, a dit ce qu’il avait à dire, fait ce qu’il avait à faire ; et le voit-on un instant, un seul instant, se préoccuper de lui-même ? Il parle de Dieu, il parle pour Dieu, sans rien exiger de personne. Il vit une foi radicale qui ne nuit à personne et qui montre le chemin à beaucoup. Voir quelqu’un marcher dans le chemin de la justice amène certaines personnes à cesser de ne se préoccuper que d’elles-mêmes. C'est-à-dire les mène à commencer à croire.
(3) C’est la troisième réponse possible. Des collecteurs d’impôts et des prostituées, voyant vivre Jean le Baptiste, ont commencé à croire, c'est-à-dire ont changé de vie… ou de manière de vivre leur vie. Voir quelqu’un commencer à croire amène certains autres à cesser de ne se préoccuper que d’eux-mêmes.
            (4) Quatrième réponse possible : rien… le second fils de la première parabole et l’histoire des fermiers meurtriers signifient ce rien. Il y a des gens qui jamais ne cesseront de ne se préoccuper que d’eux-mêmes. Quelle est l’opinion de Jésus s’agissant de ceux qui ne se préoccupent que d’eux-mêmes, même s’ils semblent s’occuper des affaires de Dieu et le prétendent haut et fort : leur présent est un présent de déni, leur futur un futur de violence, ils n’ont aucun avenir, et n’auront aucune postérité.
            Et pour tous cependant, pour tous, l’appel est le même : « Va travailler à la vigne ! » Qui donc entendra l’appel, et qui répondra ?
           
La parabole des fermiers meurtriers s’ouvre sur une note positive : même si l’égoïsme, le mépris et la violence ont leur temps, il y a une espérance et un avenir : « il donnera la vigne à d’autres fermiers qui lui donneront du fruit en leur temps. » Le temps du fruit ? Ou le temps du fermier ? Les deux… le temps que les fermiers, les ouvriers, les humains, ceux qui auront répondu à l’appel, apprennent à être moins préoccupés d’eux-mêmes – peut-être un long apprentissage – et, ayant choisi le chemin de la justice, en laissent alors advenir le fruit.
            Sœurs et frères, vous avez entendu l’appel, vous avez choisi de prendre ce chemin. Le Seigneur vous accompagne. Amen


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